C. AU-DELÀ DE QUELQUES AMÉNAGEMENT TECHNIQUES UTILES, UNE RÉFORME QUI POURRAIT AVOIR DES EFFETS TRÈS NÉGATIFS

Le droit de préemption est aujourd'hui un outil utile, notamment en ce qu'il permet à la collectivité de tirer profit des opportunités du marché pour réaliser des projets d'intérêt général, plutôt que d'utiliser l'expropriation, procédure beaucoup plus lourde. Or la réforme proposée, si elle comporte certes quelques aménagements techniques opportuns, pourrait mettre un coup d'arrêt assez important à son utilisation.

1. Quelques aménagements techniques opportuns mais limités

L'article 83 B comporte quelques avancées intéressantes , reprises du rapport du Conseil d'Etat. Celui-ci avait en effet critiqué le décalage dans le temps entre le transfert de propriété , effectif dès l'accord sur le prix, d'une part , et la signature de l'acte authentique 93 ( * ) et le paiement, d'autre part 94 ( * ) . En effet, le défaut de paiement dans ce délai de six mois entraînait non pas l'empêchement de la vente , mais l'obligation de rétrocéder le bien .

Pour mettre fin à cette zone de flou juridique peu satisfaisante , dans laquelle la collectivité est virtuellement propriétaire mais l'ancien propriétaire conserve la jouissance du bien, le rapport proposait qu'en cas d'accord sur le prix, le transfert de propriété intervienne au moment du paiement du prix, qui aurait lieu en même temps que la signature de l'acte authentique, dans un délai de trois mois.

La proposition de loi reprend cette idée, en prévoyant que le transfert de propriété intervient à la date à laquelle sont intervenus le paiement et l'acte authentique, et en fixant le délai à six mois. En cas de non-respect de ce délai, la vente est annulée à la demande du vendeur, qui peut aliéner librement son bien. Il s'agit là d'une simplification opportune .

En outre, le rapport du Conseil d'Etat a souligné la nécessité que les modalités de fixation du prix tiennent compte des travaux de dépollution et de remise en état qu'implique l'acquisition de certains biens. Il précisait que la DIA ne permet pas de connaître les sujétions qui peuvent peser sur le bien, notamment ceux devant faire l'objet de mesures de dépollution. Il proposait donc d'ajouter au formulaire de DIA une rubrique en ce sens, embrassant l'ensemble du diagnostic technique ainsi que la mention des clauses particulières que le vendeur souhaite insérer dans le contrat de vente : « sans alourdir excessivement la procédure, ces éléments devraient permettre à la collectivité d'avoir une connaissance suffisante de la réalité du bien et des conditions de son aliénation et de prendre sa décision en toute connaissance de cause ».

L'article 83 B reprend partiellement cette proposition, en enrichissant les éléments que doit contenir la DIA , qui ne mentionne aujourd'hui que le prix et les conditions de l'aliénation projetée. Le texte impose qu'elle mentionne également des éléments permettant d'apprécier la consistance et l'état de l'immeuble, ainsi que les fermiers, locataires, titulaires de droits d'emphytéose, etc. Toutefois, même sur ce point, le texte proposé ne permet pas une réelle transparence : le bien est très peu décrit, et des caractéristiques essentielles concernant sa valeur (amiante, pollution, par exemple) ne sont pas communiquées. Le vendeur n'est même pas tenu de laisser visiter le bien. Or il serait opportun que le titulaire du droit de urbain puisse avoir communication, à sa demande, de l'ensemble des informations présentées à l'occasion d'une vente.

2. Une réduction de la capacité des collectivités à mener des politiques foncières et d'aménagement

L'adoption de l'article 83 B a suscité des réactions très vives de la part de tous les opérateurs compétents en matière d'urbanisme et d'aménagement : associations d'élus, établissements publics fonciers d'Etat et locaux, Union sociale pour l'habitat. Plusieurs points apparaissent de nature à mettre en péril l'utilisation du droit de préemption :

- l'instauration d'un droit de délaissement obligeant la collectivité à acquérir les biens situés dans un périmètre de projet d'aménagement : par là, le droit de préemption devient incompatible avec la notion de réserve foncière et perd sa vocation d'outil d'anticipation ;

- le risque d'une hausse des prix : le titulaire du droit de préemption devra, en cas de prix trop élevé, renoncer à l'acquisition ou acquérir à un prix élevé, cautionnant ainsi une hausse du marché et augmentant le prix de revient de l'opération. Certes 75 % des décisions de préemption se font aujourd'hui au prix de vente. Mais comme le note le Conseil d'Etat dans son rapport « Si la possibilité d'une fixation judiciaire du prix n'est que rarement mise en oeuvre (environ 5 % des cas), son existence même exerce nécessairement une pression sur le vendeur ». Certains opérateurs craignent la multiplication de déclarations d'intention d'aliéner de complaisance (sans acquéreur véritable, avec un prix sans rapport avec le marché réel) ;

- l'incompatibilité entre la préemption au prix de la DIA et la réalisation de logements sociaux : il ne sera pas possible, par principe, d'englober tous les sites potentiels de logements dans des périmètres de projets (dans lesquels, au demeurant, l'instauration d'un droit de délaissement serait difficilement compatible avec le coût des opérations de logement social). L'opportunité d'une mutation d'un bien en secteur urbain constitué est un moyen intéressant de production de logements sociaux disséminés dans le tissu urbain. L'impossibilité de demander une révision de prix sur certains secteurs agglomérés (première couronne francilienne, littoral, secteurs de montagne) où les tensions foncières sont très fortes, risque de conduire à abandonner la préemption faute du délai nécessaire au bouclage de l'équilibre de l'opération. Enfin, cela rend également pratiquement impossible l'exercice par l'Etat du droit de préemption par substitution que lui donne la loi en cas de constat de carence d'une commune pour la construction de logements sociaux.

En outre, le texte supprime un outil utile, créé dans la loi de 2006 portant engagement national pour le logement 95 ( * ) : la possibilité de préempter des parts de sociétés civiles immobilières. Alors que le législateur, prudent, avait choisi en 2006 de le limiter à l'hypothèse où la totalité des parts de la SCI était cédée, c'est le Conseil d'Etat qui avait, dans son rapport de 2007, préconisé de l'étendre aux cas de cession de la majorité des parts, disposition que votre commission avait fait adopter par le Sénat dans la loi de 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion 96 ( * ) . Il serait opportun, plutôt que de supprimer cette faculté, de la rendre plus facile en améliorant l'information de la collectivité sur l'état de la SCI.

3. Un risque accru de contentieux

Tout aussi inquiétant que la paralysie de l'action foncière , le risque de nouveaux contentieux issus du texte proposé n'est pas à négliger.

Ainsi, il est créé, dans le code de l'urbanisme, une nouvelle notion , celle de « périmètre de projet d'aménagement ». Si la notion d'action ou opération d'aménagement est relativement bien définie par l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme et par la jurisprudence administrative, il n'en va pas de même s'agissant de celle de « projet d'aménagement ». Rien n'est dit sur la consistance que devra avoir ce projet : à quel stade d'avancée opérationnelle sera-t-il possible d'instaurer un périmètre ? Il est probable que le juge devra déterminer ce point, dans le silence de la loi. Un contentieux important est susceptible de se développer, portant notamment sur la motivation de l'instauration d'un périmètre de projet d'aménagement ou des décisions de préemption. Dans ce cas, la réforme irait à l'encontre de ses propres objectifs, et à l'encontre des effets positifs produits par l'évolution de la jurisprudence du Conseil d'Etat depuis 2007.

En outre, la notion nouvelle de « transfert » du droit de préemption, remplaçant celle de « délégation » pose des difficultés. Au sens strict, un transfert est irréversible, alors que la délégation se limite à l'exercice d'un droit. Or une collectivité qui délègue l'exercice de son droit de préemption n'a pas vocation à transférer une compétence qui lui revient de plein droit. D'autre part, la délégation est une notion clairement établie et fait l'objet d'une jurisprudence consolidée. L'opportunité de cette modification n'apparaît donc pas clairement.


* 93 Qui doit intervenir dans un délai de trois mois à compter de l'accord, et qui ne fait que le constater.

* 94 Six mois à compter de l'accord.

* 95 Loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.

* 96 Loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion.

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