PREMIÈRE PARTIE LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE DE COOPÉRATION FRANÇAISE

L'année 2010 aura été marquée par l'adoption par le gouvernement, le 3 novembre dernier, quelques jours avant le débat sur le budget de la coopération, d'un document-cadre de coopération au développement fixant la stratégie à moyen terme de la France en matière de développement.

Ce document répondait aux conclusions du Comité interministériel de la coopération et du développement de juin 2009 qui indiquait que « la France élaborera en 2010 un document-cadre pour sa politique de coopération et de développement après une large concertation ».

Le Gouvernement a choisi -et nous nous en félicitons- un mode de consultation qui est allé au-delà des administrations et des opérateurs publics impliqués dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la coopération gouvernementale.

Cette concertation s'est traduite, dans un premier temps, par la création d'un groupe de travail incluant des représentants des administrations en charge des questions de développement, des collectivités territoriales, des organisations non gouvernementales, du monde de la recherche, des partenaires sociaux, des entreprises, ainsi que des personnalités qualifiées, en France et à l'international et dans un deuxième temps, par une consultation du Parlement.

Votre commission se félicite de cette initiative du ministère des affaires étrangères. Jusqu'à présent, ce type de document n'avait fait l'objet de consultations qu'au sein de l'exécutif. Dans le prolongement de la politique africaine de la France, la coopération a longtemps été une politique à laquelle le Parlement était peu associé.

Or l'implication accrue du Parle ment en matière d'aide au développement répond d'abord à un impératif démocratique. Les sommes mobilisées et les enjeux en question rendent l'implication de la représentation nationale nécessaire.

Elle s'inscrit, en outre, dans le cadre du renforcement des prérogatives du Parlement en matière de relations extérieures que la dernière réforme constitutionnelle a confirmé.

Cette évolution est aussi la conséquence directe de la place croissante que prennent les enjeux internationaux liés au sous-développement dans la vie quotidienne des Français. Ces derniers ont compris que le terrorisme ou la piraterie prenaient leur source dans des États en crises et des zones abandonnées du développement. Ils ont pu constater que les grandes pandémies naissaient dans les maillons faibles des systèmes de santé humaine et animale pour se propager dans nos pays.

Enfin, elle participe de la nécessité d'expliquer à nos concitoyens, à travers leurs représentants, les enjeux à long terme du sous-développement. Les Français doivent pouvoir comprendre qu'en favorisant le développement d'une Afrique qui atteindra 1,8 milliard d'habitants en 2050 ou en incitant les pays émergents à adopter un régime de croissance moins polluant, les pouvoirs publics contribuent aujourd'hui à dessiner le monde de demain.

La commission des affaires étrangères du Sénat considère que la politique d'aide au développement est, avec notre diplomatie et notre défense, une des contributions essentielles de la France à un monde plus sûr.

Il était donc important que le Parlement soit associé à la définition de ses priorités. C'est pourquoi la commission des affaires étrangères du Sénat a pris au sérieux cette consultation.

Elle avait souhaité, avant de se prononcer sur l'avant-projet qui lui a été communiqué, recueillir l'avis de personnalités particulièrement qualifiées. Elle a organisé, conjointement avec la commission des finances, le 12 mai 2010, une table ronde sur ce sujet 1 ( * ) .

Elle a adopté, sur la proposition de vos rapporteurs, le mercredi 23 juin 2010, un rapport d'information sur les grandes orientations de l'aide au développement française qui constitue sa contribution à l'élaboration de ce qui doit devenir le cadre de référence de notre coopération 2 ( * ) .

La commission a estimé que ce projet établissait un diagnostic pertinent et dessinait le nouveau visage de la coopération française. Elle en a approuvé les principales orientations, les objectifs généraux et les zones prioritaires tout en formulant une cinquantaine de recommandations.

A la demande de la commission, le Sénat a organisé le 4 novembre dernier un débat en séance publique sur ce thème permettant de clarifier les enjeux de ce texte et les objectifs de notre coopération 3 ( * ) .

Vos rapporteurs renvoient les lecteurs au rapport de la commission pour le détail de leurs recommandations 4 ( * ) , ils souhaitent néanmoins rappeler ici les objectifs fixés par ce document.

I. LE BUDGET DOIT DÉSORMAIS S'INTÉGRER DANS LA STRATÉGIE FRANÇAISE DE COOPÉRATION AU DÉVELOPPEMENT

Désormais la France est dotée d'une stratégie, fixant pour les dix ans à venir le cadre de notre politique de coopération au développement.

Il conviendra d'examiner et de suivre les projets de loi de finances à l'aune des objectifs fixés.

A. LA PRÉVENTION DES CRISES ET DES CONFLITS

Le document-cadre identifie un nouvel objectif : la prévention des crises et des conflits. Il souligne que les menaces à la sécurité naissent dans des contextes géopolitiques précis liés à des situations de fragilité économique et sociale, et caractérisés par des fractures politiques et/ou une grande faiblesse de l'Etat.

Le développement des grands trafics et la désagrégation des Etats sont en partie liés. Ces processus vont jusqu'au cas extrême des Etats dits « faillis » qui ne maîtrisent plus leur territoire. Le terrorisme se nourrit et installe ses bases dans des zones de non-droit, des « no man's land » du développement économique et de l'Etat de droit, comme l'illustre la situation du Sahel actuellement.

Le document-cadre observe que la coopération au développement, en visant au renforcement de l'Etat de droit et au développement économique et social, fait aujourd'hui partie des réponses de la communauté internationale aux questions de sécurité.

Votre commission partage cette analyse. Elle estime que la coopération au développement est un outil fondamental de réponse aux situations de crise, que ce soit pour prévenir ou pour reconstruire.

Comme l'ont souligné de nombreuses personnes auditionnées par vos rapporteurs dans le cadre d'une mission sur la coopération française au Mali, dans des régions comme le nord du Mali et plus généralement la zone sahélienne, les projets de coopération ne pourront prospérer que si la sécurité des biens et des personnes est rétablie.

Il ne s'agit pas de promouvoir une confusion entre les interventions à caractère militaires et celles visant au développement, ni de vouloir une comptabilisation des dépenses militaires dans l'APD, mais de bien cerner la complémentarité entre les objectifs de sécurité et de développement.

La faiblesse de l'Etat ou l'insécurité ne doivent pas être des causes de non-allocation de l'aide, mais d'une adaptation de ses modalités. Les politiques de coopération doivent contribuer à assurer la légitimité de l'Etat en situation de crise ou de fragilité.

C'est d'abord un enjeu pour le développement des pays du Sud mais c'est aussi un enjeu pour la sécurité des pays développés.

B. LE DÉFI DE LA CROISSANCE

Le document-cadre fait de l'aide à la croissance le premier des objectifs de notre coopération.

Face à l'évidence des écarts de richesse considérables entre pays, la croissance est au centre des préoccupations de coopération internationale. En 20 ans, avec une accélération ces dernières années, les écarts se sont considérablement accrus au sein de la catégorie des pays en voie de développement. La Chine, l'Inde, le Brésil, la Corée, l'Indonésie en devenant des puissances économiques, ont entraîné au passage un recul de la pauvreté au niveau global. Ce processus vertueux est devenu un argument essentiel pour faire de la croissance un élément majeur d'une stratégie d'aide au développement.

La recherche d'une croissance soutenue doit être à la base des actions de coopération et de développement car elle permettra à terme de fournir en quantité et en qualité suffisante des biens et des services publics au bénéfice des populations les plus vulnérables. Elle justifie les positions de la France pour promouvoir un environnement favorable au développement des activités privées.

Le projet de document-cadre souligne cependant que la croissance recherchée doit être une croissance durable et partagée : « La coopération au développement doit jouer un rôle de premier plan dans la recherche et la négociation de trajectoires de croissance soutenables à la fois d'un point de vue social et environnemental ».

Traditionnellement, le soutien de la croissance correspond à une série d'interventions orientées vers les infrastructures et le secteur productif.

L'enjeu lié aux infrastructures reste majeur sur un continent comme l'Afrique. En Afrique subsaharienne, 74 % de la population n'a pas accès à l'électricité, contre 10 % en Amérique latine. On considère que 1 à 1,5 point de croissance est perdu chaque année en Afrique du fait du manque d'électricité stable.

Il convient dans cet objectif d'exploiter tout le potentiel des instruments de marché comme les garanties ou les différentes formes d'investissements en fonds propres, afin d'orienter davantage de ressources privées dans les régions en manque d'investissement et vers des pratiques plus avancées en termes de responsabilité sociale et environnementale.

De ce point de vue, l'AFD, grâce à ses compétences en matière d'ingénierie financière et sa filiale Propoarco, joue un rôle essentiel dans l'élaboration de solutions innovantes répondant au besoin des entreprises. Des initiatives, comme le Fonds d'investissement et de soutien aux entreprises en Afrique, qui a vocation à épauler les PME, permettent d'irriguer le tissu social et de générer de l'emploi.

Votre commission soutient cet objectif de croissance qui constitue le moteur du développement . Elle souligne que c'est la conjugaison d'une croissance à la fois créatrice d'emplois, équitable et durable qui permettra une réduction conséquente de la pauvreté.

Votre commission regrette que les volumes d'aide consacrée spécifiquement à cet objectif, qui peuvent être considérables, n'émargent pas intégralement à l'aide publique au développement.

C. LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ

Le document-cadre reprend ensuite l'objectif de « lutte contre la pauvreté ». Elle est au coeur du discours officiel de l'aide au développement.

L'adoption des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en 2000 constitue, de ce point de vue, l'un des rares moments de consensus de la communauté internationale.

Ces objectifs, unanimement acceptés par la communauté internationale, représentent un important progrès en faveur du développement.

Après la période des ajustements structurels, dont la première vague s'était insuffisamment préoccupée des questions sociales, les Objectifs du Millénaire pour le Développement ont permis de replacer les individus et leurs besoins les plus fondamentaux au coeur des politiques de développement. Lisibles et ambitieux, ils ont résolument engagé la communauté internationale dans la bataille contre la pauvreté, comme l'a illustré le sommet sur les OMD, à New York, les 20, 21 et 22 septembre 2010.

La réalisation de tels objectifs nécessite une action sur le long terme, voire très long terme. Or, les changements de rythme nécessaires pour atteindre certains objectifs dans le domaine de la santé publique ou de l'éducation seraient, pour de nombreux pays, d'une rapidité et d'une ampleur jamais encore atteintes dans l'histoire au niveau mondial. Ce n'est, en effet, qu'au bout d'une génération que des mesures en faveur de la scolarisation ont par le passé porté leurs fruits.

Votre commission estime que la France doit en conséquence conserver les Objectifs du Millénaire pour le Développement comme une priorité majeure de sa politique de développement.

Ce but implique d'abord de mettre ces objectifs au coeur des actions menées dans les pays partenaires. Il implique ensuite de maintenir notre ligne budgétaire à la hauteur de nos engagements.

Mais la situation impose également de réfléchir à l'après 2015 .

Il faudra sans doute poursuivre l'effort. Le bilan de l'évolution de l'aide publique au développement sur le long terme montre une assez faible progression des efforts financiers hors annulation de dette consentis, alors même que les besoins augmentent avec l'évolution démographique des pays en développement, et singulièrement de l'Afrique dont la population devrait dépasser celle de la Chine dans les quinze prochaines années. Il est donc vraisemblable que les Etats ne pourront augmenter sensiblement leur contribution sur leur budget.

C'est pourquoi votre commission se félicite que les positions de la France en faveur des financements innovants aient recueilli un large soutien au sommet de l'ONU.

Il appartient à la France désormais d'utiliser ces acquis pour promouvoir ces mécanismes dans le cadre des Nations Unies, notamment par le dépôt d'une résolution dans le cadre de la 65e Assemblée générale de l'ONU ; mais également pour promouvoir les travaux de la Présidence française du G20/G8 dans le cadre des Nations Unies.

D. LE DÉFI DE LA PRÉSERVATION DES BIENS PUBLICS MONDIAUX

Le document-cadre introduit la préservation des biens publics mondiaux 5 ( * ) parmi les principaux objectifs de la politique d'aide au développement française.

Il souligne que « les enjeux climatiques sont au coeur de l'agenda international. Ils sont emblématiques d'une nouvelle catégorie d'objectifs globaux (environnementaux, sanitaires, géopolitiques, ...), dont les bénéfices sont, par définition, mondialisés ».

La gestion durable des biens publics mondiaux est souvent étroitement liée au processus de développement, qu'il s'agisse de répondre à l'augmentation de la demande énergétique par des technologies aux meilleurs rendements, de mieux isoler les logements, de développer les transports en commun, de préserver les écosystèmes rares ou encore de disposer des infrastructures permettant d'assurer le diagnostic précoce et la prise en charge des patients atteints de maladies infectieuses.

L'introduction de la préservation des biens publics mondiaux parmi les objectifs prioritaires de notre politique d'aide au développement aura des conséquences majeures.

Le développement durable comporte une double dimension. La première est transversale et modifie l'approche de la coopération dans chaque secteur d'intervention. Ainsi, l'aide au développement peut, par des actions ciblées et peu onéreuses, encourager les pays à faire les choix technologiques adaptés. Choix qui permettront, demain, de réduire la facture écologique mondiale, tout en assurant leur propre développement.

Il y a également, dans le développement durable, une dimension « verticale », qui correspond à de nouveaux objets de financement, notamment dans les pays émergents, tels que des incitations financières à réduire le rythme de la déforestation -aujourd'hui responsable de 20 % des émissions mondiales de CO 2 .

Votre commission souscrit donc à l'idée d'inscrire la préservation des biens publics mondiaux parmi les objectifs prioritaires de notre coopération, mais elle observe que cet objectif, par son ambition, est de nature à capter une partie très significative des financements aujourd'hui consacrés à l'aide au développement.

Il y a, au regard de la situation des finances publiques des pays de l'OCDE, manifestement une difficulté à la poursuite simultanée de deux des principales catégories d'objectifs que sont les Objectifs du Millénaire pour le Développement et les biens publics mondiaux à partir du seul budget de l'actuelle Aide Publique au Développement.

Réunis en conseil le 18 mai dernier, les ministres européens des finances ont confirmé que les Etats membres de l'Union européenne honoreront l'engagement qu'ils ont pris de fournir 2,4 milliards d'euros par an au cours d'une période dite de « fast-start » entre 2010 et 2012, correspondant à des financements d'un montant global de 30 milliards de dollars.

Dans ce cadre, la France s'est déjà engagée à une contribution de 420 millions d'euros par an sur trois ans.

Cette situation est une incitation de plus à promouvoir au niveau international les financements innovants, mais c'est également une motivation supplémentaire pour ne pas réduire le budget de l'aide au développement, qui, de fait, concourt à un nouvel objectif ambitieux, coûteux, mais essentiel à la préservation de notre avenir.


* 1 Table ronde sur les orientations de la politique française en faveur du développement (12 mai 2010) - Compte rendu - Video

* 2 Rapport d'information n° 566 (2009-2010) " Pour une mondialisation maîtrisée - contribution au projet de document-cadre de coopération au développement "

* 3 Voir le compte rendu des débats : Débat sur la politique de coopération et de développement de la France

* 4 Cf. annexe II : synthèse des préconisations de la commission sur le document cadre de coopération au developpement

* 5 Les biens publics mondiaux tels que la préservation du climat, la biodiversité, la sécurité sanitaire sont dénommés ainsi en raison de la théorie économique des biens publics caractérisés en premier lieu par leur « non-rivalité » - un agent peut les consommer sans en priver les autres et leur « non-exclusion » - il n'est pas possible d'empêcher un agent d'y avoir accès et donc de les consommer à l'image de l'air que nous respirons.

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