N° 114

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 18 novembre 2010

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication (1) sur le projet de loi de finances pour 2011 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE ,

TOME VI

Fascicule 3

MÉDIAS, LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES
LIVRE ET INDUSTRIES CULTURELLES

Par MM. Philippe NACHBAR et Serge LAGAUCHE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Legendre , président ; MM. Ambroise Dupont, Serge Lagauche, David Assouline, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Ivan Renar, Mme Colette Mélot, MM. Jean-Pierre Plancade , Jean-Claude Carle vice-présidents ; M. Pierre Martin, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Christian Demuynck, Yannick Bodin, Mme Béatrice Descamps , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Claude Bérit-Débat, Mme Maryvonne Blondin, M. Pierre Bordier, Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Claude Carle, Mme Françoise Cartron, MM. Jean-Pierre Chauveau, Yves Dauge, Claude Domeizel, Alain Dufaut, Mme Catherine Dumas, MM. Jean-Léonce Dupont, Louis Duvernois, Mme Françoise Férat, MM. Jean-Luc Fichet, Bernard Fournier, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-François Humbert, Soibahadine Ibrahim Ramadani, Mme Marie-Agnès Labarre, M. Philippe Labeyrie, Mmes Françoise Laborde, Françoise Laurent-Perrigot, M. Jean-Pierre Leleux, Mme Claudine Lepage, M. Alain Le Vern, Mme Christiane Longère, M. Jean-Jacques Lozach, Mme Lucienne Malovry, MM. Jean Louis Masson, Philippe Nachbar, Mmes Mireille Oudit, Monique Papon, MM. Daniel Percheron, Jean-Jacques Pignard, Roland Povinelli, Jack Ralite, Philippe Richert , René-Pierre Signé, Jean-François Voguet.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 13 ème législ.) : 2824, 2857, 2859 à 2865 et T.A. 555

Sénat : 110 et 111 (annexe n° 17 ) (2010-2011)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La mission « Médias, livre et industries culturelles » est répartie en trois programmes, dont le programme 180 « Presse, livre et industries culturelles » regroupe désormais les crédits alloués par l'État à sa politique en faveur de ces secteurs.

Vos rapporteurs comprennent la logique ayant conduit à la refonte de la maquette budgétaire du ministère dans ces différents domaines, tous caractérisés par leur entrée, plus ou moins rapide et brutale, dans l'ère numérique. Le fil directeur de ce nouveau programme est de faciliter la coordination de l'action publique dans un environnement à la fois mondialisé et fortement bouleversé par les technologies numériques. Cette maquette a aussi pour but de mettre en adéquation programmes budgétaires et organisation administrative, notamment à la suite de la réorganisation du ministère de la culture et de la communication.

Néanmoins, cette nouvelle organisation budgétaire rend les comparaisons difficiles d'une année sur l'autre , tant le périmètre des actions et sous-actions du budget 2010 ont été « détricotées » pour 2011. C'est pourquoi l'Assemblée nationale a adopté un amendement tendant à scinder le programme 180 en 3 programmes consacrés respectivement à la presse, au livre et aux industries culturelles.

Vos rapporteurs ont néanmoins analysé les crédits sur le fondement de la maquette initialement proposée, qui prévoit un transfert des crédits suivants vers le programme 180 :

- la totalité de l'action 5 « patrimoine écrit » du programme 175 « Patrimoines » ;

- la totalité de l'action 6 « patrimoine cinématographique » du programme 175 « Patrimoines » ;

- la totalité de l'action 3 « livre et lecture » du programme 131 « Création » ;

- la majeure partie de l'action 4 « industries culturelles » du programme 131 « Création » ;

- enfin, quelques crédits centraux et déconcentrés consacrés au livre des actions 1 « enseignement supérieur », 2 « éducation artistique et culturelle » et 4 « accès à la culture » du programme 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

Les deux premières actions de ce programme concernant la presse, sont traitées par le rapporteur en charge de ce domaine.

Les crédits consacrés au livre, à la lecture et aux industries culturelles font l'objet des nouvelles actions 3 et 4 de ce programme. Vos co-rapporteurs suivaient ces sujets les années précédentes au titre des programmes de la mission « Culture » auxquelles les crédits concernés étaient auparavant rattachés : M. Philippe Nachbar au titre du programme « Patrimoine » et M. Serge Lagauche, au titre du programme « Création ».

Sont inscrits à ce titre dans le projet de loi de finances pour 2011 273,8 millions d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 278,8 millions d'euros en crédits de paiement (CP), dont environ 90,5 % en faveur du livre et de la lecture, et 9,5 % pour les industries culturelles .

I. CONSERVER ET VALORISER LE PATRIMOINE ÉCRIT ET PROMOUVOIR LA LECTURE

Ce chapitre consacré au patrimoine écrit correspondait jusqu'à présent principalement à l'analyse des crédits de l'action n° 5 « patrimoine écrit et documentaire » du programme « Patrimoines » de la mission « Culture ». En transférant l'intégralité de ces crédits vers le programme 180 « Presse, livre et industries culturelles » de la mission « Médias, livre et industries culturelles », le Gouvernement affiche le choix d'une conception nouvelle de sa politique culturelle : le livre est vivant, évolue, et l'action politique doit tenir compte à la fois du passé (patrimoine ancien ou contemporain) et du présent (patrimoine en devenir). La nouvelle maquette budgétaire marque donc l'unification de ces deux pans au sein d'un même programme, même si des actions spécifiques sont bien entendu précisées.

A. LE PATRIMOINE ÉCRIT : UNE NOUVELLE COMPOSANTE DE LA POLITIQUE DU LIVRE

1. Une présentation plus cohérente du budget

Dans son avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2010, votre rapporteur avait souligné l'importance des crédits accordés l'action n° 5 « patrimoine écrit et documentaire » qui représentaient 25 % des autorisations d'engagement du programme (avec 250,24 millions d'euros) et 17,34 % des crédits de paiement (avec 216,55 millions d'euros).

Cette année l'analyse porte sur les crédits de l'action n° 3 « Livre et lecture » du programme 180 précité. Comme l'indique le tableau ci-après, elle est décomposée en quatre sous-actions :

• sous-action 1 « BnF » ;

• sous-action 2 « Quadrilatère Richelieu » ;

• sous-action 3 « Développement de la lecture et des collections » ;

• sous-action 4 « Édition, librairie et professions du livre ».

AE

CP

Sous-action 1 « BnF »

206 217 648

206 217 648

Sous-action 2 « Quadrilatère Richelieu »

5 000 000

Sous-action 3 « Développement de la lecture et des collections »

19 271 322

19 271 322

Dont Bpi

7 015 812

7 015 812

Sous-action 4 « Édition, librairie et professions du livre »

22 330 000

22 330 000

Dont CNL

2 825 000

2 825 000

Total action « Livre et lecture »

247 818 970

252 818 970

Il est extrêmement difficile de comparer les actions entre elles car les transferts sont multiples .

Ainsi, comme l'indique le projet annuel de performances pour 2011, les crédits concernant la Bibliothèque nationale de France (BnF) sont intégrés au sein de la sous-action 1 « BnF » et proviennent de transferts :

• des crédits de l'action 5 du programme 175 « Patrimoines » pour le fonctionnement et l'investissement ;

• des crédits de l'action 8 « Acquisition et enrichissement des collections publiques » du même programme 175 ;

• d'une partie de l'action 1 « Recherche en faveur des patrimoines » du programme 186 « Recherche culturelle et culture scientifique » pour les crédits de recherche inclus à présent dans les crédits d'investissement.

De même, comme l'indique toujours le projet annuel de performances pour 2011, les crédits concernant la Bibliothèque publique d'information (Bpi), intégrés à la sous-action 3 « Développement de la lecture et des collections », étaient auparavant inscrits sur l'action 3 « Livre et lecture » du programme 131 « Création ». À compter de 2011, ils intègrent dans la subvention d'investissement les crédits recherche issus de l'action 4 « Recherches transversales et pilotage du programme » du programme 186 « Recherche culturelle et culture scientifique ». Un autre transfert lié à la refacturation des charges locatives par le Centre national d'art et de culture (CNAC) Georges Pompidou est également intégré dans les crédits de fonctionnement. Une telle présentation ne facilite pas, de toute évidence, l'analyse des efforts budgétaires consentis sur la durée. Mais si la modification de l'architecture budgétaire ne facilite pas la lecture du budget, elle a en revanche le mérite de prendre en compte les changements intervenus ces dernières années .

Ainsi de nouvelles problématiques communes au patrimoine écrit ancien et au livre, telles que la numérisation, ont émergé. C'est ce qu'a permis de constater, par exemple, le récent examen de la proposition de loi n° 441 relative aux oeuvres visuelles orphelines, c'est-à-dire aux oeuvres dont on ne retrouve pas le ou les ayants droit. En effet, il est apparu nécessaire à votre commission d'appréhender les réformes législatives relatives aux oeuvres orphelines à la fois pour les illustrations mais aussi pour l'écrit dans son ensemble, qu'il s'agisse du livre et des outils au service des éditeurs, mais aussi du patrimoine ancien et des possibilités offertes aux bibliothèques pour numériser et valoriser un pan plus large de ses fonds pour un meilleur accès à la culture.

Votre rapporteur s'attachera à analyser les trois premières sous-actions, notre collègue Serge Lagauche traitant les crédits « Édition, librairie et professions du livre » dans la deuxième partie du présent rapport.

Les crédits accordés à la BnF (sous-action 1) s'élèvent à 206,22 millions d'euros environ en CP=AE, dont 190,361 millions au titre du fonctionnement, et 15,89 millions au titre de l'investissement. Cette subvention d'investissement est censée être complétée par les 5,5 millions d'euros d'excédent dégagés du budget 2010 de l'établissement. Comme le précise le projet annuel de performances, « pour rappel, le budget de la BnF est construit de manière à dégager une capacité d'autofinancement suffisante pour en charge ses investissements, notamment ses acquisitions ». Il est expressément demandé à la BnF de développer ses ressources propres, leur taux étant actuellement assez bas (4 %). Plusieurs mesures sont envisagées pour cela : développement des publics, actualisation des grilles tarifaires, valorisation des activités commerciales, nouvelles activités comme la valorisation des collections numériques, etc. La rationalisation de son parc immobilier va se poursuivre en parallèle.

Les crédits de la sous-action 2 « Quadrilatère Richelieu », destinés au financement de la rénovation et de l'aménagement du site de la Bibliothèque nationale de France, s'élèvent à 5 millions d'euros en crédits de paiement, tandis qu'un apport complémentaire de la BnF à hauteur de 12 millions d'euros est prévu pour la période 2010-2013, le calendrier de versement étant en cours d'élaboration. Les espaces du site seront partagés entre la BnF, l'Institut national d'histoire de l'art (INHA) et l'École nationale des Chartes (ENC), favorisant ainsi à renforcer ce pôle scientifique et culturel en matière d'histoire de l'art. Le coût total du projet, qui s'élève à 177,6 millions d'euros, fait l'objet d'une financement interministériel, la participation du ministère de la culture s'élevant à 137,44 millions d'euros et celle du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche à 40,16 millions d'euros au titre de la tutelle qu'il exerce sur l'ENC et de celle qu'il partage avec le ministère de la culture sur l'INHA.

Enfin les crédits de la sous-action 3 « Développement de la lecture et des collections » s'élèvent à 19,27 millions d'euros en CP=AE , dont un peu plus de 7 millions destinés à la Bibliothèque publique d'information .

Ces crédits doivent permettre la mise en oeuvre des politiques décrites ci-après.

2. La valorisation du patrimoine écrit : une priorité nationale qui s'appuie sur les richesses territoriales

La conservation, l'enrichissement et la valorisation du patrimoine écrit sous toutes ses formes (manuscrite, imprimée, graphique et désormais numérique) constituent un objectif clairement identifié comme prioritaire de la politique culturelle de l'État. La politique du ministère de la culture et de la communication en la matière comprend deux volets principaux : d'une part, l'action de la Bibliothèque nationale de France (BnF, 35 millions de documents conservés), d'autre part, le soutien aux bibliothèques territoriales détenant des fonds patrimoniaux (plus de 30 millions de documents anciens et précieux, soit environ 500 bibliothèques en France dont 54 bibliothèques municipales classées) à travers le plan d'action pour le patrimoine écrit (PAPE).

- La Bibliothèque nationale de France :

Elle reçoit du service du livre et de la lecture (SLL) au sein de la direction générale des médias et des industries culturelles (DGMIC) une subvention spécifique pour les actions de coopération nationale (3 millions d'euros) : l'année 2009 a été marquée par la poursuite du développement des pôles associés régionaux, impliquant services de l'État et collectivités territoriales autour de projets patrimoniaux communs , en particulier en matière de signalement.

Les pôles associés régionaux

Treize régions sont désormais pourvues de ce dispositif ou en passe de l'être : Aquitaine, Auvergne, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Antilles (Martinique et Guadeloupe) et Guyane, Franche-Comté, Languedoc-Roussillon, Limousin, Basse-Normandie, Haute-Normandie, Picardie, Poitou-Charentes, Rhône-Alpes.

- Les bibliothèques territoriales :

Le second volet de la politique patrimoniale est le soutien aux politiques patrimoniales des collectivités territoriales, en particulier des collectivités détenant des fonds d'État provenant principalement des confiscations de la Révolution française. Cette politique s'organise depuis 2004 au sein du plan d'action pour le patrimoine écrit . À travers ce dispositif, le ministère de la culture et de la communication entend encourager des actions concertées entre les collectivités territoriales, dépositaires ou propriétaires d'un très vaste patrimoine écrit, et les grandes bibliothèques de l'État, la Bibliothèque nationale de France mais aussi les bibliothèques universitaires et de recherche.

Deux actions principales ont été mises en place en 2010 :

• la reconduction pour la quatrième année consécutive d'un appel à projets « Patrimoine écrit » destiné à soutenir les projets patrimoniaux remarquables des collectivités territoriales, sur le modèle du dispositif expérimental créé en 2007. Cette mesure bénéficie de crédits d'un montant de 300 000 euros . En trois ans, ce sont 59 projets patrimoniaux dont une quinzaine de projets régionaux ou collectifs qui auront été aidés.

• le site Internet « Patrimoine écrit » , site d'information destiné à présenter l'action de l'État dans le domaine du patrimoine des bibliothèques et à proposer des services en ligne aux citoyens et aux professionnels des bibliothèques, a été modernisé. En complément, l'Observatoire du patrimoine écrit en région (OPER), outil d'évaluation et de prospective des politiques publiques mis en ligne en juin 2008, couvre aujourd'hui toute la France métropolitaine.

Par ailleurs, le dispositif de mise à disposition par l'État d'une centaine de conservateurs généraux et de conservateurs aux collectivités territoriales en charge de bibliothèques municipales classées a été modernisé en 2010. Il prévoit que la valorisation du patrimoine sera parmi les missions dont seront chargés en priorité ces personnels aux termes de conventions spécifiques.

Enfin, dans le domaine de la numérisation patrimoniale, le SLL favorise la concertation entre de grands projets nationaux comme la bibliothèque numérique de la BnF Gallica, les politiques de numérisation définies en région par les collectivités territoriales, et éventuellement les initiatives privées qui peuvent leur être complémentaires et enrichir l'offre publique. C'est l'ambition du projet de schéma numérique des bibliothèques , proposé en 2007 par le rapport « Livre 2010 » et confié en juin 2008 à Bruno Racine, dans le cadre des travaux du Conseil du livre. Le rapport présentant des propositions opérationnelles a été remis le 22 mars 2010 au ministre de la culture et de la communication, à l'occasion du Conseil du Livre . Il propose une collaboration entre les ministères concernés (culture et communication, éducation nationale, enseignement supérieur, affaires étrangères) et les collectivités territoriales pour l'adaptation des bibliothèques publiques aux nouveaux usages numériques. Le ministre de la culture a indiqué vouloir proposer aux collectivités un contrat numérique pour les médiathèques.

Le deuxième axe abordé au cours du Conseil du Livre concerne la numérisation des livres et le dossier Google. Le ministre de la culture et de la communication a proposé un accord aux auteurs et aux éditeurs pour la création d'une véritable offre numérique alternative à Google Livres par l'utilisation d'une partie des crédits du grand emprunt national pour redonner vie aux centaines de milliers d'oeuvres du XX e siècle désormais indisponibles à la vente. Les détails des règles d'utilisation de ces crédits sont précisés en deuxième partie.

Votre rapporteur avait exprimé son inquiétude à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2010 , rappelant que l'enjeu fondamental dans ce domaine était de faire le choix de la numérisation au service de la culture, et non l'inverse . Or le projet présenté par le ministre de la culture et de la communication semble répondre à cette inquiétude. Il s'appuie sur quatre principes fondamentaux :

• la numérisation intégrale du corpus aux frais de l'État via le grand emprunt ;

• un accord global sur un ensemble de titres, dépassant la négociation oeuvre par oeuvre mais avec des mécanismes souples d'entrée ou de sortie ;

• un accord sécurisé du point de vue juridique liant les trois parties ;

• un modèle de diffusion et d'exploitation commerciale des oeuvres avec des mécanismes de répartition des revenus à définir.

Ces orientations reprennent les préconisations du rapport 1 ( * ) remis par M. Marc Tessier qui souligne les bénéfices induits par l'investissement massif du grand emprunt dans la numérisation. D'accords souvent déséquilibrés, puisque financés par la seule partie privée, on passerait à des formules plus équilibrées « d'échanges réciproques », enrichissant les bases documentaires des deux parties, en évitant les doublons dans le processus de numérisation et en favorisant la visibilité du corpus francophone. Les ouvrages français pourraient ainsi être largement référencés dans Google Livres, tandis que la plate-forme nationale (« Gallica » réformée) serait enrichie par l'inclusion d'ouvrages déjà numérisés par Google, notamment ceux disponibles dans les fonds des bibliothèques étrangères partenaires.

Mais alors que ces nouvelles orientations, qui répondent aux inquiétudes initiales de votre commission, préconisent un accord-cadre entre tous les acteurs, votre rapporteur note qu'est très récemment 2 ( * ) intervenue la signature d'un protocole d'accord entre Hachette Livre et Google, établissant un cadre contractuel pour la numérisation des oeuvres françaises indisponibles à la vente (dites « oeuvres épuisées ») dont les droits sont contrôlés par Hachette Livre. Les deux parties estiment que cet accord ouvrira la possibilité de donner une seconde vie à des milliers d'oeuvres épuisées, tant au bénéfice des auteurs que des universitaires, des chercheurs et du grand public en général. D'après les premières informations transmises par les deux sociétés, l'accord envisagé devrait s'appuyer sur les principes suivants :

- Hachette Livre doit déterminer la liste des oeuvres dont la numérisation par Google serait autorisée, en vue d'une exploitation commerciale soit sous forme de livre numérique « ebook » soit sous d'autres formes telles que l'impression à la demande. La numérisation peut être également autorisée pour un usage limité à l'indexation et à la promotion, Hachette Livre recevant alors une copie du fichier pour ses propres usages non commerciaux ;

- l'accès aux oeuvres épuisées doit assurer de nouveaux revenus à leurs auteurs et à leurs éditeurs ;

- le projet doit offrir une visibilité accrue de ses auteurs et de leurs oeuvres dans les bibliothèques numériques. Ainsi la BnF devrait pouvoir bénéficier de la numérisation des oeuvres épuisées et enrichir le patrimoine culturel à disposition des lecteurs.

Interrogé 3 ( * ) sur le sujet, le ministre de la culture a indiqué vouloir rapidement mettre en oeuvre l'idée d'un accord-cadre entre Google et tous les ayants droits français, afin que toute la profession soit placée sur un pied d'égalité . Il souhaite qu'un tel accord-cadre puisse intervenir dans les six mois, c'est-à-dire avant l'intervention de l'accord définitif entre Hachette et Google . Votre commission ne manquera pas d'analyser les éléments de cet accord lorsqu'il sera présenté au premier semestre 2011 et souhaite qu'il puisse effectivement intervenir avant que ne soient définitivement fixés les termes du contrat entre Google et Hachette.

Numérisation du patrimoine écrit : rappel de quelques chiffres

La BnF a développé sa bibliothèque numérique depuis le milieu des années 1990 et Gallica a été inaugurée en 1997 avec une offre de quelques dizaines de milliers de documents, principalement en mode image. Conçue à l'origine comme une bibliothèque numérique sélective à vocation encyclopédique proposant des corpus de documents (les revues des sociétés savantes, les voyages en Italie, ...), elle a profondément changé à compter de 2005, en contrepoint des projets de numérisation de Google.

La BnF a alors développé à son tour une politique de numérisation de masse (marché Jouve dit « des 30 000 », marché Safig dit « des 100 000 » en 2007) et validé un passage au mode texte (marché d'océrisation des contenus déjà présents dans Gallica, dit « des 60 000 »). Afin de mobiliser les ressources nécessaires à cette politique, une taxe para-fiscale sur les appareils de reprographie a été élargie à de nouveaux matériels (les appareils « multifonctions », notamment les scanners-imprimantes-photocopieurs). Ces ressources nouvelles (de l'ordre de près de 8 millions d'euros par an) ont été gérées par une commission spécifique du Centre national du livre.

Une autre évolution importante a été l'ouverture de discussions avec le syndicat national de l'édition (SNE) fin 2007, en vue de permettre un accès à des contenus numériques sous droits via Gallica. Les éditeurs français sont désormais présents sur Gallica à travers le signalement dans ce portail de plus de 25 000 livres contemporains numérisés . Les documents sont consultables, sous conditions, sur le site de distributeurs numériques.

À partir de 2005, Gallica s'est également enrichie de contenus de presse (presse quotidienne du XIX e siècle de grand format) avec un important marché de numérisation spécifique (3,5 millions de pages, une vingtaine de titres concernés) qui a obtenu un soutien financier du Sénat.

En août 2010, Gallica donne accès à plus de 1 200 000 documents dont plus de 400 000 en mode texte . Parmi ces documents : 187 600 livres (monographies), 780 000 fascicules de périodiques, 160 000 images. 1 140 000 documents sont issus des collections de la BnF, les autres provenant soit des éditeurs associés au projet (27 570), soit de bibliothèques partenaires (25 711). La BnF a en effet entrepris de donner accès à des documents numériques d'autres bibliothèques, soit en les hébergeant, soit en les moissonnant par le protocole OAI-PMH. Les documents libres de droits sont également signalés sur Europeana, dont Gallica est l'un des agrégateurs pour la France. De nouveaux marchés de numérisation (documents spécialisés, livres rares et précieux) ont été lancés en 2009 alors que le « marché des 100 000 » a pris fin en septembre 2010, et un nouveau marché de numérisation de masse devrait être lancé à l'automne 2010.

Dans le cadre des financements issus de l'emprunt national pour les investissements d'avenir, la BnF réfléchit avec des partenaires privés non seulement à des projets de numérisation à grande échelle d'imprimés libres de droit (presse ancienne du XIX e siècle et ouvrages patrimoniaux) et de livres sous droits mais aussi à des programmes de recherche et développement dans le domaine de la numérisation.

L'évolution récente des stratégies documentaires, qui consacre la place nouvelle accordée au numérique, a incité la BnF à interroger le modèle de coopération entre la BnF et ses bibliothèques partenaires , les pôles associés, eux-mêmes de plus en plus investis dans des projets de numérisation de leurs collections patrimoniales. La BnF a donc engagé depuis plusieurs années des partenariats avec des établissements extérieurs autour de la numérisation, dans le cadre de son réseau des pôles associés. Elle a décidé, en accord avec sa tutelle, d'intensifier son action en matière de numérisation partagée : elle finance la numérisation à 50 % et apporte à ses partenaires un soutien technique et scientifique dans le cadre de programmes thématiques de numérisation concertée. Le premier de ces programmes, concernant les sciences juridiques (département droit, économie, politique de la BnF) a été lancé en mai 2008 en partenariat étroit avec la bibliothèque Cujas, co-pilote du programme.

Un programme de numérisation concertée en histoire de l'art est en cours d'instruction (département littérature et art de la BnF, mais aussi les départements spécialisés ; co-pilotage de l'Institut national d'histoire de l'art). D'autres programmes seront lancés dans les années à venir, notamment en littérature patrimoniale pour la jeunesse (département langues, littérature et art) et en histoire avec trois sous-programmes : guerre de 14-18, histoire coloniale, histoire sociale et ouvrière (département philosophie, histoire, sciences de l'homme, département droit, économie, politique de la BnF notamment pour la presse et département sciences et techniques de la BnF pour les volets espaces et territoires de l'Empire colonial français, santé et médecine coloniale).

Les collectivités territoriales (régions, départements, communes) participent largement à l'activité de numérisation, souvent en coopération avec les acteurs institutionnels majeurs, au premier rang desquels la BnF. Leur action est largement soutenue par le ministère de la culture et de la communication dans le cadre du plan national de numérisation lancé dès 1996. Doté en 2010 de 3 millions d'euros (programme 224 : « Transmission des savoirs et démocratisation culturelle ») et piloté par le secrétariat général du ministère, le programme national de numérisation du patrimoine culturel est mis en oeuvre sous forme d'appels à projets annuels , afin de favoriser la numérisation par les administrations et les établissements publics du ministère ainsi que par les collectivités territoriales ou d'autres partenaires par un financement à 50 % des projets retenus. Structuré autour de six axes thématiques définis chaque année par un comité de pilotage, en concertation avec les politiques de numérisation menées par l'INA et la BnF, il permet d'augmenter l'offre de contenus numériques culturels, de les diffuser gratuitement et de développer des outils et des services favorisant les usages numériques culturels innovants par les internautes.

Source : ministère de la culture et de la communication


* 1 M. Marc Tessier : « La numérisation du patrimoine écrit, Bibliothèque des rapports publics » - La documentation Française - 12 janvier 2010.

* 2 17 novembre 2010.

* 3 Le Journal du Dimanche - vendredi 26 novembre 2010.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page