B. L'INSTRUMENT RETENU : DES LOIS-CADRES D'ÉQUILIBRE DES FINANCES PUBLIQUES FIXANT UNE TRAJECTOIRE QUI S'IMPOSE AUX LOIS FINANCIÈRES ANNUELLES

La majorité des articles du présent projet de loi constitutionnelle (11 sur 16) concernent la mise en place de lois-cadres d'équilibre des finances publiques (LCEFP).

Schématiquement, le dispositif est le suivant :

- l'article premier institue les LCEFP, dont le contenu sera précisé par une loi organique (et sera proche de celui de la loi de programmation des finances publiques 2011-2014) ;

- les articles 5 et 6 prévoient qu'il n'est pas possible d'adopter une loi de finances initiale ou une loi de financement de la sécurité sociale  en l'absence de LCEFP ;

- l'article 9 prévoit que, comme une loi organique, la LCEFP est automatiquement déférée au Conseil constitutionnel ;

- les articles suivants sont pour l'essentiel des dispositions de coordination, précisant que la première lecture des LCEFP se fait par l'Assemblée nationale, que les LCEFP dérogent à la règle selon laquelle la discussion porte sur le texte de la commission, que certaines modalités de discussion sont les mêmes que pour les lois de finances, que les projets de LCEFP sont inscrits par priorité à la demande du Gouvernement, que le Gouvernement peut engager sa responsabilité sur un projet de LCEFP, enfin que le Conseil économique, social et environnemental (CESE) peut être consulté sur les projets de LCEFP.

1. Des lois-cadres « glissantes » qui, comme les LPFP, pourront comporter des dispositions normatives - qui s'imposeront dans certains cas aux lois financières - et des dispositions non normatives

L'article premier du présent projet de loi constitutionnelle modifie l'article 34 de la Constitution pour définir l'objet et le champ des lois-cadres d'équilibre des finances publiques.

Comme les actuelles lois de programmation des finances publiques, elles détermineront la trajectoire des finances publiques et leurs « orientations pluriannuelles ». Les dispositions de ce type (évolution du solde des administrations publiques et de la dette publique, norme de progression des dépenses des administrations publiques) ont vocation à avoir une valeur indicative (ou « programmatique » pour reprendre le terme employé par l'exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle). Elles montrent la trajectoire globale que l'on souhaite pour les finances publiques.

Les lois-cadres peuvent ensuite comporter des dispositions relatives aux règles de gouvernance des finances publiques, que le texte désigne comme des « règles de gestion ». Des dispositifs de ce type figuraient déjà dans les lois de programmation des finances publiques (règle de gage des niches dans la loi de programmation des finances publiques 2009-2012, durée de vie limitée des niches par exemple).

Les lois-cadres contiennent enfin les dispositions qui constituent le coeur de la règle d'équilibre des finances publiques : les plafonds de dépenses de l'Etat et de la sécurité sociale, ainsi que le plancher de mesures nouvelles sur les recettes.

On peut souhaiter que, dans les lois-cadres, les plafonds de dépenses soient exprimés selon des modalités identiques à celles prévues aujourd'hui par les articles 5 et 8 de la loi de programmation des finances publiques 2011-2014, et que le plancher de mesures nouvelles en recettes soit exprimé en montant annuel cumulé depuis le début de la période de programmation.

Le dispositif issu de l'Assemblée nationale prévoit que les plafonds de dépenses et le plancher de mesures nouvelles sur les recettes s'imposent en tout état de cause aux lois de finances et de financement de la sécurité sociale. En revanche, il reviendra à la loi organique de définir celles des autres dispositions des lois-cadres qui s'imposeront aux lois financières.

Le dispositif issu de l'Assemblée nationale, pas plus que le texte initial présenté par le Gouvernement, ne se prononce sur la périodicité du vote des lois-cadres.

L'Assemblée nationale a modifié l'article 1 er du présent projet de loi constitutionnelle pour prévoir que les dispositions de la loi-cadre portent sur une période d' « au moins trois années ». Le rapport de notre collègue député Jean-Luc Warsmann, rapporteur au fond au nom de la commission des lois, précise que, par cet ajout, « la Constitution préciserait elle-même que la période minimale couverte par les lois-cadres d'équilibre des finances publiques est de trois ans. S'agissant d'un minimum, les pouvoirs publics pourraient préférer retenir une durée plus longue, par exemple celle de la législature. Quelle que soit cette durée, la loi-cadre demeurerait susceptible de modification en cours d'exécution - comme elle l'est déjà dans la version initiale du présent projet de loi constitutionnelle ». Cette précision sur la période couverte par la programmation pluriannuelle n'est pas de nature à remettre en cause la pratique actuelle, puisque les programmes de stabilité comme les lois de programmation portent sur une période de quatre années (l'année en cours et les trois années suivantes).

En revanche, cette précision ne tranche pas la question, qui a fait débat au sein du groupe Camdessus, de la périodicité des votes sur la loi-cadre. Deux options sont concevables. La première reviendrait à poursuivre la pratique actuelle des lois de programmation des finances publiques et à adopter la programmation en début de période et pour l'ensemble de celle-ci (qui sera d'au moins trois ans, conformément au texte adopté par les députés). Il faudrait alors prévoir que si les plafonds de dépenses et planchers de mesures nouvelles sur les recettes sont (sauf circonstances exceptionnelles) maintenus inchangés (ou rendus plus contraignants) tout au long de la période, les objectifs de solde effectif (non contraignants) sont quant à eux actualisés chaque année en fonction de la situation économique (comme le souhaite notre collègue député Gilles Carrez).

Cette solution présenterait cependant l'inconvénient, selon vos rapporteurs, d'impliquer une période de programmation trop longue, qui pourrait inciter les gouvernements à rejeter en fin de période l'effort d'ajustement. Pour cette raison, ils considèrent que la loi organique devra prévoir que la loi-cadre sera « glissante » et prolongée d'une année (et actualisée en ce qui concerne le solde effectif) chaque année, éventuellement après le vote du programme de stabilité.

2. Un début d'approche consolidée des finances publiques, malgré le maintien de deux lois financières annuelles

La France se singularise par le fait qu'elle vote chaque année deux lois de finances, l'une relative à l'Etat et l'autre à la sécurité sociale.

La LOLF, en demandant au Gouvernement de remettre, avant le début de la discussion de ces deux textes, un rapport portant sur l'ensemble des prélèvements obligatoires, a créé un instrument de pilotage consolidé, mais qui est resté très formel.

La règle d'équilibre, telle qu'elle est formulée dans la loi de programmation des finances publiques 2011-2014 et qu'elle le sera vraisemblablement en application de la présente révision constitutionnelle, permet de franchir un pas de plus en direction de la consolidation des finances publiques, en exprimant de manière globale la trajectoire de mesures nouvelles en recettes, à charge pour le Gouvernement et le Parlement de répartir les mesures nécessaires à son respect entre les lois de finances et les lois de financement.

En outre, l'exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle confirme que « la fongibilité entre plafonds de dépenses et mesures nouvelles en recettes pourra être autorisée afin de garantir au législateur une certaine marge de manoeuvre, tout en préservant l'effort global de redressement des finances publiques ». Une telle fongibilité est aujourd'hui prévue, à la suite de l'adoption d'un amendement proposé par votre commission des finances, par la loi de programmation des finances publiques 2011-2014. L'article 15 de cette loi, tel que modifié par le Sénat, dispose que la fongibilité joue non seulement entre mesures de recettes et de dépenses, mais également entre mesures relevant du périmètre de l'Etat ou de celui de la sécurité sociale.

En conséquence de cette expression globalisée de la trajectoire de mesures nouvelles en recettes, la commission des lois du Sénat a opportunément adopté un amendement à l'article 9 du présent projet de loi constitutionnelle, modifiant l'article 61 de la Constitution, prévoyant que le Conseil constitutionnel devrait nécessairement examiner de manière conjointe la conformité globale des deux lois annuelles à la loi-cadre.

3. Une conformité à la loi-cadre contrôlée par le juge constitutionnel

Le présent projet de loi constitutionnelle choisit de confier au Conseil constitutionnel le rôle de juge de la conformité des lois financières annuelles aux prescriptions de la loi-cadre. Ce contrôle, prévu à l'article 9, constitue une condition de l'effectivité de la règle.

L'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des finances, a prévu que ce contrôle serait automatique .

La commission des lois du Sénat a adopté un amendement prévoyant que, pour les lois financières « initiales », le contrôle de conformité exercé par le Conseil constitutionnel porterait conjointement sur le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le contrôle conjoint est important, dès lors que le plafond de dépenses et le plancher de mesures nouvelles sur les recettes portent de manière indifférenciée sur l'Etat ou la sécurité sociale. Faute de contrôle conjoint, c'est le texte examiné en second (c'est-à-dire la loi de finances) qui, le cas échéant, devrait supporter l'ajustement.

Vos rapporteurs approuvent ces deux orientations. Leur note adressée en mai 2010 aux membres du groupe Camdessus estimait en effet qu' « une saisine automatique sur l'ensemble LFI+LFSS serait nécessaire ».

4. Un dispositif indifférent aux alternances politiques et prévoyant des circonstances exceptionnelles

La « règle » proposée par le rapport Camdessus, mise en oeuvre par la loi de programmation des finances publiques 2011-2014 et reprise par le présent projet de loi constitutionnelle, est conçue pour permettre aux gouvernements successifs de décider de l'ampleur de leurs engagements de réduction du déficit.

a) L'absence dans le présent projet de loi constitutionnelle de disposition chiffrée ou de date de retour à l'équilibre

Le rapport Camdessus ne préconise pas d'insérer dans la Constitution ou dans la loi organique une disposition prévoyant que la France devra être revenue à l'équilibre, ou avoir réalisé un certain effort de réduction discrétionnaire du déficit, dans un délai qu'il fixerait. En particulier, il indique que le consensus au sein du groupe de travail « ne s'étend (...) pas (...) au chapitre VII portant sur l'inscription dans une loi organique de la date du retour à l'équilibre des finances publiques ».

De même, dans l'exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement considère que la date de retour à l'équilibre devra figurer non dans la loi organique, mais dans les lois-cadres.

La « règle » proposée par le rapport Camdessus se contente, comme on l'a indiqué, de définir les termes dans lesquels les gouvernements devront prendre leurs engagements.

Ainsi, la disposition insérée par l'Assemblée nationale - tout comme la règle proposée par le rapport Camdessus - ne comprend aucun objectif chiffré. La France se distinguerait donc de l'Allemagne, qui a inscrit ses échéances et ses objectifs chiffrés directement dans sa Loi fondamentale.

L'inconvénient de ce choix réside dans le fait que, à moins que la future loi organique prévoie le contraire, les gouvernements pourraient hélas toujours, comme c'est presque systématiquement le cas depuis la fin des années 1990, retenir une hypothèse de croissance de 2,5 %, voire 3 %. Cela leur permettrait de « sous-calibrer » l'effort nécessaire pour atteindre leurs objectifs (non contraignants) de solde effectif, et donc d'affirmer qu'ils respectent la loi-cadre, alors même que le solde effectif ne s'améliorerait pas comme prévu.

Dans l'exposé des motifs du présent projet de loi constitutionnelle, le Gouvernement renvoie la question de la date de retour à la loi-cadre elle-même : « Ces dispositions, combinées à des prévisions d'évolution des comptes des autres secteurs des administrations publiques ainsi qu'à des hypothèses économiques soumises au principe de sincérité, permettront de voter une date de retour à l'équilibre des finances publiques et, en cohérence, d'établir l'effort à réaliser sur une période fixe d'au moins trois ans, effort qui s'imposera aux lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale ».

Il est entendu que la période d'au moins trois ans à laquelle fait référence le gouvernement est fixe dans la mesure où la loi organique déterminera la durée des différentes programmations (qui pourront être de trois, quatre ou cinq années), mais qu'elle devra également être « glissante » (c'est-à-dire actualisée chaque année, en fonction du programme de stabilité le plus récent si l'on aligne la durée de la programmation nationale sur celle de la programmation européenne).

b) La possibilité de modifier les lois-cadres en cours d'exécution

Par ailleurs, un amendement à l'article premier adopté par l'Assemblée nationale précise que « les lois-cadres d'équilibre des finances publiques peuvent être modifiées en cours d'exécution dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique ».

Selon notre collègue député Gilles Carrez, à l'origine de cette disposition, il s'agirait, dans la future loi organique, de rendre possible la révision des dispositions non contraignantes des lois-cadres, pour tenir compte notamment de l'évolution des prévisions économiques, sans pour autant autoriser la modification des dispositions contraignantes des lois-cadres (le plafond de dépenses et le plancher relatif aux recettes).

Par ailleurs, selon vos rapporteurs, les lois-cadres devront chaque année être prolongées d'une année supplémentaire.

Par conséquent, le présent projet de loi constitutionnelle ne constitue en rien un « carcan » pour le législateur financier, qui resterait libre à la fois de décider de la trajectoire pluriannuelle (dans la loi-cadre, selon les orientations du programme de stabilité) et des modalités permettant de la respecter (dans les lois annuelles). La seule contrainte qui lui est imposée est celle de la cohérence entre la loi-cadre et les lois annuelles.

c) La possibilité de prévoir, dans la loi organique, une clause de circonstances exceptionnelles

Il importe de souligner que le présent projet de loi constitutionnelle n'empêche pas d'inscrire dans la future loi organique une clause spécifique relative aux circonstances exceptionnelles qui permettrait, en cas de situation particulièrement grave (comme en 2008-2009), de mener une politique de relance, c'est-à-dire non seulement de faire jouer les stabilisateurs automatiques, mais aussi de prendre des mesures discrétionnaires augmentant le déficit.

On a vu que le « frein à la dette » allemand comprend une clause de ce type. Tel est également le cas, au niveau européen, du pacte de stabilité.

5. Une lacune : l'absence de précisions sur les conséquences d'une éventuelle non-conformité à la loi-cadre

La principale incertitude concerne les modalités concrètes et les conséquences du contrôle par le Conseil constitutionnel de la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale à la loi-cadre.

Dans l'état actuel du texte, rien ne « guide » la future jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les conséquences d'une éventuelle déclaration de non conformité à la loi cadre, dont on ne sait d'ailleurs s'il faudrait la qualifier « d'inconstitutionnalité ».

Les conséquences d'une non-conformité n'ont pas été envisagées. Le Conseil censurerait-il la totalité de la loi de finances (auquel cas les dispositions de l'article 45 de la LOLF s'appliqueraient) ou de la loi de financement ? Censurerait-il les seuls articles relatifs aux mesures nouvelles en recettes au motif qu'ils seraient insuffisants (ce qui paradoxalement dégraderait encore plus le solde) ? Censurerait-il les autorisations de dépenses au motif qu'elles dépasseraient les plafonds ?

Compte tenu des enjeux qui s'attacheraient aux conséquences d'une éventuelles non-conformité, tant du point de vue juridique que des conditions de financement de la dette française sur les marchés, il sera indispensable d'inscrire dans la Constitution une « accroche » prévoyant que la loi organique précise ce qui se passe en cas de non-conformité de la loi de finances (ou de l'ensemble loi de finances et loi de financement de la sécurité sociale) à la loi-cadre.

Votre commission des finances vous proposera un amendement en ce sens, à l'article 9 du présent projet de loi constitutionnelle.

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