C. UNE PROFONDE MUTATION DU MODE DE FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE

1. Un apport conséquent de ressources fiscales
a) La fiscalisation des ressources de la sécurité sociale, une tendance de long terme

L'augmentation des dépenses de sécurité sociale résultant en particulier de la dynamique des risques santé et vieillesse, ainsi que la croissance des déficits sociaux et le renforcement de la concurrence fiscale notamment sur le coût du travail, ont conduit la France, comme d'autres pays :

- à « fiscaliser » de manière croissante depuis les années 1990 le financement de la sécurité sociale , afin de faire face à l'augmentation des besoins de financement ;

- et à diminuer a contrario les recettes « naturelles » de la sécurité sociale , par une politique de diminution des charges sociales dans le but de préserver l'emploi et la compétitivité des entreprises.

Le mode de financement des administrations de sécurité sociale a ainsi considérablement changé depuis la fin des années 1990. Alors que les impôts et taxes affectés représentaient 1,7 % de leurs recettes en 1980, ce taux était de 8,9 % en 1995, de 23,7 % en 2000 et de 27,9 % en 2008.

La création de la contribution sociale généralisée (CSG) en 1991, de la contribution pour le remboursement de la dette sociale en 1996 pour financer la CADES, puis la mise en place de « paniers fiscaux » en 2006 et 2007 afin de compenser les coûts des politiques d'allègements ou d'exonérations de charges constituent les traits marquants de cette fiscalisation.

b) Une étape a été franchie à l'automne dernier

Indéniablement, une nouvelle étape dans la fiscalisation de la protection sociale a été franchie en 2011 puisqu'au total, dans le cadre de la réforme des retraites et des nouvelles mesures de gestion de la dette sociale, le Gouvernement a décidé d'affecter en 2011 aux régimes de sécurité sociale et aux organismes qui concourent à son financement près de 5 milliards d'euros de recettes fiscales dont :

- 1,47 milliard d'euros au profit du financement des retraites ;

- et 3,55 milliards d'euros en faveur de la CNAF, afin de permettre, en partie, via l'affectation d'une fraction de la CSG affectée à la branche famille, le refinancement de la dette sociale qui devait être transmise à la CADES en 2011.

Ces recettes fiscales résultent aussi bien de la révision des niches fiscales que de l'augmentation nominale d'impôts, notamment sur les revenus du capital et les produits de placement.

Rappels des principales recettes fiscales affectées à la sécurité sociale en 2011 dans le cadre de la réforme des retraites et de la gestion de la dette sociale


Les impôts et taxes affectées destinées à financer la réforme des retraites

- Augmentation de 40 % à 41 % du taux marginal du barème de l'impôt sur le revenu ;

- Hausse d'un point des prélèvements proportionnels :

- plus-values de cessions mobilières ;

- plus-values de cessions immobilières ;

- prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes et les intérêts ;

- Suppression du crédit d'impôt sur les dividendes ;

- Imposition des plus-values de cessions mobilières au premier euro ;

- Suppression du plafonnement de la quote part pour frais et charges sur les dividendes reçus par une société mère de ses filiales ;

- Alignement du taux du prélèvement sur les plus-values de cessions immobilières hors résidence principale sur le taux applicable aux plus-values de cessions mobilières ;

- Augmentation des taux des contributions patronales et salariales sur les stock-options ;

- Augmentation des prélèvements sur les retraites chapeaux.


Les impôts et taxes affectées destinées à financer indirectement la reprise de dette

- Exit tax sur les réserves de capitalisation ;

- Création d'un taux réduit de taxe sur les conventions d'assurance sur les contrats santé « responsable » ;

- Prélèvements au fil de l'eau des prélèvements sociaux sur les compartiments euros des contrats d'assurance vie multi-support.

Les produits des régimes de base et des organismes concourant à leur financement ont ainsi augmenté entre 2010 et 2011 de 28,7 milliards d'euros, dont 11,2 milliards d'euros au titre de la hausse des impôts et taxes affectées (ITAF) au financement de la sécurité sociale.

39 % de l'évolution des produits entre 2010 et 2011 serait expliquée par l'augmentation du montant des impôts et taxes affectées à la sécurité sociale.

Les mesures proposées dans le présent projet de loi poursuivent cette tendance puisqu'entre 2011 et 2012, les produits des régimes de base et des organismes concourant à leur financement devraient progresser de 20,7 milliards d'euros, dont 8,6 milliards d'euros en raison de la hausse des impôts et taxes affectées.

En 2012, la part des ITAF dans le financement de la branche maladie des régimes obligatoires de base devrait dépasser la barre des 50 %.

Part des ITAF dans les produits des régimes de base et des organismes concourant
au financement de la sécurité sociale

(en millions d'euros)

Produits

2010

%

2011

%

2012

%

(1) Régimes de base

402,0

421,9

441,5

Dont ITAF

114,4

28,5

119,1

28,2

126,6

28,7

Maladie

165,2

171,7

180,9

81,0

49,0

85,5

49,7

90,8

50,2

Vieillesse

183,3

194,5

202,8

15,4

8,4

16,3

8,3

17,9

8,8

Famille

50,8

52,9

54,8

16,0

31,4

17,2

32,5

17,7

32,2

AT-MP

11,9

13,0

13,5

2,0

16,8

0,2

1,5

0,3

2,2

(2) FSV

9,8

13,8

14,2

Dont ITAF

9,8

100,0

13,8

100,0

14,2

100,0

(3) CADES

8,2

15,1

15,8

Dont ITAF

8,2

100,0

13,1

86,0

13,7

86,7

(4) FRR

6,9

4,8

4,8

Dont ITAF

2,3

33,3

0

0,0

0,0

0,0

Total (1+2+3+4)

426,9

455,6

476,3

Dont ITAF

134,7

31,5

146,0

32,0

154,5

32,4

Source : commission des finances à partir de l'annexe 4 du PLFSS pour 2012

c) La sécurité sociale, le principal destinataire des augmentations nettes de recettes sur la législature

Comme l'a indiqué notre collègue Nicole Bricq, rapporteure générale, dans son rapport d'information en vue du débat sur les prélèvements obligatoires 2 ( * ) , les organismes de sécurité sociale, sur l'ensemble de la présente législature, ont ainsi été en quasi totalité destinataires des mesures nettes d'augmentation de recettes .

Comme votre rapporteur pour avis le précisera dans la suite du présent rapport, 60 % de l'effort de réduction du déficit public annoncé par le Gouvernement au mois d'août dernier concernent la sécurité sociale.

2. Une complexité accrue et un risque de fragilisation des ressources de la sécurité sociale

Les mesures prises à l'automne dernier, tout comme les liens étroits entre la loi de financement et la loi de finances pour 2011 , source importante de complexité, ont également souligné, avec acuité les difficultés de financement auxquelles est confronté notre régime de sécurité sociale.

La réforme des retraites a été, à cet égard, l'un des exemples les plus significatifs.

Le panier de recettes destiné à son financement était en effet composé, à la fois :

- de « ressources sociales », discutées en loi de financement de la sécurité sociale : l'aménagement du régime d'imposition des retraites chapeaux, l'annualisation du calcul des allègements généraux et la hausse des contributions patronales et salariales sur les stock-options ;

- mais aussi de recettes fiscales exclusivement affectées au budget de l'Etat et donc présentées dans le cadre du projet de loi de finances : l'augmentation du taux marginal du barème de l'impôt sur le revenu, la hausse des prélèvements proportionnels sur les cessions mobilières et immobilières, la hausse du prélèvement forfaitaire libératoire sur les dividendes, la suppression du crédit d'impôt sur les dividendes, l'imposition des plus values de cessions de valeurs mobilières au premier euro, la suppression du plafonnement de la quote-part pour frais et charges sur les dividendes reçus par une société mère de ses filiales.

Outre la composition mixte (sociale et fiscale) de ce panier, se posait la question de l'affectation à la sécurité sociale d'impositions relevant exclusivement du budget général de l'Etat. Celle-ci étant délicate, le Gouvernement a proposé une affectation en deux temps de ces ressources à la branche vieillesse, donnant lieu, là aussi, à des dispositions « miroirs » en PLF et en PLFSS :

- l'article 39 du PLF proposait ainsi un fléchage, dans un premier temps, vers la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS) d'une partie de la TVA brute collectée sur certains secteurs médicaux correspondant au montant du produit du panier fiscal « retraites » ;

- l'article 14 du PLFSS prévoyait, quant à lui, le reversement de cette somme, par la CNAMTS au Fonds de solidarité vieillesse, via l'affectation à ce fonds de deux recettes de la branche maladie : le produit de la contribution additionnelle à la contribution sociale de solidarité des sociétés (CSSS) et une partie du forfait social.

Financement de la réforme des retraites

Au-delà de la compréhension des circuits de financement ainsi créés, la plus grande difficulté posée par ces mécanismes tient à l'appréciation de leur évolution à long terme . En effet, le rendement et le dynamisme des recettes affectées n'étaient pas connus de manière précise, notamment en 2010, année de transition entre « crise » et « sortie de crise ».

L'exemple du Fonds de solidarité vieillesse, qui a été au coeur de ces circuits de financement, est assez symptomatique.

Il convient en préambule de rappeler que le FSV a pour mission d'assurer le financement des dépenses de retraite à caractère non contributif, relevant de la solidarité nationale (par distinction avec les dépenses relevant d'une logique assurantielle, financées par les cotisations sociales).

L'évolution des dépenses prises en charge par le FSV
et l'évolution de son panier de recettes

Depuis sa création en 1994, le champ d'intervention du FSV s'est considérablement élargi, le nombre de bénéficiaires des mesures financées par le FSV étant ainsi passé de 11,9 millions de personnes en 1994 à 17,3 millions aujourd'hui.

Les dépenses de solidarité financées par le Fonds sont de deux types :

- des prestations vieillesse (l'ancien « minimum vieillesse » ; les majorations de pension et le minimum contributif depuis 2011), qui sont payées aux assurés par les différents régimes de retraite, et font l'objet d'un remboursement par le FSV auprès de ces régimes, sur justificatifs ;

- des prises en charge de cotisations, évaluées de manière forfaitaire, destinées à compenser pour les régimes de base et de retraite complémentaire le coût de la validation gratuite des périodes d'interruption d'activité (chômage, service militaire et désormais volontariat civil, arrêts maladie et maternité depuis 2010).

Le FSV a également connu une évolution très importante de son panier de recettes, notamment une perte progressive de 0,45 point de CSG, partiellement compensée par une augmentation également progressive de la dotation de la CNAF (désormais égale à 100 % du coût des majorations de pensions pour enfants) et l'adjonction de nombreuses taxes et contributions (C3S, taxes sur les salaires, forfait social,...).

Dans le cadre de la réforme des retraites de 2010, le FSV a bénéficié directement ou indirectement de toutes les mesures de financement retenues dans le cadre de la réforme . Il perçoit ainsi une fraction de la taxe sur les salaires (16,7 %) qui faisait jusqu'alors partie du panier de recettes fiscales compensant les allègements généraux de cotisations dont le coût a été réduit par l'annualisation du mode de calcul de cette exonération. Il perçoit également le produit de la C3S additionnelle et une partie du forfait social, taxes qui étaient auparavant affectées à la CNAM. Enfin, il est destinataire des nouvelles dispositions relatives aux « retraites chapeaux ».

En contrepartie, son périmètre de dépenses a été modifié : une partie de la prise en charge du minimum contributif , jusqu'alors assumé par la CNAV, revient au FSV.

Un an après, quel est le bilan de ces transferts ?

D'après les données transmises à votre rapporteur pour avis par le FSV, des inquiétudes pèsent sur le rendement des nouvelles ressources affectées au fonds qui ne semble pas totalement à la hauteur des prévisions.

Les produits des recettes relatives aux diverses taxations sur les dispositifs des « retraites chapeau » avaient été estimés à 185 millions d'euros pour 2011. Cette évaluation a été revue à la baisse à 119 millions d'euros, lors de la commission des comptes de la sécurité sociale de septembre dernier.

A ce jour, selon le FSV, il n'est pas certain que la recette atteigne la moitié de cette estimation. En effet, les estimations réalisées à la fin du mois d'août s'élèvent à 73 millions d'euros.

Par ailleurs, s'agissant du produit du forfait social, il devait bénéficier en 2011 de l'impact favorable de la création de la prime de partage de la valeur ajoutée, introduite par LFSS rectificative pour 2011. Son montant, estimé initialement 428 millions d'euros pour 2011, a ainsi été porté à 512 millions d'euros. Or, la mesure ne semble pas donner le rendement escompté (dans les entreprises ayant déjà négocié, le montant moyen de la prime s'établirait à 300 euros contre 700 euros prévus initialement).

Cette incertitude sur les recettes du FSV va peser sur la prise en charge du minimum contributif par le fonds.

Votre rapporteur pour avis sera attentif à ce point les années à venir. Il est en effet à rappeler que ce fonds, pourtant excédentaire en 2008, enregistre depuis un déficit qui se stabilise autour de plus de trois milliards d'euros.

3. La suppression du dispositif de compensation au premier euro des allègements généraux, la sécurité sociale « gagnante » pour l'instant

Enfin, une autre novation importante de l'année 2011, qui a suscité de fortes inquiétudes, a résidé dans l'évolution du dispositif de compensation des allègements généraux .

a) Les modifications introduites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011

Les allègements généraux de charges sociales constituent un enjeu financier majeur. Leur coût pour 2011 serait en effet de 21,4 milliards d'euros , soit 70 % du montant de l'ensemble des mesures d'exonérations de contributions et de cotisations de sécurité sociale.

Depuis 2006 et jusqu'à l'année dernière, la compensation par l'Etat des allègements généraux en faveur des bas salaires était effectuée par affectation d'un panier de recettes fiscales , dont la composition a été modifiée par les lois de finances successives.

La répartition du produit du panier des allègements généraux était effectuée par l'ACOSS au prorata des dépenses enregistrées par les différentes branches.

L'affectation de l'excédent de ce panier de recettes suscitait, chaque année, des « convoitises » . En 2009, il a ainsi été utilisé pour compléter le produit du panier fiscal destiné à compenser les exonérations relatives aux heures supplémentaires. En 2010, il a été alloué à l'Etat, afin que celui-ci puisse ensuite payer en retour à la sécurité sociale les sommes qu'il lui doit au titre de la compensation de certaines exonérations ciblées.

Depuis le 1 er janvier 2011, ces allègements ne sont plus compensés par ce « panier », et les impôts et taxes qui le composaient sont définitivement affectés aux organismes de sécurité sociale .

En effet, pour 2011 et les années suivantes, le Gouvernement a introduit, lors de l'examen du projet de loi de financement pour 2011 à l'Assemblée nationale, un amendement tendant à supprimer, le principe de la compensation automatique du coût des allègements généraux. Pour ce faire, il a proposé d'affecter définitivement à la sécurité sociale, à l'exception du droit de consommation sur les tabacs, les impôts et les taxes qui composent ce panier.

Selon François Baroin, alors ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'Etat, qui a présenté l'amendement à l'Assemblée nationale, « il s'agit, à travers cet amendement, d'officialiser l'affectation du panier de recettes supplémentaires à la sécurité sociale. C'est un élément d'équilibre important du PLFSS ».

b) Un excédent de 1,7 milliard d'euros en 2011, mais quelle évolution à long terme ?

Selon les données de la commission des comptes de la sécurité sociale dans son rapport de septembre 2011, la compensation des allégements généraux reste réalisée au premier euro en 2011 et dégage même un excédent de 1,7 milliard d'euros , améliorant d'autant les comptes des régimes obligatoires de base.

Cette question devra néanmoins être suivie de façon attentive dans les années à venir.

En effet, il peut paraître particulièrement délicat de faire sortir les allègements généraux d'un mécanisme de compensation qui permettait de garantir à la sécurité sociale un niveau de ressources à la hauteur des manques à gagner induits par la politique de l'emploi mise en oeuvre par l'Etat. Si le panier est excédentaire à court terme, rien ne garantit que cette situation perdure.


* 2 Rapport d'information n° 64 (2011-2012) - « Prélèvements obligatoires 2007-2012 : un quinquennat d'incohérences et d'injustices ».

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