B. DE LOURDES INQUIÉTUDES SUR LA FORMATION ET LE RECRUTEMENT DES PERSONNELS QUI SE CONFIRMENT

1. Les conséquences de la mastérisation

Pour mémoire, le décret du 28 juillet 2009 mettant en oeuvre la mastérisation dans l'enseignement professionnel distingue trois catégories de candidats :

- les enseignants des disciplines générales ou des spécialités professionnelles pour lesquelles existe un diplôme de niveau I, qui doivent justifier de la détention d'un master ou d'un diplôme équivalent, en général pour les spécialités professionnelles un diplôme d'ingénieur ;

- les enseignants des spécialités professionnelles pour lesquels il n'existe qu'un diplôme de niveau III, qui doivent justifier, outre la possession de ce diplôme, de cinq années de pratique professionnelle ou d'enseignement de cette pratique ;

- les enseignants des spécialités professionnelles pour lesquels il n'existe pas de diplôme supérieur au niveau IV, qui doivent alors justifier, en plus du diplôme, de sept années de pratique professionnelle ou d'enseignement de cette pratique.

La mastérisation a ouvert, de l'aveu général des acteurs de terrain, une crise majeure de recrutement d'enseignants en lycée professionnel . Les parcours appropriés de master dans les universités ont été mis en place très hâtivement et restent largement invisibles pour les candidats potentiels, ce qui a conduit à un tarissement sans précédent du vivier de candidats. Le rapport Jolion remis aux ministres de l'éducation et de l'enseignement supérieur en octobre 2011 est très explicite à ce sujet :

« Les masters liés aux métiers de l'enseignement pour les filières technologiques et professionnelles ont connu une année très difficile avec une baisse très importante d'effectifs due tout autant à la très grande spécificité de ces filières qu'au flou trop important sur la mise en place de la réforme pour ces filières (décisions tardives de l'État, manque de communication auprès du public étudiant et professionnel,...). Ces filières sont incontestablement les grandes oubliées de cette réforme. » 34 ( * )

Alors que le lycée professionnel connaît des bouleversements organisationnels et pédagogiques considérables, que les enseignants sont très largement mis à contribution pour trouver localement les solutions les plus adaptées devant l'insuffisance du cadrage national, la mastérisation risque de perturber les fragiles équilibres qui permettent encore aux établissements et aux filières de fonctionner sans trop pénaliser les élèves .

D'un entretien avec M. Vincent Troger, maître de conférences en sciences de l'éducation et chargé de mission école-entreprise à l'IUFM de Nantes 35 ( * ) , votre rapporteure retient également l' inquiétude grandissante des PLP devant ces élèves qui ne sont pas au niveau du bac, qui en souffrent et qui n'arrivent pas à suivre. Du fait de l'hétérogénéité des publics accueillis, les PLP, dont l'identité est traditionnellement marquée par la prise en charge et la remobilisation de tels élèves, se trouvent pris dans un dilemme : à rebours de leur mission initiale, ils doivent désormais choisir entre pousser les meilleurs ou aider les plus en difficultés.

Il est évident que les masters préparant au concours du CAPLP requièrent certains équipements spécifiques et peuvent donc être plus coûteux que d'autres. Un cercle vicieux peut alors s'initier. Les universités fermeront d'abord des masters qui reçoivent peu d'étudiants et qui pèsent plus sur leur budget , si bien que de plus en plus de spécialités ne disposeront d'aucun parcours universitaire approprié. Le défaut de PLP obligera alors les recteurs à multiplier les vacations, sans trop d'exigences sur le niveau de qualification.

Se prépare ainsi l'affaiblissement des formations dispensées dans les lycées professionnels par épuisement du recrutement de titulaires bien formés et recours massif à l'emploi précaire. À peu de choses près, la même logique est à l'oeuvre pour les filières technologiques.

Alors que l'enseignement professionnel rassemble la plus grande proportion d'élèves fragiles et socialement défavorisés, votre rapporteure déplore avec la plus grande énergie l'indifférence apparente avec laquelle le ministère aborde le recrutement et la formation des enseignants qui y interviennent. Elle ne peut qu'approuver à nouveau les conclusions du professeur Jolion qui estime « nécessaire que ces filières reçoivent une attention particulière de la part de l'État pour éviter qu'un processus erratique d'adaptation ne se mette en place, ce qui irrémédiablement conduirait à une désaffection encore plus grande de ces filières, notamment en provenance des milieux professionnels . » 36 ( * )

Les difficultés sont accrues par les obstacles mis à la reconversion de salariés , dont la moitié du corps est actuellement issue. Le financement de leur reconversion n'est pas assuré. En effet, les dispositifs comme le congé individuel de formation (CIF) couvrent en général un an. Mais, lorsque le salarié candidat à une reconversion n'est pas exempté de la détention d'un master, il doit envisager une reprise d'études sur deux ans, si bien qu'il doit prendre à sa charge une année de formation alors même qu'il ne reçoit plus de rémunération. Dans les spécialités professionnelles pour lesquelles est levée la condition de master, les salariés concernés par une éventuelle reconversion sont très souvent éloignés de l'enseignement supérieur et leur préparation au concours semée d'embûches.

Au cours de son audition, le Medef a lui aussi manifesté ses craintes d'un assèchement du recrutement d'enseignants de spécialités professionnelles à cause des freins nouveaux à la reconversion de salariés. Il a souligné le risque que les liens noués entre les entreprises et les lycées que favorise la présence d'anciens salariés ne se distendent. Les branches professionnelles s'inquiètent également des conséquences futures sur le niveau de qualification des jeunes de la perte d'attractivité du métier de PLP.

Votre rapporteure souhaite que les dispositifs de formation continue et de validation des acquis de l'expérience soient adaptés rapidement par les partenaires sociaux et les universités afin de faciliter l'accompagnement de la reconversion de salariés vers une carrière d'enseignant. Un soutien exceptionnel de l'État sera sans doute nécessaire pour desserrer les contraintes financières qui pénalisent très spécifiquement le recrutement de PLP.


* 34 J.-M. Jolion, Mastérisation de la formation initiale des enseignants : enjeux et bilan , 10 octobre 2011, p. 9.

* 35 M. Troger suit une cohorte d'élèves de lycées professionnels en Loire-Atlantique. Cf. P.-Y. Bernard & V. Troger, Le baccalauréat professionnel en trois ans : une nouvelle voie d'accès à l'enseignement supérieur ?, note du CREN n° 3, mai 2011.

* 36 Ibid., p. 10.

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