IV. LA RÉINVENTION PERMANENTE DE LA POLICE DE PROXIMITÉ

A. LES TENTATIVES ANTÉRIEURES À 2002

Les expressions « police communautaire » ou « police de proximité » reflètent des pratiques qui, sous des formes diverses, ont été mises en oeuvre dans la plupart des pays occidentaux au cours des dernières années. Elles consistent en une tentative pour allier la prévention, la répression, la coopération avec les habitants et avec les autres institutions, la connaissance du territoire et la qualité du « service rendu », de manière à faire reculer le « sentiment d'insécurité ». Selon les pays, l'accent sera davantage mis sur tel ou tel aspect : ainsi, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, la dimension de participation de la population au travail de la police sera mise en avant, tandis qu'elle reste pour l'essentiel étrangère à la conception française du maintien de l'ordre.

En France, la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995 a, pour la première fois, explicitement mentionné la police de proximité . Cependant, celle-ci a été mise en place entre 1997 (année du colloque de Villepinte) et 2002, avec la création de nouvelles structures déconcentrées, commissariats et postes de police. Cette police devait, par la territorialisation, une présence visible et le développement de partenariats, permettre de prévenir les troubles à l'ordre public et de lutter contre l'insécurité au quotidien. Elle devait en outre contribuer à retisser du lien social et instaurer une relation de confiance avec la population.

Cette politique a été plébiscitée par les maires , ainsi que l'attestent les résultats du questionnaire élaboré à l'occasion de la mission commune d'information sur le bilan et les perspectives d'avenir des politiques conduites envers les quartiers en difficulté, rapportée par notre collègue Pierre André 12 ( * ) en 2006. Toutefois, il a été mis fin à cette expérience dès 2003 au nom de la politique du résultat, trop rapidement pour que des conclusions puissent en être véritablement tirées. Il était notamment reproché aux nouvelles structures de fixer les policiers sur des lieux déterminés au détriment de leur présence sur la voie publique, les horaires d'ouverture des commissariats et postes de police ne permettant pas d'assurer une présence tardive et nocturne, pourtant indispensable pour contenir la délinquance.

A partir de 2003, une réorientation a donc eu lieu, avec comme mot d'ordre un retour à une politique d'interpellations et d'action judiciaire.

Une des mesures-phares de cette nouvelle politique dans les quartiers en difficulté a été de mettre l'accent sur le travail des brigades anti-criminalité (BAC), composées de policiers en civil circulant dans des véhicules banalisés et censés assurer une présence efficace dans les lieux réputés particulièrement criminogène. La BAC s'est vu confier un objectif principal : le flagrant délit .

Les inconvénients de cette version « dure » de la police de proximité sont peu à peu apparus clairement, comme le montre un ouvrage récent de l'anthropologue Didier Fassin 13 ( * ) . En effet, ces policiers, qui se voient confier la mission a priori exaltante d'arrêter des malfaiteurs et de « pacifier » des quartiers, sont rapidement confrontés à la rareté tant des appels de la population que des flagrants délits. Dès lors, soumis à la politique du chiffre par laquelle il est exigé d'eux qu'ils réalisent toujours plus d'interpellations et de procédures, ils sont conduits à mettre l'accent sur les « ILE » (infraction à la législation sur les étrangers et des « ILS » (infraction à la législation sur les stupéfiants) , qui leur permettent d'augmenter à la fois le nombre de faits élucidés et d'infractions constatées. Ce faisant, ils ne réduisent pas le sentiment d'insécurité mais suscitent de plus en plus la colère de la population des « quartiers », soumise notamment à des contrôles d'identité souvent perçus comme discriminatoires.

Ainsi, depuis 2002, de bons résultats apparents dans la lutte contre la délinquance générale et de proximité (mais sujets à caution du fait des graves défauts des statistiques de la police et de la gendarmerie) coexistent avec une grande difficulté à améliorer sensiblement la sécurité dans les « quartiers difficiles » , où les modes opératoires de la police ne semblent pas permettre de traiter les spécificités de la délinquance. Les interventions des forces de police prennent alors essentiellement une forme réactive, passagère, et ces interventions, de par leur caractère ponctuel même, apparaissent de plus en plus arbitraires à la population.

Ces difficultés ont conduit les pouvoirs publics, depuis 2002, à mettre en place plusieurs nouvelles configurations destinées à retrouver à la fois une meilleure efficacité et une plus grande acceptation sociale de la police. Force est de constater que ces configurations se sont succédées à un rythme soutenu sans parvenir à convaincre.


* 12 www.senat.fr/rap/r06-049-1/r06-049-1.html

* 13 « La force de l'ordre », Seuil, 2011.

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