B. L'ALOURDISSEMENT PROGRAMMÉ DE LA CHARGE DE TRAVAIL DES JURIDICTIONS

Les causes de l'inflation constatée du contentieux administratif sont connues 9 ( * ) : les modifications récentes intervenues dans le contentieux des étrangers, du logement avec l'instauration du droit au logement opposable, du revenu de solidarité active, de la commande publique ou encore l'impact de la question prioritaire de constitutionnalité...

Ces réformes vont non seulement continuer à produire leurs effets sur la progression du contentieux, mais certaines vont en développer de nouveau. Il en est ainsi de loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale. Une autre réforme viendra alourdir la charge des juridictions administratives en 2012 : celle de la procédure contentieuse en matière de droit des étrangers, réalisée par la loi du 16 juin 2011.

• L'atteinte d'un nouveau palier dans le contentieux du droit au logement

Cette loi a instauré une procédure de recours ad hoc à destination personnes qui n'ont pas reçu une offre de logement social correspondant à leurs besoins et à leurs capacités, pour leur permettre d'obtenir du juge qu'il ordonne leur logement ou leur relogement, au besoin sous astreinte. Cette procédure a initialement été réservée :

- aux personnes reconnues prioritaires par les commissions de médiation placées auprès des préfets, qui pouvaient, en outre, se prévaloir d'être dépourvues de logement, hébergées temporairement, menacées d'expulsion ou logées dans des locaux présentant un caractère insalubre ou dangereux ou encore, en présence d'enfants mineurs ou de personnes présentant un handicap, logées dans des conditions inacceptables du fait de l'indécence du logement ou de sa sur-occupation ;

- aux personnes qui sollicitent l'accueil dans une structure d'hébergement.

Or, à compter du 1 er janvier 2012, la procédure de recours ad hoc sera ouverte à toutes les personnes reconnues prioritaires par les commissions de médiation en raison du délai anormalement long mis pour satisfaire leur demande de logement social. Cette extension risque de provoquer un nouvel alourdissement de la charge des tribunaux administratifs, qui n'a pas pu être évalué.

• La réforme du contentieux de l'éloignement

En 2011, les juridictions administratives ont eu à connaître de la réforme des procédures contentieuses relatives à l'éloignement des étrangers en situation irrégulière contenues dans la loi n° 2011-672 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité et immédiatement mise en oeuvre par le décret n° 2011-819 du 8 juillet 2011.

La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration,
à l'intégration et à la nationalité

La loi du 16 juin 2011 a procédé à la transposition de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dite directive « retour ».

Si elle n'a pas modifié de manière substantielle le mécanisme général des obligations de quitter le territoire français moyennant un délai de retour volontaire laissé à l'étranger, elle a profondément remanié la procédure applicable aux mesures d'éloignement susceptibles de faire l'objet d'une exécution immédiate.

La loi a réduit la notion de reconduite à la frontière à une hypothèse marginale : celle de l'étranger qui pendant la durée de validité de son visa constitue une menace pour l'ordre public ou a exercé une activité salariée sans être titulaire d'une autorisation de travail.

La notion de reconduite à la frontière est ainsi remplacée par celle « d'obligation de quitter le territoire français sans délai de retour volontaire » et la loi définit une série de cas dans lesquels l'administration peut obliger l'intéressé à quitter le territoire français, sans lui laisser un tel délai. L'économie générale de ces nouvelles mesures est, néanmoins, très proche de celle des anciennes reconduites à la frontière.

La principale modification réside dans la transposition du principe de l'interdiction de retour posé par la directive. La loi prévoit donc que l'obligation de quitter le territoire français, avec ou sans délai de retour volontaire, peut être assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée maximale, selon les cas, de deux ou trois ans.

Enfin, les conditions dans lesquelles, en l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, l'intéressé peut être placé en rétention ou assigné à résidence ont été redéfinies. En particulier, une nouvelle procédure d'assignation à résidence sous surveillance électronique a été prévue A l'expiration d'un délai de cinq jours, cette assignation est susceptible d'être prorogée par le juge des libertés et de la détention dans les mêmes conditions que le placement en rétention.

La loi du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité 10 ( * ) a profondément modifié le régime contentieux applicable aux mesures d'éloignement, lorsque l'intéressé est placé en rétention. En effet, l'intervention du juge des libertés et de la détention a été reportée d'un délai de quarante-huit heures après le début de la rétention à un délai de cinq jours.

En pratique, l'intervention du juge des libertés et de la détention et celle du juge administratif se trouvent donc inversées .

Lorsqu'un étranger en situation irrégulière est placé en rétention (ou assigné à résidence avec surveillance électronique) aux fins d'exécution d'une mesure d'éloignement, le dispositif est désormais conçu pour que le juge administratif statue, dans les 72 heures, sur la légalité de la mesure d'éloignement et, le cas échéant, des mesures qui en sont l'accessoire, avant que le juge des libertés et de la détention ne soit saisi de la prorogation de la rétention (ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique).

L'impact de cette mesure sur le fonctionnement des juridictions administrative n'a fait l'objet d'aucun développement dans l'étude d'impact jointe au projet de loi. Il est encore trop tôt pour tirer un premier bilan. Mais il est hautement probable que cette inversion des interventions respectives des juges administratif et judiciaire constituera une incitation supplémentaire à saisir la juridiction administrative, notamment dans le souci de contester la légalité de la mesure de rétention sans attendre l'échéance de l'intervention obligatoire du juge des libertés et de la détention.

Indépendamment de l'accroissement prévisible du nombre de recours, la loi entraîne un alourdissement de la charge de travail induite par chaque recours dès lors que, dans un nombre substantiel de dossiers, le litige porte, non seulement, comme aujourd'hui, sur la légalité de l'éloignement du territoire de l'étranger en situation irrégulière et le choix du pays de destination, mais également d'une part, sur la légalité du placement en rétention et, d'autre part, sur la légalité de l'interdiction de retour qui assortit la mesure d'éloignement.

Ainsi, un même dossier pourra induire cinq séries de contestation portant sur :

- le principe même de l'éloignement de l'étranger ;

- le cas échéant, l'absence de délai de retour volontaire qui lui est laissé ;

- le choix du pays de sa destination ;

- le bien fondé de son placement en rétention

- l'infliction d'une interdiction de retour.

Alors que le contentieux des étrangers est, comme on l'a vu, le contentieux administratif le plus inflationniste, la réforme engagée devrait se traduire par une augmentation significative de ce contentieux. Votre rapporteur regrette qu'aucun moyen supplémentaire n'ait été prévu pour y faire face.


* 9 Cf. les développements consacrés par Simon Sutour à ces réformes et à leur impact sur l'augmentation du contentieux administratifs, dans l'avis budgétaire sur les crédits de la justice administrative (rapport pour avis n° 116 (2010-2011) de MM. Yves Détraigne et Simon Sutour, au nom de la commission des lois, sur le projet de loi de finances pour 2011 : Justice et accès au droit, p. 84-91, http://www.senat.fr/rap/a10-116-4/a10-116-4.html )

* 10 Loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 relative à l'immigration, à l'intégration et à la nationalité.

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