C. LES RÉPONSES APPORTÉES À CETTE PROGRESSION PROGRAMMÉE SERONT-ELLES SUFFISANTES ?

La réponse apportée à la forte croissance du contentieux administratif repose sur trois leviers d'action.

Le premier est le levier budgétaire, qui autorise la création d'emplois supplémentaires ou de juridictions nouvelles. Relèvent de ce mouvement la création en 1987 des cours administratives d'appel ou celle, plus récente, de la cour de Versailles en 2004 et des tribunaux administratifs de Nîmes en 2006, de Toulon en 2008 ou de Montreuil en 2009, pour désengorger les juridictions surchargées de Paris, Montpellier, Marseille, et Cergy-Pontoise. De 2004 à 2010, les effectifs budgétaires de magistrats (hors conseil d'État) sont passés de 918 à 1 083 et ceux des agents de greffe de 1 169 à 1 318, soit une évolution respective de 18 % et de 13 %.

Le deuxième levier d'action est l'élévation de la productivité des magistrats et des fonctionnaires des juridictions administratives. Il repose à la fois sur l'engagement de chacun, la valorisation indemnitaire de la productivité et la mise à disposition des juges ou des personnels d'outils ou de dispositifs facilitant leur tâche (informatisation et dématérialisation, aide à la décision).

Une mesure d'assistance des magistrats dans l'exercice de leur fonction juridictionnelle :
le dispositif d'aide à la décision

Traditionnellement, les magistrats administratifs prenaient en charge personnellement l'ensemble de l'étude et de l'examen des dossiers contentieux qui leur étaient soumis, quelle que soit leur difficulté, ainsi que la rédaction intégrale des jugements et des arrêts. Les greffes des juridictions administratives se consacraient, pour la part, à la gestion matérielle de la procédure (enregistrements, communications, notifications ...).

Depuis une dizaine d'années, afin de permettre à la juridiction administrative d'augmenter significativement le nombre de décisions rendues, de nouveaux modes de collaboration se sont développés, permettant de confier à des assistants le soin de préparer, sous le contrôle des magistrats, soit des projets de décisions simples (des ordonnances notamment), soit des éléments d'analyse d'un dossier. Ces collaborations sont désignées sous l'expression un peu cursive « d'aide à la décision ».

Les assistants qui apportent ainsi leur concours aux magistrats relèvent de deux catégories :

- les premiers dénommés « assistants du contentieux » sont des fonctionnaires titulaires de catégorie A, pour l'essentiel des attachés, qui sont affectés sur ces fonctions comme le sont les autres agents de greffe, dans le cadre de la double gestion mise en place avec le ministère de l'intérieur ;

- les seconds dénommés « assistants de justice » sont des agents contractuels exerçant à temps incomplet, recrutés pour une durée maximale de deux ans renouvelable deux fois, dans les conditions prévues par les articles L. 122-2 et L. 227-1 du code de justice administrative, dans leur rédaction issue de la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002, et par les articles R. 227-1 et suivants du même code.

Les dispositions réglementaires ont été récemment modifiées par le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 pour porter le nombre de vacations susceptibles d'être effectuées par un assistant de justice de 80 heures mensuelles à 120 et de 720 heures annuelles à 1080. Cela correspond approximativement à un service de trois jours par semaine.

Les assistants de justice sont recrutés, de façon privilégiée, dans un vivier d'étudiants de 2 e ou 3 e cycle qui trouvent ainsi, à la fois, un revenu d'appoint pour financer leurs études ou leur transition vers la vie active et une activité propre à enrichir leur formation.

Au 31 décembre 2010, les tribunaux administratifs et cours administratives d'appel comptaient 247 assistants de justice dont l'ancienneté moyenne était de 14 mois et 16 jours, et le Conseil d'État 25.

Le dernier levier d'action est procédural : il s'agit, par une réforme de la procédure administrative, soit de garantir une répartition plus optimale des contentieux entre les différents niveaux de juridictions, soit de simplifier le traitement de certaines affaires, voire de détourner un flux de contentieux vers des modes alternatifs de règlement des litiges.

Or, votre rapporteur constate que la situation actuelle rend l'utilisation d'au moins deux de ces leviers plus incertaine.

Le contexte budgétaire très tendu limite le recours possible au levier budgétaire. Il ne semble pas non plus envisageable de parier sur une élévation de la productivité des magistrats et des personnels, qui semble avoir atteint un palier, comme l'illustre la baisse en 2010 du nombre d'affaires traitées par magistrats au sein des tribunaux administratifs et cours administratives d'appel.

Au cours de leur audition, les représentants des syndicats de magistrats administratifs se sont d'ailleurs fait l'écho auprès de votre rapporteur de l'essoufflement de certains de leurs collègues, confrontés à des contentieux de masse répétitifs, sans réelles perspectives de carrière. Ils ont en outre dénoncé les limites que présentait le recours de plus en plus systématique, au nom de « l'aide à la décision », aux assistants de justice pour traiter de certains contentieux de masse, sous la supervision, plus que le contrôle, d'un juge unique.

Seule la voie de la réforme procédurale semble donc encore ouverte pour permettre aux juridictions administratives de faire face, à moyens à peu près constants, à l'augmentation programmée du contentieux administratifs.

Cependant, cette piste n'est elle-même pas sans présenter de risques. En effet, la procédure est ce qui garantit le droit. Si tout allègement ou simplification ne préjudicie pas forcément aux droits du justiciable, c'est toujours à cette aune qu'il convient de l'évaluer, avant même de considérer l'économie qu'il permettrait de réaliser .

Mme Marion Jaffre, secrétaire générale adjointe de l'union syndicale des magistrats administratifs s'est ainsi inquiétée au cours de son audition par votre rapporteur, des réformes procédurales décidées pour faire face aux besoins des juridictions qui ne permettent de réaliser des économies limitées qu'au prix d'un abaissement du niveau de garanties offert au justiciable.

1. La dispense de conclusions du rapporteur public

L'article 188 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit a ajouté au code de justice administrative un nouvel article L. 732-1 organisant la dispense, par le président de la formation de jugement de présentation, par le rapporteur public, de ses conclusions.

Cette disposition, qui n'a vocation à s'appliquer qu'aux tribunaux administratifs et cours administratives d'appel, et pas devant le Conseil d'État, n'est pas encore entrée en vigueur, le décret d'application, qui doit notamment déterminer les contentieux concernés, étant en cours d'élaboration.

Elle offre au président de la formation de jugement, en première instance comme en appel, la possibilité de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, pour les affaires les plus simples ne comportant aucun enjeu juridique, d'exposer à l'audience ses conclusions sur une requête, eu égard à la nature des questions à juger.

Le rapporteur public pourra ainsi, à son initiative, dossier par dossier, être dispensé d'exposer publiquement ses conclusions à l'audience, en considération de la nature des questions à juger et de la pertinence, pour le délibéré de la formation de jugement ou pour les parties, de l'éclairage qu'il est oralement susceptible d'apporter.

L'objectif principal de cette disposition est de soulager les rapporteurs publics de la charge excessive de travail qui pèse actuellement sur eux et de leur permettre de se recentrer sur leur coeur de leur métier. Elle ne devrait donc pas avoir d'impact quantifiable sur les moyens humains de la juridiction administrative.

D'ores et déjà, la loi dispense le rapporteur public de présenter ses conclusions, sauf renvoi à une formation collégiale, en certaines matières qui se caractérisent toutes par le fait que le contentieux en cause soit enserré dans des délais très courts.

Il en est ainsi en matière de référés administratifs (article L. 522-1 du code de justice administrative), de recours contre les refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile ou les arrêtés de reconduite à la frontière (respectivement articles L. 213-9 et L. 512-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile) ou de contentieux du droit au logement opposable (article L. 441-2-3-1 du code de la construction et de l'habitation). Le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement des procédures adopté en lecture définitive par l'Assemblée nationale le 16 novembre 2011 ajoute à cette liste le contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage.

La particularité de cette réforme tient à deux éléments : le choix des matières relèvera du pouvoir réglementaire et pourra porter sur d'autres contentieux que ceux de l'urgence ; la dispense est optionnelle et doit être demandée par le rapporteur public lui-même et acceptée par le président de la formation de jugement.

Cette réforme suscite l'opposition des syndicats de magistrats administratifs.

Au cours de son audition, Mme Marion Jaffre, secrétaire générale adjointe de l'union syndicale des magistrats administratifs, s'est inquiétée des pressions qui pourraient être exercées sur le rapporteur public pour qu'il demande la dispense afin d'accélérer le traitement du contentieux. Or, elle a estimé que, dans certains contentieux, comme ceux des permis de conduire, traités par un assistant de justice et tranchés par le président de la formation de jugement statuant en juge unique, les conclusions du rapporteur public constituaient le seul filet de sécurité disponible. Elle a en outre contesté que l'absence de difficultés juridiques soit un critère pertinent pour la dispense de conclusions du rapporteur public : parfois, la clé du litige dépend de l'appréciation qui sera portée sur un élément subjectif, comme le caractère adéquat ou excessif de la mesure prise par l'administration.

M. Gil Cornevaux, représentant du syndicat de la juridiction administrative a rappelé à cet égard que le rapporteur public apportait un éclairage nécessaire sur le droit applicable comme sur les faits en cause. Il s'est lui aussi inquiété de ce que la dispense de conclusions du rapporteur public devienne un outil de gestion des flux de contentieux.

Votre rapporteur considère que les inquiétudes qui s'expriment, alors que la liste des matières concernées n'est toujours pas connue, sont légitimes. Elles ne s'apaiseront que si la pratique démontre l'intérêt du dispositif et son innocuité. Votre rapporteur appelle, pour cette raison, à un suivi minutieux de la réforme, qui permettra d'en dresser un bilan satisfaisant.

2. La réforme de la procédure contentieuse et la réorganisation des compétences des juridictions

Le décret n° 2010-164 du 22 février 2010 relatif aux compétences et au fonctionnement des juridictions administratives a significativement modifié la procédure administrative et la répartition des compétences entre les différents niveaux de juridictions.

• Le recentrage du Conseil d'État sur sa compétence de cassation et la limitation de sa compétence de premier et dernier ressort

Le partage entre les compétences en premier ressort des tribunaux administratifs, juges de droit commun, et celles du Conseil d'État dont la vocation première est d'être un juge de cassation, a été revu.

Ainsi, les compétences en premier et dernier ressort du Conseil d'État ont été recentrées sur les affaires dont la nature ou l'importance justifient effectivement qu'il soit dérogé à la compétence naturelle du juge de première instance et au principe du double degré de juridiction.

En particulier, ont été abrogées les dévolutions de compétence héritées des décrets n° 53-934 du 30 septembre 1953 et n° 53-1169 du 28 novembre 1953 qui n'avaient pour justification que la difficulté à déterminer la compétence territoriale d'un tribunal administratif, selon les principes qui avaient alors été arrêtés.


La compétence juridictionnelle du Conseil d'État en premier et dernier ressort

Le Conseil d'État est appelé à connaître, en premier et dernier ressort :

1° Des recours dirigés contre les ordonnances du Président de la République et les décrets ;

2° Des recours dirigés contre les actes réglementaires des ministres et des autres autorités à compétence nationale et contre leurs circulaires et instructions de portée générale ;

3° Des litiges concernant le recrutement et la discipline des agents publics nommés par décret du Président de la République ;

4° Des recours dirigés contre les décisions prises par les organes d'un certain nombre d'autorité administratives indépendantes, au titre de leur mission de contrôle ou de régulation (agence française de lutte contre le dopage, autorité de contrôle prudentiel ; autorité de la concurrence ; autorité des marchés financiers ; conseil supérieur de l'audiovisuel ; commission nationale de l'informatique et des libertés ; commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité...) ;

5° Des actions en responsabilité dirigées contre l'État pour durée excessive de la procédure devant la juridiction administrative ;

6° Des recours en interprétation et des recours en appréciation de légalité des actes dont le contentieux relève en premier et dernier ressort du Conseil d'État ;

7° Des recours dirigés contre les décisions ministérielles prises en matière de contrôle des concentrations économiques.

Ce recentrage du Conseil d'État sur sa compétence de cassation le protège, au moins en partie, de l'inflation du contentieux, puisque la charge des contentieux en premier ressort est transférée aux tribunaux administratifs.

Votre rapporteur observe que ce transfert de charge - limité dans son étendue et justifié dans son principe - a déjà été revu pour restituer au Conseil d'État la compétence de premier et dernier ressort sur les décisions rendues par la commission nationale d'aménagement commercial.

Le projet de loi relatif à la répartition des contentieux et à l'allègement des procédures adopté en lecture définitive par l'Assemblée nationale le 16 novembre 2011 prolongera la réorganisation des compétences de premier ressort des juridictions administratives, puisqu'il autorise le pouvoir réglementaire, comme cela était demandé par le Conseil d'État, à attribuer directement aux cours administratives d'appel une compétence de premier ressort.

• Des aménagements procéduraux destinés à rendre l'instruction et le délibéré plus efficients

Les formations de jugement élargies dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel ont été rationnalisées, l'objectif étant de donner à ces formations une dimension raisonnable afin de permettre leur réunion effective. Il s'agit là de procédures dérogatoires au droit commun, justifiées par la complexité juridique du litige en cause.

Des instruments procéduraux destinés à rendre l'instruction plus prévisible pour les parties et à accroître l'efficience des mesures de clôture d'instruction pour accélérer celle des affaires et permettre l'enrôlement des dossiers à la date prévue ont également été créées.

La procédure d'expertise a été réglementée de façon beaucoup plus précise qu'elle ne l'était jusque-là. Ces dispositions ont ainsi eu pour objet d'instituer un magistrat chargé des questions d'expertise, d'encadrer le serment prononcé par l'expert, de mieux organiser le remplacement d'un expert en cas de défaillance ou d'empêchement ou sa récusation par les parties, de donner au juge des moyens procéduraux pour faire échec à la carence des parties, de régler l'hypothèse dans laquelle les parties se sont conciliées devant l'expert, de prévoir la possibilité d'une audience d'expertise, de faciliter la transmission du rapport et sa discussion par les parties, de clarifier les conditions de taxation des frais et honoraires, de permettre que soit sanctionné le mauvais vouloir de la partie qui a la charge de l'allocation provisionnelle et de consacrer le caractère exécutoire de l'ordonnance de taxation des frais et honoraires de l'expertise.

Enfin, une procédure d' amicus curiae a été instaurée pour permettre aux juridictions administratives de recueillir les observations de toute personne dont la compétence ou les connaissances seraient de nature à les éclairer utilement sur la solution à donner à un litige. Ainsi, le juge pourra entendre, dans certains procès, des philosophes, des économistes, des sociologues ou des professeurs de médecine afin d'éclairer les enjeux éthiques, économiques, sociétaux ou environnementaux du débat juridictionnel.

3. La création d'une action collective en droit administratif ?

Le Conseil d'État a engagé, sous l'impulsion de son vice-président, M. Jean-Marc Sauvé, une réflexion sur l'opportunité d'instaurer d'une action en déclaration collective de droits qui permettrait à une association régulièrement déclarée ou un syndicat professionnel régulièrement constitué de demander au juge administratif, en faveur d'un groupe d'intérêt virtuel constitué par l'identité de la situation juridique de ses membres au regard du refus d'un droit, de l'imposition d'une obligation ou d'un préjudice subi, la reconnaissance de ce droit ou de la responsabilité d'une personne publique 11 ( * ) .

La création d'une telle action serait de nature à donner au juge comme aux parties un outil procédural adapté au traitement du contentieux proprement sériel, comme le contentieux fiscal, qui pose actuellement à la justice administrative des difficultés spécifiques. Elle pourrait, si la nouvelle procédure se substituait effectivement à ses contentieux sériels, être de nature à conduire à une diminution significative de la charge de travail pesant, en particulier sur les agents de greffe.

Le Gouvernement n'ayant pas encore pris position sur cette question, aucun texte n'a été déposé en ce sens.

4. Une voie qui n'est sans doute plus exploitable : l'extension des cas de recours au juge unique

En principe le juge administratif statue en formation collégiale, après présentation des conclusions du rapporteur public.

Toutefois, certains contentieux présentent des caractéristiques qui ont conduit à apporter, pour leur traitement, une exception à ce principe et à prévoir qu'ils soient examinés par un juge unique. Ce transfert de contentieux à un juge unique a constitué un des éléments importants pour permettre aux juridictions de faire face à l'inflation du contentieux.

Cette solution pose aujourd'hui une question : est-il encore possible d'augmenter le nombre des contentieux jugés par un juge unique sans porter une atteinte préjudiciable aux droits des justiciables concernés ?

• Les contentieux jugés par un juge unique

Les affaires jugées par un juge unique devant les tribunaux administratifs relèvent de quatre catégories.

La première concerne les affaires instruites et jugées selon la procédure de droit commun, la seule dérogation apportée tenant à la composition de la formation de jugement.

Ces affaires sont, en principe, jugées par un magistrat statuant seul, après une audience publique au cours de laquelle un rapporteur public prononce ses conclusions. La liste en est fixée par l'article R. 222-13 du code de justice administrative (CJA). Elle recouvre dix rubriques, portant sur des contentieux spécifiques, comme ceux du permis de conduire ou de la situation individuelle d'un fonctionnaire.

Les litiges soumis à juge unique en vertu de l'article R. 222-13 du CJA

1° Les litiges relatifs aux déclarations préalables prévues par l'article L. 421-4 du code de l'urbanisme ;

2° Les litiges relatifs à la situation individuelle des fonctionnaires ou agents de l'État et des autres personnes ou collectivités publiques, ainsi que des agents ou employés de la Banque de France, à l'exception de ceux concernant l'entrée au service, la discipline et la sortie du service ;

3° Les litiges en matière de pensions, d'aide personnalisée au logement, de communication de documents administratifs, de service national ;

4° Les litiges relatifs à la redevance audiovisuelle ;

5° Les recours relatifs aux taxes syndicales et aux impôts locaux autres que la taxe professionnelle ;

6° La mise en oeuvre de la responsabilité de l'État pour refus opposé à une demande de concours de la force publique pour exécuter une décision de justice ;

7° Les actions indemnitaires, lorsque le montant des indemnités demandées est inférieur au montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ;

8° Les requêtes contestant les décisions prises en matière fiscale sur des demandes de remise gracieuse ;

9° Les litiges relatifs aux bâtiments menaçant ruine ;

10° Les litiges relatifs au permis de conduire.

On peut également ajouter à cette liste le contentieux des contraventions de grande en voirie qui, en vertu de l'article L. 774-1 du CJA, relève également de la compétence d'un juge statuant seul, après conclusion d'un rapporteur public.

Le second type d'affaires traitées par un juge unique recouvre celles instruites et jugées selon une procédure dérogatoire du droit commun, essentiellement en raison de l'urgence qui s'attache à leur traitement. Elles sont, en principe, jugées par un juge statuant seul, après une audience publique, sans intervention d'un rapporteur public. Il s'agit, pour l'essentiel :

- du contentieux des obligations à quitter le territoire français et des reconduites à la frontière lorsque l'étranger est placé en rétention ou assigné à résidence (art. R. 776-15 et s. du CJA) ;

- du contentieux du refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile (art. L. 777-1 du CJA) ;

- du contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage (art. R. 779-1 et s. du même code) ;

- depuis le 1 er décembre 2008, du contentieux du droit au logement opposable (art. R. 778-1 et s. du même code).

Les deux dernières catégories d'affaires traitées par un juge unique sont les procédures de référé (art. L. 511-1 et s. du CJA) et les ordonnances réservées aux présidents de chambre ou de juridiction (art. R. 222-1 du même code), leur permettant de régler, sans instruction contradictoire et sans audience, des affaires appelant une solution évidente et simple.

Initialement la possibilité de régler une affaire par ordonnance 12 ( * ) avait été cantonnée aux hypothèses de désistement, de non-lieu et d'irrecevabilité manifeste.

Ultérieurement, cette faculté a été élargie 13 ( * ) , aux hypothèses d'incompétence de la juridiction administrative et d'affaires relevant d'une série, c'est-à-dire d'affaires qui présentent à juger, en droit comme en fait, des questions déjà tranchées.

Ces dispositions sont aujourd'hui respectivement codifiées aux articles R. 122-12 et R. 222-1 du code de justice administrative.

Par la suite, ces dispositions ont été, à plusieurs reprises, amendées et, en dernier lieu, elles ont été élargies, par les articles 6 et 7 du décret n° 2006-1708 du décret 23 décembre 2006, aux hypothèses des requêtes qui ne comportent « que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens irrecevables, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé ».

L'objectif était ainsi de permettre le rejet par ordonnance de requêtes manifestement infondées afin de soulager les formations collégiales et les commissaires du gouvernement (devenus rapporteurs publics) de l'examen de requêtes qui étaient insusceptibles de prospérer utilement, tout en encadrant rigoureusement cette faculté par une définition très précise de ses conditions d'application.

Enfin, les présidents de cour se sont vus doter de la possibilité de rejeter par ordonnance les « requêtes qui ne sont manifestement pas susceptibles d'entraîner l'infirmation de la décision attaquée » en matière d'obligation de quitter le territoire et de reconduite à la frontière 14 ( * ) .

• Une technique procédurale qui a permis aux juridictions de faire face à l'inflation du contentieux

Deux tiers des affaires jugées devant les tribunaux administratifs l'ont été par un juge unique ou par ordonnance. Ces procédures se signalant par leur plus grande célérité, elles ont largement contribué aux succès enregistrés par la juridiction administrative dans la maîtrise de ses délais de traitement des litiges portés devant elle.

L'écart de plus d'un an que l'on constate entre le délai moyen de jugement constaté toutes affaires confondues et celui observé pour les seules affaires ordinaires trouve ici son explication 15 ( * ) .

Évolution de la part des affaires traitées par juge unique
ou formation collégiale dans les tribunaux administratives

TA (données brutes)

2005

2006

2007

2008

2009

2010

Affaires jugées en formation collégiale

56 519

62 923

70 901

70 867

68 152

70 045

34,00%

36,20%

38,80%

36,90%

34,80%

36,10%

Affaires jugées par un juge unique

55 833

52 040

52 893

55 498

61 671

62 933

33,50%

29,90%

29,00%

28,90%

31,50%

32,44%

Ordonnances

54 100

58 930

58 753

65 667

66 028

61 029

32,50%

33,90%

32,20%

34,20%

33,70%

31,46%

L'année 2007, est, de ce point de vue, pour les tribunaux administratifs, une année charnière : elle manifeste l'extension du champ d'application des ordonnances de rejet opérée par le décret du 23 décembre 2006 précité et amorce la baisse progressive de la part des affaires jugées en formation collégiale de 39 % du nombre total d'affaires examinées par les tribunaux administratif à 34,80 % en 2009.

Part respective des affaires jugées par ordonnances, à juge unique
ou en formation collégiale de 2005 à 2010 dans les tribunaux administratifs

Source : commission des lois à partir des données fournies par le secrétariat général du Conseil d'État

Devant les cours administratives d'appel, le rapport est exactement inverse de celui des tribunaux administratifs : les deux tiers des affaires ont été jugées en formation collégiale et seulement un tiers a été jugé, pour moitié respectivement par juge unique et par ordonnances.

Évolution de la part des affaires traitées par juge unique ou formation collégiale
dans les et les cours administratives d'appel

CAA (données brutes)

2 005

2 006

2 007

2 008

2009

2010

Affaires jugées en formation collégiale

16131

16492

15628

17921

19 372

19 637

66,20%

62,40%

59,00%

65,20%

66,10%

68,22%

Affaires jugées par un juge unique

2 403

4 131

3 492

2 923

3 174

3 478

9,90%

15,60%

13,20%

10,60%

10,80%

12,08%

Ordonnances

5 851

5 791

7 353

6 641

6 761

5 668

24,00%

21,90%

27,80%

24,20%

23,10%

19,70%

Source : secrétariat général du Conseil d'État.

• Une perspective d'extension qui pose question

Le cas du référé mis à part, toute extension du champ des matières relevant d'un juge unique ou du président de la juridiction statuant par ordonnance est susceptible de préjudicier aux droits du justiciable, puisqu'elle le prive des garanties d'instruction et de délibéré de la formation collégiale.

M. Gil Cornevaux, représentant du syndicat de la juridiction administrative a déploré à cet égard que les contentieux « sociaux », comme ceux des étrangers, du droit au logement ou des résidences mobiles des gens du voyage relèvent plutôt du juge unique.

Selon les indications fournies par les services du Conseil d'État à votre rapporteur, aucune nouvelle évolution des articles régissant les ordonnances de rejet n'est prévue, à ce jour.

Il semble qu'en la matière, un palier ait été atteint avec la modification intervenue à la fin de l'année 2006 autorisant le rejet des requêtes ne présentant que des moyens de légalité externe manifestement infondés, des moyens inopérants ou des moyens qui ne sont assortis que de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou ne sont manifestement pas assortis des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

En revanche, s'agissant des matières relevant de la compétence du juge statuant seul, une évolution serait envisagée dans le cadre de l'application de la réforme ouvrant la possibilité de dispense de conclusions du rapporteur public.

Il pourrait être tiré parti de cette réforme pour revisiter les matières relevant de la compétence d'un juge statuant seul après conclusion du rapporteur public, en application de l'article R. 222-13 du code de justice administrative, afin d'ajuster au mieux la liste des matières devant relever de la compétence d'une formation collégiale pouvant être dispensées de conclusions d'un rapporteur public et la liste des matières devant relever de la compétence d'un juge statuant seul pouvant ou non être dispensées de conclusions d'un rapporteur public.

L'objectif serait notamment de découpler la liste des litiges justifiant le recours au juge statuant seul en première instance de celle des litiges ne pouvant faire l'objet d'un appel, en vertu de l'article R. 811-1 du code de justice administrative 16 ( * ) .

Les propositions qui seront faites dans ce cadre auront-elles pour objet de restreindre la liste des contentieux soumis à juge unique et dispensés de conclusions du rapporteur public ou bien au contraire de l'étendre ? Préserveront-elles les droits des justiciables ou bien priveront-elles certains de la garantie supplémentaire que constitue le rapporteur public ?

Votre rapporteur considère que les modifications envisagées devront faire l'objet d'un examen vigilant.

*

* *

Au bénéfice de l'ensemble de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés à la justice administrative.


* 11 Un groupe de travail a été constitué qui a remis ses conclusions au vice-président du Conseil d'État le 5 mai 2009.

* 12 Qui résultait, pour le Conseil d'État du décret n° 84-819 du 29 août 1984 et pour les tribunaux et les cours, par l'article 3 de la loi n° 90-511 du 25 juin 1990.

* 13 Par l'article 64 de la loi n°  95-125 du 8 février 1995.

* 14 Décrets n° 2004-789 du 29 juillet 2004 et n° 2010-164 du 22 février 2010.

* 15 Cf. supra , II, A, 1).

* 16 Un effet, l'article R. 811-1 du CJA prévoit que les litiges énumérés aux 1° et 4°à 9° de l'article R. 222-13 du même code sont insusceptibles d'appel.

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