B. UNE MISE EN oeUVRE TROP LENTE DES DISPOSITIFS DE PROTECTION DE LA VICTIME

La loi du 9 juillet 2010 a instauré deux mécanismes novateurs de protection de la victime : un nouvel outil juridique - l'ordonnance de protection -, et un instrument technique - l'expérimentation d'un dispositif électronique « anti-rapprochement ». Or le constat établi par votre rapporteur pour avis au terme des auditions est celui d'une mise en oeuvre beaucoup trop parcellaire et beaucoup trop lente de ces dispositifs.

1. Une application de l'ordonnance de protection très inégale sur le territoire

Rendue par le juge aux affaires familiales (JAF), l'ordonnance de protection permet de prendre en urgence, pour une durée de quatre mois au plus, l'ensemble des mesures civiles et pénales propres à stabiliser la situation juridique et matérielle de la victime en garantissant sa protection et en organisant provisoirement sa séparation avec l'auteur des violences. Le décret n° 2010-1134 du 29 septembre 2010 relatif à la procédure civile de protection des victimes de violences au sein des couples a précisé les modalités de son application. Les dispositions relatives à l'ordonnance de protection sont entrées en vigueur le 1 er octobre 2010.

Les informations communiquées par le ministère de la Justice, à partir des réponses à un questionnaire renseigné par 122 tribunaux de grande instance (sur 165 interrogés) et portant sur la période du 1 er octobre 2010 au 31 mai 2011, mettent en évidence une application extrêmement hétérogène sur l'ensemble du territoire national des dispositions relatives à l'ordonnance de protection , qui ne peuvent s'expliquer uniquement par des différences objectives d' « exposition » des territoires aux violences conjugales.

Ainsi, entre le 1 er octobre 2010 et le 31 mai 2011, les TGI ont été saisis de 854 demandes qui ont abouti au prononcé de 584 ordonnances de protection (ce qui correspond à un taux d'accord de 68,38 %).

90 de ces 122 TGI ont rendu moins de cinq ordonnances de protection. A l'inverse, 16 en ont rendu 10 ou plus.

De fortes disparités peuvent être constatées au sein de territoires présentant pourtant des caractéristiques économiques et sociales comparables. Ainsi, au sein du ressort de la cour d'appel de Paris, le TGI de Bobigny a rendu 112 ordonnances de protection, celui d'Evry 48 et celui de Paris 36, tandis que celui de Meaux n'en a rendu que 11, celui de Melun 3, celui de Créteil 2 et ceux de Fontainebleau et Sens aucune. Dans le ressort de la cour d'appel de Metz, le TGI de Thionville a rendu 12 ordonnances de protection tandis que celui de Metz n'en a rendu aucune.

Dans 82 % des cas, l'ordonnance de protection a été requise par un avocat ; dans 17 % des cas, elle l'a été par la victime et dans 1 % des cas, elle l'a été par le ministère public.

Le délai moyen écoulé entre la saisine du JAF et le délibéré est de 26 jours , ce qui paraît excessivement long au regard de la situation de danger dans laquelle peut se trouver la victime.

L'analyse des ordonnances rendues montre que :

- 339 ordonnances ont attribué le domicile conjugal à la victime (58 %) ;

- 395 ordonnances ont statué sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale (68 %), dont 28 % prévoient un recours à un espace de rencontre médiatisé, 12 % à l'assistance d'un tiers de confiance et 1 % à l'assistance d'une personne morale qualifiée ;

- 64 ordonnances (11 %) ont prononcé une interdiction de sortie du territoire national pour l'enfant du couple ;

- aucune ordonnance de protection n'a été prononcée dans le cadre d'une menace de mariage forcé.

2 % des ordonnances de protection ont donné lieu à une procédure pénale pour non-respect des dispositions de celles-ci (soit 12 procédures engagées).

Au vu des réponses fournies par le ministère de la Justice, les premiers enseignements suivants paraissent pouvoir être tirés de la pratique des JAF en la matière :

- l'ordonnance de protection apparaît comme un outil complémentaire, voire subsidiaire , aux procédures de droit commun déjà existantes, que ce soit en matière civile ou pénale. Dans certaines juridictions, les faibles délais d'audiencement devant le JAF et/ou le tribunal correctionnel incitent souvent les parties à privilégier les procédures au fond qui permettent d'obtenir rapidement une décision pérenne ;

- par son caractère récent et novateur, l'ordonnance de protection suscite chez les magistrats un certain nombre d'interrogations, tant sur la procédure applicable que sur le fond. Sur le plan procédural, tout d'abord, la convocation à l'audience de la partie défenderesse (l'auteur présumé) soulève des difficultés dans la mesure où il convient de s'assurer que celle-ci a effectivement été touchée dans le plus bref délai possible. Or la lettre recommandée avec accusé de réception, visée comme mode principal de convocation, ne répond qu'imparfaitement à l'exigence d'urgence. La convocation par la voie administrative paraît quant à elle peu utilisée, peut-être en raison des conditions restrictives auxquelles elle est soumise 11 ( * ) . Sur le fond, est régulièrement évoquée la difficulté que peut rencontrer un juge civil pour apprécier le caractère de « vraisemblance des faits de violence allégués et le danger auquel la victime est exposée » (article 515-10 du code civil), tant ces notions sont propres au droit pénal ;

- plusieurs magistrats relèvent par ailleurs que l'efficacité du dispositif repose, au moins en partie, sur l'existence d'un partenariat actif entre les associations d'aide aux victimes, le barreau local et l'ensemble des auxiliaires de justice . A cet égard, plusieurs TGI ont mis en place des dispositifs innovants. Par exemple, certains greffes mettent en contact la victime avec l'association locale pour que cette dernière l'aide à réaliser ses démarches dans les délais les plus brefs. Lors de son audition par votre rapporteur pour avis, Mme Ernestine Ronai, chargée de mission à l'Observatoire départemental des violences envers les femmes du conseil général de Seine Saint-Denis, a mentionné la mise en place dans ce département d'un « circuit » permettant d'accompagner la victime, avec l'aide d'avocats et d'associations, tout au long de ses démarches devant la Justice ;

- il apparaît enfin que l'ensemble des acteurs (avocats, personnels judiciaires, huissiers, etc.) connaît insuffisamment cette nouvelle procédure : seules 27 % des juridictions (soit 33 TGI) ont eu connaissance d'actions de formation ou de sensibilisation sur l'ordonnance de protection. Ce constat d'une grande méconnaissance de ce nouvel instrument juridique a été partagé par l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur pour avis et constitue un obstacle majeur à sa mise en oeuvre .


* 11 L'article 1136-3 du code de procédure civile, dans sa rédaction issue du décret n° 2010-1134 du 29 septembre 2010 exige un « danger grave et imminent pour la sécurité d'une personne concernée par une ordonnance de protection ou lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen de notification ».

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