D. L'HÉBERGEMENT DE LA VICTIME, COROLLAIRE DE SA PROTECTION

La perspective de ne pas disposer d'un logement sûr pour elle et ses enfants constitue très souvent un frein dissuadant la victime de solliciter la protection de la Justice.

Pour cette raison, notre droit permet d'évincer le conjoint violent du domicile conjugal. La loi du 26 mai 2004 relative au divorce a permis au JAF, lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint, un ou plusieurs enfants, de statuer, en amont de la procédure de divorce, sur la résidence séparée des époux. Une telle mesure d'éviction peut également être prononcée dans un cadre pénal, soit au stade de l'enquête préliminaire (le procureur de la République peut, préalablement à sa décision sur l'action publique, demander à l'auteur des faits de résider hors du domicile du couple 14 ( * ) ), soit dans le cadre d'un contrôle judiciaire décidé par le juge d'instruction ou par le juge des libertés et de la détention 15 ( * ) . L'éviction peut désormais être également ordonnée dans le cadre d'une ordonnance de protection.

Depuis une circulaire du 19 avril 2006, les procureurs de la République sont invités à requérir l'éviction de l'auteur des violences du domicile ou de la résidence du couple, quel que soit le stade de la procédure. Cette instruction a été renouvelée dans la circulaire générale de politique pénale du 1 er novembre 2009.

D'après les informations communiquées par le ministère de la justice, entre le deuxième trimestre 2006 et le troisième trimestre 2011, sur les 149 700 affaires pour lesquelles une mesure d'interdiction du domicile du conjoint violent pouvait être prononcée, 23 141 mesures d'éviction ont été ordonnées. On note une réelle progression dans l'utilisation de cette possibilité, puisqu'en 2006, la mesure n'était prononcée que dans 10 % des cas alors qu'en 2010, elle l'a été dans près de 20 % des cas.

Ce dispositif ne peut toutefois pas faire l'économie de la mise en place d'un dispositif d'hébergement d'urgence à destination des victimes.

A ce sujet, le document de politique transversale (DTP) consacré à la politique de l'égalité entre les femmes et les hommes s'avère singulièrement laconique . Il indique en effet que le montant des crédits mobilisés en faveur de l'hébergement des femmes victimes de violence n'est pas connu de manière précise. En 2005, une centaine de structures spécialisées ont été dénombrées et une enquête de juin 2008 a montré que près de 3 000 places spécialisées accueillaient des femmes victimes de violences dans ces structures. Le DTP souligne toutefois que ces chiffres ne sont que partiels puisque de nombreuses femmes victimes de violences ne sont pas hébergées dans des structures spécialisées mais généralistes : leur dénombrement est de ce fait très lacunaire. Une enquête menée par la Drees en 2009 sur l'hébergement et le logement temporaire montre que 8 % (quasi-exclusivement des femmes) des personnes hébergées le sont pour des violences ou ruptures conjugales.

Ces informations appellent plusieurs remarques.

Tout d'abord, il est particulièrement regrettable que le Gouvernement ne dispose pas à l'heure actuelle d'informations plus étayées et plus récentes sur la question de l'hébergement et du relogement des victimes de violences conjugales.

D'autre part, lors de leur audition par votre rapporteur pour avis, les représentantes d'associations rencontrées ont unanimement dénoncé le manque de places d'hébergement dans des structures d'hébergement spécialisé - l'hébergement généraliste ne permettant pas d'offrir à la victime un accompagnement social, administratif et juridique adapté. Les représentantes de la Fédération nationale solidarités femmes ont notamment estimé à 6 000 (soit une pour 10 000 habitants environ) - contre 3 000 à l'heure actuelle - le nombre de places d'hébergement spécialisé nécessaire.

Votre commission des lois estime qu'un effort très sensible devrait être porté sur cette question, les dispositions relatives à l'éviction du domicile du conjoint violent ne permettant pas à elles seules de garantir en toutes circonstances la sécurité de la victime.

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En conclusion, sans nier la réalité d'un certain nombre de progrès accomplis au cours des années récentes pour promouvoir des dispositifs permettant de résorber les inégalités hommes - femmes et mieux prendre en compte les violences subies par les femmes, votre commission des lois observe que les moyens budgétaires mobilisés sont nettement insuffisants au regard des besoins constatés. En outre, les diminutions de crédits prévues par le présent projet de loi de finances risquent de déstabiliser des associations menant pourtant sur le terrain des actions essentielles en ces matières. Enfin, certains ministères tardent à s'impliquer dans la mise en oeuvre de la loi du 9 juillet 2010.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission des lois a donné un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme n °137 : « égalité entre les hommes et les femmes » au sein de la mission « solidarité, insertion et égalité des chances » du projet de loi de finances pour 2012.


* 14 Article 41-1 du code de procédure pénale.

* 15 Article 138 du code de procédure pénale.

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