C. UN FAIBLE NOMBRE DE CONDAMNATIONS AU REGARD DE L'AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE

En dépit de cet arsenal législatif très complet, les condamnations demeurent peu fréquentes.

1. De rares condamnations

La crainte, qui s'était exprimée en 2002, que la création du délit de harcèlement sexuel ne conduise à une excessive « judiciarisation » des rapports sociaux dans l'entreprise, où des jeux de séduction peuvent exister, ne s'est pas révélée fondée. La chambre criminelle de la Cour de cassation a eu l'occasion de rappeler qu' « une attitude de séduction même dénuée de tact ou de délicatesse ne saurait constituer le délit de harcèlement, pas davantage que de simples signaux conventionnels lancés de façon à exprimer la manifestation d'une inclination » 7 ( * ) .

Les chiffres fournis par le ministère de la justice montrent que, entre 1994 et 2003, le nombre d'infractions de harcèlement sexuel ayant donné lieu à condamnation pénale s'est établi entre trente et quarante par an. Ce chiffre a augmenté à partir de 2004, pour s'établir entre soixante-dix et quatre-vingt-cinq condamnations par an entre 2005 et 2010. Ce doublement peut être analysé comme une conséquence de la réforme intervenue en 2002 concernant la définition du harcèlement sexuel.

Il n'en reste pas moins que ce chiffre représente seulement, comme l'a rappelé Marylin Baldeck, déléguée générale de l'association européenne contre les violences faites aux femmes au travail (AVFT), « une demi-condamnation par an et par tribunal » 8 ( * ) . Il est à rapprocher du nombre de procédures nouvelles engagées chaque année pour faits de harcèlement sexuel, évalué autour d'un millier ; de nombreuses affaire sont classées sans suite, donnent lieu à un simple rappel à la loi ou aboutissent à une relaxe.

Beaucoup de victimes peinent en effet à apporter la preuve des faits qu'elles ont subis. Sabine Salmon, présidente de « Femmes solidaires », a apporté un témoignage qui s'appuie sur l'expérience des femmes suivies par son association : « en 2010-2011, sur cinquante-deux procédures pour harcèlement sexuel dans toute la France, vingt femmes ont déposé une plainte qui n'a pas prospéré par manque de preuves ; vingt-trois ont renoncé à déposer plainte et ont préféré, lorsqu'il s'agissait de harcèlement sexuel dans le cadre professionnel, démissionner, demander leur mutation ou prendre une retraite anticipée » 9 ( * ) .

Les peines prononcées en cas de harcèlement sont généralement bien inférieures aux peines maximales prévues par la loi (un an de prison et 15 000 euros d'amende). Les peines de prison prononcées sont presque toujours assorties de sursis et les amendes atteignent rarement un millier d'euros.

Les peines prononcées depuis 2007

Année

Infractions ayant donné lieu à condamna-
tion

Emprison-nement

Dont ferme (tout ou partie)

Dont emprison-nement sursis total

Quantum emprison-nement ferme (mois)

Amendes

Dont amende ferme

Dont amende sursis total

Montant moyen amende ferme

Mesures de substitution

Dispense de peine

Mesures et sanctions éducatives

2007

72

37

3

34

2,7

5

3

2

967 €

0

2

0

2008

80

34

4

30

3,8

7

6

1

950 €

1

0

0

2009

78

36

4

32

3,8

7

6

1

1567 €

3

0

1

2010

70

28

0

28

6

6

0

850 €

1

0

0

Source : étude d'impact annexée au projet de loi

2. Le harcèlement, une réalité sociale mal connue

Il est difficile de connaître avec précision le nombre de victimes de harcèlement sexuel. Il est vraisemblable, cependant, que ces agissements n'ont rien d'exceptionnel.

Ernestine Ronai, responsable de l'Observatoire des violences envers les femmes de Seine-Saint-Denis, a cité une étude réalisée en 2007, dans ce département, à l'initiative de la délégation départementale aux droits des femmes et de la médecine du travail : sur un total de 1 545 femmes salariées interrogées, 14 % déclarent avoir subi, dans les douze derniers mois, des avances sexuelles verbales, 6 % à plusieurs reprises ; 13 % déclarent avoir subi des attitudes insistantes ou gênantes, des gestes non désirés, comme toucher les cheveux ou la nuque par exemple, 5 % à plusieurs reprises ; 8 % déclarent avoir subi des avances sexuelles non désirées sur les douze derniers mois, 46 % au cours de l'ensemble de leur carrière 10 ( * ) .

Certes, tous les faits rapportés par les femmes interrogées pour cette enquête ne sont pas constitutifs du délit de harcèlement sexuel. Néanmoins, ces chiffres laissent penser que le harcèlement sexuel est certainement plus répandu que ce que le faible nombre de condamnations prononcées pourrait laisser croire.

Pour permettre une meilleure connaissance du phénomène du harcèlement, la création d'un Observatoire nationale des violences envers les femmes serait opportune 11 ( * ) . Lors de son audition, la ministre aux droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem, s'est déclarée ouverte à la création d'une telle structure, qui permettrait de remédier au manque d'informations fiables et complètes constaté aujourd'hui. Il est nécessaire de mieux connaître la réalité du harcèlement pour la combattre plus efficacement. La ministre a également annoncé son intention de lancer une campagne de sensibilisation à l'automne, ce qui devrait contribuer à libérer la parole des victimes.


* 7 Cass. Crim., 19 janvier 2005.

* 8 Audition par le groupe de travail le 29 mai 2012.

* 9 Audition par le groupe de travail le 13 mai 2012.

* 10 Audition par le groupe de travail le 31 mai 2012.

* 11 La délégation aux droits des femmes soutient la création de cet Observatoire. Cf. le rapport d'information Sénat n° 610 (2010-2011), fait par Brigitte Gonthier-Maurin au nom de la délégation.

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