II. UN PROJET DE LOI PROTECTEUR DES VICTIMES ET CONFORME AUX EXIGENCES CONSTITUTIONNELLES

La nécessité de rétablir, au plus vite, le délit de harcèlement sexuel, ne fait guère de doute. Toutes les affaires ne peuvent être requalifiées et il n'est pas acceptable de laisser sans protection les nouvelles victimes de harcèlement sexuel. Le projet de loi du Gouvernement, qui fait suite au dépôt de sept propositions de loi d'origine sénatoriale portant le même objet, permet à la fois de couvrir l'ensemble des formes que peut prendre le harcèlement sexuel tout en étant suffisamment précis pour répondre aux exigences posées par le Conseil constitutionnel.

A. LES PRINCIPALES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI

1. Une nouvelle définition du harcèlement sexuel

L'infraction pourrait être établie sans qu'il soit besoin de démontrer que l'auteur des faits cherchait à obtenir des « faveurs sexuelles ». Le projet de loi permettrait également de sanctionner le harcèlement constitué d'un acte unique.

a) Le harcèlement constitué de faits répétés

L'élément matériel de l'infraction serait ici constitué de « gestes, propos ou tous autres actes à connotation sexuelle » imposés à la victime. L'emploi du verbe « imposer » indique sans ambiguïté qu'il s'agit bien d'agissements non consentis par la personne qui fait l'objet du harcèlement.

Le but de l'infraction serait soit de porter atteinte à la dignité de la victime, du fait du caractère dégradant et humiliant de ces gestes, propos et actes à connotation sexuelle, soit de créer pour elle un environnement intimidant, hostile ou offensant.

La peine prévue est d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende.

Il ne serait plus nécessaire de prouver que l'auteur des faits avait l'intention d'obtenir des « faveurs sexuelles », ce qui, selon les témoignages recueillis par le groupe de travail sénatorial, était souvent difficile à établir. Pour Marylin Baldeck, déléguée générale de l'AVFT, « maintenir l'intention d'obtenir un acte sexuel, ce serait empêcher la preuve du délit. Je m'explique : les éléments intentionnels prouvant le harcèlement existent, ils fourmillent même, grâce à l'internet, aux SMS, aux enregistrements, qui sont recevables en justice. Il est bien plus difficile d'administrer la preuve de l'intention car aucun harceleur ne dit : « je te harcèle parce que je veux coucher avec toi ! » 12 ( * ) .

La définition du harcèlement s'inspire de celle retenue par le droit communautaire. En droit européen, constitue un harcèlement sexuel « la situation dans laquelle un comportement non désiré à connotation sexuelle, s'exprimant physiquement, verbalement ou non verbalement, survient avec pour objet ou pour effet de porter atteinte à la dignité d'une personne et, en particulier, de créer, un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » . Elle s'en distingue cependant sur certains points : l'emploi du terme « imposer » a été préféré à celui de « non désiré » qui présentait un caractère trop subjectif, et les mots « pour effet » n'ont pas été retenus car l'existence d'un délit pénal suppose un élément intentionnel.

b) Le harcèlement constitué de faits répétés ou d'un fait unique

L'emploi du mot « harcèlement » semble impliquer nécessairement une répétition d'actes. Pourtant, il existe des situations où le harcèlement peut être constitué d'un acte unique : un candidat au recrutement peut par exemple être victime d'un véritable « chantage sexuel » où l'embauche est conditionnée à l'accomplissement d'actes sexuels.

Le projet de loi permet désormais de réprimer ce type de comportement : serait en effet assimilé à du harcèlement sexuel le fait d'imposer des gestes, propos ou autres actes à connotation sexuelle, même sans répétition, s'ils s'accompagnent d'ordres, de menaces, de contraintes ou de toute autre forme de pression grave accomplis dans le but, réel ou apparent, d'obtenir une relation de nature sexuelle.

Le but de l'infraction serait bien ici d'obtenir une relation de nature sexuelle. Mais la référence au « but réel ou apparent » devrait faciliter l'établissement de la preuve par la victime : même si le harceleur conteste avoir eu l'intention d'obtenir des actes de nature sexuelle, le juge pourra le condamner si son comportement extérieur attestait du contraire.

Ce deuxième type de harcèlement serait puni plus sévèrement que le premier : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende.

c) Les circonstances aggravantes

Le projet de loi retient quatre circonstances aggravantes :

- l'abus d'autorité : à l'origine, le harcèlement sexuel n'était constitué que s'il émanait de quelqu'un se trouvant dans une position d'autorité par rapport à la victime ; cette condition a disparu et il n'est pas envisagé de la rétablir ; l'abus d'autorité serait néanmoins une circonstance aggravante ;

- le fait de harceler un mineur de moins de quinze ans ;

- le fait de harceler une personne dont la particulière vulnérabilité est apparente ou connue de l'auteur ;

- le fait que le harcèlement soit commis par plusieurs personnes.

En présence de l'une de ces circonstances aggravantes, les peines encourues seraient alourdies : deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour le premier type de harcèlement ; trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende pour le harcèlement pouvant être constitué d'un fait unique.

2. Un nouveau motif de discrimination

Le projet de loi propose également d'inscrire dans le code pénal un nouveau motif de discrimination.

Constituerait une discrimination toute distinction opérée entre les personnes au motif qu'elles ont subi ou refusé de subir des agissements de harcèlement sexuel.

Cette disposition permettrait par exemple de sanctionner l'employeur qui licencie une salariée qui a refusé ses avances. Comme pour les autres cas de discrimination prévus par le code pénal, la peine encourue serait de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

3. Les mesures de coordination en droit du travail

Le code du travail, ainsi que le code du travail applicable sur l'île de Mayotte, seraient modifiés pour tenir compte de la nouvelle définition du harcèlement sexuel.

Le projet de loi propose également de réparer une malfaçon intervenue lors de la recodification en 2008. On l'a vu, le code du travail interdit toutes les mesures discriminatoires dont pourrait faire l'objet un salarié, ou un candidat à un recrutement, qui aurait subi ou refusé de subir des faits de harcèlement sexuel, ainsi que les mesures discriminatoires qui pourraient être prises à l'encontre d'un salarié ayant témoigné d'agissements de harcèlement sexuel. Au cours de la recodification, il se trouve que la sanction prévue pour réprimer ces mesures discriminatoires a disparu : il est donc proposé de la rétablir.

Les statistiques du ministère de la justice montrent que, de 1994 à 2008, les condamnations prononcées sur la base de ces infractions ont été très rares. On relève une condamnation pour discrimination à l'encontre d'une victime de harcèlement sexuel en 1996, une autre en 1997, une dernière en 2007, et on compte quatre condamnations pour discrimination liée à un refus de céder à un harcèlement sexuel, intervenues en 1994, 1996, 1997 et 2006. Le rétablissement de la sanction est néanmoins justifié en raison de son effet dissuasif.

Enfin, le projet de loi envisage de compléter la liste des infractions pouvant être constatées par l'inspecteur du travail pour y intégrer le harcèlement sexuel ou moral. L'inspecteur du travail dispose de pouvoirs étendus pour enquêter dans l'entreprise (il peut pénétrer dans les locaux, entendre des salariés, se faire communiquer registres et documents...), ce qui peut contribuer à la manifestation de la vérité. Il constate les infractions en établissant un procès-verbal, transmis au procureur de la République, qui peut ensuite décider d'engager des poursuites.


Les propositions de loi sénatoriales

Sans attendre le projet de loi, sept propositions de loi visant à rétablir le délit de harcèlement sexuel ont été déposées au Sénat. Ces différents textes, qui émanent de presque tous les groupes politiques, ont alimenté la réflexion du Gouvernement, ainsi que celle du groupe de travail sénatorial, et ont manifesté la volonté du législateur que le vide juridique créé par la décision du Conseil constitutionnel soit rapidement comblé.

La proposition de loi n° 536, déposée par Philippe Kaltenbach (Soc. - Hauts-de-Seine), définit le harcèlement sexuel en des termes voisins de ceux retenus par le droit européen et retient plusieurs circonstances aggravantes, dont le fait de harceler sous la menace d'une arme ou d'un animal ; cette circonstance aggravante n'a pas été retenue par le projet de loi au motif que ce type d'agissement relève plus de l'agression sexuelle que du harcèlement.

La proposition de loi n° 539 de Roland Courteau (Soc. - Aude) propose une définition du harcèlement sexuel inspirée de celle qui existait avant 2002 ; le but de l'infraction serait l'obtention de faveurs de nature sexuelle ; l'abus d'autorité serait une circonstance aggravante.

La proposition de loi n° 540 d'Alain Anziani (Soc. - Gironde) indique que le harcèlement porte atteinte à la dignité d'autrui en créant un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant dans le but d'obtenir des faveurs de nature sexuelle ; elle ne définit pas précisément, en revanche, en quoi consiste le harcèlement.

La proposition de loi n° 556, déposée par Muguette Dini (UCR - Rhône) et plusieurs de ses collègues du groupe UCR, s'inspire de la définition du harcèlement existant en droit européen ; elle maintient le but d'obtenir des actes de nature sexuelle et prévoit que les agissements constituant le harcèlement doivent être répétés.

La proposition de loi n° 558, déposée par Brigitte Gonthier-Maurin (CRC - Hauts-de-Seine) et les membres du groupe CRC, s'inspire également de la définition européenne ; elle prévoit que le harcèlement peut être constitué en cas d'actes répétés ou en cas d'acte unique revêtant un caractère manifeste de gravité ; au titre des circonstances aggravantes, elle mentionne, notamment, la minorité de la victime et sa vulnérabilité économique.

La proposition de loi n° 565 déposée par Chantal Jouanno (UMP - Paris) et plusieurs de ses collègues du groupe UMP, retient aussi une définition proche du droit européen, en y ajoutant l'atteinte aux « droits » de la personne ; la vulnérabilité économique, la menace d'une arme ou d'un animal figurent parmi les circonstances aggravantes envisagées.

La proposition de loi n° 579, déposée par Esther Benbassa et ses collègues du groupe écologiste, propose de sanctionner le harcèlement constitué de faits réitérés qui portent atteinte à la dignité d'autrui ou qui créent un contexte hostile, dégradant ou humiliant, ainsi que le harcèlement constitué d'un fait unique s'il s'accompagne de contraintes ou de menaces ; de nombreuses circonstances aggravantes sont envisagées, parmi lesquelles la vulnérabilité économique mais aussi l'origine de la victime, son sexe, son apparence physique, ses moeurs, son orientation ou son identité sexuelle, son appartenance à une ethnie, une race, une nation ou une religion.


* 12 Audition par le groupe de travail le 29 mai 2012.

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