B. LE PÊCHEUR, VARIABLE D'AJUSTEMENT DES POLITIQUES PUBLIQUES ?

1. La réglementation européenne, source d'incertitudes pour les pêcheurs.
a) La réforme de la politique commune de la pêche : une cause d'inquiétude.

Lancé depuis 2009, le processus de réforme de la PCP s'est concrétisé par une série de propositions de nouveaux règlements européens, appelés à remplacer la législation existante et présentés entre juillet et décembre 2011 par la Commission européenne.

L'architecture de la nouvelle PCP repose sur des mesures fortes, qui placent l'objectif environnemental au dessus des autres avec comme principales innovations :

- la fixation des totaux admissibles de capture (TAC) par espèce et, partant, des quotas de pêche pour les États membres, à un niveau permettant d'atteindre le rendement maximum durable (RMD) pour chaque stock dès 2015 ;

- l' interdiction des rejets en mer pour l'ensemble des pêcheries au plus tard en 2016 ;

- l' instauration dans tous les États-membres de l'Union européenne d'un système de concessions de pêche transférables (CPT), applicable à tous les navires de plus de 12 mètres et à ceux, quelle que soit leur taille, équipés d'engins remorqués, permettant d'échanger librement entre pêcheurs les droits sur l'exploitation des ressources ;

- le renforcement de l'OCM des produits de la pêche et de l'aquaculture , avec un rôle accru des organisations de producteurs (OP), une amélioration de l'information des consommateurs, mais en contrepartie, une réduction des interventions publiques sur le marché, avec notamment la fin des aides au retrait ou au report ;

- l'instauration d'un nouvel instrument de soutien financier à la pêche : le FEAMP.

Plusieurs de ces propositions sont particulièrement inquiétantes et ont fait l'objet d'âpres discussions au Parlement européen et au Conseil des ministres de l'Union européenne. Lors de la réunion du Conseil spécialisé Pêche du 12 juin 2012, la France a contribué à faire évoluer l'architecture de la réforme afin de préserver un équilibre entre les objectifs environnementaux et économiques de la PCP :

- sur le rythme d'atteinte du RMD, il a été décidé de fixer l'échéance à 2020 , car l'échéance de 2015 aurait contraint à fermer des pêcheries entières, avec d'importantes conséquences économiques et sociales dans les ports concernés ;

- sur l' interdiction des rejets, difficile à mettre en oeuvre pour la pêche française qui est multi espèce, un étalement de la mesure jusqu'en 2019 a été obtenu, ainsi que la possibilité de définir un pourcentage de rejets autorisés. L'action de lutte contre les rejets devra être incluse dans les plans pluriannuels de gestion par espèce et sera en contrepartie accompagnée d'une hausse des quotas ;

- sur les concessions de pêche transférables, il a enfin été décidé de laisser à chaque État membre de l'Union la liberté de choisir son propre système de distribution des droits de pêche.

b) Au-delà de la réforme de la PCP, des pêcheurs suspendus régulièrement à des décisions européennes brutales.

Si la réforme de la PCP est une cause d'inquiétude, ce sont également les décisions brutales prises au niveau européen qui fragilisent la pêche française, en remettant en cause des choix économiques et en empêchant toute visibilité stratégique pour les pêcheurs.

La proposition européenne d'interdiction de la pêche au chalut ou à l'aide de filets maillants en eaux profondes illustre parfaitement cette difficulté. Une proposition de règlement 4 ( * ) a été faite par la Commission européenne le 19 juillet 2012 en ce sens, prévoyant que les autorisations de pêche au moyen de ces techniques expireraient dans un délai de deux ans. Or, la pêche en eau profonde concerne plus de 500 emplois en France, principalement à Lorient, Concarneau et Boulogne-sur-Mer. Les armements sont modernes et les navires performants. Une étude de l'IFREMER conteste l'analyse de la Commission européenne qui met en avant la nocivité environnementale des techniques de pêche en eau profonde qu'elle propose d'interdire. Les connaissances scientifiques sur l'état des stocks sont lacunaires et contradictoires. C'est l'ensemble d'une filière qui est donc aujourd'hui dans l'incertitude.

La grande variabilité d'une année sur l'autre des niveaux des quotas rend également peu prévisible à moyen terme l'activité des pêcheurs . Dans le cadre de l'actuelle PCP, les TAC et quotas sont en effet fixés annuellement, sur la base d'évaluations scientifiques. Cette année encore, les propositions de la Commission pour la campagne 2013, présentées en octobre 2012, conduisent à des variations importantes des possibilités de pêche. Certains quotas sont augmentés mais d'autres baissent, mettant en difficulté de nombreux pêcheurs français : - 32 % pour le merlu, - 55 % pour l'églefin en mer celtique, - 29 % pour la sole dans le Golfe de Gascogne. Pour une trentaine de stocks pour lesquels il n'existe pas de données scientifiques pertinentes, la Commission européenne propose de retenir, comme le recommande le Conseil international pour l'exploration de la mer (CIEM), une approche de précaution conduisant à baisser les TAC de 20 %. Le Comité national des pêches maritimes et élevages marins (CNPMEM) s'est élevé contre les propositions de la Commission, qui ôtent aux pêcheurs toute possibilité de dresser des perspectives et décourage leurs investissements.

La révision prochaine de la directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin » constitue enfin un autre facteur d'incertitude, qui laisse penser aux pêcheurs qu'ils sont une variable d'ajustement des politiques publiques, en se voyant imposer de nouvelles normes contraignantes.

2. Faire évoluer le cadre économique de la pêche française et européenne.
a) La dépendance au carburant est une faiblesse structurelle de la pêche.

L'activité de pêche est très dépendante des énergies fossiles. Il faut en moyenne 0,5 litres de carburant pour pêcher 1 kg de poisson.

Cette moyenne cache d'importantes disparités. Dans une note de synthèse produite en 2008, pendant la flambée des prix des carburants, l'IFREMER estimait à 49 000 litres par an la consommation annuelle des navires français. Mais alors que les navires de moins de 12 mètres pratiquant les arts dormants (casier, filet ou ligne) consomment de l'ordre de 13 000 litres de gasoil par an, la consommation peut monter à plus de 550 000 litres pour les navires de plus de 24 mètres pratiquant les arts trainants (chalutiers, dragueurs).

Avec la montée des prix du pétrole, la part du carburant dans le chiffre d'affaires n'a cessé de progresser pour atteindre presque 30 % pour certains bateaux. La flotte française est particulièrement dépendante du gazole du fait de l'importance en son sein des chalutiers, qui assurent plus de la moitié des prises en volume et plus des deux tiers en valeur de la pêche nationale. Or la traction des chaluts est particulièrement gourmande en énergie. Le rapport Guesdon de mars 2011 5 ( * ) note que les 2/3 de la consommation énergétique des navires sont liés au train de pêche.

Après la flambée des prix de carburant en 2007-2008, passés de 0,5 € le litre hors taxe à plus de 0,75 €, l'enclenchement d'un mouvement inverse a donné de l'air aux pêcheurs, en même temps que ceux-ci ont bénéficié des premières mesures du plan pour une pêche durable et responsable (PPDR) dit plan Barnier. Depuis 2010, les cours du pétrole sont repartis à la hausse, et s'établissent désormais constamment au dessus de 0,6 € le litre, seuil considéré il y a peu comme intenable.

L'année 2013 s'annonce inquiétante sur ce point, avec la perspective de hausse des prix du pétrole : lors des assises de la filière pêche et produits de la mer du 30 mai 2012, les professionnels ont souligné qu'en Bretagne, au dessus de 0,75 € le litre, l'ensemble des navires de plus de 20 mètres n'étaient plus rentables.

L'action des pouvoirs publics en faveur d'une plus grande sobriété énergétique des navires de pêche est donc urgente pour retrouver une meilleure compétitivité de la pêche française.

b) La lutte contre la concurrence déloyale et la recherche d'une harmonisation sociale par le haut.

Une autre difficulté de la pêche française vient de la concurrence déloyale exercée entre pêcheurs de l'Union européenne. Alors que la PCP harmonise les règles d'exploitation de la mer, fixe des exigences communes en matière de gestion de la ressource, elle n'impose aucune norme sociale, ouvrant la voie au dumping entre États membres de l'Union européenne.

Le rapport Guédon précité signalait ainsi que « des armements espagnols, recrutant de la main d'oeuvre étrangère, notamment des Philippins, aux conditions sociales de pays en voie de développement, obtiennent des coûts de production limités générant des distorsions de concurrence avec les armements de pêche français ». Auditionné par votre rapporteur, le Président du Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) a confirmé que le même phénomène était constaté sur des navires britanniques.

La résolution européenne sur l'avenir de la PCP précitée, adoptée au Sénat en juillet 2012, avait réclamé que la réforme de la PCP n'oublie pas le volet social, particulièrement peu développé dans les propositions de la Commission européenne.

Votre rapporteur insiste sur la nécessité d'obtenir en Europe une harmonisation sociale par le haut des conditions de travail et de protection sociale des marins-pêcheurs, qui ne saurait se limiter à l'instauration de règles minimales de sécurité.

La pêche de loisir peut aussi, ponctuellement, constituer une concurrence déloyale à la pêche professionnelle, par exemple pour le bar de ligne ou pour le thon rouge en Méditerranée, sur lequel il existe un quota de pêche non professionnelle. Lorsque cette pêche de loisir excède un certain volume et alimente un marché parallèle, notamment dans la restauration, elle peut représenter une menace économique pour la pêche professionnelle qui justifie des contrôles accrus.

Une autre concurrence déloyale provient des produits de la pêche non déclarée et non règlementée - dite pêche INN. Malgré le renforcement du système européen de contrôle 6 ( * ) , passant notamment par des certificats de capture et une liste noire des pays tiers, il existe encore des risques de contournement par des opérateurs commerciaux peu scrupuleux. Cela justifie aussi un appareil de contrôle et des sanctions exemplaires.

c) Pêche et environnement : un équilibre à trouver.

Au final, l'enjeu majeur pour la pêche maritime reste de trouver un équilibre entre sa dimension économique et les contraintes de toute nature, en premier lieu environnementales.

La volonté, concrétisée au niveau national par le Grenelle de l'environnement et au niveau européen par toute une série de réglementations, de renforcer la protection des milieux marins, ne peut pas se faire au détriment de la pêche, en particulier de la pêche artisanale.

C'est ainsi que les organisations représentant les pêcheurs comme le CNPMEM et les comités régionaux ou départementaux demandent à être associés à la gouvernance des aires marines protégées (AMP).

La France a aussi porté une demande dans le cadre de la réforme de la PCP d'effectuer systématiquement des études d'impact socio-économiques avant toute décision concernant la pêche, afin de concilier les exigences économiques et environnementales, qui aujourd'hui, semblent prédominer dans la prise de décision européenne.


* 4 Proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil établissant des conditions spécifiques pour la pêche des stocks d'eau profonde dans l'Atlantique du Nord-est, ainsi que des dispositions relatives à la pêche dans les eaux internationales de l'Atlantique du Nord-est et abrogeant le règlement (CE) n° 2347/2002.

* 5 « Vouloir une politique de la pêche pour la France », par Louis Guédon, député de la Vendée.

* 6 Règlement (CE) n° 1005/2008 du Conseil du 29 septembre 2008 établissant un système communautaire destiné à prévenir, à décourager et à éradiquer la pêche illicite non déclarée et non réglementée.

Page mise à jour le

Partager cette page