III. UN RECOURS EXCESSIF AUX PROCÉDURES PRIORITAIRES

Votre commission des lois a souhaité confier à nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa un important rapport d'information consacré aux procédures d'examen des demandes d'asile. Dans ce rapport 18 ( * ) , nos collègues formulent 21 propositions propres à renforcer la légitimité et la cohérence de ce dispositif.

Votre rapporteur souhaiterait évoquer ici succinctement une question à laquelle il attache une importance toute particulière : celle du recours croissant aux procédures prioritaires, qui conduit à priver de droits et de garanties un nombre sans cesse plus important de demandeurs d'asile.

A. DES PROCÉDURES CONTESTÉES

1. Une réduction des garanties offertes aux demandeurs d'asile

Le placement d'une demande d'asile en procédure prioritaire emporte un certain nombre de conséquences :

- en premier lieu, l'étranger se voit refuser la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour et il ne dispose que de 15 jours, voire cinq jours s'il est placé en centre de rétention administrative, pour saisir l'OFPRA de sa demande ;

- l'OFPRA est tenu de statuer sur cette dernière dans un délai de quinze jours. Ce délai est ramené à 96 heures lorsque le demandeur est placé en rétention administrative.

Ces délais constituent une contrainte indéniable pour les services de l'OFPRA, qui s'efforcent cependant d'instruire la demande dans les mêmes conditions qu'une demande normale. 83,1 % des primo-demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire (hors centres de rétention administrative) ont ainsi été convoqués à un entretien par l'Office en 2011, et environ 70 % ont effectivement été entendus. Les deux tiers des primo-demandeurs d'asile placés en centre de rétention sont également entendus par un officier de protection ;

- non admis au séjour, le demandeur d'asile placé en procédure prioritaire ne peut pas bénéficier des droits sociaux ouverts aux autres demandeurs d'asile : il n'est pas éligible à un hébergement en centre d'accueil des demandeurs d'asile (CADA), ni à la couverture maladie universelle de base (CMU) ;

- surtout, si la loi l'autorise à se maintenir provisoirement sur le territoire jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA, tel n'est pas le cas s'il formule un recours devant la CNDA contre le rejet de sa demande d'asile par l'Office : en procédure prioritaire, le recours n'ayant pas d'effet suspensif, le demandeur encourt à tout moment le risque d'être interpellé et reconduit dans son pays avant que la CNDA n'ait statué sur son recours ;

- enfin, si le Conseil d'État a jugé que les demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire devaient pouvoir accéder à l'allocation temporaire d'attente et à un hébergement d'urgence jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA (voir supra ), tel n'est pas le cas lorsque le demandeur d'asile en procédure prioritaire a saisi la CNDA d'un recours contre le rejet de sa demande par l'OFPRA.

2. Des demandes d'asile qui sont loin d'être toutes infondées

Dans leur rapport d'information précité, nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa montrent que, initialement destinée à traiter rapidement des demandes d'asile a priori peu susceptibles de prospérer, la procédure prioritaire a été, au cours des récentes années, très largement dévoyée de son objet initial et utilisée à des fins de gestion des flux migratoires et de limitation des dépenses publiques induites.

Depuis 2004, la part des demandes d'asile examinées selon la procédure prioritaire a oscillé entre 16 % et 30 % de l'ensemble des demandes.

Toutefois, alors que la procédure prioritaire a initialement été utilisée pour traiter des demandes de réexamen ainsi que des demandes formulées en rétention, les préfets y ont de plus en plus fréquemment recours pour l'examen de premières demandes d'asile : la part des premières demandes dans l'ensemble des procédures prioritaires est ainsi passée de 34 % en 2006 à 63 % en 2011.

En 2011, les procédures prioritaires ont représenté 26 % de la demande globale .

15 % des premières demandes d'asile hors rétention ont été examinées selon la procédure prioritaire.

Or, les taux d'accord de l'OFPRA et les taux d'annulation de la CNDA sont loin de confirmer le caractère a priori infondé de ces demandes.

Ainsi l'OFPRA a-t-il accordé à 8,9 % des demandeurs d'asile placés en procédure prioritaire le bénéfice du statut de réfugié ou de la protection subsidiaire . Ce taux passe même à 13,4 % si l'on retient les seules premières demandes d'asile n'ayant pas été formulées dans un centre de rétention administrative.

En ce qui concerne la CNDA, en 2011, 3 551 recours, soit 10,2 % du total, concernaient des requérants ayant fait l'objet d'un examen par l'OFPRA en procédure prioritaire.

En 2011, le taux d'annulation par la CNDA des décisions de l'OFPRA prises au terme d'un examen en procédure prioritaire s'est élevé à 14,2 %.

3. Des hypothèses de recours à la procédure prioritaire contestées

Ces taux - peu éloignés du taux global d'admission à l'OFPRA et du taux global d'annulations devant la CNDA, qui sont respectivement de l'ordre de 10 % et de 18 % - ont conduit nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa à s'interroger sur le bien-fondé des motifs justifiant un placement en procédure prioritaire.

Ceux-ci sont en théorie au nombre de trois : soit le demandeur d'asile provient d'un pays jugé « sûr » ; soit sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public ; soit, enfin, sa demande repose sur une fraude délibérée ou constitue un recours abusif aux procédures d'asile.

Dans la plupart des cas, ce sont le premier et ce dernier motifs qui sont pris en compte par les préfectures, la possibilité de placer un demandeur d'asile en procédure prioritaire pour menace grave à l'ordre public n'étant que rarement utilisée par ces dernières.

Les incertitudes entourant la notion de « pays d'origine sûrs »

L'article L. 741-4 du CESEDA définit le pays d'origine sûr comme le pays qui « veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l'état de droit, ainsi que des droits de l'homme et des libertés fondamentales ».

L'établissement de cette liste relève de la compétence du conseil d'administration de l'OFPRA.

Depuis le 30 juin 2005 - date d'adoption de la première liste de pays d'origine sûrs -, les pays que le conseil d'administration de l'OFPRA a jugés comme sûrs sont loin d'avoir tous répondu aux critères posés par la loi , ainsi que l'a jugé le Conseil d'État à plusieurs reprises (voir encadré).

La liste des pays d'origine sûrs : des allers et retours incessants
entre le conseil d'administration de l'OFPRA et le Conseil d'État

Le 30 juin 2005, le conseil d'administration de l'OFPRA a adopté une première liste de douze pays d'origine sûrs, composée du Bénin, de la Bosnie-Herzégovine, du Cap-Vert, de la Croatie, de la Géorgie, du Ghana, de l'Inde, du Mali, de l'île Maurice, de la Mongolie, du Sénégal et de l'Ukraine. Cette liste a été complétée le 16 mai 2006 par l'Albanie, la Macédoine, Madagascar, le Niger et la Tanzanie.

Dans un arrêt Association Forum Réfugiés du 13 février 2008, le Conseil d'État a annulé l'inscription de l'Albanie et du Niger en raison de l'instabilité du contexte politique et social propre à ces deux pays au moment de l'adoption de la liste.

Le 13 novembre 2009, le conseil d'administration de l'OFPRA a retiré la Géorgie et ajouté l'Arménie, la Serbie et la Turquie.

Par un arrêt Amnesty International et autres du 23 juillet 2010, le Conseil d'État a annulé l'inscription de l'Arménie, de Madagascar et de la Turquie, ainsi que du Mali en ce qui concerne les femmes (en raison de l'importance de l'excision dans ce pays).

Le 18 mars 2011, le conseil d'administration de l'OFPRA a une nouvelle fois modifié la liste des pays d'origine sûrs afin d'y ajouter l'Albanie (dont le Conseil d'État avait annulé l'inscription en février 2008) et le Kosovo . L'inscription de ces deux pays a été annulée par le Conseil d'État dans un arrêt Action syndicale libre OFPRA (ASYL) du 26 mars 2012 .

Enfin, le 6 décembre 2011, le conseil d'administration de l'OFPRA a ajouté à la liste des pays d'origine sûrs l'Arménie (dont le Conseil d'État avait annulé l'inscription en juillet 2010), le Bangladesh, la Moldavie et le Monténégro.

Le recours exercé contre l'inscription de ces nouveaux pays est toujours pendant devant le Conseil d'État.

A ce jour, la liste des pays d'origine sûrs est donc constituée de dix-huit pays : Arménie, Bangladesh, Bénin, Bosnie-Herzégovine, Cap-Vert, Croatie, Ghana, Inde, Macédoine, Mali (pour les hommes uniquement), île Maurice, Moldavie, Mongolie, Monténégro, Sénégal, Serbie, Tanzanie et Ukraine - auxquels s'ajoutent l'ensemble des États membres de l'Union européenne en application du « protocole Aznar » annexé au traité d'Amsterdam.

Dans leur rapport d'information, nos collègues Jean-Yves Leconte et Christophe-André Frassa s'interrogent sur la crédibilité de cette liste . L'inscription d'un pays sur la liste des pays d'origine sûrs paraît en effet, dans un certain nombre de cas, davantage motivée par le souci de faire pression à la baisse sur les flux de demandes d'asile que par le caractère objectivement sûr de la situation politique et sociale d'un pays donné.

En effet, les taux d'admission à l'asile des ressortissants de ces pays ne confirment pas la présomption de sûreté censée justifier, en théorie, l'inscription d'un pays sur cette liste : devant l'OFPRA, 7,1 % des demandeurs d'asile originaires d'un pays « sûr » en 2010 se sont vu reconnaître l'asile ; ce taux était de 11,5 % en 2010. Devant la CNDA, les recours formulés par ces mêmes ressortissants ont donné lieu à un taux d'annulation de 17,9 % en 2011 (19,8 % en 2010).

La notion de demande d'asile frauduleuse, abusive ou dilatoire : la question des empreintes digitales altérées

Le préfet peut par ailleurs décider de placer un demandeur d'asile en procédure prioritaire lorsque la demande paraît frauduleuse, abusive ou dilatoire. Ce motif de placement en procédure prioritaire fait surtout, à l'heure actuelle, l'objet de débats lorsqu'il est opposé à des demandeurs d'asile dont les empreintes digitales ont été altérées.

Rappelons que, lors de l'enregistrement de sa demande d'asile à la préfecture, l'étranger est tenu de se prêter au relevé de ses empreintes digitales au moyen d'une borne EURODAC, destinée à vérifier qu'il n'a pas formulé une demande d'asile dans un autre État membre de l'Union européenne ou dans une autre préfecture.

Or, depuis plusieurs années, un certain nombre de demandeurs d'asile - en général issus des pays de la corne de l'Afrique (Érythrée, Somalie, Soudan) - se présentent à la préfecture avec leurs empreintes digitales altérées.

A la suite de décisions du Conseil d'État condamnant de telles pratiques 19 ( * ) , une circulaire du 2 avril 2010 a indiqué aux préfectures la marche à suivre dans cette hypothèse : en cas d'échec d'une première prise d'empreintes, le demandeur doit se voir remettre une convocation à un mois pour permettre, le cas échéant, la reconstitution de ses empreintes digitales. Si, à l'occasion de ce second rendez-vous, les empreintes s'avèrent toujours inexploitables, sa demande d'asile est examinée selon la procédure prioritaire.

La situation de ces demandeurs soulève une réelle difficulté car, provenant de pays particulièrement peu sûrs, un nombre important des intéressés se sont vus accorder une protection par l'OFPRA.

Par une note datée du 3 novembre 2011, le directeur général de l'OFPRA, mettant en avant la difficulté d'examiner les demandes d'asile de personnes dissimulant sciemment leur identité, a donné instruction à ses services de rejeter purement et simplement toute demande qui serait formulée par un demandeur ayant altéré ses empreintes digitales.

Ces instructions ont été suspendues par le Conseil d'État statuant en référé le 11 janvier 2012 - décision qui a été confirmée au fond le 3 octobre 2012.

Elles ont également été sanctionnées par la Cour nationale du droit d'asile dans une décision de sections réunies du 21 février 2012, qui a considéré que « s'il revient à la Cour, en tant que juge de plein contentieux, non d'apprécier la légalité de la décision du directeur général de l'OFPRA, mais de se prononcer elle-même sur le droit du demandeur à une protection au titre de l'asile en substituant sa propre décision à celle de l'office, il en va autrement lorsque le demandeur d'asile a été privé de la garantie essentielle d'un examen particulier des éléments qu'il a présentés à l'appui de sa demande ; qu'il appartient en ce cas à la Cour d'annuler la décision attaquée et de renvoyer la demande à l'examen de l'office ».


* 18 http://www.senat.fr/rap/r12-130/r12-1301.pdf.

* 19 Dans plusieurs décisions rendues en référé le 2 novembre 2009, le Conseil d'État a considéré « que l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile doit justifier de son identité, de manière à permettre aux autorités nationales de s'assurer notamment qu'il n'a pas formulé d'autres demandes ; qu'il résulte, en particulier, des dispositions du règlement du 11 décembre 2000 que les demandeurs d'asile âgés de plus de quatorze ans ont l'obligation d'accepter que leurs empreintes digitales soient relevées ; que, par suite, les autorités nationales ne portent pas une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile en refusant de délivrer une autorisation provisoire de séjour au demandeur qui refuse de se soumettre à cette obligation ou qui, en rendant volontairement impossible l'identification de ses empreintes, les place, de manière délibérée, par son propre comportement, dans l'incapacité d'instruire sa demande ».

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