3. Des évolutions rendues nécessaires par la pression exercée par l'enjeu et le coût des élections présidentielles

Au total, la mise en place puis l'évolution de ces législations ont constitué d'incontestables progrès, d'autant que celles-ci se sont accompagnés d'efforts concordants pour assainir notre vie publique. Au point qu'il est possible aujourd'hui d'affirmer que la situation de notre pays au regard du comportement de ses élus est globalement satisfaisante. Les magistrats, journalistes, universitaires rencontrés dans le cadre de cette mission en sont tous convenus. Tous ont, cependant, souhaité insister sur la nécessité de ne pas relâcher les efforts entrepris ces dernières décennies. Aussi ont-ils plaidé pour le retour à des dispositifs de prévention, comme la présence des représentants de la direction de la répression des fraudes 21 ( * ) au sein des commissions d'appel d'offres, aujourd'hui supprimée. De même, ont-ils souligné la nécessité d'assurer l'indépendance du parquet afin d'éviter que celui-ci puisse faire obstacle aux investigations nécessaires.

Sous réserve de ces précautions, on peut considérer que le principal risque de contournement des règles de financement de la vie publique en France vient des campagnes en vue de l'élection présidentielle. Il n'est, à cet égard, pas indifférent d'observer, que les principales affaires qui défraient la chronique en matière financière et politique concernent le financement des campagnes de différents candidats à l'Élysée.

Plusieurs facteurs contribuent à cette situation. Tout d'abord, le coût de plus en plus élevé de ce type de campagne, dont on peut penser qu'il est de plus en plus proche du plafond autorisé, celui-ci ayant été arrêté en quelque sorte « au doigt mouillé ». Cette « explosion » est naturellement liée à l'augmentation exponentielle des dépenses de communication résultant de la médiatisation accélérée de notre vie politique. Ensuite, la nécessité dans laquelle se trouvent les candidats potentiels de se donner les moyens d'exister, de communiquer, de se déplacer très en amont de l'échéance elle-même. La plupart des « présidentiables » - et plus encore ceux qui aspirent à le devenir - sont ainsi incités à se constituer des « trésors de guerre », dont l'utilisation ne sera pas discutée ou disputée par leur parti. La tendance de plus en plus grande à encourager le recours à des « primaires » ne pourra qu'accentuer ce processus.

D'où la nécessité, pour prévenir des dérives, de multiplier, à tous les niveaux, les verrous permettant de s'assurer de l'origine et de la bonne utilisation des fonds mobilisés pour la campagne de l'élection présidentielle. C'est dans cet esprit qu'ont été conçues les recommandations suivantes :

a) La nécessité d'une présentation homogénéisée des comptes devant la CNCCFP

La présentation de leurs comptes par les partis politiques est organisée par l'annexe V de l'avis n° 95-02 relatif à la comptabilité des partis et groupements politiques pris par le Conseil national de la comptabilité, prédécesseur de l'Autorité des normes comptables (ANC) 22 ( * ) . Au-delà de l'ancienneté de l'avis, rendu en 1995, dont certains postes comptables mériteraient une actualisation, son caractère non contraignant ne permet pas d'imposer une homogénéisation de la présentation des comptes déposés devant la CNCCFP. Cette dernière a d'ailleurs sollicité, le 10 décembre 2010, le président de l'ANC afin d'étudier l'opportunité et les modalités de mise en oeuvre d'un nouveau plan comptable des partis et groupements politiques, mais aucune réponse ne lui a été apportée à ce jour. Votre rapporteur préconise donc de rendre obligatoire l'utilisation d'un formulaire, agréé par la commission, pour permettre une présentation homogénéisée des comptes des partis politiques et des candidats.

Votre rapporteur, qui a eu l'occasion de consulter dans les locaux de la CNCCFP les comptes de plusieurs formations politiques ainsi que les comptes des deux candidats qualifiés pour le second tour de l'élection présidentielle de 2007 23 ( * ) , n'a pu que constater l'extrême diversité des éléments fournis par les partis politiques et les candidats aux élections. Précisons que tant les candidats aux élections que les partis politiques respectent scrupuleusement, dans leur immense majorité, les préconisations de la CNCCFP. La procédure contradictoire permet à ces derniers, le cas échéant, d'apporter à la commission les précisions souhaitées.

Néanmoins, l'absence de cadre précis et contraignant rend le contrôle imparfait. À titre d'exemple, les manifestations événementielles des candidats à l'élection présidentielle (organisation d'un meeting, etc.) peuvent figurer sur des lignes budgétaires très disparates selon que le candidat les a organisées lui-même, ou les a confiées à une entreprise qui va les réaliser « clé en mains ». Il n'est donc pas possible de retracer, par exemple, le coût d'un événement de campagne dans sa globalité, sur le fondement des seuls éléments que les partis politiques doivent obligatoirement fournir. Un cadre comptable détaillé, par nature et par fonction, permettrait de croiser et donc de contrôler efficacement les données.

b) Un renforcement mesuré du contrôle des comptes par la CNCCFP

L'hypothèse d'un contrôle sur pièces et sur place mené par la CNCCFP pourrait techniquement être envisageable en ce qui concerne les comptes des partis politiques. Il faut toutefois préciser que le nombre de partis politiques, au sens de la loi précitée du 11 mars 1988 relative à la transparence financière de la vie politique, a augmenté de 57 % entre 2007 et 2012 ( cf . tableau ci-après). Le renforcement éventuel de ce type de contrôle doit donc être fait au regard des moyens humains et matériels de la CNCCFP.

(1) Une hausse du nombre de formations répondant à la définition comptable des partis politiques

Bien qu'il n'existe pas de définition juridique des partis politiques, le Conseil Constitutionnel et le Conseil d'État ont, par leurs jurisprudences concordantes, précisé les critères de définition comptable des partis politiques. Ainsi, sont considérées comme étant des partis politiques, les formations politiques qui bénéficient de l'aide publique et/ou ont régulièrement désigné un mandataire financier, et qui déposent chaque année leurs comptes, certifiés par deux experts comptables, auprès de la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques.

Le tableau suivant 24 ( * ) récapitule le nombre de formations politiques concernées depuis 2007 :

Année

Nb de partis tenus de déposer leurs comptes

Nb de partis ayant respecté leurs obligations comptables

2007

296

218

2008

283

215

2009

295

215

2010

296

230

2011

317

2012*

347

* au 25/07/2012.

(2) Un renforcement du contrôle des comptes des partis politiques encadré par la Constitution

Outre le nombre de plus en plus important de formations politiques soumises au contrôle de la CNCCFP, la question d'un contrôle accru des comptes des partis par celle-ci se heurte au principe constitutionnel de liberté d'organisation des partis politiques. Une solution intermédiaire, et satisfaisante d'un point de vue juridique, pourrait consister en un renforcement du contrôle sur les dépenses des partis politiques effectuées en faveur des candidats à une élection.

(3) En parallèle, alléger la certification des comptes des petites formations

Certaines formations politiques rencontrent des difficultés à trouver des commissaires aux comptes qui acceptent la mission de certification, compte tenu des obligations comptables spécifiques aux partis politiques, pour lesquelles ils n'ont souvent pas de compétences particulières, alors que le plus souvent les honoraires restent faibles au regard de leur travail classique de certification des comptes d'entreprises.

Votre rapporteur n'a pas été en mesure de prendre connaissance, par la simple consultation des comptes des partis qu'il a effectuée, du coût moyen de certification pour un travail de co-commissariat aux comptes, la charge financière ne correspondant pas à un poste comptable spécifique au sein des comptes d'ensemble du parti. En outre, les honoraires des commissaires aux comptes liés à la certification des comptes des partis politiques ne sont pas réglementés.

Il est donc impossible de connaître précisément le nombre de partis qui ne déposent pas leurs comptes auprès de la CNCCFP en raison du caractère trop élevé des honoraires des commissaires aux comptes. Il est vraisemblable, au regard des auditions menées, qu'une faible partie seulement des absences de dépôt de comptes certifiés par les partis politiques s'explique par le coût prohibitif des honoraires ; la plupart des absences de dépôt étant probablement le fait de partis en déshérence.

En revanche, il est certain que pour une partie des petites formations politiques, le coût des commissaires aux comptes grève le budget de façon substantielle et les prive de fait, de la possibilité d'une intervention plus importante dans la vie politique: ces partis renoncent potentiellement à l'aide publique à laquelle ils pourraient prétendre en ne sollicitant pas la certification, par deux commissaires aux comptes, des comptes de leurs partis.

Soulignons pourtant qu'« est puni d'un emprisonnement de deux ans et d'une amende de 30 000 euros le fait, pour tout dirigeant de personne ou de l'entité tenue d'avoir un commissaire aux comptes, de ne pas en provoquer la désignation » 25 ( * ) . Dans les faits cependant, la non désignation des commissaires aux comptes n'est pas signalée au parquet par la CNCCFP, compte tenu des sommes, parfois dérisoires, en jeu.

Dès lors, votre rapporteur suggère de limiter l'exigence du visa de deux commissaires aux comptes aux seuls partis dont les comptes sont de montant élevé ou de structure complexe. Le visa d'un seul commissaire aux comptes pourrait être considéré comme apportant des garanties suffisantes et allègerait la charge financière qui pèse de ce fait sur les partis de faible surface financière ou de structure simple. Une réflexion devrait être engagée pour déterminer le seuil d'activité à partir duquel un parti politique devrait faire certifier ses comptes par un second commissaire aux comptes avant leur dépôt devant la CNCCFP (plusieurs critères pourraient être pris en compte comme le nombre d'adhérents, le nombre d'élus nationaux, le montant annuel des recettes, etc.).

En outre, votre rapporteur se réjouit des améliorations apportées par la loi du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique 26 ( * ) , dans la clarification des missions des experts comptables en la matière. Il partage les réflexions, qu'avait formulées le groupe de travail de notre commission des lois sur l'évolution de la législation applicable aux campagnes électorales 27 ( * ) , relatives à la mission des experts-comptables.

Le code électoral dispose en effet aujourd'hui que ces experts sont chargés de présenter le compte de campagne 28 ( * ) afin de permettre la mise « en état d'examen » du compte de campagne. L'expert comptable doit donc garantir la lisibilité, par la CNCCFP, des comptes qui lui sont transmis par les candidats.

En pratique, cette « mise en état d'examen » recouvre deux missions :

- d'une part, l'expert-comptable doit s'assurer que la présentation formelle du compte de campagne est conforme aux conventions comptables usuellement employées et ne comporte pas d'erreur dans la classification des dépenses et des recettes ;

- d'autre part, il doit vérifier que les informations présentées dans le compte sont confirmées par des pièces justificatives, qui doivent être jointes au compte et communiquées à la CNCCFP.

Toutefois, comme l'indiquait le rapport du groupe de travail susmentionné, au regard de la législation alors en vigueur, « selon la CNCCFP, nombreux sont les candidats qui ne connaissent pas le périmètre exact de la mission des experts-comptables. La commission constate ainsi que « les diligences minimales sur le contrôle de l'existence des pièces justifiant les recettes et les dépenses figurant au compte et de la régularité formelle du compte lui-même » ne sont pas clairement définies et que « la portée et les limites de l'intervention de l'expert-comptable ne sont pas toujours interprétées de façon homogène ». »

(4) L'impossibilité matérielle d'un contrôle en temps réel, sur pièce et sur place, des comptes des candidats aux élections

La problématique est tout autre en ce qui concerne les comptes des candidats aux élections. En effet, le contrôle de la commission relatif aux comptes de campagne s'exerce actuellement sur pièces et a posteriori , dans le cadre d'un système déclaratif contrôlé.

En tout état de cause, votre rapporteur estime qu'il n'est pas possible que chaque candidat à une élection, y compris si cette règle ne devait s'appliquer qu'à la seule élection présidentielle, fasse l'objet d'un « suivi » comptable, en permanence, dans l'année qui précède l'élection. Cela modifierait substantiellement le travail de la CNCCFP.

Certes, comme le relève la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique dans son récent rapport remis au président de la République, « il est particulièrement difficile de vérifier le caractère exhaustif des dépenses électorales retracées dans les compte de campagne des candidats », et « la CNCCFP reste encore tributaire des informations qui lui sont transmises par les candidats eux-mêmes ». Le système de veille destiné à recenser les principales manifestations devant être imputées au compte de campagne, s'apparentant à un contrôle « par sondages », a néanmoins vocation à rester la règle.

D'une part, il s'agirait d'une évolution vers un contrôle au caractère « bureaucratique » sans doute excessif. Un tel contrôle pourrait être considéré comme étant un frein à la liberté du candidat de choisir ses moyens de campagne et d'expression et donc une limitation du caractère démocratique de l'élection alors que le système actuellement en place, avec ses défauts et ses limites, permet en théorie à tout citoyen de se porter candidat à une élection avec une chance raisonnable d'être remboursé de ses dépenses électorales si ses idées mobilisent une fraction significative des électeurs.

D'autre part, les moyens de la CNCCFP ne le permettraient pas, cela d'autant plus qu'à douze mois de l'élection, il existe de nombreux « candidats potentiels», non encore officiellement investis par leur formation politique.

c) La nécessité de sanctions réelles du dépassement du plafond des dépenses pour l'élection présidentielle

Le régime des sanctions prévues en cas de non respect du plafond des dépenses est extrêmement strict en ce qui concerne les candidats aux scrutins européen, législatif, régional, cantonal et municipal. En revanche, les candidats à l'élection présidentielle n'encourent aucune sanction d'inéligibilité. Il est paradoxal que l'élection majeure de la vie publique française fasse, sur ce plan, l'objet d'un régime électoral moins strict que les autres élections. Certes, votre rapporteur a conscience du caractère radical que constituerait l'inéligibilité et la démission d'office qu'elle entrainerait, du candidat proclamé élu, cela d'autant plus que la CNCCFP est tenu d'achever son contrôle dans le délai de six mois qui suit le dépôt des comptes, dépôt pouvant intervenir jusqu'au onzième vendredi suivant le premier tour de scrutin. Votre rapporteur suggère d'ailleurs, pour toutes les élections concernées, de fixer à la date limite de dépôt le point de départ du délai de six mois imparti à la CNCCFP pour statuer lorsqu'il n'y a pas de contentieux électoral 29 ( * ) et non à la date de dépôt de chaque compte.

Votre rapporteur n'est toutefois pas convaincu par l'argument selon lequel un candidat élu à la présidence de la République qui n'aurait pas respecté les règles en matière de financement électoral, pourrait être destitué sur le fondement de l'article 68 de la Constitution pour « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l'exercice de son mandat ».

La commission de rénovation et de déontologie de la vie publique a certes proposé que la CNCCFP, ou le Conseil constitutionnel en cas de recours, notifie une éventuelle décision de rejet du compte de campagne d'un candidat à l'élection présidentielle aux présidents des deux assemblées afin d'éclairer le Parlement sur l'engagement éventuel d'une procédure de destitution.

Toutefois, le décalage dans le temps évoqué plus haut, l'absence potentielle de volonté politique, le seuil élevé de la majorité qualifiée requise (deux tiers des membres composant la Haute Cour) ainsi que le caractère sans doute disproportionné d'une telle procédure la rendent, dans les faits, inapplicable dans un tel cas de figure. En outre, un tel raisonnement conduit à considérer que seul le candidat proclamé vainqueur de l'élection peut être sanctionné, ce qui n'est en aucune manière justifiable.

Dès lors, votre rapporteur suggère qu'une réflexion soit conduite sur un renforcement des sanctions financières, d'une part, et sur l'impossibilité, d'autre part, pour un candidat à l'élection présidentielle dont le compte n'aurait pas été validé, de se présenter à l'élection présidentielle suivante, voire de siéger un jour au Conseil constitutionnel, autorité amenée à proclamer les résultats de l'élection présidentielle qui ne saurait se satisfaire de compter parmi ses membres des personnalités dont le compte de campagne à une élection présidentielle aurait été rejeté.

d) La redéfinition du plafond des dépenses électorales de l'élection présidentielle et des modalités de son financement public

Événement majeur de la vie politique nationale, l'élection présidentielle fait l'objet, tous les cinq ans, de contestations relatives à son déroulement qui alimentent la polémique électorale. Dans son rapport récemment remis au président de la République, la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique souligne « la nécessité de faire évoluer les règles relatives au remboursement public des dépenses électorales exposées par les candidats » à l'élection présidentielle.

(1) Revoir les taux de remboursement des dépenses des candidats à l'élection présidentielle

Votre rapporteur partage le diagnostic de la commission sur l'effet de seuil, injustifiable, provoqué par le mécanisme actuel de financement public des dépenses de campagne.

L'article 3 de la loi précitée du 6 novembre 1962 fixe, en effet, le plafond du remboursement public selon le score obtenu par le candidat au premier tour de l'élection présidentielle. Le plafond du financement est de 4,75 % du plafond total de dépenses pour tout candidat qui recueille moins de 5 % des suffrages exprimés. Il est dix fois plus important (47,5 %) pour tout candidat qui obtient au moins 5 % des suffrages exprimés. À quelques suffrages près, le montant remboursé aux candidats varie donc entre deux plafonds, l'un de 800 000 euros et l'autre de 8 millions d'euros. Cet effet de seuil n'est absolument pas acceptable. Il conduit à une inégalité majeure entre les candidats, dont certains hésitent à s'engager pleinement dans la campagne en raison des incertitudes qui pèsent sur leur score (plus ou moins de 5 % des suffrages exprimés) et sur le financement qui en résulte.

Votre rapporteur préconise un mécanisme de remboursement ambitieux permettant à la fois de rendre le système de financement public de la campagne présidentielle plus juste et de mieux maîtriser la dépense publique. Il s'agirait de définir le montant total des remboursements versés aux candidats à l'élection présidentielle par la loi de finances de l'année de l'élection : il serait ainsi connu à l'avance et contenu dans une enveloppe budgétaire fermée.

Le plafond de remboursement applicable aux deux candidats du second tour serait augmenté d'une prime, dont le montant serait forfaitaire et égal, pour chaque candidat et quel que soit le score obtenu au premier tour, à 5 % de l'enveloppe totale (soit plus de 2 millions d'euros). Enfin, les sommes restantes (correspondant au montant total des remboursements diminué de celui des deux « primes ») seraient réparties entre les candidats du premier tour, au prorata des voix obtenues, et permettraient de calculer le plafond de remboursement propre à chacun d'entre eux. En d'autres termes, le montant maximal du remboursement serait proportionnel au nombre de voix obtenues . Cette innovation permettrait de mettre fin aux effets de seuil qui caractérisent la législation actuellement en vigueur.

En revanche, votre rapporteur, bien qu'il partage pleinement le diagnostic formulé, n'est pas favorable à la substitution, suggérée par la « commission Jospin », d'une série de tranches de faible ampleur aux deux tranches actuelles (plus ou moins de 5% des suffrages exprimés). La proposition de la commission consiste à créer onze tranches espacées de 2 points (à partir d'une tranche [0-2 %[ jusqu'à une tranche ]plus de 20 %] et à fixer le taux de remboursement entre 6 et 46 % du plafond des dépenses en fonction du score obtenu. Cette proposition a le mérite de « lisser » l'effet de seuil, mais elle n'y met pas un terme, d'où la nécessité d'une véritable proportionnalité du taux de remboursement et des suffrages obtenus.

(2) Déterminer un plafond de dépenses par candidat à l'élection présidentielle tenant davantage compte des réalités

La détermination d'un plafond de dépenses pour tout candidat à l'élection présidentielle répond à un principe d'égalité entre les candidats. La République souhaite, à juste titre, favoriser le pluralisme politique par cette règle. Un système dans lequel des entreprises privées peuvent financer la vie politique, et dans lequel il n'existe pas de plafond de dépenses, comme c'est le cas aux États-Unis 30 ( * ) , constitue incontestablement un frein au multipartisme.

Notre pays n'a pas choisi cette voie, qui ne correspond pas à son histoire politique. En application de l'article 112 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 31 ( * ) , modifiant l'article L. 52-11 du code électoral, les plafonds des dépenses électorales pour l'élection présidentielle s'établissent, conformément au décret du 30 décembre 2009 32 ( * ) , à 16,851 millions d'euros pour les candidats du premier tour et à 22,509 millions d'euros pour les candidats qualifiés pour le second tour .

Votre rapporteur suggère une augmentation substantielle des plafonds de dépense pour cette élection , notamment pour ce qui concerne les candidats qualifiés pour le second tour. Il apparaît en effet que les dépenses des principaux candidats, qui mènent une campagne à temps plein pendant plusieurs mois, s'approchent, élection après élection, très sensiblement des plafonds actuellement fixés. Il ne s'agit nullement de remettre en cause le principe d'un plafond de dépenses, dont l'existence constitue un garde-fou essentiel. Il s'agit davantage d'étudier si le montant de ce plafond, dont la revalorisation a sans doute été insuffisante, ne doit pas être revu à la hausse.

Au regard des principaux postes de dépenses et du coût extrêmement important que de nouvelles méthodes de campagne induisent (mise en ligne, maintenance et sécurité du site Internet, déplacements devant les expatriés, organisation de meetings « géants », etc.), ce seuil n'apparaît plus réaliste. Dès lors que les montants engagés par les principaux candidats ne sont plus compressibles, et que chacun convient que nous devons déterminer des règles favorisant une campagne présidentielle digne de notre démocratie, il n'est pas raisonnable de maintenir des plafonds aussi bas. En effet, ces plafonds pourraient conduire des candidats, à l'avenir, à minimiser le montant de certaines dépenses effectuées afin de ne pas dépasser le plafond fixé, plutôt qu'à ne pas effectuer ces dépenses. Dans un objectif de transparence et de réalisme, il conviendrait de revoir ce plafond.

Votre rapporteur suggère en outre que la CNCCFP se dote d'un ensemble de référentiels de tarifs , par type de prestation, dans le cadre d'un échange avec les principales formations politiques, afin de disposer d'éléments de comparaison et d'une base pour évaluer les comptes qui lui sont transmis. Il est entendu que cette proposition doit nécessairement être couplée à celle, également formulée par votre rapporteur, d'une présentation homogène des comptes de campagne.

e) Fusionner la CNCCFP et la CTFVP

Ces dernières années sont celles d'une stagnation de la capacité d'action de la commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques et de la commission pour la transparence financière de la vie politique.

Ces deux institutions ne disposent pas des effectifs nécessaires à l'accomplissement de leur mission.

Votre rapporteur a pu constater sur place les conséquences sur le contrôle des comptes d'un effectif insuffisant, aggravé par un encadrement trop souple de la présentation des comptes de campagne des candidats comme de ceux des formations politiques.

Les effectifs de la CNCCFP s'établissent actuellement à 41 équivalents temps plein (ETP) dont trente-trois permanents (fonctionnaires d'État détachés sur contrat et contractuels en contrat à durée déterminée ou contrat à durée indéterminée) et huit vacataires recrutés pour une durée de un à six mois (ce nombre varie en fonction des surcroîts d'activité de la commission).

Les comptes des candidats aux élections présidentielles sont vérifiés chacun par une équipe de deux rapporteurs expérimentés assistés de chargés de mission.

Ces agents effectuent un travail remarquable au regard de la charge colossale que représente la vérification des comptes de campagne qui ne sont pas soumis à une présentation homogénéisée et dont certains ne comportent pas toutes les pièces justificatives ou des mentions trop incomplètes pour permettre un contrôle objectif. Les vérificateurs doivent donc consacrer un temps précieux à collationner les éléments manquants alors même que l'évolution de l'organisation des campagnes électorales a entraîné un accroissement des justificatifs comptables.

La commission est saisie par ailleurs d'un nombre croissant de demandes de consultation des comptes de campagnes et des documents transmis par les partis politiques. Cette charge supplémentaire découle des décisions de la commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui a classé ces pièces au rang des documents accessibles au public : l'ensemble des documents émis ou reçus par la CNCCFP constituent des documents au sens de la loi du 17 juillet 1978 33 ( * ) ( cf infra ). Si elle contribue à assurer la transparence des administrations, cette jurisprudence provoque un surcroît d'activité non négligeable puisque, préalablement à leur consultation, les pièces consultables doivent avoir été purgées de leurs mentions d'ordre privé. Le personnel de la CNCCFP doit alors se livrer à un fastidieux travail de blanchiment des informations correspondantes.

L'accès aux documents de la commission nationale
des comptes de campagne et des financements politiques

Avis n° 20113922 du 20 octobre 2011 de la commission d'accès aux documents administratifs :

« La commission rappelle que tant les documents émanant de la CNCCFP que ceux qui lui sont adressés pour l'exercice de ses missions s'analysent comme des documents administratifs au sens de la loi du 17 juillet 1978. Il en va ainsi des comptes de campagne déposés auprès d'elle et des décisions qu'elle rend sur ces comptes, que celles-ci soient ou non adressées, notamment en vertu de l'article L. 118-2 du code électoral, au juge de l'élection (avis n°20084035 du 23 octobre 2008).

Un compte de campagne est donc communicable à toute personne qui en fait la demande à compter de la décision rendue par la commission sur ce compte, sauf dans l'hypothèse, prévue par les dispositions du f) du 2° du I de l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, où cette communication serait de nature à porter atteinte au déroulement des procédures engagées devant les juridictions. Cette restriction au droit d'accès ne trouve à s'appliquer que lorsque la communication des documents serait de nature à porter atteinte au déroulement de l'instruction, à retarder le jugement de l'affaire ou à compliquer l'office du juge. La seule transmission au juge, en application des dispositions du code électoral, de la décision de la Commission sur le compte de campagne, ne suffit pas à caractériser une telle atteinte.

Dès lors, dans un contexte budgétaire contraint, ne conviendrait-il pas de fusionner les deux instances dédiées au respect de la transparence financière de la vie politique pour renforcer leur « force de frappe » et, partant, leur autorité en regroupant leurs moyens ? Ces deux institutions connaissent, chacune, des pics d'activités liés aux cycles électoraux. Dès lors, la mutualisation de leurs moyens permettrait une optimisation dans le temps de leurs effectifs.

C'est la proposition avancée par l'ancien membre du Conseil constitutionnel, et universitaire Jean-Claude Colliard pour mettre en place une juridiction de moralisation de la vie politique sur le modèle canadien, a-t-il précisé à votre rapporteur.

Les missions de la CNCCFP

La Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques, est une autorité administrative indépendante, chargée conformément à la loi du 15 janvier 1990, de réceptionner et contrôler les comptes de campagne des candidats à l'élection présidentielle en application de la loi organique n° 2006-404 du 5 avril 2006, et aux élections européennes, législatives, régionales, cantonales et municipales pour les communes et les cantons de plus de 9 000 habitants, ainsi qu'aux élections aux assemblées territoriales ou provinciales de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie. La CNCCFP veille également au respect des obligations comptables légales des partis et groupements politiques et des associations de financement de ceux-ci.

Pour réaliser ses missions, la CNCCFP dispose de crédits regroupés dans l'action n°3 du présent programme : ceux-ci s'élevaient pour 2012 à 3 968 135 euros au titre des autorisations d'engagement (AE) et 5 215 385 euros au titre des crédits de paiement (CP).


* 21 Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

* 22 Cet avis est consultable à l'adresse suivante :

http://www.minefi.gouv.fr/fonds_documentaire/reglementation/avis/avisCNCompta/96-94/avis9502.htm

* 23 11 et 18 septembre 2012.

* 24 Données fournies par la CNCCFP.

* 25 Article L. 820-4 du code de commerce.

* 26 Loi n° 2011-412 du 14 avril 2011 portant simplification de dispositions du code électoral et relative à la transparence financière de la vie politique.

* 27 Rapport d'information n° 186 (2010-2011) de Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Anne-Marie Escoffier et de MM. Alain Anziani, Yves Détraigne et Jean-Pierre Vial, fait au nom de la commission des lois.

* 28 Deuxième alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral.

* 29 cf. notamment l'article L. 52-15 du code électoral.

* 30 La presse américaine a évalué la somme totale engagée par l'ensemble des candidats à l'élection présidentielle américaine de 2012 (principalement les deux candidats républicain et démocrate) à environ 6 milliards de dollars.

* 31 Loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

* 32 Décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009 portant majoration du plafond des dépenses électorales.

* 33 Loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public et diverses dispositions d'ordre administratif, social et fiscal.

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