N° 794

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 23 juillet 2013

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi pour l' égalité entre les femmes et les hommes ,

Par Mme Michelle MEUNIER,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier, Mme Catherine Deroche , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, MM. Marc Laménie, Jean-Noël Cardoux, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

717 et 788 (2012-2013)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

La formation du premier gouvernement paritaire de l'histoire de la République, la création d'un ministère des droits des femmes de plein exercice, l'inscription comme premier texte à l'ordre du jour de la législature 2012-2013 d'un projet de loi relatif au harcèlement sexuel sont autant de signes que s'ouvre une nouvelle étape dans la politique pour l'égalité entre les femmes et les hommes en France.

La réalité, celle des chiffres comme celle ressentie par les Françaises et les Français, atteste en effet qu'en dépit d'indéniables progrès, l'égalité entre les femmes et les hommes reste un combat.

Après les droits civiques reconnus à la Libération, après les droits économiques et sociaux acquis dans les années 1970 et 1980, il s'agit désormais de définir les conditions d'une égalité réelle et concrète.

Cette troisième génération des droits des femmes est un enjeu majeur à la fois en termes d'acquis démocratique, de cohésion sociale et de performance économique.

Telle est l'ambition de ce projet de loi qui, pour la première fois, aborde le sujet de l'égalité entre les femmes et les hommes dans une logique transversale et non sectorielle.

Saisie pour avis, la commission des affaires sociales s'est plus spécifiquement intéressée aux articles portant sur le droit social.

Elle soutient pleinement la réforme du complément de libre choix d'activité inscrite à l'article 2 qui, en instaurant une période de partage entre les parents, incitera les pères à prendre un congé parental et favorisera le retour à l'emploi des mères qui le souhaitent. Constatant que le recours à cette prestation n'est pas toujours l'expression d'un libre choix, elle propose d'en modifier l'intitulé pour celui, plus conforme à l'esprit de la réforme, de « prestation partagée d'accueil de l'enfant ».

Elle approuve les orientations du projet de loi en matière d'égalité professionnelle et a souhaité les compléter. La volonté du Gouvernement d'améliorer la protection des collaboratrices et collaborateurs libéraux contre la rupture de leur contrat en cas de maternité ou de paternité et contre les discriminations, à l'article 4, doit être saluée. Afin d'assurer une égalité des droits avec les salariés couverts par le code du travail, la commission a complété cet article afin qu'il prenne en compte la maternité, la paternité et l'adoption.

Consciente des risques de détournement de cette nouvelle procédure et soucieuse de préserver l'objet du compte épargne-temps, la commission a encadré strictement l'expérimentation instituée par l'article 5. Seule une partie des droits acquis sur le compte épargne-temps pourra être convertie en chèques emploi-service universels, tandis qu'il appartiendra aux partenaires sociaux dans l'entreprise de définir les modalités de mise en oeuvre de ce dispositif en son sein.

La commission a également introduit trois dispositions nouvelles qui s'inscrivent dans la continuité de ses initiatives en matière de lutte contre les inégalités professionnelles. Elle a tout d'abord inscrit, dans la liste des traitements discriminatoires prohibés par le code du travail, ceux liés à l'usage, par un salarié, de ses droits en matière de parentalité. Elle a ensuite étendu le champ du rapport de situation comparée entre les femmes et les hommes afin qu'il traite explicitement des questions de sécurité et de santé au travail. Elle a également affiché sa volonté de redonner à ce rapport une place centrale dans l'amélioration de l'égalité professionnelle dans l'entreprise en imposant une pénalité financière d'un montant de 1 % de la masse salariale aux entreprises ne l'ayant pas transmis à l'inspecteur du travail.

Enfin, la commission salue l'expérimentation définie à l'article 6 visant à renforcer les dispositifs de garantie contre les impayés de pensions alimentaires, qui traduit l'engagement du Gouvernement à lutter contre la précarité des femmes, en particulier des mères vivant seules avec leurs enfants.

I. UN PROJET DE LOI-CADRE POUR RENDRE EFFECTIVE L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES

A. GARANTIE EN DROIT, L'ÉGALITÉ ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES N'EST PAS ACQUISE DANS LES FAITS

1. La reconnaissance progressive des droits des femmes

La prise en compte des droits des femmes comme enjeu politique majeur n'est pas nouvelle. Depuis la Seconde Guerre mondiale, l'émancipation des femmes et la revendication de droits identiques à ceux des hommes ont progressé.

La première étape a consisté à accorder aux femmes l'ensemble des droits civils et politiques dont elles étaient privées jusqu'alors. Ainsi, en 1938, l'incapacité juridique de la femme mariée est supprimée ; en 1944, les femmes obtiennent le droit de vote et d'éligibilité. En 1946, le préambule de la Constitution pose le principe de l'égalité des droits entre hommes et femmes : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme » .

Cette première génération des droits des femmes a été suivie d'une deuxième étape, portée par les mouvements féministes des années 1960 et 1970, visant à l'obtention de droits propres, fortement liés à la libre disposition de leurs corps par les femmes . Ces revendications trouvèrent leur expression la plus symbolique dans les deux lois majeures que sont, en 1967, la loi Neuwirth autorisant la contraception et, en 1975, la loi Veil sur le droit à l'avortement. Parallèlement, il est mis fin à la toute-puissance masculine dans la sphère familiale : en 1965, les femmes obtiennent le droit d'exercer une activité professionnelle sans l'autorisation de leur mari ; en 1970, l'autorité paternelle est remplacée par l'autorité parentale.

Cette deuxième génération des droits des femmes s'est enrichie dans les décennies suivantes, en particulier dans les champs de la vie professionnelle et de la vie politique . En 1983, la loi dite « Roudy » réforme le code du travail et le code pénal en matière d'égalité professionnelle entre les hommes et les femmes. En 2001, la loi dite « Génisson » actualise et renforce cette loi. En 2000, est adoptée la loi sur la parité en politique, réponse au constat d'un profond retard français en matière de partage du pouvoir entre les femmes et les hommes.

2. La persistance des inégalités dans toutes les sphères de la société

En dépit de ces avancées juridiques majeures, les inégalités entre les femmes et les hommes demeurent et s'observent dans tous les domaines.

? Dans la sphère privée

Même si des évolutions sont perceptibles chez les jeunes générations, les tâches domestiques 1 ( * ) sont encore très largement une prérogative féminine. Ainsi, selon l'institut national d'études démographiques (Ined) 2 ( * ) , les femmes assument près de 80 % des tâches domestiques .

Répartition des tâches ménagères dans un couple en 2005

Champ : personnes en couple cohabitant en 2005, dont la femme est âgée de 20 à 49 ans.

Source : A. Régnier-Loilier, Population & Sociétés, n° 461, novembre 2009 ,
Ined-Insee, Erfi-GGS1, 2005

Une récente étude de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) 3 ( * ) montre que le temps consacré aux enfants reste lui aussi très inégalement réparti entre les femmes et les hommes. Avec une heure et demie quotidienne, les mères consacrent en moyenne deux fois plus de temps aux activités parentales que les pères . La différence entre mères et pères n'est pas seulement quantitative, elle est aussi qualitative : les temps parentaux liés aux soins et aux déplacements sont plutôt féminins alors que les hommes s'investissent plutôt dans les sphères de sociabilité et de loisirs. Autrement dit, les hommes, quand ils en réalisent, effectuent relativement plus d'activités parentales valorisées que les femmes.

La répartition sexuée des tâches au sein du couple demeure donc bien une réalité.


Dans la sphère professionnelle

Malgré le développement, ces dernières décennies, d'outils juridiques en faveur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, l'inégalité entre les sexes dans la sphère professionnelle est toujours profondément ancrée :

- la concentration des femmes est manifeste dans certains métiers des services , de l'éducation et de l'action sanitaire et sociale (aides à domicile, aides ménagères, assistantes maternelles). La moitié des emplois occupés par les femmes est concentrée dans douze des quatre-vingt-sept familles professionnelles 4 ( * ) . A titre de comparaison, pour les hommes, les douze premières familles regroupent environ un tiers des emplois qu'ils occupent ;

- les femmes occupent 82 % des emplois à temps partiel ;

- les salaires moyens des femmes sont inférieurs de 27 % à ceux des hommes (salaires inférieurs de plus d'un quart dans le secteur privé et de près de 20 % dans le secteur public 5 ( * ) ) ;

- après la naissance d'un enfant, une femme sur deux contre un homme sur neuf interrompt ou réduit son activité professionnelle . Quel que soit le rang de l'enfant, les mères arrêtent davantage qu'elles ne réduisent leur activité (c'est le contraire pour les hommes) 6 ( * ) ;

- les femmes cadres se heurtent à un « plafond de verre » , qui les pénalise dans leurs parcours professionnels et explique une partie des écarts de salaires avec les hommes.


• Dans la sphère politique

L'arsenal législatif en matière d'accès des femmes aux fonctions politiques a beau s'être étoffé depuis le début des années 2000, les résultats sont restés globalement décevants , même si échelon local et échelon national doivent être distingués.

A l'échelon local, la loi sur la parité a contribué à améliorer la représentation des femmes : 48 % des conseillers régionaux élus lors du scrutin de mars 2010 sont des femmes, soit deux fois plus qu'en 1998. Parallèlement, on comptait, en 2008, 48,5 % de femmes parmi les conseillers municipaux dans les communes de 3 500 habitants et plus. Ce chiffre est toutefois moindre dans les communes de moins de 3 500 habitants (32,2 %). Surtout, la place des femmes à la tête des exécutifs municipaux est restée très en retrait : seuls 14 % des maires sont des femmes . Quant aux conseils généraux, ils sont les assemblées représentatives les moins féminisées, même si on observe une augmentation de la part des femmes parmi les élus (14 % en 2011 contre 8,6 % en 1998).

C'est à l'échelon national que la déception est la plus grande . L'Assemblée nationale et le Sénat restent des lieux majoritairement masculins puisque seul un parlementaire sur cinq est une femme . Même si le nombre de sénatrices a progressé sensiblement depuis 2001, elles ne sont aujourd'hui que 77 sur 348 sénateurs. La part des femmes députées est passé de 12,3 % en 2002 à 18,5 % en 2007, puis à 27 % en 2012 ; cette progression reste néanmoins très éloignée des objectifs fixés par le législateur.

3. Pour une troisième génération des droits des femmes

La réalité des chiffres est sans appel : malgré d'indéniables progrès en faveur de l'égalité entre les femmes et les hommes dans les domaines professionnel, social et politique, « l'égalité reste un champ de conquête » , comme le souligne l'exposé des motifs du présent projet de loi.

Après les droits civiques reconnus à la Libération, après les droits économiques et sociaux obtenus dans les années 1970 et 1980, il est temps désormais de définir les droits porteurs d'égalité réelle qui constitueront une troisième génération des droits des femmes .

L'objectif d'égalité réelle entre les femmes et les hommes nécessite une triple action : assurer l'effectivité des droits acquis, poursuivre l'adoption de droits pour renforcer l'égalité formelle, combattre les inégalités à la racine par un travail d'éducation et de sensibilisation .

Ce combat, parce qu'il est porteur d'un enjeu démocratique majeur, requiert l'implication de tous (administrations, institutions, entreprises, médias, associations, particuliers...) et doit irriguer toutes les sphères de la société.


* 1 On entend par tâches domestiques le repassage, la préparation des repas, le passage de l'aspirateur, la vaisselle, les courses alimentaires, la tenue des comptes, les invitations.

* 2 Ined, « l'arrivée d'un enfant modifie-t-elle la répartition des tâches domestiques au sein du couple ? », Population et sociétés n° 461, novembre 2009.

* 3 Thibault de Saint Pol, Mathilde Bouchardon, « Le temps consacré aux activités parentales », Drees, Etudes et résultats, n° 841, mai 2013.

* 4 La nomenclature des familles professionnelles résulte d'un croisement du code des professions et catégories socio-professionnelles de l'Insee et du répertoire des métiers établi par Pôle emploi.

* 5 Insee, « Le revenu salarial des femmes reste inférieur à celui des hommes », Insee Première n° 1436, mars 2013.

* 6 Insee, « Après une naissance, un homme sur neuf réduit ou cesse temporairement son activité contre une femme sur deux », Insee Première n° 1454, juin 2013.

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