EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des lois s'est saisie pour avis du projet de loi relatif à l'économie sociale et solidaire, déposé sur le bureau du Sénat le 24 juillet 2013 et envoyé au fond à la commission des affaires économiques. Elle a souhaité examiner certains articles de ce texte au titre de ses compétences en matière de droit public, de droit des sociétés et de droit des associations.

Selon l'étude d'impact annexée au projet de loi, l'économie sociale et solidaire représente 2,3 millions de salariés en France, soit un salarié sur dix. Elle représente également près d'une entreprise sur dix, notamment les deux tiers du secteur privé sanitaire et social. Elle recouvre des secteurs d'activité très variés, des services à la personne et de l'action sociale à la banque et aux assurances, de la santé à l'agriculture, de l'industrie à l'éducation et aux loisirs. La particularité de l'économie sociale et solidaire ne réside pas dans la nature de son activité, mais dans ses principes propres de fonctionnement, distincts du modèle économique lucratif classique, qui en font un véritable « autre mode d'entreprendre » avec la recherche d'une utilité sociale.

Dès lors, ce projet de loi de nature transversale, visant à traiter les problématiques de l'économie sociale et solidaire dans la diversité de ses acteurs, comporte quatre types de dispositions.

Premièrement, il vise à définir au niveau législatif l'économie sociale et solidaire (articles 1 er à 8), ses principes de fonctionnement - caractérisés par un but non exclusivement lucratif, la recherche d'une utilité sociale et une organisation démocratique - ainsi que ses acteurs - associations, mutuelles, coopératives, fondations, mais aussi sociétés commerciales qui appliquent les principes de l'économie sociale et solidaire, à l'instar des structures d'insertion par l'activité économique. Le secteur de l'économie sociale et solidaire bénéficierait ainsi d'une reconnaissance claire par la loi. Il en serait de même pour les instances représentatives existantes du secteur (conseil supérieur de l'économie sociale et solidaire, chambres régionales de l'économie sociale et solidaire...).

Deuxièmement, il vise à mieux définir la place de l'économie sociale et solidaire dans les marchés publics et, parallèlement, à poser une définition de la notion de subvention publique (articles 9 et 10), très attendue par les acteurs du secteur et par les collectivités territoriales afin de sécuriser leurs relations financières et d'éviter l'éviction de la subvention publique au profit de la mise en concurrence et du marché public ainsi que le risque de requalification par le juge de la subvention en marché.

Troisièmement, il institue dans le code de commerce un dispositif d'information préalable des salariés lorsque le propriétaire d'une entreprise a l'intention de la céder, créant un « privilège d'information » en quelque sorte mais sans droit préférentiel de rachat, afin de faciliter la reprise par les salariés eux-mêmes et donc de réduire les disparitions d'entreprise (articles 11 et 12). Fortement critiqué par les milieux patronaux, ce dispositif est sans lien direct avec les problématiques de l'économie sociale et solidaire. Toutefois, la formule de la société coopérative ouvrière de production (SCOP) est souvent mise en avant comme outil de reprise d'une entreprise par ses salariés. Ces deux articles constituent la disposition la plus sensible comme la moins consensuelle dans ce projet de loi : certains considèrent qu'elle va trop loin dans l'atteinte au secret de la vie des affaires, tandis que d'autres la jugent insuffisante et préfèreraient un droit préférentiel de rachat, à la constitutionnalité pourtant douteuse.

Enfin, quatrièmement, le texte contient de nombreuses dispositions d'adaptation et de modernisation du statut des différents acteurs du secteur de l'économie sociale et solidaire (articles 13 à 48), en particulier en matière d'accès au financement privé et de gestion patrimoniale. Ces dispositions intéressent les diverses formes de coopératives, dont les SCOP, ainsi que les mutuelles, les associations et les fondations. À ce titre, le texte procède en particulier à des modifications notables de la loi du 1 er juillet 1901 relative au contrat d'association.

Le texte comporte enfin des dispositions diverses (articles 49 à 53).

À l'initiative, notamment, de son rapporteur, notre collègue Marc Daunis, le présent projet de loi a été complété et enrichi par la commission des affaires économiques, qui a établi son texte le 16 octobre dernier. La commission des affaires sociales ainsi que la commission des finances se sont également saisies pour avis, traduisant bien le caractère transversal du texte, qui intervient dans les domaines de compétences de quatre commissions.

Au titre de ses compétences, votre commission a examiné les articles relevant du droit des sociétés (articles 1 er , 11, 12, 15 à 20, 53), du droit public (articles 9 et 10) et du droit des associations (articles 41 à 44, 51), avec le souci constant, manifesté par votre rapporteur, de la cohérence, de la clarté et de la sécurité juridiques et de la limitation des risque contentieux.

Votre commission a également été vigilante à l'application du texte outre-mer (article 51).

I. DIVERSES DISPOSITIONS RELEVANT DU DROIT DES SOCIÉTÉS, CENTRÉES SUR L'INFORMATION PRÉALABLE DES SALARIÉS EN CAS DE CESSION DE LEUR ENTREPRISE

Votre commission a examiné l' article 1 er , qui établit dans la loi une définition des principes de fonctionnement de l'économie sociale et solidaire, que ses acteurs doivent respecter pour pouvoir bénéficier de l'appellation d'entreprise de l'économie sociale et solidaire. En effet, cet article détermine les conditions particulières qui s'appliquent aux sociétés commerciales qui souhaitent se revendiquer entreprises de l'économie sociale et solidaire : il s'agit de conditions statutaires, les statuts devant être conformes à certains principes fixés par la loi en termes d'objet social et de modalités de gestion, mais également de conditions particulières d'immatriculation.

Tout en regrettant leur caractère parfois peu lisible du point de vue normatif, votre commission a approuvé les dispositions relatives à l'insertion des sociétés commerciales dans le champ de l'économie sociale et solidaire, à condition de respecter certains critères. Elle a adopté deux amendements visant à les clarifier, s'agissant notamment des modalités d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés des sociétés souhaitant bénéficier de la qualité d'entreprise de l'économie sociale et solidaire.

Votre commission a également examiné les articles 11 et 12 , ainsi que, par coordination, l' article 53 qui en détermine les conditions d'entrée en vigueur. L'article 11 instaure, au sein du code de commerce, un dispositif d'information préalable des salariés en cas d'intention de cession d'un fonds de commerce , afin de leur permettre de présenter une offre de reprise, tandis que l'article 12 institue un dispositif similaire en cas d'intention de cession d'une participation majoritaire dans une société . Sont concernées par conséquent tant les entreprises individuelles du commerce que les sociétés commerciales.

Dans les entreprises de moins de 50 salariés, dépourvues de comité d'entreprise, l'information des salariés est unique et directe, tandis que pour les autres elle complète celle donnée au comité d'entreprise 1 ( * ) , étant entendu que le dispositif global est limité aux petites et moyennes entreprises (PME), c'est-à-dire aux entreprises qui emploient moins de 250 salariés et dont le chiffre d'affaires n'excède pas 50 millions d'euros et le total de bilan 43 millions, englobant les très petites entreprises (TPE) ou microentreprises 2 ( * ) .

Ces dispositions ont fait l'objet d'une attention particulière de votre rapporteur, qui a tenu à entendre notamment les différents représentants des entreprises, très critiques à leur égard, au nom de la violation du secret des affaires et de l'atteinte à la confidentialité des négociations sur les cessions d'entreprise. Ceux-ci estiment que ce dispositif d'information conduira pour cette raison même à freiner les reprises d'entreprise, à l'inverse de l'objectif recherché. Votre rapporteur indique que ce dispositif ne serait pas applicable en cas notamment de succession, de transmission au sein de la famille ou de procédure collective.

Votre rapporteur signale que le défaut d'information des salariés peut faire encourir, à la demande des salariés, la sanction d'annulation de la cession intervenue , l'action en nullité ne pouvant toutefois être engagée que dans un délai de deux mois à compter de la publication de la cession, afin d'assurer la proportionnalité du régime de sanction.

Selon les chiffres avancés par l'étude d'impact 3 ( * ) , plusieurs milliers d'entreprises saines, représentant plusieurs dizaines de milliers d'emplois 4 ( * ) , ne seraient pas reprises chaque année, faute d'anticipation d'une cession par le chef d'entreprise. Entendu par la commission des affaires économiques, M. Benoît Hamon, ministre délégué chargé de l'économie sociale et solidaire et de la consommation, a indiqué le chiffre de 50 000 emplois détruits. Ainsi, les enjeux de la reprise d'entreprise sont donc lourds en termes d'emplois perdus et d'activité économique. Ils doivent mobiliser les pouvoirs publics comme les réseaux consulaires et les organisations professionnelles. Votre rapporteur estime donc légitime d'explorer davantage la piste de la reprise par les salariés, en mettant en place des mécanismes législatifs adaptés à cette finalité. L'étude d'impact relève toutefois, à raison, qu'il est « difficile de déterminer l'impact sur l'emploi de ces mesures » 5 ( * ) .

Toutefois, pour des motifs d'ordre constitutionnel , en particulier le risque d'atteinte au droit de propriété, à la liberté d'entreprendre et au principe d'égalité, le projet de loi a écarté l'idée un temps envisagée, qui pourrait paraître plus efficace au regard de l'objectif poursuivi, d'un droit préférentiel de rachat de l'entreprise par ses salariés , à offre égale avec celle d'un repreneur extérieur.

Votre commission s'est attachée à lever les incertitudes juridiques et à limiter les risques contentieux qui pouvaient subsister dans le projet de loi, s'agissant notamment de la computation des délais liés à l'information des salariés et de la possibilité pour le juge d'annuler la cession en l'absence d'information. À cette fin, elle a adopté dix-sept amendements présentés par son rapporteur. Elle a souhaité que l'information des salariés sur l'intention de céder soit formulée par lettre recommandée avec avis de réception et que ceux-ci soient soumis à une obligation de confidentialité, sauf à l'égard des personnes les accompagnant dans l'élaboration de leur offre de rachat. Par souci de cohérence de la loi et d'égalité des salariés, elle a aussi souhaité que le délai de deux mois ouvert aux salariés pour leur permettre de présenter une offre dans les entreprises de moins de 50 salariés figure dans le dispositif applicable aux PME de 50 salariés et plus.

Enfin, votre commission a examiné les articles 15 à 20 , qui ont pour objet d' adapter et moderniser le statut des sociétés coopératives ouvrières de production (SCOP) 6 ( * ) . Prenant la forme d'une société anonyme (SA) ou d'une société à responsabilité limitée (SARL) à capital variable, les SCOP sont constituées par les salariés de l'entreprise en qualité d'associés 7 ( * ) . Une part des excédents de gestion des SCOP doit être mise en réserve et affectée au développement de l'entreprise. Les SCOP sont régies par la loi n° 78-763 du 19 juillet 1978 portant statut des sociétés coopératives ouvrières de production, ainsi que par les dispositions non contraires de la loi n° 47-1775 du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération et par celles du code de commerce relatives aux sociétés commerciales.

En effet, au titre du droit des sociétés, la loi du 19 juillet 1978 avait été examinée au fond par votre commission des lois, sur le rapport de notre regretté collègue Etienne Dailly. Ce texte visait à refondre le statut des SCOP afin de leur donner de « nouvelles perspectives de développement » selon les termes de ce rapport : tel est également le cas du présent projet de loi.

Les dispositions des articles 15 et 16 du projet de loi ont pour objet de faciliter la transformation d'une société commerciale classique en SCOP, en prévoyant des mesures dérogatoires au statut pour une durée de sept ans, s'agissant notamment de la possibilité pour un investisseur extérieur de détenir plus de la moitié du capital 8 ( * ) : ce dispositif se veut complémentaire de celui cherchant à faciliter la reprise d'une entreprise par ses salariés, en vue de permettre aux salariés de la future SCOP de réunir les fonds nécessaires pour financer la transformation. L'article 17 crée un régime spécifique pour permettre la constitution de groupements de SCOP. L'article 18 propose de moderniser la dénomination de société coopérative ouvrière de production en société coopérative de production, sans que cela modifie le sigle SCOP, qui marque l'identité de cette catégorie particulière de sociétés. L'article 19 vise à permettre la constitution de SCOP sous forme de société par actions simplifiée (SAS) et plus seulement de SA ou de SARL. Enfin, l'article 20 procède à diverses mises à jour à caractère rédactionnel.

Ces dispositions ont pour finalité de faciliter la création comme le développement des SCOP, qui exercent leur activité professionnelle dans un environnement économique concurrentiel, à côté de sociétés commerciales classiques, et ont besoin d'outils juridiques plus adaptés. Votre commission les a approuvées, tout en adoptant cinq amendements proposés par son rapporteur destinés à améliorer leur insertion dans le droit en vigueur.


* 1 Article L. 2323-19 du code du travail.

* 2 Les critères de la microentreprise sont un effectif inférieur à 10 salariés et un chiffre d'affaires ou un total de bilan n'excédant pas 2 millions d'euros.

* 3 Voir p. 49.

* 4 Estimation de 100 à 200 000 emplois.

* 5 Voir p. 51.

* 6 Selon les chiffres de la confédération générale des SCOP, on recense de l'ordre de 2000 SCOP, qui emploient près de 45 000 salariés, dont 23 000 sont associés. Le nombre des SCOP est en progression rapide ces dernières années.

* 7 Une SCOP peut employer des salariés qui n'ont pas la qualité d'associé. Dans certaines limites, elle peut comporter des associés qui ne sont pas ses salariés et peuvent être des personnes morales.

* 8 L'étude d'impact évoque le dispositif de « SCOP d'amorçage ».

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