IV. UNE RÉNOVATION PÉDAGOGIQUE INABOUTIE FRAGILISANT LES ÉLÈVES ET LES ENSEIGNANTS

A. LA POURSUITE SANS INFLEXION DE LA RÉFORME MALGRÉ L'ACCUMULATION DES DIFFICULTÉS

1. L'évolution préoccupante des résultats des élèves

Votre rapporteure pour avis n'était pas opposée par principe au bac professionnel en trois ans pour les meilleurs élèves. En revanche, elle a toujours plaidé pour le maintien en parallèle de l'ancienne voie en quatre ans, via le BEP, parce qu'elle redoutait une dégradation du sort des élèves les plus fragiles et la multiplication des sorties sans qualification. Après cinq années de suivi de la rénovation de la voie professionnelle, elle ne peut que faire le constat que l'ensemble de ses craintes se sont révélées fondées. Il est paradoxal dans ces conditions que le ministre de l'éducation nationale ait simplement poursuivi la politique du précédent gouvernement sans l'infléchir, si ce n'est marginalement.

Généralisée à la hussarde et dans la précipitation, malgré les réticences de l'inspection générale, la réforme s'est bel et bien apparentée à une onde de choc qui a désorganisé l'ensemble des séquences pédagogiques du CAP et du baccalauréat professionnel. La déstabilisation est désormais avérée et se traduit depuis deux ans dans les résultats au baccalauréat.

En 2013, l'achèvement complet de la réforme de la voie professionnelle, dans laquelle ne subsistent plus que les nouveaux cursus en 3 ans, s'est traduit par une forte diminution du nombre de candidats au baccalauréat professionnel : - 40 100 élèves, soit - 17 %. Il y a de quoi relativiser l'optimisme qui prévalait l'année dernière au ministère de l'éducation nationale, où l'on se félicitait d'une forte hausse des candidats.

Avec un taux de réussite de 78,5 %, le nombre d'admis s'établit à 156 841 soit 30 600 de moins qu'en 2012. À la session 2013, les bacheliers professionnels représentent 27 % des bacheliers, soit 4 points de moins qu'en 2012. Le taux de réussite est resté quasi stable (+ 0,3 %) en 2013.

Il y a aucune raison d'en être satisfait puisque le taux de réussite au baccalauréat professionnel avait chuté l'an dernier de 5,6 points par rapport à 2011. C'était la troisième année de baisse consécutive du taux de réussite. La stabilisation s'opère donc à un étiage médiocre et ne peut avoir pour contrepartie qu'une hausse des sorties sans qualification.

Quel que soit le ministère de tutelle, l'écart de réussite se creuse entre le secteur des services et celui de la production. Au sein de l'éducation nationale, le secteur de la production diminue de 0,9 point et celui des services augmente de 1,9 point, tandis qu'au sein de l'agriculture, le secteur de la production diminue de 2,4 points et celui des services reste stable (- 0,1 point). C'est d'autant plus dommageable que les perspectives d'insertion professionnelle dans le secteur tertiaire au niveau IV sont plus faibles que dans le secteur industriel. Cet écart de réussite pénalise particulièrement les filles qui sont très massivement orientées vers le tertiaire. La réforme de la voie professionnelle tend donc à accroître les défauts préexistants du système scolaire.

Comme les professionnels unanimes, votre rapporteure pour avis place à la racine des échecs aux épreuves finales la réorganisation pédagogique inaboutie de la scolarité en trois ans. L'inertie du ministère de l'éducation nationale qui n'apporte pour l'instant aucune réponse aux difficultés concrètes constatées dans les établissements ne peut perdurer plus longtemps.

2. L'ambiguïté des objectifs de la réforme : faciliter la poursuite d'études ou l'insertion professionnelle ?

Après la réforme, la voie professionnelle est comme écartelée entre le certificat d'aptitude professionnelle (CAP) et le brevet de technicien supérieur (BTS). Le CAP sert de diplôme de secours pour les élèves les plus fragiles qui ne sont pas considérés comme capables de prétendre à un bac. Le BTS est présenté comme le débouché naturel des bacheliers professionnels. Placé entre le diplôme de niveau V servant à une insertion professionnelle immédiate et le diplôme de niveau III présenté comme une poursuite d'études logique, le bac professionnel souffre. Son sens et sa finalité sont de plus en plus brouillés : est-il une porte vers l'enseignement supérieur ou bien permet-il une bonne insertion professionnelle ?

Si l'on insiste sur les poursuites d'études comme l'a fait trop rapidement le ministère de l'éducation nationale pour susciter l'adhésion des parents et des élèves à la réforme, on méconnaît la spécificité de la voie professionnelle et on ruine la valeur du bac professionnel sur le marché du travail et auprès des employeurs. Ce serait une erreur d'offrir la poursuite d'études dans l'enseignement supérieur comme seul modèle de réussite aux élèves de lycée professionnel, comme c'est le cas pour leurs camarades des voies générale et technologique.

L'égale dignité des filières doit certes être assurée mais elle ne peut s'accommoder de l'uniformisation des formations au service d'un unique modèle de réussite. Si nous ne parvenions pas à garantir à la fois la dignité et la particularité de l'enseignement professionnel, nous perpétuerions implicitement la dévalorisation des savoirs techniques et de l'exercice d'un métier.

Il faut donc préserver la capacité d'insertion professionnelle du baccalauréat, lorsque c'est pertinent dans le secteur d'activité concerné, tout en accompagnant ceux qui le désirent vers l'enseignement supérieur pour leur donner toutes les chances de réussite. Pour l'instant, la rénovation de la voie professionnelle accentue l'ambiguïté du statut du bac professionnel et ne permet ni de sauvegarder sa capacité à insérer dans l'emploi, ni de développer sa fonction de propédeutique au BTS.

Le lien noué dans l'esprit des familles et des élèves entre le bac professionnel et la poursuite en BTS provoque une hausse des demandes d'admission en section de technicien supérieur (STS). Or, pour réussir dans l'enseignement supérieur, les bacheliers professionnels souffrent d'un net désavantage par rapport à leurs camarades d'autres filières car leurs acquis sont nettement plus fragiles dans les matières scolaires, en langues vivantes notamment, mais aussi en mathématiques.

Le taux de réussite au BTS, calculé sur l'ensemble des présents à l'examen terminal, est en moyenne de 73,2 % en 2012. Les résultats des candidats varient sensiblement selon le diplôme initial. Les titulaires d'un baccalauréat général ont un taux de réussite de 83,4 %, très supérieur à celui des bacheliers technologiques (75,8 %) et surtout à celui des bacheliers professionnels (57,9 %).

Résultats au BTS selon le diplôme initial

Diplôme initial

Session 2012 hors Mayotte

Présents

Admis

Taux de réussite
2012 (%)

Baccalauréat général

46 681

38 951

83,4

série L

9 947

7 992

80,3

série ES

20 082

16 994

84,6

série S

16 652

13 965

83,9

Baccalauréat technologique

71 238

53 995

75,8

série STT, STG

41 590

30 486

73,3

série STI

19 359

15 762

81,4

série STL

3 527

2 556

72,5

série SMS, ST2S

3 881

2 835

73,0

série hôtellerie

1 706

1 377

80,7

autres séries

1 175

979

83,3

Baccalauréat professionnel

35 253

20 402

57,9

domaines de la production

12 904

8 852

68,6

domaines des services

22 349

11 550

51,7

Autres diplômes (BT, BMA, étrangers...)

8 795

5 246

59,6

Total BTS

161 967

118 594

73,2

Source : Ministère de l'éducation nationale
Direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance

Plus précisément, deux tiers des bacheliers professionnels engagés dans un BTS venaient du domaine des services mais leur taux de réussite n'était que de 51,7 %. La moyenne est rehaussée par les performances des bacheliers professionnels issus de filières de production qui sont 68,6 % à obtenir leur diplôme.

Votre rapporteure pour avis ne peut que regretter ces chiffres alors que dans certaines spécialités du tertiaire - notamment secrétariat et comptabilité - dont les effectifs en lycée professionnel sont très importants, l'insertion professionnelle sans diplôme du supérieur est extrêmement difficile.

Les systèmes de quotas de places réservées aux bacheliers professionnels dans les STS mis en place par la loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur ne règlent pas le problème essentiel : celui de l'accompagnement et du soutien spécifique d'un public qui demeure assez éloigné de la norme scolaire. Chaque année ce sont au moins 15 000 bacheliers professionnels qui échouent au BTS, soit à peu près l'équivalent du nombre de bacheliers professionnels qui échouent en 1 re année d'université. Il est difficile de prétendre dans ces conditions que les STS forment une filière accueillante pour les bacheliers professionnels, même s'ils y ont trouvé de la place pour s'inscrire.

Plutôt que de stigmatiser les bacheliers professionnels en STS en les ramenant toujours à leurs lacunes dans les disciplines scolaires par rapport à leurs camarades issus des voies générale et technologique, il vaudrait mieux valoriser leurs savoir-faire et les capacités professionnelles qu'ils ont acquises. À défaut, on les place d'emblée dans une situation d'infériorité qui les met à l'écart du groupe classe et qui les démotive.

Application de la loi sur l'enseignement supérieur de 2013

La loi du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur dispose, modifiant l'article L. 612-3 du code de l'éducation, que « le recteur d'académie, chancelier des universités, prévoit, pour l'accès aux sections de techniciens supérieurs [...] un pourcentage minimal de bacheliers professionnels [...] ainsi que des critères appropriés de vérification de leurs aptitudes. Les pourcentages sont fixés en concertation avec les présidents d'université, les directeurs des instituts universitaires de technologie, les directeurs des centres de formation d'apprentis et les proviseurs des lycées ayant des sections de techniciens supérieurs ».

Il s'agit donc d'organiser au plan local, et en parfaite concertation avec les acteurs de terrain, la meilleure orientation possible pour les bacheliers professionnels. Sauf en tendance, les objectifs ne peuvent être nationaux, la variabilité des réalités locales ne le permettant pas.

Déjà, les premières données issues du portail Admission Post Bac montrent que, en valeur relative, le nombre de propositions d'admission en STS acceptées par les bacheliers professionnels est en augmentation (+ 9 %) pour la rentrée 2013. Anticipant la loi, les recteurs et les chefs d'établissements ont ainsi donné une suite plus importante aux demandes des bacheliers professionnels.

Par ailleurs le même article modifié du code de l'éducation dispose que « chaque lycée public disposant d'au moins une formation d'enseignement supérieur conclut une convention avec un ou plusieurs établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel de son choix dans son académie afin de prévoir des rapprochements dans les domaines pédagogique et de la recherche et de faciliter les parcours de formation des étudiants [...] . La préinscription assure aux élèves la connaissance des conventions existantes entre les lycées disposant d'au moins une formation d'enseignement supérieur et les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel auxquels ils sont associés ».

Le système conventionnel entre les lycées et les établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP) permettra de donner une plus grande visibilité aux parcours des étudiants, intégrant réellement les STS au sein de l'enseignement supérieur. Les possibilités de poursuites d'études, pour ceux des diplômés qui en auraient les capacités et en exprimeraient le souhait, pourraient s'en trouver développées.

Source : Ministère de l'éducation nationale

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