III. 2014 : L'ANNÉE DU CHANGEMENT ?

A. ADAPTER LE FINANCEMENT DES INDUSTRIES CULTURELLES À LA RÉVOLUTION NUMÉRIQUE

1. La concurrence déloyale des « géants » de l'Internet

La transformation structurelle de l'économie permise par la révolution numérique a conduit à l'émergence de nouveaux concurrents spécialisés, les « pure players » , désormais à la tête de véritables empires. Innovants et efficaces, ils génèrent des chiffres d'affaires colossaux et possèdent des capacités d'investissement inégalées. Exploitant les avantages inhérents à leurs activités, et notamment le caractère dématérialisé des échanges commerciaux, les « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon) ont développé des stratégies fiscales et juridiques d'évitement avec des implantations à l'étranger et des flux croisés de transferts de valeur . Ils échappent, in fine , en grande partie à l'assujettissement à la TVA comme à l'impôt sur les bénéfices.

Les industries culturelles nationales sont les premières à souffrir de cette inégalité fiscale , notamment s'agissant de leur activité de commerce physique de biens culturels. Libraires, disquaires mais également enseignes spécialisées comme la Fnac se trouvent en difficulté et nombre d'entre eux sont acculés à la fermeture.

En outre, leur situation est aggravée par le bouleversement qu'induit Internet sur la consommation de biens culturels avec le développement de l'achat à l'acte, de la location et de la vente à distance.

Or, comme cela a été mentionné par votre rapporteur pour avis dans le cas de la musique, même lorsque les acteurs nationaux tentent de conserver des parts de marché en matière de biens et services culturels en adaptant leur offre à la révolution numérique, le nouveau modèle économique ainsi créé ne compense en aucun cas la diminution structurelle des marchés traditionnels de commerce physique.

Les industries culturelles françaises sont enfin déstabilisées par l' absence de contribution des GAFA à leur financement, malgré une incroyable création de valeur, à leur profit, générée par les contenus culturels en ligne.

Les dispositifs traditionnels de partage de la valeur entre diffuseurs et créateurs, comme les règles fiscales, ne sont plus opérants et il est désormais urgent, avant qu'il ne soit trop tard pour nos industries, de les adapter aux règles de l'économie numérique.

2. Le sursaut tardif des pouvoirs publics français

En réaction à la captation de richesses réalisée par les GAFA au détriment des créateurs et aux difficultés financières croissantes des industries culturelles françaises, les pouvoirs publics ont engagé une réflexion sur le financement de la création à l'heure du numérique, en vue d'assurer la pérennité d'une offre culturelle riche, variée et accessible au plus grand nombre. À cet effet, une mission a été confiée en août 2012 à Pierre Lescure par le ministre de la culture et de la communication. Remis le 13 mai 2013, le rapport de la mission présente, autour de quatre-vingt propositions, des pistes d'évolution des outils de protection de l'exception culturelle autour de trois axes :

- l'offre légale en ligne et l'accès des publics à cette offre

Il s'agit tout d'abord d' améliorer la disponibilité numérique des oeuvres, toujours insuffisante au regard des attentes des internautes. La promotion de l'exploitation en ligne reposerait sur le renforcement de l'obligation d'exploitation des oeuvres reposant sur les producteurs. À cet égard, l'accord-cadre relatif au contrat d'édition à l'ère du numérique conclu le 21 mars 2013 pourrait servir de précédent, notamment pour l'édition musicale.

Pour élargir l'offre de contenus disponible, le rapport préconise également des mesures liées à la numérisation des oeuvres et, plus particulièrement, à son financement avec la combinaison de deux soutiens : la mobilisation de l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC) sous la forme d'avances remboursables lorsque l'exploitation offre des perspectives de rentabilité (les livres indisponibles par exemple) et, en cas de potentiel commercial limité, des subventions. En outre, la mission plaide pour une accélération raisonnée de la chronologie des médias.

Afin de favoriser le développement de services culturels numériques sur le territoire national, est rappelée l'importance d'appliquer, dès 2015, la règle du pays consommateur en matière de TVA , ainsi que la nécessité que ce taux soit identique que le service culturel soit numérique ou physique ;

- la rémunération des créateurs et le financement de la création

Outre les moyens de garantir la rémunération des ayants droit au titre de l'exploitation numérique de leurs oeuvres grâce à un meilleur partage de la valeur entre auteurs et producteurs et la rénovation du dispositif de rémunération pour copie privée (extension de l'action artistique et culturelle des sociétés de gestion de droits à la diffusion numérique des oeuvres et prise en compte du développement de l'informatique en nuage), le rapport Lescure propose de renforcer la contribution des acteurs numériques au financement de la création.

Dans ce cadre, la mission propose la création d'une taxe sur les ventes d'appareils connectés permettant de lire ou de stocker des contenus culturels, avec un taux faible (de l'ordre de 1 %) et une assiette large. Le produit en serait versé à un compte d'affectation spéciale, géré par le ministère de la culture et de la communication, visant à encourager et à accompagner la transition numérique des industries culturelles ;

- l'adaptation du droit de la propriété intellectuelle au numérique

Il s'agit ici de moderniser les exceptions au droit d'auteur et de mieux reconnaître les licences libres en clarifiant leur régime juridique.

De nombreuses mesures préconisées appellent des modifications législatives, qui, selon les informations fournies à ce jour par le ministère de la culture et de la communication, pourraient intervenir dans le courant de l'année 2014.

Parallèlement à la nécessaire modernisation de la législation et de la réglementation nationales, votre rapporteur rappelle l'urgence de poursuivre les négociations aux niveaux communautaire et international .

Au niveau communautaire d'abord, il convient de cibler les négociations sur une accélération du calendrier relatif au changement de régime de la TVA sur les services de télécommunication et de e-commerce, notamment s'agissant de la durée du régime transitoire prévu jusqu'au 1 er janvier 2019 . Chaque mois passé sous le régime de distorsion de concurrence actuel renforce en effet la position, déjà quasi hégémonique, des entreprises du numérique basées dans des pays européens à faible TVA, à l'instar d'Amazon au Luxembourg, tandis que se meurent les acteurs français les plus fragiles. Au-delà, s'impose une harmonisation fiscale européenne en matière d'impôt sur les sociétés, dont l'horizon semble malheureusement bien lointain.

Au plan international ensuite, les propositions de l'OCDE en matière d'économie numérique se font attendre malgré la mise en oeuvre d'une réflexion dès 1999 en vue d'adapter les règles de taxation au contexte du commerce électronique, notamment par la création de la notion d'établissement virtuel stable afin de remédier à l'érosion des bases fiscales imposables et aux transferts de bénéfices. Pourtant, en marge du G20 de novembre 2012, la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni ont à nouveau appelé à une action cordonnée en vue de renforcer et d'adapter les normes fiscales internationales aux stratégies de contournement des GAFA.

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