II. LE FINANCEMENT DE LA VIE POLITIQUE : UNE MATURITÉ TRÈS PROGRESSIVEMENT ATTEINTE

A. - LE FINANCEMENT DE LA CAMPAGNE PRÉSIDENTIELLE : S'ADAPTER À LA RÉALITÉ DES CAMPAGNES MODERNES

Le financement de la campagne pour l'élection du président de la République obéit à des règles partiellement dérogatoires au droit commun du financement des campagnes électorales, fixées par l'article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962. Des adaptations semblent, aux yeux de votre rapporteur, encore nécessaires pour prendre en compte la particularité de cette élection qui, qu'on s'en félicite ou qu'on le déplore, constitue un des évènements centraux de la vie politique et institutionnelle de notre pays.

1. Tirer les conséquences des décisions rendues par le Conseil constitutionnel et par la commission nationale des comptes de campagne
a) Une notion de dépense à caractère électoral progressivement affinée par la jurisprudence

Bien que non définie par la loi, la notion de dépense à caractère électoral permet de distinguer les dépenses devant figurer ou non au compte de campagne. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 52-12 du code électoral, le compte de campagne doit retracer l'ensemble des recettes et « l'ensemble des dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection, hors celles de la campagne officielle ».

La jurisprudence a précisé que les dépenses à caractère électoral sont celles « dont la finalité est l'obtention des suffrages des électeurs ». Dès lors, les dépenses qui, bien qu'engagées pendant la campagne électorale par le candidat, n'ont pas cette finalité, ne constituent pas des dépenses électorales et ne peuvent ouvrir droit au remboursement forfaitaire de l'État 4 ( * )

Autrement dit, les frais qui ne sont pas engagés avec la volonté de convaincre des électeurs d'apporter leur soutien à un candidat ne sont pas des dépenses électorales. Inversement, un candidat ne saurait exclure volontairement de son compte de campagne les dépenses effectuées à titre électoral, au besoin en proratisant ces dépenses parmi un ensemble de dépenses ayant une autre finalité, dans le seul but de ne pas dépasser le plafond autorisé.

Si, en vertu de l'article 58 de la Constitution, le Conseil constitutionnel « veille à la régularité de l'élection du Président de la République », la CNCCFP juge en premier ressort du respect par les candidats des obligations légales en matière de financement de la campagne électorale à travers l'examen du compte de campagne. Les décisions de la CNCCFP, qui « approuve, rejette ou réforme, après procédure contradictoire, les comptes de campagne et arrête le montant du remboursement forfaitaire » peuvent faire l'objet d'un recours de pleine juridiction devant le Conseil constitutionnel par le candidat concerné, dans le mois suivant leur notification.

À l'issue de l'élection présidentielle de 2012, la CNCCFP a rendu dix décisions, neuf concluant à la validation du compte du candidat concerné, mais systématiquement après réformation, et une concluant au rejet du compte qui a fait l'objet d'un recours aboutissant à la décision du Conseil constitutionnel du 4 juillet 2013.

Ces décisions ont entraîné une charge d'activité considérable pour la CNCCFP et le Conseil constitutionnel. S'agissant de la requête contre la décision du 19 décembre 2012 de la CNCCFP, le Conseil constitutionnel a recouru à deux rapporteurs adjoints, reçu sept mémoires du candidat et de la CNCCFP entre le 10 janvier et le 11 juin 2013 et procédé à de nombreuses mesures d'instruction pour évaluer le montant des dépenses devant ou non être inscrites au compte de campagne, auprès d'une formation politique, de plusieurs communes, de la présidence de la République, de cabinets de conseils et de plusieurs sociétés. Au total, cette seule décision a nécessité plus de six mois de travail.

Les précisions jurisprudentielles apportées à la suite de l'élection présidentielle de 2012 sur la notion de dépenses électorales

S'agissant des dépenses exclues par la CNCCFP, certains motifs récurrents sont le plus souvent invoqués pour justifier l'exclusion des frais concernés du compte de campagne.

Il s'agit en premier lieu de l'absence de justificatifs attachés aux dépenses déclarées. En l'absence de documents permettant à la commission, ou au Conseil constitutionnel, de se prononcer sur le caractère électoral des dépenses mentionnées, les montants concernés sont presque systématiquement exclus des dépenses remboursables.

La CNCCFP exclut également des dépenses remboursables les frais engagés postérieurement à l'échéance électorale qui ne peuvent, par définition, présenter un caractère électoral. Concernant l'élection présidentielle de 2012, on notera par exemple que la commission a retranché 1 586 euros correspondant au coût de l'abonnement à une compagnie de taxis pour les mois postérieurs au scrutin, et 8 692 euros à un autre candidat pour la location de photocopieurs au-delà de la date du premier tour jusqu'à la fin du mois de juin.

La CNCCFP exclut également des dépenses de nature électorale les dépenses, certes effectuées pendant la campagne électorale, mais dont le lien avec l'échéance présidentielle est pour le moins ténu. On notera par exemple que les frais de déplacement de l'un des candidats en Grèce, dès lors qu''il n'a pas été démontré que ce déplacement avait permis de recueillir le suffrage de Français établis dans ce pays dans le cadre de l'élection présidentielle française, pour 2 696 euros, ont été exclus des dépenses électorales. Il en fut de même pour les 2 371 euros engagés par un candidat pour les frais occasionnés par une rencontre avec des personnes présentées comme des « opposants russes » à Paris dans la mesure où les thèmes évoqués lors de cette rencontre ne pouvaient pas être considérés comme présentant un lien direct avec l'élection présidentielle française. Un autre candidat a également dû retirer de son compte de campagne 1 196 euros liés à la commande d'un sondage de notoriété, tout comme, plus substantiellement, 129 305 euros pour « la valorisation du temps de travail des bénévoles comptabilisée en avantage en nature ».

En outre, ne constituent des dépenses électorales que la part des dépenses réellement consacrée à l'échéance électorale. Ainsi, la jurisprudence distingue la valeur d'utilisation de la valeur d'acquisition des biens : 1 474 euros ont par exemple été retranchés du compte d'un candidat qui avait porté le coût total de l'acquisition de matériel informatique à son compte de campagne. Ce fut également le cas pour une dépense de 4 587 euros résultant de la formation de l'équipe de campagne d'un autre candidat à l'utilisation d'un logiciel statistique d'analyse de données électorales dans la mesure où ce logiciel avait vocation à être utilisé par la suite par le parti politique du candidat.

De même, ont été exclus du compte de campagne d'un candidat les frais d'impression de deux documents de propagande électorale rédigés en langue étrangère, au motif que la langue de la République française est constitutionnellement le français.

La CNCCFP, comme le Conseil constitutionnel, ont d'ailleurs la faculté de moduler la part d'une dépense de ce type qui doit être affectée au compte de campagne. Ainsi, un candidat à l'élection présidentielle qui avait inscrit à son compte de campagne une somme de 1 538 037 euros, correspondant à 50,4 % du montant total des dépenses d'une réunion publique, en invoquant la tenue, dans la matinée, d'un « conseil national extraordinaire » de sa formation politique, consacré à la préparation des élections législatives, a été contraint par le Conseil constitutionnel de réintégrer 80 % des dépenses relatives à l'organisation de cette manifestation et 95 % des dépenses de transport, soit un total de 1 063 865 euros supplémentaires à son compte de campagne.

Encore faut-il, même si la nature « politique » de la dépense est incontestable, qu'elle ne soit pas liée aux activités politiques habituelles du candidat. Autrement dit, une dépense ne peut pas être intégralement de nature électorale si elle s'inscrit dans le calendrier politique habituel, non lié au cycle électoral, des dépenses du candidat. C'est la raison pour laquelle la CNCCFP a exclu une partie des dépenses liées aux manifestations politiques qui se tiennent chaque année, en considérant que seules les dépenses engagées ou effectuées en vue de l'élection et spécifiquement destinées à l'obtention des suffrages sont imputables au compte de campagne. Un candidat s'est, pour ce motif, vu retrancher la moitié du montant des dépenses liées à l'organisation de deux manifestations, soit 123 000 euros environ.

En outre, toutes les dépenses liées à l'annulation de prestations commandées ou à des prestations payées mais non utilisées sont systématiquement retirées des dépenses de caractère électoral. En effet, par définition, ces dépenses ne peuvent pas avoir contribué au résultat électoral. De nombreux candidats ont ainsi dû retirer des dépenses remboursables le prix de billets d'avion non utilisés, le coût d'une réservation annulée d'une salle de réunion, etc.

À l'inverse, des dépenses non mentionnées par les candidats dans leur compte de campagne sont réintégrées par la commission dès lors qu'elles présentent un caractère électoral.

En 2012, la commission a ainsi réintégré dans les dépenses électorales de quatre candidats, au titre des concours en nature, une partie des frais relatifs à la publication, l'acquisition ou la diffusion de six ouvrages, ces derniers constituant à l'évidence un moyen de propagande électorale.

La CNCCFP a également eu l'occasion de rappeler que c'est bien la date de réalisation de la prestation, et non la date de facturation, qui doit être prise en compte. Ainsi, un candidat a dû ajouter à ses dépenses électorales la somme de 34 299 euros, correspondant à des prestations relatives aux réunions publiques et à la « web radio » de campagne, payées postérieurement au dépôt du compte de campagne mais effectivement engagées en vue de l'élection et qui n'avait pas été inscrite au compte.

La jurisprudence affine donc progressivement les critères qui doivent permettre aux candidats d'évaluer ce qui relève, ou non, des dépenses à caractère électoral.

Votre rapporteur, s'il ne peut que se féliciter de cette clarification, regrette néanmoins qu'elle ne se soit toujours pas accompagnée d'une réforme des conditions dans lesquelles les candidats sont appelés à déposer leur compte. il parait plus que jamais indispensable que la nomenclature retenue soit modifiée pour permettre un contrôle plus aisé et plus synthétique des principale dépenses engagées à commencer par les grands meetings dont le cout exact est extrêmement difficile à reconstituer .

Votre rapporteur considère par ailleurs que le plafond des dépenses fixé par la loi est trop bas, au regard des exigences d'une campagne moderne. Sans remettre en cause le principe d'égalité entre les candidats, il préconise donc une réévaluation de ce plafond.

b) La nécessité de réévaluer le plafond des dépenses de la campagne présidentielle

Événement majeur de la vie politique nationale, l'élection présidentielle fait l'objet, tous les cinq ans, de contestations relatives à son déroulement qui alimentent la polémique électorale. Dans son rapport remis au président de la République en novembre 2012, la commission de rénovation et de déontologie de la vie publique soulignait, comme votre rapporteur l'indiquait l'an dernier, « la nécessité de faire évoluer les règles relatives au remboursement public des dépenses électorales exposées par les candidats » à l'élection présidentielle.

La fixation d'un plafond de dépenses pour tout candidat à l'élection présidentielle répond à un principe d'égalité entre les candidats. Ce principe favorise le pluralisme politique et la remise en cause de l'interdiction faite aux personnes morales de financer la vie politique, de surcroit sans limitation comme c'est le cas aux États-Unis, constituerait un frein au multipartisme.

Conformément à l'article 112 de la loi du 28 décembre 2011 de finances pour 2012, les plafonds des dépenses électorales pour l'élection présidentielle s'établissent, conformément au décret du 30 décembre 2009 5 ( * ) , à 16,851 millions d'euros pour les candidats du premier tour et à 22,509 millions d'euros pour les candidats qualifiés pour le second tour.

Votre rapporteur réitère sa suggestion d'une augmentation substantielle des plafonds de dépense pour cette élection, notamment pour ce qui concerne les candidats qualifiés pour le second tour. Il apparaît en effet que les dépenses des principaux candidats, qui mènent une campagne à temps plein pendant plusieurs mois, s'approchent, élection après élection, très sensiblement des plafonds actuellement fixés.

À la suite de l'élection de 2012, le Conseil constitutionnel a même conclu, après réintégration de dépenses électorales non comptabilisées par le candidat, au dépassement du plafond fixé pour un candidat.

Il ne s'agit nullement de remettre en cause le principe d'un plafond de dépenses, dont l'existence constitue un garde-fou essentiel, mais davantage d'étudier si le montant de ce plafond, dont la revalorisation a sans doute été insuffisante, ne doit pas être revu à la hausse.

Le coût extrêmement important que de nouvelles méthodes de campagne induisent (mise en ligne, maintenance et sécurité du site Internet, déplacements devant les expatriés, organisation de meetings « géants », etc.) rend ce seuil irréaliste. Les observations formulées l'an dernier à ce sujet demeurent donc, à la lumière des décisions rendues depuis par la CNCCFP et par le Conseil constitutionnel, plus que jamais valables : « ces plafonds pourraient conduire des candidats, à l'avenir, à minimiser le montant de certaines dépenses effectuées afin de ne pas dépasser le plafond fixé, plutôt qu'à ne pas effectuer ces dépenses. Dans un objectif de transparence et de réalisme, il conviendrait de revoir ce plafond ». Le risque est grand également, et probablement avéré, que des dépenses restent du coup volontairement masquées et financées dans des conditions échappant à tout contrôle.

Cependant, votre rapporteur préconise de coupler cette hausse des plafonds à de nouvelles règles relatives au remboursement forfaitaire des candidats, afin de ne pas creuser l'écart entre les candidats bénéficiant de moyens importants, et les autres. Pour ce motif, il est indispensable de mettre un terme à l'effet de seuil que les règles actuelles provoquent à partir de l'obtention de 5 % des suffrages exprimés.

c) Un impératif : mettre un terme à l'effet de seuil dans les modalités de remboursement

L'article 3 de la loi du 6 novembre 1962 fixe le plafond du remboursement public en fonction du score obtenu par le candidat au premier tour de l'élection présidentielle. Le plafond du financement est de 4,75 % du plafond total de dépenses pour tout candidat qui recueille moins de 5 % des suffrages exprimés. Il est dix fois plus important (47,5 %) pour tout candidat qui obtient au moins 5 % des suffrages exprimés. À quelques suffrages près, le montant remboursé aux candidats varie donc entre deux plafonds, l'un de 800 000 euros et l'autre de 8 millions d'euros. Il conduit à une inégalité majeure entre les candidats, dont certains hésitent à s'engager pleinement dans la campagne en raison des incertitudes qui pèsent sur leur score (plus ou moins de 5 % des suffrages exprimés) et sur le financement qui en résulte.

Dans sa décision n° 2012-152 PDR du 25 avril 2012 relative aux résultats du premier tour de scrutin de l'élection du Président de la République, le Conseil constitutionnel a arrêté les suffrages obtenus par chacun des dix candidats à l'élection présidentielle (pour un total de 46 028 542 électeurs inscrits, de 36 584 399 votants et de 35 883 209 de suffrages exprimés). Il en résulte les éléments suivants :

Candidat(e)s

Suffrages exprimés obtenus
au 1 er tour

Part des suffrages exprimés

Plafond de remboursement arrêté
(en euros)

Montant remboursé au candidat ramené à la part des suffrages exprimés
(en euros)

Mme Eva Joly

828 345

2,31 %

800 423

0,96

Mme Marine Le Pen

6 421 426

17,90 %

8 004 225

1,25

M. Nicolas Sarkozy

9 753 629

27,18 %

Aucun remboursement forfaitaire

0

M. Jean-Luc Mélenchon

3 984 822

11,10 %

8 004 225

0,20

M. Philippe Poutou

411 160

1,15 %

791 391

1,92

Mme Nathalie Arthaud

202 548

0,56 %

779 871

3,85

M. Jacques Cheminade

89 545

0,25 %

401 899

4,48

M. François Bayrou

3 275 122

9,13 %

5 981 729

1,82

M. Nicolas
Dupont-Aignan

643 907

1,79 %

776 408

1,21

M. François Hollande

10 272 705

28,63 %

10 691 775

1,04

Source : Commission des lois du Sénat

Sans extrapoler démesurément, votre rapporteur constate que le rapport entre le nombre de suffrages obtenus et le montant du remboursement forfaitaire varie fortement d'un candidat à l'autre.

Outre l'effet de seuil autour des 5 % des suffrages exprimés, il existe une disparité difficilement explicable du rapport moyen de remboursement au regard de suffrages obtenus entre les candidats de part et d'autre de ce seuil.

Votre rapporteur réaffirme donc qu'il conviendrait de définir le montant total des remboursements versés aux candidats à l'élection présidentielle par la loi de finances de l'année de l'élection pour connaître à l'avance le montant de l'enveloppe budgétaire allouée au remboursement des candidats à l'élection présidentielle (éventuellement en majorant cette enveloppe au regard du nombre arrêté de candidats).

Selon votre rapporteur, le plafond de remboursement applicable aux deux candidats du second tour serait augmenté d'une prime, dont le montant serait forfaitaire et égal, pour chaque candidat et quel que soit le score obtenu au premier tour, à 5 % de l'enveloppe totale (soit plus de 2 millions d'euros). Enfin, les sommes restantes (correspondant au montant total des remboursements diminué de celui des deux « primes ») seraient réparties entre les candidats du premier tour, au prorata des voix obtenues, et permettraient de calculer le plafond de remboursement propre à chacun d'entre eux. En d'autres termes, le montant maximal du remboursement serait strictement proportionnel au nombre de voix obtenues. Cette innovation permettrait de mettre fin aux effets de seuil qui caractérisent la législation actuellement en vigueur alors qu'aucun effet d'aubaine ne pourrait entraîner la multiplication des candidatures, dans la mesure où le mécanisme de filtre, par l'exigence de 500 parrainages 6 ( * ) , serait parallèlement maintenu.


* 4 CE, 27 juin 2005, n° 272551.

* 5 Décret n° 2009-1730 du 30 décembre 2009 portant majoration du plafond des dépenses électorales.

* 6 Cette exigence est prévue par la loi n°62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l'élection du président de la République au suffrage universel

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