C. DES BESOINS CONSIDÉRABLES FINANCÉS PAR L'ENDETTEMENT

1. Le poids du passé et de lourds chantiers à venir

Pour bien comprendre les enjeux financiers, il faut d'abord distinguer entre les charges de RFF selon qu'elles portent sur le développement du réseau (ouverture de nouvelles lignes), qui est un investissement, ou bien sur la maintenance . Cette dernière se décompose entre l'entretien , dépenses de fonctionnement, et le renouvellement , dépenses d'investissement. Entretien et renouvellement constituent un ensemble indissociable, le second permettant de diminuer les coûts du premier.

En 2005, l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) avait réalisé un audit du réseau ferré national, dit « audit Rivier », qui avait montré son vieillissement préoccupant . En effet, dans les années 1980, la priorité a été donnée au développement des lignes à grande vitesse (LGV) au détriment du renouvellement du réseau existant.

Entendu par la commission du développement durable, Jacques Rapoport, président de RFF, constatait ainsi que « notre réseau s'est beaucoup dégradé, du fait d'un sous-investissement chronique de trente années. Je ne jette pas la pierre à mes prédécesseurs : en 1980, une pause de cinq à dix ans était probablement justifiée, mais celle-ci a duré trente ans.

« Depuis cinq à six ans, les investissements ont repris - et c'est une excellente chose - mais ils ont repris prioritairement sur le réseau régional. Il est vrai qu'il s'agissait du plus dégradé mais, de fait, la partie la plus structurante du réseau, celle où circulent 80 % des trains, a continué à vieillir. Après les efforts très importants accomplis en 2013 et 2014, l'âge moyen du réseau va continuer à augmenter » 8 ( * ) .

En effet, à partir de 2006, comme le montre le tableau ci-dessous, les dépenses de maintenance se sont accrues de plus de 60 % , passant de 2 839 millions d'euros à 4 591 millions d'euros en 2014. Les investissements de renouvellement ont été particulièrement ciblés.

Répartition des dépenses de développement et de maintenance
sur le réseau ferré national

en millions d'euros

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014
(prev)

Investissement de développement (immobilisations)

1 183

1 355

1 570

1 572

1 387

2 459

3 117

4 861

3 876

Maintenance

2 839

2 945

3 236

3 596

3 651

3 958

4 307

4 811

4 591

dont investissements de renouvellement (immobilisations)

1 034

1 056

1 299

1 639

1 705

1 934

2 172

2 675

2 433

dont entretien (charges)

1 805

1 889

1 937

1 957

1 946

2 024

2 135

2 136

2 158

Total

4 022

4 300

4 806

5 168

5 038

6 417

7 424

9 672

8 467

part des dépenses de développement

29 %

32 %

33 %

30 %

28 %

38 %

42 %

50 %

46 %

part des dépenses de maintenance

71 %

68 %

67 %

70 %

72 %

62 %

58 %

50 %

54 %

Source : RFF

Fin septembre 2013, RFF a présenté le « Grand plan de modernisation du réseau » (GPMR), qui correspond à une enveloppe de 15 milliards d'euros sur six ans, soit environ 2,5 milliards d'euros par an .

Dans ce cadre, la priorité devrait être donnée aux lignes du réseau structurant, dites « lignes UIC 2 à 6 » 9 ( * ) . En effet, le document de présentation du GPMR rappelle que l'actualisation de l'audit Rivier en 2012 « a pointé le fait que ces lignes (et notamment celles des catégories 2 à 4) n'avaient pas bénéficié d'investissements suffisants au regard des besoins identifiés dans le précédent rapport de 2005 ».

Dès lors, « la priorité des six années à venir portera sur des lignes relevant des catégories UIC 2 à 6 en y allouant les moyens nécessaires pour en diminuer l'âge moyen. Les lignes relevant des catégories UIC 7 à 9 continueront à faire l'objet d'un effort de renouvellement dans le respect de la priorité précitée ».

Comme le souligne le président de RFF, « nous avons face à nous un mur de travaux dont l'impact économique est considérable . Il comporte des enjeux en matière de circulation des trains, avec une qualité de service tendanciellement à la baisse sur les zones les plus denses, notamment en Île-de-France » 10 ( * ) .

Or, la Cour des comptes rappelle que cet effort sur les lignes structurantes « exige des chantiers lourds, majoritairement réalisés la nuit, qui contribuent à l'alourdissement des coûts de maintenance. Le taux de travaux de nuit a connu une augmentation importante, passant de 19 % en 2009 à 74 % en 2012. Après une phase de maîtrise des coûts jusqu'en 2011, il en résulte une hausse du coût du GOPEQ 11 ( * ) en 2012 (1,18 million d'euros pour un objectif de 1,15 million d'euros) et des risques nouveaux.

« Outre la dérive des charges d'entretien, la multiplication des chantiers provoque un mitage du réseau qui empêche toute augmentation de sa productivité et de sa performance commerciale » 12 ( * ) .

Au surplus, ces lourds investissements à venir pour arrêter le vieillissement du réseau ne permettent pas encore de faire baisser les coûts d'entretien. En septembre 2012, devant la commission des finances, Alain Quinet, directeur général délégué de RFF, avait indiqué que, à terme, l'on attend que « l'effort de rénovation et le rajeunissement du réseau permettent des économies sur l'entretien, mais cet effort est aujourd'hui encore trop récent pour avoir des effets visibles et tangibles sur l'entretien.

« On est donc dans cette phase de transition, difficile à gérer sur le plan industriel et sur le plan financier . Dans notre esprit, cet effort de rénovation doit être poursuivi plusieurs années encore et doit gagner en efficacité » 13 ( * ) .

En valeur absolue, les moyens ont augmenté au profit de la maintenance. Toutefois, il faut également souligner que les investissements de développement ont à nouveau crû à partir de 2011. RFF indique que « l'accroissement récent de la part des dépenses de développement par rapport à la maintenance traduit le poids des quatre chantiers de LGV 14 ( * ) en construction simultanée » 15 ( * ) .

Le président de RFF, entendu par la commission du développement durable, a ainsi déclaré : « un ordre de grandeur, pour que l'on se rende bien compte : faire fonctionner le réseau coûte 4 milliards d'euros par an, hors frais financiers . Nous investissons 7,5 milliards, soit quasiment 200 % de notre chiffre d'affaires ! Aucune entreprise ne le fait. Nous avons des investissements considérables : les quatre lignes à grande vitesse (LGV) en travaux représentent, à elles seules, une vingtaine de milliards sur cinq ans » 16 ( * ) .

2. La difficile équation financière de RFF
a) Des recettes contraintes

Les recettes de RFF sont principalement constituées par les redevances d'infrastructure (péages) qu'il facture aux entreprises ferroviaires pour l'utilisation du réseau et par les subventions publiques, principalement de l'État.

Depuis 2009, dans le cadre du précédent contrat de performance avec l'État, RFF a procédé à une importante augmentation des tarifs des péages puisqu'ils représentaient 2,9 milliards d'euros fin 2008 et 5,3 milliards d'euros fin 2012 .

Cette hausse, significative en valeur absolue, n'a pas permis d'atteindre les objectifs poursuivis. En effet, sur la même période, l'État a diminué le montant de ses subventions (hors dotation d'investissement) et la crise économique a provoqué une baisse du volume de trafic. La nouvelle tarification n'a donc pas apporté des ressources supplémentaires au gestionnaire.

Pour les années à venir, l'augmentation des péages sera inévitablement limitée.

D'une part, les évolutions de la tarification de RFF sont désormais soumises à un avis conforme de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires (ARAF). L'année dernière, elle a émis un avis négatif sur la hausse des prix envisagée pour le service horaire 2014, conduisant RFF à revoir sa copie initiale. La Cour des comptes note que « RFF s'est engagé à mieux corréler l'évolution de la redevance de circulation avec les variations prévisionnelles des coûts d'exploitation et de maintenance, en rétrocédant les gains de productivité inscrits en cible dans sa trajectoire financière » 17 ( * ) .

D'autre part, afin de limiter une tendance inflationniste, qui pèse sur les comptes des entreprises ferroviaires - et en premier lieu sur la SNCF - le Gouvernement a décidé un encadrement pluriannuel des péages sur la période 2014-2018.

RFF indique ainsi que, « concernant les péages, SNCF Réseau reprend l'engagement de RFF vis-à-vis des entreprises ferroviaires de voyageurs sur la période 2014-2018 : l'ensemble du barème de péage évoluera en moyenne comme ?l'inflation ferroviaire?, ajustée de plus ou moins 0,3 % (hors mise en service de lignes nouvelles). Les péages des entreprises ferroviaires de fret évolueront en fonction des concours publics versés par l'État afin de respecter la réglementation européenne qui prévoit de couvrir le coût marginal » 18 ( * ) .

Il n'est, au surplus, pas prévu que l'État augmente les dotations versées à RFF (ou au futur SNCF Réseau). Dès lors, le gestionnaire d'infrastructure ne peut pas compter sur une hausse importante de ses recettes dans les années à venir .

b) Un déficit structurel de 1,5 milliard d'euros par an

RFF est autorisé à recourir à l'emprunt pour couvrir ses dépenses d'investissement (renouvellement et développement).

Toutefois, s'agissant des investissements de développement, RFF est soumis à la règle de l'article 4 de ses statuts 19 ( * ) , qui dispose que « RFF ne peut accepter un projet d'investissement sur le réseau ferré national, inscrit à un programme à la demande de l'État, d'une collectivité locale ou d'un organisme public local ou national, que s'il fait l'objet de la part des demandeurs d'un concours financier propre à éviter toute conséquence négative sur les comptes de RFF sur la période d'amortissement de cet investissement ». Concrètement, son endettement ne peut excéder les recettes attendues (péages) du projet de développement .

En l'état actuel, le document de présentation du Grand plan de modernisation du réseau rappelle que « les sommes consacrées au fonctionnement du réseau ferroviaire, bien qu'importantes, ne permettent pas de couvrir le coût complet du réseau existant . [...] Il apparaît de manière récurrente un déficit de l'ordre de 1,5 milliard d'euros , une fois inclus les investissements indispensables à la rénovation du réseau [et sans tenir compte] des investissements de développement , normalement couverts par le gage de recettes futures (avec accroissement de la dette) et/ou des subventions ».

Fin 2013, la dette de RFF atteignait 33,7 milliards d'euros, soit une augmentation de 7 % sur un an , l'établissement n'étant pas capable d'autofinancer les investissements de rénovation et de modernisation du réseau. Au total, sur l'exercice 2013, RFF a réalisé 30 opérations de levée de dette pour un montant total de 4,9 milliards d'euros (pour une maturité moyenne de 17 ans). Il faut également noter la baisse du coût moyen des emprunts (4,13 % en 2013 contre 4,56 % en 2012), compte tenu des faibles taux d'intérêt.

Pour Jacques Rapoport, président de RFF, « il est clair que cette part publique de la dette va croître dans les années qui viennent . [...] Ce sont des sommes considérables qui sont investies sur le réseau. Or , il n'existe pas d'autofinancement, qu'il s'agisse de celui dégagé par l'exploitation, qui est de quelques centaines de millions d'euros par an, ou des subventions perçues, qui ne sont évidemment pas suffisantes . Il manque donc 3 milliards d'euros , et ceux-ci viennent augmenter un peu plus la dette chaque année » 20 ( * ) .

Le graphique ci-dessous, transmis par la SNCF à votre rapporteur, montre l'évolution de l'endettement du système ferroviaire (SNCF Mobilités et SNCF Réseau) en l'absence de tout plan de performances et de réforme ferroviaire.

Source : SNCF

Ainsi, en 2025, si l'endettement du transporteur peut être stabilisé, celui du gestionnaire d'infrastructure (dans toutes ses composantes : RFF, SNCF-Infra et DCF) atteindrait 69 milliards d'euros contre 37 milliards d'euros actuellement .

Il faut également souligner que RFF - et SNCF Réseau - risque de se trouver confronter à un « effet boule de neige », par lequel l'établissement serait obligé de s'endetter afin de couvrir les intérêts de sa dette. En 2013, malgré des taux d'intérêts relativement bas, les charges financières ont représenté plus de 1,3 milliard d'euros. Comme le note la Cour des comptes, « il ressort de l'analyse des comptes que RFF est confronté à un déséquilibre structurel lié essentiellement à sa dynamique d'endettement . L'importance de cet endettement se traduit par des frais financiers considérables et un résultat financier qui dégrade fortement le résultat net de l'établissement » 21 ( * ) .

La réforme ferroviaire se justifie pleinement au regard de ce constat préoccupant.


* 8 Audition du 11 juin 2014.

* 9 Il s'agit de la classification de l'Union internationale des chemins de fer (UIC). Les lignes LGV sont les lignes UIC 1, les grandes lignes UIC 2 à 6, les lignes régionales ou locales, UIC 7 à 9.

* 10 Audition du 11 juin 2014.

* 11 Grande opération programmée équivalente : indice de mesure des opérations de renouvellement ; un GOPEQ équivaut au renouvellement complet d'un kilomètre de voie et de ballast.

* 12 Cour des comptes, Réseau ferré de France, exercices 2008-2012 , rapport particulier, octobre 2013.

* 13 Audition du 26 septembre 2012.

* 14 Tours-Bordeaux (Sud Est Atlantique), contournement Nîmes-Montpellier, LGV Bretagne, LGV Est 2 nde phase.

* 15 Réponse au questionnaire du rapporteur.

* 16 Audition du 11 juin 2014.

* 17 Cour des comptes, Réseau ferré de France, exercices 2008-2012 , rapport particulier, octobre 2013.

* 18 Réponse au questionnaire du rapporteur.

* 19 Décret n° 97-444 du 5 mai 1997 relatif aux missions et aux statuts de Réseau ferré de France.

* 20 Audition du 11 juin 2014.

* 21 Cour des comptes, Réseau ferré de France, exercices 2008-2012 , rapport particulier, octobre 2013.

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