B. DES RÉFORMES DEVENUES URGENTES, POUR MAINTENIR UN SYSTÈME VERTUEUX POUR L'INDUSTRIE CINÉMATOGRAPHIQUE

À l'issue des Assises pour la diversité du cinéma, René Bonnell a formulé 50 propositions concrètes pour adapter notre modèle de financement de l'industrie cinématographique à l'ère du numérique. Ces propositions portent principalement sur :

- un partage plus équilibré des risques , fondé sur une transparence accrue (rendus de comptes, audits plus fréquents) et une maîtrise des coûts de production (présentation modifiée des devis, modulation des financements encadrés en fonction des pratiques) ;

- une diversification du financement de la production : réorientation du préfinancement (préachat des chaînes de télévision, SOFICA, soutien public), apport de capitaux complémentaires ( crowdfunding , modèle alternatif de production intégrant la distribution) ;

- un développement des différents marchés de la diffusion des films : chronologie des médias, aménagement de la distribution des films de la diversité dans les salles, soutien et contribution accrue de la vidéo à la demande et de l'export dans l'économie des films.

Dans cet ensemble complet de réformes devenues nécessaires, votre rapporteur pour avis souligne ici quatre points qui devront faire l'objet d'une grande vigilance tout au long de l'année 2015.

Dans sa réunion du 19 novembre 2014, la Commission de la culture, de l'éducation et de la communication, sur proposition de son rapporteur pour avis, a adopté un amendement élevant à 20 millions d'euros le plafond de crédit d'impôt qu'un producteur établi en France peut obtenir sur les dépenses engagées sur le territoire national pour la production d'une oeuvre cinématographique ou audiovisuelle - soit le même plafond que celui du crédit d'impôt dit « international », visant les producteurs établis hors de France.

1. S'engager, pour plusieurs années, à laisser au CNC l'intégralité des taxes qui lui sont affectées

Le projet de loi de finances pour 2015 ne prévoit aucun écrêtage ni ponction sur les taxes affectées au CNC et qui abondent le fonds de soutien. Votre rapporteur pour avis s'en réjouit et considère que cela devrait être la règle, y compris lorsque la ressource publique est rare.

De fait, ces taxes affectées, en abondant le fonds de soutien, constituent une épargne forcée pour l'investissement dans l'activité cinématographique , laquelle, on le sait, a un effet de levier sur le développement territorial dans son ensemble. Cette épargne n'a rien d'un « trop perçu » ni d'un « magot » qu'il serait légitime de reverser au budget de l'État ; c'est plutôt une provision pour investissement , dont l'usage est restreint à l'activité cinématographique : les industriels de l'image et les spectateurs du cinéma, lorsqu'ils paient les taxes (la TST, la TSA...), contribuent au développement du cinéma et cette contribution est vertueuse puisqu'elle provisionne la production, tout redistribuant une petite partie des bénéfices (des films à succès, vers les films qui ne le rencontrent pas).

Le prélèvement, dans ces conditions, n'est donc guère incitatif ; il est même contreproductif, puisqu'en plus de rogner un levier d'investissement direct dans l'industrie cinématographique, il « sanctionne » le secteur s'il obtient de bons résultats : à confisquer les provisions de la filière, on ne fait que la décourager de ses efforts et de ses bons résultats.

C'est d'autant plus vrai dans une période de « repli » comme celle que nous traversons. Les chiffres de l'année 2014 , qui ne seront établis définitivement qu'au printemps prochain, sont alarmants : à part la fréquentation des salles de cinéma, qui continue de progresser - car les salles ont été numérisées, c'est encore un acquis du soutien public à cette transition qu'aucun autre pays européen n'est parvenu à faire -, tous les indicateurs de l'industrie cinématographique sont inquiétants. Selon les avis convergents de représentants de la production, de la diffusion et du CNC, les investissements pourraient reculer entre le quart et le tiers en 2014 par rapport à 2013.

Le cinéma étant un marché d'offre, les conséquences en chaîne de ce repli seront importantes : l'industrie cinématographique française pourrait être au seuil d'une crise majeure, telle qu'elle n'en a pas connu depuis des décennies.

Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis s'est ému des deux amendements adoptés par la commission des finances, l'un pour « écrêter » la taxe sur les services de télévision 27 ( * ) , l'autre pour opérer un prélèvement de 61,5 millions d'euros sur le fonds de roulement du CNC 28 ( * ) .

En effet, la commission des finances indique que le CNC n'ayant pas, comme inscrit dans le tome I « Voies et Moyens » du projet de loi de finances pour 2015, effectué une contribution exceptionnelle de 60 millions d'euros, il convient de « mettre en cohérence le projet de loi de finances pour 2015 avec les documents budgétaire s ». Or, le CNC a dû effectivement « recadrer » ses dépenses d'intervention en tablant sur 630 millions d'euros de taxes affectées au lieu de 700 millions.

De fait, la TST-D avait été « calibrée » fin 2013 pour un rendement de 270 millions d'euros et c'est sur cette base que le CNC a établi ses programmes d'intervention, en particulier les soutiens automatiques. Or, dès le mois de mai dernier, les premiers acomptes ont montré que le rendement de la TST-D ne dépasserait pas 200 millions d'euros et qu'il manquerait donc 70 millions au budget sur lequel le CNC engageait l'action. Dans ces conditions, le Gouvernement a rendu l'arbitrage suivant : la TSD n'est pas augmentée (ce qui était techniquement possible de faire), mais le fonds de soutien sera intégralement « entre ses mains », sans prélèvement - et sans non plus d'écrêtement.

Pour votre rapporteur pour avis, cette double initiative de la commission des finances est malheureuse et dangereuse. Malheureuse, parce qu'elle démontre combien le système vertueux de soutien à l'industrie cinématographique est mal compris au sein même de la représentation nationale ; dangereuse, parce qu'un tel prélèvement fragiliserait le cinéma français au pire des moments et ferait douter l'ensemble de la filière sur la sincérité de l'engagement de l'État.

Le CNC a déjà largement contribué aux efforts d'économies et de rationalisation de la dépense publique : 300 millions d'euros ont été prélevés ces dernières années, des réformes sont engagées pour plus de transparence sur l'ensemble de la chaîne de valeur . Et ce nouveau recul de la TST-D l'oblige à un nouvel effort : cette année, ses dépenses prévisionnelles d'intervention reculent de 10 % (voir supra) , quand, on le répète, les investissements sont en repli important . Un nouveau prélèvement et un « écrêtage » seraient un mauvais coup porté à l'industrie cinématographique et à l'intérêt même de notre pays.

Dans ces conditions, l'ensemble de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, par un vote des membres présents le mercredi 19 novembre 2014, a souhaité que la commission des finances revoie sa position et appelé chacun à voter contre les deux amendements en question.

2. Assouplir la chronologie des médias

La chronologie des médias est un pilier du système vertueux de préfinancement des oeuvres cinématographiques en France ; renouvelée par la loi « Hadopi » du 12 juin 2009 (articles L. 231-1 à L. 234-2 du code du cinéma et de l'image animée) et fixée par l'accord interprofessionnel du 6 juillet 2009 (étendu par arrêté ministériel), elle définit des « fenêtres d'exploitation » des oeuvres soutenues par des chaînes de télévision soumises à des obligations de production et de diffusion ; pour être viables, ces fenêtres doivent être proportionnelles à ces obligations, mais aussi cohérentes entre elles et adaptées au marché de la diffusion. C'est ici que le bât blesse, chaque année davantage : la révolution numérique bouleverse les conditions de diffusion, on voit désormais des films sur de très nombreux supports, partout, mais aussi dans des délais de plus en plus courts - en particulier du fait du piratage.

Depuis l'accord de juillet 2009, les films peuvent être commercialisés dans les délais suivants, à compter de leur sortie en salle :

- DVD et Vidéo à la demande (VàD): quatre mois, avec possibilité d'une dérogation à trois mois pour les films ayant généré un faible public en salle (seuil réglementaire) ;

- télévision payante, en première diffusion : 10 mois, ou 12 mois en cas d'absence d'accord avec les organisations professionnelles du cinéma ; pendant la période d'exclusivité de Canal+, la fenêtre d'exploitation est gelée et toute exploitation en VàD doit être interrompue ;

- télévision payante (2 e diffusion) et télévision en clair et autre services payant consacrant au moins 3,2 % de leur chiffre d'affaires à la coproduction : 22 mois ou 24 mois en cas d'absence d'accord avec les organisations professionnelles du cinéma ;

- télévision en clair et autre services payant consacrant moins de 3,2 % de leur chiffre d'affaires à la coproduction : 30 mois ;

- vidéo à la demande par abonnement : 36 mois ;

- vidéo à la demande gratuite : 48 mois.

Le tableau ci-après présente les différentes « fenêtres » d'exploitation :

La chronologie des médias

Fenêtre d'exploitation

Accord de 2009

Situation antérieure

Sorties en salle

J = sortie en salles

vidéo physique (fixée par la loi)

J+4 mois
(dérogation possible à 3 mois)

J + 6 mois

VàD à l'acte

J + 33 semaines

première fenêtre TV payante de cinéma

en cas d'accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + 10 mois

J + 12 mois

dans le cas contraire

J + 12 mois

seconde fenêtre TV payante de cinéma

en cas d'accord avec les organisations professionnelles du cinéma

J + 22 mois

J + 24 mois

dans le cas contraire

J + 24 mois

services de télévision en clair et autres services payants

s'ils consacrent 3,2 % de leur chiffre d'affaires à la coproduction d'oeuvres cinématographiques

J + 22 mois

J + 24 mois (films coproduits)
J + 36 mois (autres films)

dans le cas contraire

J + 30 mois

J + 36 mois

VàD par abonnement

J + 36 mois

J + 36 mois

VàD gratuite

J + 48 mois

N A

Source : Centre national du cinéma et de l'image animée

Reconduite chaque année depuis 2009, cette chronologie fait l'objet d'un débat de plus en plus intense, une partie des professionnels demandant un raccourcissement du délai à 18 mois, contre 36 mois aujourd'hui, pour la diffusion des films aux services de vidéo par abonnement (le rapport Lescure va également dans ce sens).

Dans une lettre à la ministre de la culture et de la communication, datée du 17 octobre 2014, un ensemble très large de professionnels 29 ( * ) demande « le dégel total des droits » sur la vidéo à la demande payante à l'acte , de manière à ce que les films puissent être continument achetables en vidéo - et non pas « gelés » - le temps de leur diffusion à la télévision.

Ce raccourcissement stimulerait le marché de la vidéo en ligne, puisque des films plus récents y figureraient . Il constituerait également, selon ses partisans, un atout contre le piratage puisque l'offre légale ne serait pas « défaillante » pendant la fenêtre d'exploitation. Cependant, cette présentation plus rapide sur le marché de la vidéo fragiliserait les chaînes en clair (dès lors qu'elles continueraient de devoir attendre 30 mois) et Canal+, qui fait valoir que ses obligations importantes de production sont liées à cette protection de trois ans. De plus, les opposants à ce « dégel » soulignent que les films concernés sont accessibles en ligne - pour les abonnés de ces chaînes -, que le piratage est fonction de la présence d'un film sur internet plutôt que de son absence. Surtout, ils s'alarment de ce que l'absence de délai ne fasse avant tout le jeu des grands opérateurs de la vidéo en ligne, tels Netflix et Lovefilm (Amazon), qui disposent de moyens bien supérieurs aux opérateurs français sur le marché de la vidéo en ligne - et qui ne participent guère au financement de l'activité cinématographique dans notre pays.

Dans ces conditions, le Fonds de soutien y perdrait, sauf si l'on parvenait à soumettre ces grands opérateurs internationaux - qui n'éditeront très probablement pas leur catalogue en France - à un minimum d'obligations de production et de cotisation. La mise en oeuvre de telles obligations suppose également de connaître le chiffre d'affaires que ces entreprises réalisent en France : l'harmonisation, au 1 er janvier prochain, de la TVA dans l'Union européenne, va dans ce sens.

Ce débat, continu depuis la signature de l'accord de 2009, concentre toute l'attention des professionnels et paraît devenir de plus en plus tendu à mesure de n'être pas conduit à son terme.

Pour votre rapporteur pour avis, il est devenu évident que la chronologie des médias actuelle n'est guère tenable et qu' il y a effectivement intérêt à soutenir la présence des films sur le marché de la vidéo en ligne, dans des délais plus courts qu'aujourd'hui. Cependant, il est tout aussi évident que ce changement des règles doit s'accompagner de compensations pour les chaînes de télévision, au premier chef Canal+, qui fait valoir avec raison que le raccourcissement change l'équilibre économique de sa participation - essentielle - au financement du cinéma français.

La décision, cependant, appartient aux professionnels eux-mêmes, qui ont à charge de renégocier, ou non, l'accord passé en 2009 - et reconduit tacitement chaque année.

Votre rapporteur pour avis s'interroge sur l'utilité qu'il y aurait à limiter dans le temps la validité d'un tel accord professionnel : une échéance légale de trois ans, par exemple, n'éviterait-elle pas à la chronologie des médias un décalage avec les usages, tel qu'il existe actuellement ?

3. Conforter les obligations des chaînes de télévision

Comment faire face à l'inéluctable baisse de la participation des chaînes de télévision au financement de la production cinématographique ?

Le mode de calcul des obligations de production et de diffusion des chaînes de télévision en clair apparaît de plus en plus décalé avec le rôle que le cinéma joue sur leurs antennes ; dans le même temps, le cinéma participe activement à la percée des chaînes de la TNT gratuite : comment adapter nos règles à cette nouvelle donne ?

Le rapport Bonnell, qui pose ces questions, suggère plusieurs pistes pour « redessiner les obligations des chaînes de télévision », leur niveau de détail témoigne du long travail préparatoire à ce rapport. Quelle suite donner, en particulier, à la proposition de décloisonner les obligations au sein de chaque groupe de télévision ? L'idée serait de faire peser les obligations sur les groupes, à charge pour eux de les répartir entre les différentes chaînes, avec ventilation du financement : ne serait-ce pas leur faciliter l'exposition même des films, donc conforter leur participation au financement de la production cinématographique ?

Autre proposition, faut-il faire participer davantage les chaînes de TNT au préfinancement des films ? Un simple relèvement des obligations paraît y suffire : est-il à l'ordre du jour ?

Enfin, quelles inflexions donner aux obligations de production pour Canal+, qui joue un rôle essentiel dans le financement du cinéma français ?

4. Améliorer les crédits d'impôt cinéma, au service de l'activité cinématographique dans l'Hexagone

Dans une étude récente commandée à un bureau d'études externe, le CNC fait la synthèse suivante de l'impact positif des crédits d'impôts 30 ( * ) :

- le crédit d'impôt cinéma relocalise des tournages de long métrages : depuis la mise en place du dispositif début 2004, la part des jours de tournage réalisés en France pour les films de fiction a augmenté sensiblement, passant de 65,1 % en 2003 à 75,5 % en 2013. Il a eu un impact favorable sur l'emploi : entre 2004, année de mise en place du crédit d'impôt cinéma et 2012, les effectifs totaux d'emplois permanents et intermittents déclarés dans la production de films pour le cinéma ont connu une augmentation de 38 %, passant de 49 000 emplois à 68 000. Enfin, il abonde les recettes de l'État : en 2013, pour un crédit d'impôt de 42 millions d'euros, les films concernés ont occasionné quelque 491 millions d'euros de dépenses en France, entrainant elles-mêmes des recettes de l'État estimée à 129 millions d'euros : pour un euro de crédit d'impôt cinéma, 11,6 euros de dépenses seraient réalisées dans la filière et 3,1 euros de recettes fiscales et sociales seraient perçues par l'État ;

- le crédit d'impôt international (C2I) attire des tournages étrangers et ce surcroît d'activité profite à l'ensemble de notre industrie cinématographique et audiovisuelle , renforçant le taux d'utilisation des moyens techniques et des compétences. Le dispositif est monté en régime depuis 2009, les dépenses effectuées en France par les tournages concernés passant de 33 millions d'euros à 110 millions d'euros, avec un effet positif sur l'emploi (130 000 journées d'intermittents par an en moyenne depuis 2009) et sur la technicité de la filière dans le secteur de l'animation et des effets visuels numériques. Le C2I aurait également un solde positif pour les recettes de l'État : en 2013, pour 15,6 millions d'euros de C2I, l'État aurait perçu des recettes estimées à 41,4 millions d'euros sur les quelque 110 millions d'euros de dépenses occasionnées par les neuf films concernés, tous à gros budget, et plus de 3 600 emplois intermittents auraient été générés par les films ayant bénéficié du C2I en 2013.

Or, l'analyse comparée des incitations fiscales montre que nos dispositifs sont moins attractifs, en particulier que ceux de nos voisins belges et allemands, qui présentent des avantages comparatifs à nos frontières mêmes :

- le crédit d'impôt cinéma est moins élevé qu'ailleurs , rapporté au coût de production : 7,9 %, contre 18,9 % en Belgique et 12,2 % en Allemagne ; les dépenses prises en compte sont également moins larges et les plafonds plus bas que chez nos concurrents . Enfin, son taux est moins favorable qu'en Belgique, qui prévoit un seuil jusqu'à 45 % ;

- le C2I est également moins favorable que les dispositifs de nos concurrents les mieux offrants - qui ne distinguent pas tous les avantages selon la « nationalité » du film.

Ces éléments sont très importants pour l'ensemble de l'activité cinématographique dans notre pays. La concurrence pour la localisation des tournages a profondément changé ces dernières années et cette accélération est liée, elle aussi, à la révolution numérique : les techniques numériques rendent beaucoup plus simple de tourner loin des lieux où l'action du film se déroule, de même que le transport des données numériques rend le travail à distance bien plus aisé. Dans ces conditions, le critère financier prend plus d'importance encore et les productions comparent les avantages fiscaux, par nature prévisibles. Depuis quelques années, la concurrence fiscale pour attirer des tournages est très active, avec des effets directs sur l'activité des pays les « mieux offrants » 31 ( * ) . C'est bien le signe d'une évolution très rapide de l'activité cinématographique, dont il faut prendre l'entière mesure, faute de quoi la France perdra les atouts patiemment construits depuis les débuts de l'histoire du cinéma.

Pour y faire face, nous avons relevé l'an passé, à 4 millions d'euros, le plafond des dépenses prises en compte dans le crédit d'impôt cinéma (au lieu de 1 million d'euros), de même que le plafond pour le C2I (10 millions d'euros en 2013, puis 20 millions d'euros en 2014). Ces niveaux, cependant, présentent encore deux défauts importants :

- ils ne sont pas suffisants face à la concurrence : l'étude comparative réalisée pour le CNC montre bien la moindre incitation fiscale de tourner en France ;

- ils introduisent de l'incohérence puisque le C2I est plus favorable que le crédit d'impôt « pour les nationaux » : votre rapporteur pour avis a été saisi de cas où il serait plus intéressant de passer par une société étrangère que par une société française, pour un tournage réalisé en France.

Dans ces conditions, votre rapporteur pour avis estime qu'il est devenu nécessaire, et urgent, d'améliorer notre dispositif d'ensemble :

- en élevant les plafonds des crédits d'impôt et en élargissant l'assiette des dépenses retenues : l'assiette pourrait être élargie aux dépenses à caractère social, c'est-à-dire l'ensemble des dépenses d'interprétation - cachets de petits rôles, dépenses de figuration, acteurs de post-synchronisation, cascadeurs - mais aussi aux dépenses de droit d'auteur, sous réserve qu'ils soient fiscalement domiciliés en France (photographes, traducteurs, sous-titrages, oeuvres musicales préexistantes), aux frais de commission versés aux agents artistiques et aux dépenses à caractère logistique (frais de cantine, frais d'hébergement, frais de déplacement du personnel, frais de location de matériel de régie, dépenses annexes aux décors) ;

- en assurant une cohérence entre les différents types d'impôts, ceux qui visent les films français et ceux visant les films étrangers . Votre rapporteur pour avis estime légitime que les films français tournés en France bénéficient du même traitement que les films américains tournés en France, ce qui n'exclurait plus les films dont le budget est ambitieux, favoriserait la relocalisation des tournages et donc l'emploi.

Et c'est sur la proposition de son rapporteur pour avis que votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, réunie le 19 novembre 2014, a adopté un amendement élevant à 20 millions d'euros le plafond de crédit d'impôt qu'un producteur établi en France peut obtenir sur les dépenses engagées sur le territoire national pour la production d'une oeuvre cinématographique ou audiovisuelle - soit le même plafond que celui du crédit d'impôt dit « international », visant les producteurs établis hors de France.

5. Renforcer le soutien à l'exportation du cinéma français

Comme le note la Cour des comptes dans son rapport d'avril 2014 32 ( * ) , « l'augmentation des ventes à l'international (devient) indispensable au préfinancement et à la rentabilisation » de films qui ne peuvent plus se contenter du marché français. Dès lors, comment élargir les débouchés du film français à l'étranger ?

Le rapport de la Cour des comptes et le rapport Bonnell soulignent que le soutien à l'exportation est le parent pauvre du soutien public à l'activité cinématographique : les aides à la promotion et à l'exportation représenteraient entre 0,5 % et 2,5 % du volume des ventes (hors coproduction) de films et de programmes à l'international En 2010, 82 exportateurs porteurs de 328 projets se seraient partagé 3,1 millions d'euros d'aides du CNC à la promotion et à l'exportation des films, soit un montant moyen de 9 500 euros par film 33 ( * ) . La Cour des comptes précise que le soutien à l'exportation est « fragmenté et peu lisible » parce que notre politique de soutien a été construite pour protéger notre marché domestique des films américains, bien davantage que pour promouvoir, à l'étranger, des oeuvres et des programmes français.

La Cour estime que « la multiplicité d'intervenants dans le soutien à l'exportation des films et des programmes audiovisuels est une source de complexité, voire de redondance : par exemple Unifrance Films et l'Institut français peuvent mener des opérations similaires de sensibilisation au cinéma français (...) tandis qu'Unifrance et le CNC proposent tous deux des aides au sous-titrage ». Dès lors, il apparaît redondant de maintenir deux canaux de soutien très proches, qui sont du reste financés par la même source, le CNC...

La Cour suggère dès lors des pistes de réforme réalistes, composant avec les outils déjà en place :

- la poursuite de l'effort de clarification des compétences voire le rapprochement entre les principaux acteurs intervenant dans ce secteur - UniFrance, l'Institut français et TVFI en particulier - pour éviter les redondances ;

- le basculement des moyens actuels sur le Fonds d'avance remboursables pour l'acquisition, la promotion et la prospection de films à l'étranger (Farap) mis en place fin 2013 34 ( * ) , d'une part, et sur un soutien sélectif ponctuel géré par une commission unique (sous l'égide du CNC, d'Unifrance ou de TVFI).

D'après les informations recueillies par votre rapporteur pour avis, le CNC se serait saisi de ces pistes de réforme Il sera utile d'en suivre le déroulement dans les tout prochains mois, tant une telle réforme paraît accessible, peu onéreuse et utile, dès lors qu'elle se règle sur les besoins des professionnels et des films.

*

* *

Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015, sous réserve de l'adoption des trois amendements que la commission a adoptés le mercredi 19 novembre 2014.

*

* *

La commission émet un avis défavorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2015 .


* 27 Amendement n° 16 à l'article 15.

* 28 Amendement n° 20 insérant un article additionnel après l'article 16.

* 29 Lettre cosignée par le Bureau de liaison des industries cinématographiques (Blic), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc) et par l'Union des producteurs de films (UPF), adressée à Mme Fleur Pellerin, le 17 octobre 2014.

* 30 Évaluation des retombées économiques directes et indirectes des crédits d'impôts, CNC, 7 octobre 2014.

* 31 Parmi les dispositifs concurrents, voir le tax shelter en Belgique (2004), l' Act on Motion Picture en Hongrie (2005), le Tax credit au Royaume-Uni (2007), le DFFF en Allemagne (2007), le CIAV au Luxembourg, ou encore le crédit d'impôt irlandais, régulièrement renforcé.

* 32 Les soutiens à la production cinématographique et audiovisuelle. Des changements nécessaires. Rapport public thématique. Avril 2014.

* 33 Rapport précité de la Cour des comptes, p.154.

* 34 Doté initialement de 8 millions d'euros par le CNC, ce fonds offre à ses bénéficiaires des avances pouvant atteindre 600 000 euros pour une durée comprise entre 12 et 36 mois, assorties d'une clause d'allègement conditionnel pouvant atteindre 25 % de leur montant en fonction de la qualité et du succès du programme d'investissements financé.

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