B. LE PROJET DE LOI N'APPORTE QU'UNE RÉPONSE TRÈS PARTIELLE AUX BESOINS DE SIMPLIFICATION ET DE CLARIFICATION DANS LA RÉPARTITION DES COMPÉTENCES

1. Les solutions esquissées par le Gouvernement : des départements préservés à court terme et un rapprochement avec les métropoles
a) L'avenir encore incertain des départements

La suppression des départements a été présentée à plusieurs reprises, notamment par le rapport Attali publié en 2008 17 ( * ) , comme une mesure de simplification du paysage institutionnel susceptible d'améliorer l'efficacité de l'action publique décentralisée ainsi que l'efficience de la gestion des deniers publics. Au moment du dépôt du présent projet de loi au Sénat - il a été enregistré à la présidence le 18 juin 2014 -, une telle analyse semblait partagée par le Gouvernement, l'exposé des motifs envisageant clairement la suppression des conseils généraux à l'horizon 2020 , dans le cadre d'une révision constitutionnelle.

Si votre rapporteur pour avis reconnaît la nécessité de clarifier les responsabilités et d'améliorer la coordination des acteurs, il estime que la solution ne réside pas nécessairement dans la suppression d'un échelon de collectivités territoriales. Il se satisfait d'ailleurs que les données du problème aient évolué sur ce point puisque, lors du débat organisé au Sénat le 28 octobre dernier, le Premier ministre M. Manuel Valls a reconnu le rôle indispensable que jouent les départements « en matière de protection des populations les plus fragiles et de soutien aux communes » . Il a par ailleurs indiqué que les conseils départementaux, qui seront renouvelés au mois de mars prochain, devraient être confortés dans leurs compétences de solidarités territoriales et humaines, renvoyant à l'après 2020 l'hypothèse d'une réforme.

Extraits du discours du Premier ministre Manuel Valls
28 octobre 2014 - Sénat

« [...] Le rôle des conseils départementaux en matière de protection des populations les plus fragiles et de soutien aux communes est bien sûr indispensable. [...]

Les assemblées départementales, qui seront désignées lors des élections des 22 et 29 mars 2015, exerceront pleinement leurs compétences de solidarité, si importantes pour nos concitoyens. Et je veux saluer à ce titre l'engagement des personnels des départements.

Lors de cette phase de transition - je veux être très clair -, la collectivité départementale pourra même être confortée sur ces compétences de solidarité territoriale et humaine, par exemple en matière d'ingénierie territoriale et d'accès aux services au public.

Après 2020, le paysage territorial aura évolué. Les régions se seront approprié leurs nouvelles compétences ; les intercommunalités structureront, plus encore qu'aujourd'hui, les territoires. Alors, peut-être, le cadre départemental pourra évoluer. Là où il y a des métropoles - je vous ai lus-, c'est évident. Je note qu'il y a un consensus sur ce point. D'autres initiatives bienvenues, cher Didier Guillaume - mais il en est d'autres dans cette assemblée - voient le jour, avec des rapprochements en cours entre conseils départementaux ou une meilleure coordination des intercommunalités. C'est un mouvement de réforme que le Gouvernement entend construire avec les territoires pour permettre à chacun de trouver la forme d'organisation qui lui convient le mieux. Et cela prend nécessairement du temps ! »

Cette position a été réaffirmée lors de l'intervention du Premier ministre au congrès de l'Assemblée des départements de France à Pau, le 6 novembre dernier. Pour autant, les contours d'une éventuelle réforme du département ne sont pas encore définis et l'hypothèse d'une différenciation de l'organisation du territoire selon l'existence ou non de métropoles et selon le caractère plus ou moins urbain des départements semble avoir fait long feu.

Votre rapporteur pour avis estime qu'à partir du moment où la suppression des départements n'est plus considérée comme opportune, ces derniers doivent pouvoir être pleinement confortés dans l'exercice de leurs compétences. Si l'article 24 du projet de loi prévoit de supprimer la clause de compétence générale des départements - tout comme le fait l'article 1 er pour les régions -, leur capacité d'action ne doit pas pour autant s'en trouver freinée ou limitée au simple exercice de missions de « guichet » en matière d'action sociale.

Pour votre rapporteur pour avis, l'existence des départements doit pouvoir continuer de reposer sur deux piliers fondamentaux que sont la solidarité entre les hommes et la solidarité des territoires. Il a déposé un amendement en ce sens, identique à celui des rapporteurs de la commission des lois, afin que soit clairement affirmée à l'article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales cette double mission des départements.

Article L. 3211-1 du code général des collectivités territoriales

« Le conseil général règle par ses délibérations les affaires du département.

Il statue sur tous les objets sur lesquels il est appelé à délibérer par les lois et règlements et sur tous les objets d'intérêt départemental dont il est saisi.

Il a compétence pour promouvoir les solidarités et la cohésion territoriale sur le territoire départemental, dans le respect de l'intégrité, de l'autonomie et des attributions des régions et des communes. »

b) Vers un rapprochement des départements et des métropoles dans la mise en oeuvre des politiques d'aide et d'action sociale

L'article 23 prévoit la possibilité d'organiser, dans le cadre d'une convention, le transfert ou la délégation, depuis le département vers la métropole, de sept groupes de compétences ou d'une partie d'entre eux. Six de ces groupes de compétences entrent dans le champ des politiques sociales, le septième étant relatif au tourisme, à la culture et à la gestion des équipements sportifs. Il s'agit :

- de la gestion du fonds de solidarité pour le logement ;

- des missions confiées au service départemental d'action sociale, c'est-à-dire en pratique des travailleurs sociaux des circonscriptions d'action sociale du département ;

- de l'adoption, de l'adaptation et de la mise en oeuvre du programme départemental d'insertion ;

- de la gestion du fonds d'aide aux jeunes en difficulté ;

- des actions de prévention spécialisée menées auprès des jeunes en difficulté et de leurs familles ;

- de l'action sociale menée notamment auprès des personnes âgées.

L'article 23 dispose par ailleurs que, dans l'hypothèse où aucune convention n'aurait été conclue sur au moins trois des sept groupes de compétences au 1 er janvier 2017, leur totalité serait transférée, de droit, aux métropoles. Aux yeux de votre rapporteur pour avis, une telle contrainte ne pouvait avoir de sens que dans l'hypothèse d'une suppression future des départements. A partir du moment où ces derniers doivent au contraire pouvoir être confortés dans l'exercice de leurs missions, seul le conventionnement volontaire peut s'appliquer. Celui-ci doit traduire l'existence d'un projet de territoire cohérent, construit et pensé de façon conjointe par le département et la métropole. Il doit en outre être circonscrit à un nombre limité de compétences clairement définies, afin de ne pas créer de distorsions entre la métropole et le reste du territoire et pour que ne soit pas remise en cause la capacité d'organisation de l'action sociale du département sur son territoire. C'est le sens des amendements qui ont été portés par votre rapporteur pour avis sur cet article.

2. Les questions non résolues par la réforme territoriale
a) Aller plus loin dans la clarification et la simplification

Le présent projet de loi porte sur la répartition des compétences entre les différents niveaux de collectivités territoriales. Nombreuses sont les mesures de clarification et de simplification qui auraient pu être envisagées dans le domaine de l'action sociale et médico-sociale. Pourtant, aucun article du projet de loi initial ne concerne ces questions.

Or la capacité du Parlement à porter de telles mesures se trouve fortement contrainte par les règles de recevabilité financière fixées à l'article 40 de la Constitution qui dispose que « les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement ne sont pas recevables lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l'aggravation d'une charge publique » . Cette règle fait l'objet d'une interprétation particulièrement stricte dans la mesure où elle empêche, à enveloppe de financement constante, tout transfert de compétences entre personnes publiques.

Extrait du rapport d'information de M. Philippe Marini,
au nom de la commission des finances, sur les règles de recevabilité financière

« Parce qu'en application de l'article 40 de la Constitution une création ou une aggravation d'une charge publique ne saurait être compensée par la baisse d'une autre charge publique, il n'est pas possible de procéder par l'initiative parlementaire à un transfert de compétence entre personnes publiques ; en effet, ce transfert se traduirait par une création de charge pour la personne destinataire.

Ce principe s'applique sans exception, entre personnes publiques de catégories égales ou différentes, et quand bien même l'auteur de l'amendement ferait valoir qu'un tel transfert permettrait au nouveau titulaire de la charge de l'assumer à moindre coût.

Aussi la commission des finances a-t-elle déclaré irrecevable un amendement tendant à transférer à la branche maladie de la sécurité sociale des charges supportées par les conseils généraux au titre de la prise en charge des personnes âgées dépendantes. »

Source : Rapport d'information de M. Philippe Marini, au nom de la commission des finances, n° 263 (2013-2014), « La recevabilité financière des amendements et des propositions de loi au Sénat », janvier 2014, p. 69.

Votre rapporteur pour avis n'en demeure pas moins convaincu qu'un certain nombre de clarifications relatives au secteur médico-social auraient utilement pu être intégrées au projet de loi. Trois d'entre elles apparaissent essentielles à ses yeux :

- mettre fin au financement conjoint par l'assurance maladie (80 %) et par les conseils généraux (20 %) des centres d'action médico-sociale précoce (Camsp) afin d'aligner leur régime juridique sur celui qui s'applique à l'ensemble des autres structures pour enfants en situation de handicap ; cette mesure avait été recommandée en octobre 2012 dans un rapport de l'Igas et de l'Inspection générale des finances (IGF) sur les établissements et services pour personnes handicapées ;

- entamer un rapprochement entre les maisons d'accueil spécialisées (MAS), financées par la seule assurance maladie, et les foyers d'accueil médicalisés (FAM), qui sont placés sous la double autorité de l'ARS et du conseil général ; là encore, cette mesure avait été recommandée par l'Igas et l'IGF, au regard des profils sensiblement identiques des publics accueillis dans ces structures ;

- confier aux départements, et non plus à l'ARS, la responsabilité des Maia afin de faciliter l'articulation entre ces dernières et les Clic.

Ces propositions ne pouvaient faire l'objet d'amendements parlementaires, sous peine de les voir déclarées contraires à l'article 40 de la Constitution. Votre rapporteur pour avis a néanmoins tenu à en faire part à la ministre de la décentralisation et de la fonction publique, Mme Marylise Lebranchu, ainsi qu'à son secrétaire d'Etat M. André Vallini en leur adressant un courrier présentant les mesures qu'il avait envisagées et les raisons pour lesquelles il n'avait pu les porter au cours de l'examen en commission du projet de loi.

b) Poser la question de nouveaux transferts de compétences

En se bornant à la stricte répartition des compétences entre collectivités territoriales, le présent projet de loi élude la question de la juste répartition de celles-ci entre l'Etat et les collectivités territoriales . L'opportunité d'un transfert des Esat aux départements, envisagée à une époque, aurait ainsi mérité de faire l'objet d'un examen plus approfondi.

Trente ans après les débuts du processus de décentralisation, doit également être posée la question d'un éventuel transfert à l'Etat de missions pour lesquelles les départements n'apportent qu'une plus-value limitée et sont cantonnés dans un rôle de « guichets ». C'est le cas du RSA, qui représente une charge financière devenue insoutenable dans un certain nombre de départements, mais pour la gestion duquel ces derniers ne disposent d'aucune marge de manoeuvre.

Le Premier ministre a annoncé le 6 novembre dernier la création d'un groupe de travail chargé de réfléchir à une réforme du RSA « socle », de son mode de gestion et de son articulation avec les autres allocations. Votre rapporteur pour avis estime que les réflexions qui vont s'engager doivent pouvoir être l'occasion d'envisager clairement l'hypothèse du transfert à l'Etat de cette prestation et des modalités financières selon lesquelles s'effectuerait ce transfert.


* 17 Rapport de la commission pour la libération de la croissance, présidée par Jacques Attali, « 300 décisions pour changer la France », janvier 2008.

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