N° 165

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2015

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances pour 2016 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME I

AGRICULTURE, ALIMENTATION, FORÊT ET AFFAIRES RURALES

Par MM. Gérard CÉSAR, Jean-Jacques LASSERRE et
Mme Frédérique ESPAGNAC

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Mme Élisabeth Lamure, MM. Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 3096, 3110 à 3117 et T.A. 602

Sénat : 163 et 164 à 170 (2015-2016)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'examen des crédits du budget 2016 en faveur de l'agriculture s'inscrit dans un contexte très particulier, marqué par la crise violente et puissante que traversent les filières d'élevage .

Depuis le printemps, les producteurs de lait, les producteurs de porcs ou encore de viande bovine font face à une baisse importante des prix, qui dégradent considérablement leur trésorerie.

Face à cette crise, une batterie d'instruments a été déployée par les pouvoirs publics : le plan de soutien à l'élevage annoncé en juillet a été renforcé en septembre, notamment pour alléger les charges fiscales et sociales dues par les exploitations touchées par la crise. Des mesures ont également été prises pour alléger les charges financières devenues insupportables.

Mais au-delà des difficultés conjoncturelles qu'elles rencontrent, l'agriculture et l'agroalimentaire semble bien souffrir de difficultés structurelles liées à un déficit de compétitivité , dans un contexte de volatilité accrue des marchés lié au démantèlement des outils de régulation de la politique agricole commune (PAC), qui nécessitent de compter d'abord et avant tout sur ses propres performances pour tirer son épingle du jeu dans la compétition mondiale.

La fin des quotas laitiers au printemps dernier a précipité la filière laitière - qui avait pourtant le temps de se préparer aux conséquences d'une décision prise en 2008 - dans de graves difficultés, alors même que les effets de l'embargo russe avaient contraint les opérateurs économiques européens à se rabattre sur le marché intérieur.

Les facteurs conjoncturels et structurels se sont donc combinés pour rendre la crise que nous traversons à la fois brutale et douloureuse.

Le projet de loi de finances pour 2016 prévoit des crédits en baisse sensible pour l'agriculture, l'alimentation, la forêt et les affaires rurales . Mais les crédits budgétaires représentent moins de 10 % de l'ensemble des contributions publiques en faveur du secteur agricole au sens large. En outre, ils supportent plutôt les « frais de fonctionnement » du support à l'agriculture, en servant surtout à payer les personnels des services du ministère de l'agriculture et des établissements publics rattachés. Les crédits d'intervention ne constituent pas une quantité négligeable mais ne sont pas non plus prépondérants.

Le projet de loi de finances ne comporte par ailleurs aucune disposition fiscale majeure qui pourrait transformer les conditions d'exercice de l'activité des agriculteurs.

Au final, le budget 2016 s'inscrit largement dans la continuité des budgets précédents. Il met l'agriculture à contribution du redressement des finances publiques, en poursuivant la réduction de ses crédits d'engagement ou de paiement, même si une partie importante de la baisse s'explique par des transferts à d'autres budgets, ou par la prise en charge de dispositifs précédemment budgétisés par des crédits européens.

L'exercice de restrictions budgétaires appliqué à l'agriculture trouve cependant assez rapidement ses limites : les crédits de crise étant extrêmement limités en loi de finances initiale, il a été nécessaire en cours d'année 2015 d'abonder les enveloppes de crise en puisant sur les crédits mis en réserve. Ceux-ci n'ont d'ailleurs pas suffi à faire face aux dépenses supplémentaires liées au refus d'apurement communautaire sur les aides directes, qui a des conséquences financières très lourdes pour la France : ainsi, en loi de finances rectificative pour 2015, c'est plus d'1 milliard d'euros de crédits supplémentaires que le Gouvernement est contraint d'affecter à l'agriculture, pour faire face aux engagements pris en cours d'année.

On peut craindre de se heurter au même phénomène d'insuffisance de crédits en 2016 si la crise agricole durait, nécessitant d'activer les mêmes outils de gestion des crises. En outre, le budget 2016, en ne renforçant pas massivement l'investissement en agriculture, ne met pas à disposition du monde agricole les instruments de sa progression. C'est essentiellement hors budget agricole que se trouvent en effet les moyens de soutien aux filières : programme des investissements d'avenir, ou encore compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR).

Lors de sa réunion du 24 novembre 2015, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016 au sein de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », le rapporteur Gérard César recommandant un avis défavorable, le rapporteur Jean-Jacques Lasserre recommandant un avis de sagesse et la rapporteure Frédérique Espagnac recommandant un avis favorable.

La commission a émis un avis favorable à l'adoption des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016 au sein du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural », les trois rapporteurs recommandant un tel avis favorable.

I. L'AGRICULTURE MISE À CONTRIBUTION DU REDRESSEMENT DES COMPTES PUBLICS.

A. UN BUDGET GLOBALEMENT EN BAISSE, QUI NE REPRÉSENTE QU'UNE FAIBLE PART DE LA DÉPENSE PUBLIQUE EN FAVEUR DE L'AGRICULTURE.

1. La tendance à la baisse du budget de l'agriculture se poursuit en 2016.

Avec presque 2,82 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,75 milliards d'euros en crédits de paiement (CP), contre respectivement 3,12 milliards d'euros en AE et 2,94 milliards d'euros en CP dans le projet de loi de finances pour 2015, les crédits de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » baissent respectivement de 9 % en AE et de 6,5 % en CP .

La contraction des crédits budgétaires en faveur de l'agriculture s'inscrit dans une tendance de long terme. Depuis 2012, c'est 1 milliard d'euros qui a disparu des crédits de la mission, soit presque un tiers des crédits .

Si l'on prend en compte le programme 142 « enseignement supérieur et recherche agricoles », qui relève de la mission interministérielle « recherche et enseignement supérieur » et le programme 143 « enseignement technique agricole », rattaché à la mission « enseignement scolaire », la baisse de crédits est moins prononcé car ces programmes ont bénéficié d'efforts budgétaires importants durant les derniers exercices.

L'objectif de création de 1 000 postes dans l'enseignement technique agricole sur cinq ans explique la tendance à l'augmentation des crédits du programme 143. Pour 2016, ce sont 140 postes d'enseignants et 25 postes d'auxiliaires de vie scolaire qu'il est prévu de créer, ce qui explique en partie la hausse de 7 millions d'euros du plafond de crédits.

Concernant l'enseignement supérieur agricole, le renforcement du soutien financier aux établissements, et en particulier à l'école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort, constitue l'un des axes de la programmation budgétaire.

Outre les crédits budgétaires de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » et des programmes rattachés à d'autres missions, d'autres lignes budgétaires relevant d'autres programmes contribuent à soutenir le secteur agricole. D'après les informations fournies à vos rapporteurs, le total des concours nationaux à l'agriculture provenant de crédits budgétaires atteignait en 2014 6,2 milliards d'euros . Le budget agricole ne représente donc même pas la moitié du total des concours budgétaires.

Budget (en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

AE

CP

PROG 154

2 084

2 112

1 780

1 793

1 458

1 632

1 624

1 420

1 390

1 303

PROG 149

350

358

291

315

321

338

279

297

278

291

PROG 206

492

492

511

511

505

505

501

501

489

487

PROG 215

758

751

729

739

722

733

716

724

660

664

Total mission

3 684

3 713

3 311

3 358

3 006

3 208

3 120

2 942

2 817

2 745

CASDAR

111

111

111

111

126

126

148

148

148

148

PROG 142

306

307

396

310

312

312

334

331

334

333

PROG 143

1 316

1 303

1 321

1 325

1 345

1 345

1 380

1 380

1 387

1 387

Total général

5 417

5 434

5 139

5 104

4 789

4 991

4 982

4 801

4 686

4 613

Source : PLF

2. L'importance des autres formes de soutien à l'agriculture.
a) Les soutiens fiscaux.

Au-delà des soutiens budgétaires, le secteur agricole est destinataire de dispositions fiscales sous forme d'exonérations et dégrèvements, dont les plus importants sont l'exonération partielle de taxe intérieure de consommation sur le gazole non routier, l'exonération d'impôt sur les sociétés des coopératives agricoles , l'exonération fiscale dont bénéficient les biocarburants, en voie de forte réduction, la déduction pour aléas ou encore la déduction pour investissement, ou encore le crédit d'impôt remplacement. Il existe aussi des dispositifs d'allègement des impôts locaux, dont le plus important est l'exonération de la part communale ou intercommunale de taxe foncière sur les propriétés non bâties, à hauteur de 20 %, estimée à 168 millions d'euros pour 2016.

Pas moins de 25 dispositifs sont rattachés à la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », pour un montant chiffré en 2016 à 2,7 milliards d'euros, soit autant que les crédits budgétaires de la mission.

Ce chiffrage doit cependant être pris avec prudence :

- d'abord concernant le dispositif d'exonération de taxe intérieure de consommation, la totalité de son coût, soit 1,82 milliards d'euros est imputé à l'agriculture, alors que d'autres acteurs que les acteurs agricoles, notamment le secteur des transports, en bénéficient également ;

- ensuite, certains dispositifs ne sont pas évalués pour 2016, comme la déduction pour aléas ou la déduction pour investissement ;

- enfin, tous les mécanismes de calcul de l'impôt dû par les professionnels de l'agriculture ne font pas l'objet d'une évaluation, alors même que la fiscalité de l'agriculture fait l'objet de nombreuses spécificités.

Au final, il reste assez difficile d'évaluer l'avantage fiscal dont bénéficie l'agriculture française, même si un chiffrage autour de 2 milliards d'euros paraît assez réaliste .

Le projet de loi de finances pour 2016 comprend très peu de nouvelles dispositions fiscales ou parafiscales, avec seulement la disparition de taxes à faible rendement, comme la taxe générale sur les activités polluantes réclamée à l'occasion des déclarations d'installations classées, et l'extension des avantages fiscaux accordés aux installations de méthanisation agricole pour les installations pionnières, qui en avaient été exclues l'année dernière.

Malgré l'abondance de propositions pour moderniser une fiscalité agricole pas assez adaptée aux nouvelles conditions d'exercice de l'activité agricole, et notamment au développement de l'agriculture de groupe et à la montée des aléas de toute nature, le Gouvernement a fait le choix de ne pas bouleverser les règles du jeu fiscal en 2016 .

Lors de la discussion du projet de loi de finances à l'Assemblée nationale, les députés ont toutefois adopté plusieurs dispositions visant à améliorer la transparence fiscale des groupements agricoles d'exploitation en commun (GAEC), pour favoriser l'exercice en commun des activités agricoles. Les députés ont aussi étendu le bénéfice du suramortissement autorisé par la loi Macron pour les investissements productifs aux coopératives d'utilisation de matériels en commun (CUMA), en rétrocédant l'avantage fiscal aux adhérents de ces coopératives.

Maintes fois annoncée, la réforme du forfait agricole ne figure ni au projet de loi de finances ni au projet de loi de finances rectificative. Pourtant, il y a urgence à agir, pour donner à l'agriculture tous les outils pour s'adapter au monde moderne .

b) Les crédits européens.

L'essentiel des soutiens budgétaires directs aux agriculteurs passe désormais par les crédits européens de la politique agricole commune (PAC).

Le Conseil européen de février 2013 était parvenu à un accord sur le cadre financier pluriannuel s'appliquant aux budgets de l'Union européenne pour les années 2014 à 2020, avec une enveloppe pour la PAC de 408 milliards d'euros (euros courants).

Les aides directes du premier pilier représentent 312,7 milliards d'euros et les aides destinées au développement rural du deuxième pilier représentent 95,6 milliards d'euros sur la période.

Pour la France, une enveloppe de presque 64 milliards d'euros (euros courants) est mise à disposition sur sept ans , la baisse des crédits du premier pilier étant en partie compensée par une hausse de celles du deuxième pilier.

En 2016, les crédits de la PAC devraient représenter en France un peu moins de 9 milliards d'euros , dont 7,3 en provenance du premier pilier et 1,6 en provenance du deuxième pilier (doté de 10 milliards d'euros sur sept ans).

La PAC est donc la source prépondérante des soutiens budgétaires apportés au secteur agricole.

c) Les autres contributions.

Il existe encore d'autres contributeurs publics qui interviennent en faveur de l'agriculture :

- les collectivités territoriales fournissent un appui qui est évalué à environ 1 milliard d'euros , même si l'évaluation est assez approximative. La place des collectivités, en particulier des régions, dans le financement de la politique en faveur de l'agriculture devrait se renforcer avec la régionalisation du deuxième pilier de la PAC, qui devrait aboutir à davantage de cofinancements régionaux des mesures communautaires.

- ensuite, le régime des prestations sociales agricoles distribue plus de 19 milliards d'euros de prestations chaque année. Compte tenu du déficit démographique de ce régime, il est financé pour 13,4 milliards d'euros par les contributions des autres régimes .

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