II. LES ENJEUX DE 2016 : RÉPONDRE À LA CRISE AGRICOLE ET PRÉPARER L'AVENIR DE NOTRE AGRICULTURE DANS UN CONTEXTE DE CONCURRENCE ACCRUE.

A. L'ANNÉE 2015 MARQUÉE PAR LA CRISE DES FILIÈRES D'ÉLEVAGE.

L'année 2015 est marquée par la dégradation très forte de la situation des agriculteurs, en particulier dans les filières d'élevage. Dans leur rapport de l'année dernière, vos rapporteurs pour avis avaient déjà repéré « le spectre du retour de la crise agricole ». En juin dernier, le ministre Stéphane Le Foll avait estimé que 10 % des éleveurs, soit 22 à 25 000 exploitations, étaient au bord du dépôt de bilan. La prédiction de vos rapporteurs s'est hélas avérée exacte, voire même pire que prévu dans les secteurs du lait, du porc et de l'élevage bovin.

1. La filière porcine.
a) Des difficultés structurelles pour la filière.

La filière porcine décline depuis le début des années 2010. La production qui s'était maintenue entre 2000 et 2010 à environ 25,5 millions de porcs par an, s'établit désormais à 23 millions de porcs par an. La France est devenue importatrice nette de viande de porc.

Le maillon abattage-découpe est peu compétitif par rapport aux concurrents européens qui ont fortement investi (Danemark, Espagne Allemagne) ou bénéficiaient d'avantages compétitifs en termes de coûts de main d'oeuvre (Allemagne), et a connu une lourde restructuration avec le dépôt de bilan du groupe GAD début 2013 (suivi d'un redressement judiciaire) et la mise en redressement judiciaire des abattoirs AIM en janvier 2015. L'interprofession porcine (Inaporc) estime ainsi que le différentiel de compétitivité entre la France et l'Allemagne serait de 10 centimes par kilo de porc.

b) Aggravées par des difficultés conjoncturelles.

En février 2014, la Russie a décrété un embargo sur la viande de porc européenne, suite à la découverte d'un cas de peste porcine dans les pays baltes. Les productions à destination du marché russe se sont reportées sur le marché interne de l'Union européenne.

Dans le même temps, les producteurs européens ont augmenté leur production de 5 % entre la mi-2014 et la mi-2015 2 ( * ) (+ 8 % en Espagne, + 3 % en Allemagne, + 9 % en Allemagne, + 7 % aux Pays-Bas) alors qu'elle stagne en France (+ 0,8 %).

Dans un tel contexte, les éleveurs français semblent souffrir plus que leurs voisins, avec des exportations en repli. La balance commerciale sur le porc est équilibrée en volume, mais déficitaire de 100 millions d'euros par an en valeur.

Sur le premier semestre 2015, les prix du porc se sont établis à un niveau 12 % inférieur à celui de 2014. Les faibles cours du porc pèsent fortement sur la trésorerie des exploitations, même si le prix de l'alimentation a un peu baissé aussi dans le même temps. Au printemps dernier, les éleveurs estimaient à 1,40 € par kilo le prix minimal permettant aux exploitations de couvrir leurs charges. Or, dans un contexte de baisse des cours européens, ce niveau de prix n'a pu être atteint durablement .

En août, les cotations au marché du porc breton (MPB) de Plérin, qui donnait les références de prix pour la quasi-totalité des transactions, ont dues être suspendues suite au retrait des deux principaux opérateurs du marché, refusant de voir les prix français être déconnectés des prix européens.

La baisse du coût de l'alimentation (qui peut représenter jusqu'aux deux tiers du coût de production du porc) a en partie compensé en 2014 la baisse des prix de vente, mais seulement en partie, car le résultat courant avant impôt (RCAI) par actif non salarié s'établit à 24 800 € en 2014, en repli de 18 % par rapport à la moyenne de longue période 2000-2013 et de 33 % par rapport à la moyenne 2011-2013 .

Le porc est un produit d'appel dans les grandes surfaces, qui tiennent à ce que les prix de vente au consommateur soient les plus serrés possibles, poussant les prix d'achat à la baisse.

c) Les solutions mises en oeuvre.

Suite au rapport du délégué interministériel aux industries agroalimentaires Alain Berger d'avril 2013, plusieurs mesures ont été prises en faveur de la filière porcine :

- l'allègement des procédures administratives a été mis en oeuvre, avec la création début 2014 d'une procédure d'enregistrement, plus simple que la procédure d'autorisation, au titre des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), pour les élevages entre 450 et 2 000 équivalents-animaux (mais les élevages de plus de 750 truies ou de plus de 2 000 porcs de plus de 30 kg restent soumis au régime d'autorisation). La loi Macron prévoit une réduction des délais de recours contre les décisions d'autorisation ;

- les investissements de mise aux normes et les investissements de modernisation sont éligibles au programme des investissements d'avenir (PIA) et au plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) piloté par le ministère chargé de l'agriculture ;

- l'export est encouragé , en ouvrant de nouveaux marchés extérieurs : en mars 2015, le marché chinois a été ouvert à la charcuterie française ;

- pour les producteurs de porcs en difficulté, la MSA a ouvert le dispositif d'allègement de charges sociales ;

- la promotion de l'origine France est préconisée : le règlement européen sur l'information des consommateurs avait été modifié pour imposer l'indication de l'origine sur la viande de porc fraîche à partir du 1 er avril 2015. L'apposition du logo « viande de porc française » est par ailleurs encouragée ;

- le ministre de l'agriculture a pris le 12 juin 2015 un arrêté limitant les périodes de promotion sur le porc à seulement deux périodes par an, contre la possibilité de proposer des promotions toute l'année auparavant ;

- plusieurs rencontres ont eu lieu au ministère de l'agriculture, pour demander aux distributeurs de favoriser la filière porcine française, et pour permettre un meilleur dialogue entre producteurs et abatteurs, à travers un système de cotation accepté par tous ;

- au niveau européen, la France a demandé la prolongation de la période de soutien au stockage privé, pour éviter le retour sur le marché en septembre de la viande stockée, ce qui risquerait d'effondrer les cours.

La restauration de la compétitivité du secteur porcin constitue un impératif pour la survie de la filière, qui représente 100 000 emplois directs.

2. La crise dans le secteur du lait.
a) La baisse récente des prix du lait.

Alors que l'année 2014 a été une bonne année - voire une année record - la baisse des prix du lait est générale en Europe depuis l'été 2014.

En France, le prix pour l'année 2015 devrait avoisiner les 310 euros les 1 000 litres. C'est un retour au niveau de 2010, qui s'explique par un déséquilibre entre l'offre et la demande mondiale, amplifiée en Europe par les effets de la fin des quotas laitiers qui encadraient la production depuis 1984.

L'embargo russe a aussi eu pour effet de reporter les productions de lait et de fromage sur les marchés européens.

Or, la production de lait est exposée très fortement à la concurrence internationale. Une part importante de la production est destinée à l'exportation, les produits laitiers ayant généré 3,8 milliards d'euros d'excédent commercial en 2014.

Les producteurs français comme les industriels doivent donc faire face aux conditions du marché.

Le redressement des prix observé durant l'été 2015, dans un contexte de coûts de production stables depuis janvier 2015, devrait redonner des marges de manoeuvre aux éleveurs, mais les les grands pays exportateurs de lait, comme la Nouvelle-Zélande, anticipent au mieux une stabilité des prix en 2016.

Prix du lait payé aux producteurs - Source : FranceAgrimer

b) La mise en place de dispositifs de soutien ne doit pas masquer la nécessité de réformes structurelles.

Les actions des éleveurs avant l'été ont conduit le ministre de l'agriculture à organiser des rencontres entre professionnels pour définir des stratégies communes et apaiser les conflits de répartition au sein de la filière entre producteurs, transformateurs et distributeurs. La table ronde du 24 juillet 2015 devait permettre de faire remonter les prix. Le médiateur des relations commerciales agricoles a estimé que globalement, distribution et transformation ont appliqué les engagements pris à cette occasion.

En septembre, la commission européenne a également annoncé reverser une partie des pénalités payées par les producteurs ayant dépassé leurs quotas jusqu'à 2015 pour soutenir les agriculteurs : pour la France, c'est une enveloppe de 63 millions d'euros qui a ainsi été débloquée.

Mais l'expérience montre que la régulation politique des prix est un leurre en économie ouverte , ce qui doit amener la filière à engager sa restructuration.

Le rapport d'information de la commission des affaires européennes du 25 juin 2015 sur la situation du secteur laitier après les quotas, établi par nos collègues Claude Haut et Michel Raison, insistait sur la nécessité de définir une stratégie pour la filière laitière française , combinant le maintien des exploitations sur l'ensemble du territoire et la recherche de gains de productivité.

A la veille de la négociation de la prochaine génération de contrats laitiers, qui devrait intervenir en 2016, le renforcement du pouvoir de négociation des éleveurs à travers la constitution d'organisations de producteurs puissantes paraît également nécessaire.

Enfin, le rapport portait une appréciation plutôt positive sur la constitution de grandes fermes, capables de répondre aux enjeux économiques et environnementaux de la production laitière.

3. La crise dans la filière bovine.
a) Des revenus parmi les plus bas du monde agricole.

En 2014, le revenu courant après impôt des éleveurs spécialisés en viande bovine s'est élevé à seulement 15 900 euros, soit un niveau inférieur de 17 % à la moyenne observée en 2011-2013 et de 22 % par rapport à la moyenne sur longue période (2000-2013). Ces dernières années, les revenus moyens ont oscillé entre 12 000 et 18 000 euros, et s'établissent parmi les plus bas du monde agricole.

Les prix payés aux producteurs ont peu varié sur longue période : entre 1995 et 2015, le prix de la viande payé au producteur a augmenté de 12 % quand les prix à la consommation ont augmenté de 60 %.

En revanche, les coûts de production (fermages, coûts vétérinaires, alimentation animale) ont progressé de manière beaucoup plus dynamique.

Le secteur de l'élevage bovin allaitant est économiquement peu attractif et nécessite des investissements lourds à l'installation (achat du cheptel, acquisition de terres).

Des difficultés supplémentaires se profilent comme l'obligation de nouvelles mises aux normes pour le stockage de fumier dans les nouvelles zones vulnérables ajoutées à la liste déjà existante pour respecter davantage la directive « nitrates ».

Toutefois, il faut nuancer le panorama : les résultats économiques des exploitations sont très différents selon les choix faits dans la conduite d'exploitation, comme le montre un rapport de février 2015 du conseil général de l'alimentation, de l'agriculture et des espaces ruraux.

b) Des interrogations sur l'avenir de la filière.

La baisse tendancielle de consommation fait peser une menace lourde à long terme sur la filière bovine française.

La filière viande bovine est concurrencée par la production de viandes issues de vaches laitières de réforme, qui assurent 40 % de l'approvisionnement en viande du marché français. Dès lors que 50 % de la consommation de viande se fait sous forme de steak haché surgelé, le marché est tiré à la baisse par l'entrée de gamme, rendant difficile la valorisation des « pièces nobles » issues de races à viande.

Les marchés d'export de bovins vifs partant à l'engraissement en Italie ou Espagne sont en contraction, ce qui contribue à fragiliser la filière. Depuis septembre, la résurgence de la FCO constitue une difficulté nouvelle qui ralentit le commerce de bétail vif.

Il existe une surcapacité globale d'abattage en France, qui fragilise l'ensemble du secteur de l'abattage-découpe, qui ne peut pas optimiser l'utilisation des capacités de production, alors que c'est cette optimisation qui assure la rentabilité des outils industriels.

Le dernier rapport de l'observatoire des prix et des marges montre que ni les producteurs, ni les transformateurs, ni les distributeurs ne dégagent de marge nette importante dans le secteur de la viande bovine : la faiblesse des marges entraîne une grande dureté des négociations commerciales.

Enfin, les négociations commerciales, en particulier du traité transatlantique en cours inquiètent la filière viande française, car les États-Unis disposent d'avantages compétitifs structurels considérables sur la production européenne.

c) L'action des pouvoirs publics se heurte à la réalité.

Les pouvoirs publics ont affirmé leur objectif de soutenir spécifiquement l'élevage allaitant français :

- la priorité à l'élevage a été affirmée dans le cadre de la réforme de la PAC 2014-2020 : elle se traduit par une revalorisation de l'indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN) ainsi que le maintien d'une prime au maintien du troupeau de vaches allaitantes (PMTVA) ;

- l' arsenal des mesures de précaution mises en place à la suite de la crise de la vache folle du début des années 2000 (et notamment des tests systématiques en abattoirs) a été allégé pour réduire les coûts ;

- le dispositif d'allègement de charges de la MSA a été ouvert aux producteurs de bovins allaitants, et le dispositif d'exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties a été activé ;

- les professionnels et les pouvoirs publics encouragent la conquête de nouveaux marchés extérieurs porteurs (Turquie, Moyen-Orient, Chine) et les des dispositifs permettant de lever plus rapidement les freins sanitaires et administratifs ont été mis à disposition (plate-forme Exp@don) ;

- la viande bovine bénéficie d'une obligation d'étiquetage de l'origine depuis une quinzaine d'années (indication du pays de naissance, d'élevage et d'abattage), mais qui ne s'étend pas aux produits transformés à base de viande. La diffusion du logo viande bovine française est en cours de déploiement et le respect par les grandes surfaces de l'étiquetage de l'origine fait l'objet d'une mission de contrôle du ministère de l'agriculture ;

- le système des cotations, critiqué par certains, doit faire l'objet de contrôles par FranceAgrimer, pour vérifier que le « bon prix » est payé aux éleveurs.

Il est par ailleurs indispensable d'avancer sur l'étiquetage de l'origine de la viande utilisée comme ingrédient , en débloquant ce dossier au niveau européen. Les engagements pris en loi agricole ou lors de la discussion de la loi consommation n'ont pas été tenus sur ce point.

La viande issue du troupeau allaitant devrait être davantage valorisée dans la grande distribution, avec une piste : un engagement des distributeurs sur un pourcentage de leur offre en viande de race à viande (et non pas en viande de réforme laitière).

L'organisation de la mise en marché est perfectible, afin de mieux faire correspondre l'offre à la demande, tout en optimisant le planning de production des abattoirs : la contractualisation constitue cependant une piste contrecarrée par l'habitude de passer par des intermédiaires dans l'allotissement.


* 2 Source : note de conjoncture de FranceAgrimer - juin 2015.

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