II. LA RÉFORME NÉCESSAIRE DE LA DOTATION GLOBALE DE FONCTIONNEMENT, UN REPORT BIENVENU

Instituée en 1979 8 ( * ) , la dotation globale de fonctionnement (DGF), dont le montant et la répartition sont fixés chaque année en loi de finances, représente aujourd'hui la principale dotation de fonctionnement attribuée par l'État aux collectivités territoriales. Elle constitue de ce fait le pivot des relations financières entre l'État et les collectivités locales.

Cette dotation fait l'objet de critiques récurrentes : outre son « instabilité normative chronique », son architecture est jugée complexe et illisible et sa répartition inéquitable.

A. LA DGF DES COMMUNES ET DES INTERCOMMUNALITÉS : UNE DOTATION ILLISIBLE ET INÉQUITABLE

Le rapport de Mme Christine Pires-Beaune 9 ( * ) , remis au Premier ministre le 15 juillet 2015, met en exergue les critiques récurrentes adressées à la dotation globale de fonctionnement des communes et des intercommunalités. Le rapport et la réforme envisagée par le Gouvernement ne portent pas sur la DGF des départements et des régions qui demeurent, à ce jour, inchangée.

Pour mémoire, la dotation globale de fonctionnement des communes comprend une part forfaitaire et une part de péréquation.

L'article 107 de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015 a mis en place une première consolidation de la part forfaitaire de la DGF des communes comme prélude à la réforme proposée dans le projet de loi de finances pour 2016. La dotation forfaitaire perçue par les communes regroupe les anciennes dotations de base, superficiaire et parcs naturels et marins, le complément de garantie et la part compensation de la part salaire des communes.

La part de péréquation est, quant à elle, constituée de trois dotations : la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS), la dotation de solidarité rurale (DSR) et la dotation nationale de péréquation (DNP).

La dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSU-CS)

Elle est réservée aux communes en difficulté dont les ressources ne permettent pas de couvrir l'ampleur des charges auxquelles elles sont confrontées.

L'éligibilité et la répartition de la DSU reposent sur la distinction de deux catégories démographiques :

1. Les communes de 10 000 habitants et plus

Ces communes sont classées par ordre décroissant selon un indice synthétique de charges et de ressources constitué :

- pour 45 %, du rapport entre le potentiel financier moyen par habitant des communes de 10 000 habitants et plus et le potentiel financier par habitant de la commune ;

- pour 15 %, du rapport entre la part des logements sociaux de la commune dans son parc total de logements et la part des logements sociaux dans le parc total de logements des communes de 10 000 habitants et plus ;

- pour 30 %, du rapport entre la proportion par logement de personnes couvertes par des prestations logement dans la commune et la proportion de personnes couvertes par ces mêmes prestations dans les communes de 10 000 habitants et plus ;

- pour 10 %, du rapport entre le revenu moyen des habitants des communes de 10 000 habitants et plus et le revenu moyen des habitants de la commune.

Sont éligibles les communes classées dans les trois premiers quarts des communes de 10 000 habitants et plus, soit 742 communes en 2015.

2. Les communes de 5 000 à 9 999 habitants.

Il est procédé, comme pour les communes de 10 000 habitants et plus, à la détermination, pour chaque collectivité, d'un indice synthétique de ressources et de charges. Les critères qui composent cet indice et les pondérations retenues sont les mêmes que ceux utilisés pour les communes de 10 000 habitants et plus. Toutefois, les valeurs moyennes utilisées dans le calcul de l'indice sont celles constatées pour l'ensemble des communes de 5 000 à 9 999 habitants.

Est éligible à la DSU le premier dixième des communes de 5 000 à 9 999 habitants, classées par ordre décroissant de la valeur de leur indice synthétique, soit 117 communes en 2015.

Une fraction de la DSU, dite « DSU cible », concentre la progression de la DSU d'une année sur l'autre sur un nombre limité de communes. Elle bénéficie aux 250 premières communes de 10 000 habitants et plus, et aux 30 premières communes de 5 000 à 9 999 habitants.

La dotation de solidarité rurale (DSR)

Elle bénéficie à l'ensemble des communes rurales, sous des conditions d'éligibilité plutôt souples. Elle est composée de trois fractions :

- une fraction « bourg-centres » destinée aux communes de moins de 10 000 habitants, chefs-lieux de canton ou regroupant au moins 15 % de la population du canton, et dont le potentiel financier par habitant n'excède pas le double du potentiel financier moyen des communes de moins de 10 000 habitants ;

- une fraction « péréquation » , à laquelle sont éligibles les communes de moins de 10 000 habitants disposant d'un potentiel financier par habitant inférieur au double du potentiel financier par habitant moyen de leur strate démographique (il existe sept strates) ;

- une fraction « cible » destinée aux 10 000 premières communes de moins de 10 000 habitants les plus défavorisées parmi celles éligibles à l'une des deux premières fractions. Ainsi, elle vise à concentrer l'accroissement de la dotation sur les 10 000 communes rurales les plus défavorisées.

La dotation nationale de péréquation (DNP)

Son objectif est d'assurer la péréquation de la richesse fiscale entre les communes. Elle est composée de deux parts :

- une part « principale » tendant à corriger les insuffisances du potentiel financier. Sont éligibles les communes qui satisfont cumulativement aux deux conditions suivantes : d'une part, avoir un potentiel financier par habitant supérieur de 5 % au plus à la moyenne du groupe démographique correspondant et, d'autre part, avoir un effort fiscal supérieur à la moyenne du groupe démographique correspondant ;

- une part « majoration » destinée à la réduction des écarts de potentiel fiscal calculée par seule référence au panier de ressources qui s'est substitué à la taxe professionnelle, à la suite de sa suppression en 2010. Sont éligibles à cette part les communes qui répondent cumulativement aux trois conditions suivantes : être éligible à la part « principale » de la dotation ; avoir une population de moins de 200 000 habitants et avoir des produits post-réforme de la taxe professionnelle par habitant inférieur d'au moins 15 % à la moyenne de la strate démographique correspondante.

La DGF des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) est aujourd'hui composée d'une dotation d'intercommunalité et d'une dotation de compensation . Elle est attribuée à cinq catégories d'EPCI à fiscalité propre : les communautés de communes à fiscalité additionnelle, les communautés de communes à fiscalité professionnelle unique (FPU), les communautés urbaines (CU) et les métropoles, les communautés d'agglomération (CA) et les syndicats d'agglomération nouvelle (SAN).

La dotation d'intercommunalité est calculée en multipliant la population DGF d'un EPCI par un montant forfaitaire inscrit dans la loi 10 ( * ) .

La dotation de compensation correspond, quant à elle, à l'ancienne compensation « part salaires » et à la compensation que percevaient certains EPCI au titre des baisses de dotations de compensation de la taxe professionnelle entre 1998 et 2001.

Source : Commission des Lois du Sénat

1. Une architecture peu lisible, en partie liée à une « instabilité normative chronique »

Selon le rapport précité de Mme Pires-Beaune, la DGF pâtit d'une architecture peu lisible et d'une répartition inéquitable , avec des critères de répartition ne correspondant plus à la réalité des charges de fonctionnement des collectivités et des modes de gestion locaux.

La répartition des crédits de la DGF entre communes et entre EPCI fait intervenir différents critères, certains pondérés, ce qui nuit à la lisibilité mais également à la prévisibilité de cette ressource essentielle des collectivités. En effet, le recensement de certaines données nécessaires à son versement peut s'avérer long et difficile.

Cette architecture serait liée aux multiples modifications de la DGF depuis sa création. Outre trois réformes d'ampleur 11 ( * ) , elle fait l'objet, chaque année en loi de finances, d'ajustements ponctuels et techniques. Chaque modification s'accompagne de l'introduction « de nouvelles mesures de garantie, de bonification, de majoration, de plafonnement ou encore d'écrêtement de certaines composantes de la DGF ». « Si elles peuvent se justifier à la date de leur adoption, par un souci de lissage dans le temps des effets des réformes, par exemple, leur accumulation et leur complexité rendent, au final, le droit applicable illisible. » Et le rapport de conclure que la DGF est devenue un « délice d'initiés », dont les arcanes ne sont maîtrisés que par quelques experts capables d'en faire l'archéologie », la DGF étant constituée par « un archipel de dotations qui compte douze enveloppes distinctes comportant parfois plusieurs sous-composantes et dont le calcul repose sur près de cinquante critères ».

2. Une composition qui ne correspond plus aujourd'hui à la réalité des charges supportées par les collectivités communales

Le rapport dénonce aussi le fait que la DGF soit devenue une « rente justifiée par l'histoire » ne correspondant plus à la réalité des charges de fonctionnement que doivent supporter les collectivités.

Alors que la DGF était destinée à financer les charges de fonctionnement des collectivités, force est de constater que « la répartition de la DGF n'est plus, en pratique, le reflet de cette finalité ». Cette situation s'explique par le fait que, à sa création, la DGF a eu pour objectif la compensation de « la suppression de ressources fiscales locales dont l'inégale répartition a ainsi été cristallisée au travers de cette dotation ». De fait, la part de DGF dans l'ensemble des recettes de fonctionnement est très variable selon les communes, (entre 0 % et 60 %).

En outre, chaque réforme de la DGF depuis l'origine a eu pour effet la création de mécanismes de garantie destinés à stabiliser les ressources des collectivités. « Compensations et garanties se sont ainsi accumulées pendant plusieurs décennies au point d'aboutir à une déconnexion croissante entre la DGF perçue par les collectivités et la réalité de leurs charges de fonctionnement », d'où des écarts de dotation par habitant parfois significatifs entre collectivités aux caractéristiques comparables, « qui ne s'expliquent que par le poids de ces composantes historiques et figées ».

Le rapport note que l'architecture et les modalités de répartition de la dotation forfaitaire ne permettent pas de compenser certaines charges pesant sur certaines communes, en particulier les charges de centralité, assumées par les communes finançant des équipements structurants au bénéfice d'habitants qui, n'y résidant pas, n'y acquittent pas d'impôts locaux.

De même, la dotation forfaitaire compense insuffisamment les charges propres aux communes rurales qui « assument l'entretien d'espaces parfois très vastes et porteurs d'aménités pour l'ensemble de la collectivité (terres agricoles ou espaces naturels protégés par exemple) . La seule prise en compte de la superficie de la commune ne suffit pas à les évaluer ».

3. Un saupoudrage des dotations de péréquation qui nuit à leur efficacité

Le rapport évalue à 98 % le nombre de communes bénéficiant d'une ou plusieurs dotations de péréquation, reflétant ainsi leur saupoudrage « dont pâtit aujourd'hui la péréquation dite verticale à l'échelle communale ». Ainsi, certaines dotations de péréquation sont, de fait, devenues des dotations forfaitaires « qui ne disent pas leur nom ».

L'architecture et les modalités spécifiques de répartition des dotations de péréquation communale sont également à l'origine d'effets de seuil, d'où des différences de traitement significatives entre des communes pourtant comparables.

Enfin, les dispositifs de péréquation horizontale, qui se sont renforcés ces dernières années, sont encore mal articulés avec ceux de la péréquation verticale, à l'origine d'effets contre-péréquateurs.

4. Une prise en compte insuffisante du fait intercommunal

Le calcul de la DGF ne prend que partiellement en compte l'achèvement de la carte intercommunale, regrette notre collègue Mme Christine Pires-Beaune. « Les modalités de répartition de la dotation d'intercommunalité versée aux EPCI, définies en fonction de la catégorie juridique du groupement intercommunal, ne suffisent plus à évaluer leur niveau d'intégration réel eu égard à l'hétérogénéité des situations que recouvrent désormais ces statuts légaux ».

Par ailleurs, au niveau communal, la prise en compte du fait intercommunal au travers du potentiel fiscal et du potentiel financier des communes, apparaît aujourd'hui insuffisant. « Appréhender les ressources et les charges d'une commune donnée sans tenir compte de son intégration au sein de l'EPCI conduit à une vision tronquée et irréaliste de sa situation ».


* 8 Loi n° 79-15 du 3 janvier 1979 instituant une dotation globale de fonctionnement versée par l'État aux collectivités locales et à certains de leurs groupements et aménageant le régime des impôts directs locaux pour 1979.

* 9 « Pour une dotation globale de fonctionnement équitable et transparente : Osons la réforme », rapport établi par Mme Christine Pires-Beaune, députée du Puy-de-Dôme, et M. Jean Germain, sénateur d'Indre-et-Loire, 15 juillet 2015.

* 10 Ce montant s'élève à 60 euros par habitant pour les communautés urbaines et les métropoles ; à 45,40 euros par habitant pour les communautés d'agglomération ; à 34,36 euros par habitant pour les communautés de communes à fiscalité professionnelle unique bonifiée ; à 24,48 euros par habitant pour les communautés de communes à fiscalité professionnelle unique simple et à 20,05 euros par habitant pour les communautés de communes à fiscalité additionnelle.

* 11 Modification de la DGF des communes et des départements en 1985 ; prise en compte de l'intégration intercommunale et création de la dotation de solidarité rurale en 1996 ; création de la dotation globale de fonctionnement des régions et de la dotation nationale de péréquation en 2004.

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