II. DES INTERROGATIONS PERSISTANTES QUANT AU FINANCEMENT DE L'ACCUEIL DES DEMANDEURS D'ASILE

En dépit des efforts de sincérité budgétaire mis en oeuvre depuis 2012, les conditions matérielles d'accueil - hébergement et allocation - restent caractérisées ces dernières années par la persistance d'une sous-budgétisation.

Ainsi, la consommation des crédits en 2014 a rendu nécessaire un abondement de 66,1 millions d'euros, les crédits votés en loi de finances initiale pour 2015 (498,3 millions d'euros) s'étant avérés insuffisants au regard de l'exécution (564,4 millions d'euros) pour les postes de l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (HUDA, + 23 %) et de l'allocation temporaire d'attente (ATA, + 30,6 %).

Prévision et exécution des crédits
relatifs aux conditions matérielles d'accueil en 2014

Source : commission des lois du Sénat à partir des données fournies par la DGEF

Au vu de ces données, les prévisions figurant dans les documents budgétaires laissent craindre de nouvelles difficultés en exécution pour 2016.

A. UN RÉÉQUILIBRAGE EFFECTIF DU PARC D'HÉBERGEMENT, DES INTERROGATIONS SUR L'ALLOCATION POUR DEMANDEURS D'ASILE

Les conditions matérielles d'accueil des demandeurs d'asile ont été profondément modifiées par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015. Celle-ci a en effet instauré un dispositif d'orientation directive conditionnant le bénéfice de l'hébergement et de l'allocation à l'acceptation par le demandeur d'une offre de prise en charge dans un lieu d'hébergement décidé par l'OFII , en tenant compte des éventuelles vulnérabilités objectives déclarées par le demandeur lors de son accueil au guichet unique. La mise en place de ce dispositif a rendu nécessaire l'unification du dispositif national d'accueil (DNA) sous l'égide du seul OFII, ainsi que le transfert à ce dernier de la gestion de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA).

1. La poursuite de l'unification du dispositif national d'accueil sur le modèle du centre d'accueil pour demandeur d'asile

Au 1 er janvier 2015, la France métropolitaine disposait de 49 834 places d'hébergement financées par le programme 303, réparties sur le territoire comme le montre la carte ci-après.

Répartition des 49 834 places de CADA et d'HUDA

1 737

1 328

8 935

8 169

3 544

au 1 er janvier 2015

Source : DGEF

Au 31 mars 2015, 25 187 de ces places étaient en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA), le reste du parc étant constitué d'hébergements d'urgence pour demandeur d'asile (HUDA), dont les places du dispositif Accueil temporaire - Service de l'Asile (AT-SA).

Or, au 30 juin 2015 , le nombre de demandeurs d'asile en cours de procédures et remplissant les conditions d'accès à l'hébergement en CADA s'élevait à 61 545. Parmi eux, seuls 19 063 demandeurs y étaient hébergés, soit seulement 30,9 % . Cette situation s'explique par plusieurs facteurs :

- la structure de la population hébergée en CADA faisait alors apparaître une augmentation du nombre de réfugiés s'y maintenant après l'obtention d'une protection (11,5 % dont 2,6 % en présence indue) ainsi qu'un nombre toujours important de déboutés de leur demande (10,2 % dont 7 % en présence indue) - les demandeurs d'asile en cours de procédure ne représentaient ainsi que 78,3 % des occupants en CADA ;

- la légère sous-occupation des CADA (96,1 % fin juin 2015 contre 97,5 % en 2014) du fait du retard d'ouverture de certaines nouvelles places et d'un manque d'adéquation entre les places offertes et la demande, essentiellement composée de personnes isolées et de familles de taille plus réduite alors même que les places correspondaient à des familles nombreuses.

Ainsi, au 30 juin 2015, davantage de demandeurs étaient hébergés dans le dispositif d'hébergement d'urgence qu'en CADA : 19 188 personnes étaient à cette date dans le dispositif d'hébergement d'urgence déconcentré.

Au total, plus d'un tiers des demandeurs d'asile étaient donc hébergés en dehors des dispositifs financés par le programme 303 , soit dans un hébergement d'urgence relevant du programme 177 « Prévention de l'exclusion et insertion des personnes vulnérables » de la mission « Ville et logement », soit par leurs propres moyens. Jusqu'à présent toutefois, les services ne disposaient d'aucun suivi de cette part des demandeurs d'asile.

a) La priorité à la création de places en CADA consacrée

Cette situation justifie la priorité accordée par le projet de loi de finances pour 2016 au financement des places en CADA.

Depuis plusieurs années, le Gouvernement s'est effectivement fixé pour objectif d'augmenter la part des CADA par rapport à celle des HUDA dans le DNA. Deux raisons ont présidé à ce choix :

- d'une part, le constat, formulé dans le rapport des inspections générales sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile précité 19 ( * ) , selon lequel les personnes hébergées en CADA font l'objet d'un meilleur accompagnement lors de la procédure de demande d'asile et ont en conséquence davantage de chance, à situation égale, de bénéficier d'une protection internationale ;

- d'autre part, le calcul du moindre coût d'un hébergement en CADA par rapport à un hébergement d'urgence couplé à l'allocation temporaire d'attente .

Dans la continuité des efforts déployés depuis 2001, un important plan d'augmentation de la capacité d'accueil des CADA a donc été initié à partir de 2013, poursuivant dans le même temps un objectif de meilleure répartition géographique des demandeurs d'asile sur le territoire. Ce plan a été amplifié cette année avec la mise en oeuvre du « plan migrants », qui a notamment décidé la création de 4 000 places de type AT-SA supplémentaires.

Le plan « répondre au défi des migrations :
respecter les droits - faire respecter le droit », dit « plan migrants »

Décidé le 17 juin 2015 pour répondre à la crise des migrants, le « plan migrants » a été conçu en réponse à l'afflux d'étrangers en situation irrégulière conduisant au développement de campements sauvages principalement à Calais et en Île-de-France.

Construit autour de trois objectifs (« améliorer l'accueil des demandeurs d'asile », « mieux mettre à l'abri » et « lutter contre l'immigration irrégulière »), ce plan a amené M. Bernard Cazeneuve, ministre de l'intérieur, et Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité, à annoncer la création de 10 000 places supplémentaires se décomposant comme suit :

- 4 000 places de type AT-SA d'ici fin 2016, dont la moitié en 2015, s'ajoutant aux 4 200 places qui avaient été précédemment budgétées sur le programme 303 ;

- 1 500 places d'hébergement d'urgence, dont 1 000 en Île-de-France, financées par le programme 177 de la mission « Ville et logement » ;

- 5 500 places pour les réfugiés constituées de logements vacants du parc social en « zone détendue », en résidences sociales ou en intermédiation locative et pour 500 en centre provisoire d'hébergement (CPH).

Le plan comprend en outre de nouveaux recrutements à l'OFPRA, à l'OFII et dans les préfectures de façon à réduire le délai de traitement des demandes d'asile.

Le projet de loi initial prévoyait ainsi une dotation de 236,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement pour les CADA. Ce montant correspond au financement de plus de 33 000 places à un coût journalier réduit de 24 euros à 19,45 euros. Cette réduction de 19 % du prix journée résulte de la mise en oeuvre de l'allocation pour demandeur d'asile (ADA) qui se substitue à l'allocation mensuelle de subsistance (AMS) ( cf. infra ).

Quant au nombre de 33 000 places, il résulte de la création courant 2016 de 3 500 places intervenant après les créations de 4 000 places en 2013-2014 et 4 200 places en 2015. Le parc de CADA sera ainsi passé de 21 410 places en 2013 à 33 100 fin 2016. 2 000 nouvelles places devraient ensuite être créées en 2017, ce qui permettrait d'atteindre de manière anticipée l'objectif cible d'un parc de 35 000 places en CADA à l'horizon 2019 fixé par le rapport des inspections générales d'avril 2013. Ces créations devraient pour partie résulter de la transformation de places d'HUDA en CADA.

À ce premier montant s'ajoute, d'après les informations recueillies par votre rapporteure, l'abondement par amendement de 36,36 millions d'euros correspondant à l'hébergement en CADA pendant 4 mois des demandeurs accueillis dans le cadre de la « relocalisation ». Cela porte à 273,02 millions d'euros l'effort consenti en faveur des CADA, soit une hausse de 24 % par rapport au projet de loi de finances pour 2015 .

b) Le maintien d'un important volant de places d'hébergement d'urgence

Aussi important que soit l'effort consenti pour les CADA, le nombre de demandeurs d'asile et les nécessités de parer à un défaut de fluidité de l'hébergement des réfugiés et des déboutés de leur demande d'asile rend nécessaire le maintien d'un volant important de places d'hébergement d'urgence.

L'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile repose sur deux dispositifs distincts :

- un dispositif à gestion nationale, géré pour l'essentiel par la société d'économie mixte ADOMA, visant à désengorger les régions les plus soumises à la pression des flux, l'Île-de-France et Rhône-Alpes, et dans lesquels les demandeurs hébergés bénéficient également d'un accompagnement administratif ;

- un dispositif déconcentré géré par les préfets pour financer l'hébergement d'urgence et dont la capacité évolue en fonction de la demande d'asile et de la fluidité des occupations en CADA.

En 2014, cet hébergement d'urgence a représenté les coûts suivants :

HUDA déconcentré

HUDA national

Collectif

Hôtel

Appartements

AT-SA

Coût unitaire

15,05 €

17,88 €

13,36 €

16,28 €

Coût total (estimation pour l'HUDA déconcentré)

28,4 M €

78,1 M €

35,5 M €

13,1 M €

Source : DGEF

Devant le coût de l'hébergement en hôtel et dans le cadre du plan de réduction des nuitées hôtelières 20 ( * ) , le Gouvernement s'est fixé pour objectif de renforcer les dispositifs d'hébergement stables, en collectif ou en diffus. Cela inclut en particulier la création de places AT-SA.

Pour 2016, le projet de loi de finances prévoit donc une dotation de 111,5 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement se répartissant comme suit :

- 34 % soit près de 38 millions d'euros pour 6 600 places dans le dispositif national qui feront l'objet d'un conventionnement avec des opérateurs de l'asile, à titre principal ADOMA, à destination prioritairement des demandeurs d'asile arrivant en Île-de-France et à Calais ; le coût journalier serait de 15,65 euros, soit 4 % de moins que le prix de journée en 2014 ;

- 66 % soit près de 74 millions d'euros pour environ 12 760 places dans le dispositif déconcentré . Ces places devraient désormais être intégrées au DNA dont l'OFII s'est vu confier la coordination dans le cadre du dispositif d'orientation directive des demandeurs d'asile.

Ce montant de 111,5 millions d'euros est donc en forte baisse par rapport à celui budgété en loi de finances initiale pour 2015 (132,5 millions d'euros). Le Gouvernement justifie cette baisse significative par la prise en compte de la création de places en CADA.

Ce montant paraît tout de même faible par rapport à la consommation de crédits sur ce poste au cours des dernières années.

Comparaison entre prévisions en loi de finances et consommation des crédits consacrés à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile

Prévision en LFI
(en millions d'euros)

Exécution
(en millions d'euros)

Évolution

2008

35,3

53,1

+ 50,40 %

2009

30

72,8

+ 142,73 %

2010

29,8

110,2

+ 269,80 %

2011

40

134,3

+ 235,78 %

2012

90,9

135

+ 48,55 %

2013

125

150

+ 19,99 %

2014

115,4

142

+ 23,05 %

Source : commission des lois du Sénat à partir des données fournies
par la DGEF

2. Une sous-dotation de l'ADA dès sa première année d'existence ?

L'allocation pour demandeur d'asile (ADA) remplace, à compter du 1 er novembre 2015, l'allocation mensuelle de subsistance (AMS) attribuée aux demandeurs d'asile hébergés en CADA et l'allocation temporaire d'attente (ATA) versée aux autres demandeurs. Ses conditions d'attribution et son barème ont été fixés par le décret n° 2015-1329 du 21 octobre 2015 relatif à l'allocation pour demandeur d'asile.

Pour bénéficier de l'ADA, trois conditions doivent être remplies :

- avoir accepté les conditions matérielles d'accueil proposées par l'OFII et être titulaire de l'attestation de demande d'asile, quelle que soit la procédure de traitement de la demande d'asile (procédure normale, procédure accélérée ou procédure « Dublin III ») ;

- être âgé de plus de 18 ans révolus ;

- justifier de ressources mensuelles inférieures au montant du revenu de solidarité active.

Le montant de l'ADA se compose de deux parts :

- un montant forfaitaire dont le niveau varie en fonction du nombre de personnes composant le foyer ; le barème arrêté est le suivant :

composition familiale

montant journalier

1 personne

6,80 €

2 personnes

10,20 €

3 personnes

13,60 €

4 personnes

17,00 €

5 personnes

20,40 €

6 personnes

23,80 €

7 personnes

27,20 €

8 personnes

30,60 €

9 personnes

34,00 €

10 personnes

37,40 €

- un montant additionnel de 4,20 euros attribué à chaque adulte dans le cas où celui-ci, bien qu'ayant accepté l'offre de prise en charge de l'OFII, ne bénéficie d'un hébergement ni en CADA ni en hébergement d'urgence.

À titre de comparaison, on rappellera que le montant de l'ATA était fixé en 2015 à 11,45 euros par jour, le montant de l'AMS étant, lui, fonction des prestations fournies par le CADA.

L'ADA est versée aux demandeurs durant toute la durée de la procédure d'instruction de leur demande, y compris en cas de recours devant la CNDA, ou, pour les demandeurs en procédure « Dublin III », jusqu'à leur transfert effectif vers l'État membre responsable du traitement de leur demande.

Cette nouvelle allocation est désormais gérée par l'OFII - et non plus Pôle Emploi -, qui en calcule le montant mensuel. Elle est versée pour son compte par l'Agence de services et de paiement, moyennant des frais de gestion.

Dans le projet de loi initial, le Gouvernement a budgété 137,5 millions d'euros correspondant au versement de l'allocation à 44 800 bénéficiaires pour une période moyenne de versement de 12 mois, sur la base d'un montant journalier moyen de 8,39 euros par personne. Cette projection anticipe une diminution des durées de perception de l'allocation en comparaison de l'ATA résultant d'une réduction des délais de traitement de la demande. Elle anticipe également une diminution des indus du fait d'une gestion plus efficace par l'OFII de cette allocation.

D'après les informations recueillies par votre rapporteure, à cette prévision initiale a été ajouté, par l'amendement adopté par l'Assemblée nationale, un abondement supplémentaire de 11,27 millions d'euros correspondant au versement en 2016 de l'ADA aux bénéficiaires du plan de « relocalisation » . Cela correspond au versement d'environ 6 euros par jour pendant 4 mois à 15 391 demandeurs.

Votre rapporteure s'interroge sur le caractère optimiste de cette prévision au regard de l'exécution budgétaire des années passées.

Comparaison entre prévisions en loi de finances et consommation des crédits consacrés à l'allocation temporaire d'attente (ATA)

Prévision en LFI
(en millions d'euros)

Exécution
(en millions d'euros)

Évolution

2008

28

47,5

+ 69,29  %

2009

30

68,4

+ 128,00 %

2010

52,8

105

+ 98,86 %

2011

54

157,8

+ 192,28 %

2012

89,7

149,8

+ 67,00 %

2013

140

149,2

+ 6,60 %

2014

129,8

169,5

+ 30,59 %

Source : Commission des lois du Sénat à partir des données fournies
par la DGEF

Il est vrai que les paramètres de l'ADA ne sont pas les mêmes que ceux de l'ATA : son montant journalier est moindre mais il est familialisé et ses bénéficiaires potentiels plus nombreux puisque tous les demandeurs, qu'ils soient hébergés ou non en CADA, peuvent la percevoir. Cependant, l'estimation de 44 800 bénéficiaires paraît faible dès lors que le nombre d'allocataires de l'ATA s'établissait à 46 856 à la fin du mois de novembre 2014 21 ( * ) . En outre, en réponse au questionnaire budgétaire, la DGEF a fait part d'un besoin de crédits en fin d'année 2015 sur le poste de l'ATA de 189 millions d'euros , montant prenant en compte le report de charges de 2014 (58,7 millions d'euros) et l'avance du mois de janvier 2016 pour le versement de l'ADA.

Votre rapporteure ne peut que s'inquiéter des conséquences d'une sous-dotation de l'ADA qui impliquerait que l'opérateur qui assure le versement de l'allocation dispose de facilités de trésorerie afin de pouvoir faire l'avance des frais dans l'attente des virements de crédits. Tel ne semble pas être le cas de l'OFII, comme son directeur général, M. Yannick Imbert, l'indiquait dès l'an dernier.


* 19 Rapport sur l'hébergement et la prise en charge financière des demandeurs d'asile établi par l'inspection générale des finances, l'inspection générale des affaires sociales et l'inspection générale de l'administration, avril 2013, p. 17.

* 20 Le plan présenté par Mme Sylvia Pinel, ministre en charge du logement, le 3 février 2015 prévoit notamment la création de 6 000 places sur trois ans pour les demandeurs d'asile hébergés à l'hôtel au sein de structures adaptées ( cf . la circulaire n° DGCS/SD1/BUSH/DHUP/DIHAL/DGEF/2015/51 du 20 février 2015 relative à la substitution de dispositifs alternatifs aux nuitées hôtelières et à l'amélioration de la prise en charge à l'hôtel - NOR : AFSA1505081C).

* 21 Cf . rapport annuel de performance annexé au projet de loi de règlement et d'approbation des comptes 2014.

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