EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

La commission de la culture, saisie au fond de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias, adoptée le 8 mars dernier en première lecture par l'Assemblée nationale, a décidé de déléguer au fond à votre commission des lois l'article 1 er ter relatif à la protection du secret des sources.

La présente proposition de loi, qui comportait quatorze articles lors de son dépôt sur le bureau de l'Assemblée nationale, poursuivait initialement deux objectifs : protéger l'indépendance des journalistes à l'égard des intérêts économiques et assurer l'indépendance de l'information et des programmes audiovisuels face aux intérêts économiques.

Lors l'examen de ce texte, la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale y a intégré les dispositions qu'elle avait déjà votées lors de l'examen du projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes, déposé en juin 2013 à l'Assemblée nationale 1 ( * ) . L'article 1 er ter a ensuite été modifié en séance publique par un amendement du Gouvernement.

Six ans après l'adoption de la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, qui avait expressément consacré un droit au secret des sources, l'article 1 er ter de la présente proposition de loi vise à modifier substantiellement, d'une part l'article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, d'autre part le code de procédure pénale par l'insertion d'un titre relatif à la protection du secret des sources et enfin le code pénal par le renforcement des sanctions de certains délits.

Votre commission ne peut que regretter l'examen en procédure accélérée d'un texte réformant aussi substantiellement notre procédure pénale, sans que ne soit pris le temps d'un débat public approfondi sur la place du droit à l'information face au respect de la vie privée et la préservation de la sécurité publique, en particulier dans le contexte actuel.

Au-delà de ces considérations, si votre commission des lois souligne l'importance de la protection du secret des sources, « pierre angulaire de la liberté de la presse » selon la Cour européenne des droits de l'homme 2 ( * ) , elle estime également nécessaire de mieux concilier le droit à la protection des sources avec d'autres objectifs tout aussi légitimes dans une société démocratique : la prévention et la répression des crimes et délits, le secret de l'enquête et de l'instruction, la protection de la vie privée ou le secret de la défense et de la sécurité nationales.

Par ailleurs, votre commission des lois s'est aussi saisie pour avis de l' article 11 ter de la présente proposition de loi, au titre de sa compétence en matière de droit commercial.

I. LE SECRET DES SOURCES, UN DROIT ESSENTIEL

A. LE SECRET DES SOURCES, UNE CONDITION NÉCESSAIRE DE LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

La protection du secret des sources est un droit essentiel aux démocraties contemporaines et une condition nécessaire de la liberté de la presse.

L'article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit fondamental à la liberté d'expression, précise que la liberté de la presse ne peut être limitée que sous réserve d'intérêts supérieurs limitativement énumérés, dont la sécurité nationale, la défense de l'ordre et la prévention du crime, la protection de la réputation ou des droits d'autrui, ou pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.

Article 10 de la convention européenne de sauvegarde
des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales

« Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les États de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

Sur ce fondement, la CEDH a accordé à la presse, et en particulier aux sources des journalistes, une large protection, considérant que la liberté d'expression et, au-delà, le droit du public à recevoir des informations, constitue l'un des fondements essentiels des sociétés démocratiques 3 ( * ) . Dans un arrêt Goodwin c/ Royaume-Uni du 27 mars 1996, la CEDH affirme que « l'absence d'une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d'aider la presse à informer le public sur des questions d'intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s'en trouver amoindrie ».

La protection du secret des sources est également affirmée dans une recommandation R(2000)7 du Comité des Ministres du Conseil de l'Europe, adoptée le 8 mars 2000 qui souligne « que la protection des sources d'information des journalistes constitue une condition essentielle pour que les journalistes puissent travailler librement ainsi que pour la liberté des médias » et affirme le droit des journalistes à taire leurs sources.

Ce droit est avant tout un principe déontologique 4 ( * ) affirmé dès 1918 dans la charte des devoirs professionnels des journalistes français, rédigée par le Syndicat National des Journalistes, qui déclare que « tout journaliste digne de ce nom doit garder le secret professionnel », ainsi que dans la charte de Munich du 25 novembre 1971 qui affirme parmi les dix premiers devoirs d'un journaliste celui de « garder le secret professionnel et de ne pas divulguer la source des informations obtenues confidentiellement ».


* 1 Le projet de loi renforçant la protection du secret des sources des journalistes a été examiné par les commissions des lois et des affaires culturelles de l'Assemblée nationale mais n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour de la séance publique. Ces dispositions avaient également été déposées par Mme Marie-George Buffet, sous la forme d'une proposition de loi n° 2958 (2014-2015) en juillet 2015.

* 2 CEDH, Goodwin c. Royaume Uni, 27 mars 1996, considérant n°39.

* 3 CEDH, 7 décembre 1976, Handyside ; CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times ; CEDH, 26 novembre 1991, Observer et Guardian.

* 4 Les journalistes n'étant pas soumis au secret professionnel, le secret des sources est avant tout un principe déontologique.

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