N° 141

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 24 novembre 2016

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi de finances pour 2017 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME I

AGRICULTURE, ALIMENTATION, FORÊT ET AFFAIRES RURALES

Par MM. Gérard CÉSAR, Jean-Jacques LASSERRE et
Mme Frédérique ESPAGNAC

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Michel Houel, Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : 4061, 4125 à 4132 et T.A. 833

Sénat : 139 et 140 à 146 (2016-2017)

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

L'examen des crédits en faveur de l'agriculture inscrits au sein du projet de loi de finances constitue l'occasion pour le Sénat d'analyser, à travers le budget qui y est consacré, les priorités de la politique agricole.

Celle-ci est d'abord conduite à l'échelon européen : les crédits européens en provenance de la politique agricole commune (PAC) sont d'ailleurs beaucoup plus importants que les crédits nationaux : 9 milliards d'euros par an environ pour la France dont 7,5 milliards sur le premier pilier et 1,6 milliards d'euros sur le deuxième pilier.

La PAC n'est pas seulement une machine à distribuer des crédits : ses règles structurent fortement les politiques agricoles des États-membres : le verdissement oriente les agriculteurs vers des pratiques visant à mieux respecter l'environnement : non-retournement des prairies, diversité des assolements, conservation des surfaces d'intérêt écologique. La PAC incite aussi fortement à mettre en place des soutiens aux jeunes agriculteurs, au développement de l'agriculture biologique ou encore à la compensation des handicaps naturels.

Cela ne signifie pas qu'il n'existe aucune marge de manoeuvre nationale : les politiques de soutien aux filières, le soutien technique à l'agriculture, relèvent de choix nationaux.

Le budget 2017 en faveur de l'agriculture s'élève à un peu plus de 5 milliards d'euros , en tenant compte des crédits en faveur de l'enseignement et de la recherche agricoles, qui ne figurent pas au sein de la mission « agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (MAAFAR) ou au comte d'affectation spéciale « développement agricole et rural » (CASDAR). Seuls ces deux budgets sont soumis à l'examen de notre commission.

Les moyens de la MAAFAR augmentent fortement , passant de 2,79 milliards d'euros en autorisation d'engagement (AE) et 2,72 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) en 2016 à 3,40 milliards d'euros en AE et 3,36 milliards en CP en 2017.

Cette augmentation d'un peu plus de 600 millions d'euros s'explique principalement par l'inscription au budget du ministère de l'agriculture d'une enveloppe supplémentaire de 480 millions d'euros pour compenser auprès de la mutualité sociale agricole la réduction des 7 points de cotisations sociales des exploitants agricoles, décidée début 2016. Le reste des crédits est relativement stable.

Les moyens du CASDAR sont reconduits pour 2017 à 147,5 millions d'euros, mais, la conjoncture agricole fait légitimement douter de la capacité à disposer réellement des sommes prévues.

La situation économique des agriculteurs français est en effet particulièrement difficile en cette fin d'année 2016.

Aux difficultés qui existaient déjà l'année dernière pour les producteurs de lait ou encore les éleveurs du secteur de la viande, la météo particulière du printemps dernier a conduit à des baisses spectaculaires de rendement en grandes cultures et particulièrement en blé.

Des plans de crise ont été mis en oeuvre au niveau européen comme au niveau national , mais ils interviennent tardivement et relèvent d'une logique de mesures ponctuelles qui ne répondent pas aux difficultés structurelles de l'agriculture française.

Surtout, par l'ampleur des crédits en jeu, les plans de crise montrent les limites de l'examen du budget de l'agriculture par la Parlement : il existe ainsi un écart très important entre le budget voté et le budget exécuté. De nouvelles ressources doivent ainsi être trouvées en cours d'année pour faire face à des besoins imprévus. Cette insuffisance des crédits pour 2016 en cas de crise avait déjà été pointée par vos rapporteurs l'année dernière, lors de l'examen des crédits en faveur de l'agriculture du précédent budget.

On peut regretter que la proposition de loi sénatoriale en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire débattue entre la fin 2015 et le début 2016 n'ait pas pu aboutir , après deux lectures au Sénat. Toutefois, certaines des propositions qu'elle portait ont fait l'objet d'une mise en oeuvre par les pouvoirs publics : prise en compte des coûts de production dans les formules de prix des contrats agricoles, instauration de conférences de filière, expérimentation de l'étiquetage de l'origine des produits transformés à base de viande ou de lait, ou encore réduction des cotisations des exploitants agricoles ou allègement du régime des installations classées d'élevage sont autant d'avancées positives pour les agriculteurs.

Lors de sa réunion du 23 novembre 2016, la commission des affaires économiques a émis un avis défavorable à l'adoption des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2016 au sein de la mission : « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », et au sein du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural », les rapporteurs Gérard César et Jean-Jacques Lasserre recommandant un avis défavorable et la rapporteure Frédérique Espagnac recommandant un avis favorable.

I. L'ANNÉE 2016 MARQUÉE PAR LA SUCCESSION DES CRISES AGRICOLES.

A. DES CRISES CONJONCTURELLES QUI RÉVÈLENT DES DIFFICULTÉS STRUCTURELLES.

1. Les difficultés du secteur laitier.

Alors que les quotas laitiers ont disparu depuis 18 mois, la situation de la filière laitière s'est fortement dégradée.

La hausse très forte de la collecte laitière à l'échelle mondiale a été tirée par la hausse de la collecte en Europe : d'après FranceAgrimer, sur les 8 premiers mois de l'année 2016, la collecte mondiale avait progressé de 1,2 % et la collecte européenne de 1,8 %.

L'afflux de lait a conduit au développement de fabrications industrielles : beurre, fromage et poudre de lait.

Après une baisse de 15 % en 2015, les prix du lait ont encore baissé de 8,6 % en moyenne annuelle sur les 9 premiers mois de l'année 2016 , d'après le service statistique du ministère de l'agriculture. Le point bas a été atteint en mai 2016 avec un prix du lait à 285 € la tonne.

Ces baisses de prix ont plongé les producteurs de lait dans de graves difficultés, le coût de production étant estimé par la fédération nationale des producteurs de lait (FNPL) à environ 350 € la tonne.

Mais la conjoncture semble s'être retournée depuis le début de l'été 2016 . La collecte européenne de lait a fléchi dans la quasi-totalité des États-membres de l'Union européenne - sauf les Pays-Bas et l'Irlande - pour s'établir à environ 1,5 % en dessous de la collecte de l'année précédente en juin, juillet et août derniers.

Les produits industriels ont ainsi connu une forte hausse depuis l'été : le beurre, en particulier, retrouve les niveaux de prix de la fin 2013, à 4 067 € la tonne.

Si des signes positifs d'amélioration de la conjoncture laitière sont aujourd'hui visibles, la filière laitière n'a pas traversé la crise sans dommage. La décollecte laitière est assez forte en France et s'établirait sur un an à environ 3 %, ce qui est considérable 1 ( * ) .

Les conditions climatiques défavorables à la pousse de l'herbe durant l'été ont renforcé la tendance à la décollecte française.

L'annonce en juillet 2016 du plan volontaire de réduction de la production a également joué un rôle dans le rééquilibrage entre offre et demande.

On peut s'inquiéter des effets de long terme de la crise laitière sur la filière française : le découragement des producteurs a terni l'image de la production laitière. La crise a également montré la faible résilience des producteurs de lait à des conditions de prix très dégradées. La filière laitière semble donc vulnérable à tout retournement de conjoncture, ouvrant la voie à un affaiblissement durable dans le paysage européen et mondial.

Au demeurant, si la remontée des prix redonne de l'air aux producteurs, des incertitudes fortes demeurent d'une part sur la volonté des industriels de répercuter rapidement aux producteurs les hausses de prix et d'autre part sur l'atténuation de la hausse que pourrait entraîner la remise sur le marché des quantités de produits laitiers stockés soit à travers le stockage public soit à travers les aides au stockage privé.

2. La filière viande bovine en pleine interrogation.

Les producteurs de viande bovine ont des revenus structurellement b as, dépassant rarement les 15 000 euros ces dernières années.

La filière viande doit faire face à une baisse tendancielle de consommation , qui semble s'être interrompue en 2015, avant de repartir de nouveau en 2016.

Les exportations de bovins vifs, en particulier de jeunes bovins, restent dynamiques vers les destinations traditionnelles comme l'Italie, mais aussi vers des pays-tiers du pourtour méditerranéen, mais l'ouverture des marchés extérieurs est dépendante de la situation sanitaire en France, en particulier la maîtrise de la fièvre catarrhale ovine (FCO), ainsi que de facteurs géopolitiques imprévisibles.

La filière bovine est également pénalisée par l'afflux dans les abattoirs de vaches laitières de réforme, conséquence de la réduction du cheptel qui accompagne la décollecte laitière depuis le début de l'année.

Depuis avril 2016, les cours des gros bovins finis sont en baisse, pesant sur le revenu des agriculteurs.

Or, les prix de l'alimentation animale n'ont pas baissé dans les mêmes proportions.

Bien qu'une analyse récente de FranceAgrimer ait montré que la filière bovine française disposait de réels atouts en matière de compétitivité, du fait du fait de conditions climatiques favorables, d'une bonne maîtrise technique de l'élevage, ou encore d'une offre diversifiée et à proximité des pays de la Méditerranée, structurellement importateurs, la filière est inquiète des conséquences à long terme des accords de libre-échange tendant à ouvrir davantage le marché européen à des importations de viande en provenance du Canada à travers le CETA, ou des États-Unis à travers le TTIP.

3. La filière avicole sous la menace de la grippe aviaire.

Après une nette reprise en 2015, la filière avicole française a connu de nouvelles difficultés en 2016 , avec un recul de la consommation intérieure mais aussi des marchés à l'export.

La progression des importations début 2016 a encore dégradé la situation de la filière : en viande de poulet, la France est importatrice nette depuis 2013 et le solde de nos échanges extérieurs ne cesse de se dégrader depuis : il représentera probablement un déficit commercial de 200 millions d'euros à la fin 2016.

La filière avicole a surtout été marquée en 2016 par la grippe aviaire dans les élevages de palmipèdes gras du Sud-Ouest , qui a conduit à mettre en place un vide sanitaire complet à partir de janvier 2016. Les élevages des départements touchés ont dû mettre en place une interruption totale de production, conduisant à une perte de chiffre d'affaires évaluée par le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog), à 270 millions d'euros, dont 130 millions pour les éleveurs et 140 millions pour les entreprises de transformation.

Durant la période de vide sanitaire, des mesures de nettoyage et de désinfection ont été entreprises pour prévenir la réapparition de la menace, sans toutefois pouvoir garantir une absence de risque pour l'avenir.

4. Les productions végétales face au défi climatique.

Alors que l'année 2015 avait connu un record avec la production de 72,6 millions de tonnes de céréales, les conditions climatiques très particulières de l'année 2016 ont conduit à une chute spectaculaire de la production , qui devrait s'établir à 44 millions de tonnes, en baisse de près de 20 % par rapport à la moyenne des cinq années précédentes. La production française de colza a également baissé en 2016, passant de 4,6 à 4 millions de tonnes. Le revenu des producteurs de céréales connaît ainsi une baisse spectaculaire en 2016 : selon certaines estimations, il devrait même être divisé par deux.

En viticulture, la production française serait en 2016 de 43,2 millions d'hectolitres, soit 6 % en dessous de la moyenne des 5 dernières années. Le gel de printemps a affecté la production dans certains bassins viticoles : Champagne, Bourgogne et Val-de-Loire. La grêle et le mildiou ont aussi constitué des menaces importantes sur la production 2016. Cette tendance à la baisse de la production paraît désormais s'installer dans le paysage agricole français et suscite une certaine inquiétude. Le secteur viticole est encore tiré par les exportations, mais l'excédent de la balance extérieure sur ce segment majeur pour la France s'est réduit, sous l'effet d'une hausse des importations, combinée à un tassement des exportations vers les autres États-membres de l'Union européenne.


* 1 Sur la base d'une production totale de 24,6 milliards de litres en 2015 et d'une production moyenne par exploitation de 400 000 litres (source : Agreste primeur n° 340, novembre 2016), cela représenterait une perte de près de 1 800 producteurs en une seule année.

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