B. UN RETOUR CONFIRMÉ DE L'ÉTAT DANS LES ENSEIGNEMENTS ARTISTIQUES SPÉCIALISÉS, SANS COMMUNE MESURE AVEC LE PASSÉ

1. Un cadre législatif renouvelé et des crédits accrus pour les enseignements artistiques spécialisés

La loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine a permis de préciser le cadre juridique applicable aux conservatoires, alors que l'incertitude prédominait depuis plusieurs années sous l'effet conjugué :

- de l'application inachevée de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui prévoyait de transférer aux régions l'organisation et le financement des troisièmes cycles professionnalisant des conservatoires, via le transfert des crédits correspondants, mais qui n'a jamais été véritablement mise en oeuvre, faute d'un accompagnement suffisant par l'État et la crainte des exécutifs régionaux de voir leurs charges bondir ;

- et du recul des financements de l'État à partir de 2013, qui s'est même traduit, en 2015, par la disparition de la ligne budgétaire spécifique qui était consacrée à ce financement (action 3 du programme 224 « Soutien aux établissements d'enseignement spécialisé »), avant un réengagement partiel en 2016.

La répartition des compétences relatives aux conservatoires prévue par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et ses conséquences

La loi du 13 août 2004 a clarifié les responsabilités respectives des différents niveaux de collectivités territoriales :

- les communes et les intercommunalités organisent et financent l'enseignement initial et l'enseignement artistique en partenariat avec les établissements scolaires ;

- le département adopte un « schéma départemental de développement des enseignements artistiques » (sauf arts plastiques) en concertation avec les communes ; il y fixe les conditions de sa participation au financement de l'enseignement initial ;

- la région finance et organise, par le biais d'un contrat de plan régional de développement des formations et de l'orientation professionnelles, le 3 e cycle professionnalisant proposé par les conservatoires, sanctionné par un diplôme national d'orientation professionnelle. Jusqu'en 2004, cette charge incombait à l'État.

- l' État procède au classement des établissements, définit les qualifications exigées du personnel enseignant et apporte une aide technique à l'élaboration du contrat de plan et du schéma précités.

Seules deux régions, le Nord-Pas-de-Calais et Poitou-Charentes, sur les 21 régions alors existantes ont effectivement mis en place et financé le 3 e cycle professionnalisant, les autres estimant qu'il s'agissait moins d'une décentralisation justifiée par leur compétence générale sur la formation professionnelle initiale que de la création d'une compétence nouvelle, sans compensation financière adéquate. Face à cette situation de blocage, l'État a renoncé à transférer les crédits aux régions et a maintenu un financement direct des conservatoires concernés, mais dans des montants de plus en plus restreints.

Entre 2012 et 2015, les crédits du budget de l'État consacrés aux conservatoires dans leur ensemble sont passés de 27 millions d'euros annuels à moins de 6 millions d'euros (soit - 80 % en trois ans). Seuls les conservatoires à rayonnement régional adossés à un pôle d'enseignement supérieur (soit 9 conservatoires en plus des conservatoires nationaux de Paris et de Lyon) ont conservé un financement étatique, ce qui a contribué à accentuer l'écart entre les pôles urbains les plus performants et le reste du territoire.

L' article 51 de la loi du 17 juillet 2016 réorganise l'offre publique d'enseignement artistique spécialisé de la musique, de la danse et du théâtre au sein des conservatoires :

- il précise que la vocation de l'enseignement initial est professionnelle ou amateur . Cette inscription est importante pour rééquilibrer l'orientation de l'enseignement dispensé au sein des conservatoires, parfois jugée excessivement professionnelle au détriment de l'éducation artistique et culturelle et du développement des pratiques amateurs ;

- il réaffirme le rôle de l'État en matière d'expertise et d'orientations pédagogiques , d'une part, en inscrivant dans la loi l'élaboration du « schéma national d'orientation pédagogique dans le domaine de l'enseignement public spécialisé de la musique, de la danse et de l'art dramatique », qui doit permettre à l'État de traduire ses attentes en matière d'innovation pédagogique, et en lui confiant la charge du classement des établissements en catégories correspondant à leurs missions et à leur rayonnement régional, départemental, intercommunal ou communal ;

- il clarifie le rôle de la région dans l'organisation et le financement de l'enseignement préparatoire aux formations supérieures. D'une part, il maintient ses compétences dans l'organisation de cet enseignement. D'autre part, il précise que le financement de ce 3 e cycle professionnalisant ne repose pas sur le seul échelon régional , comme le préconisait notre présidente Catherine Morin-Desailly 3 ( * ) . La loi prévoit que la région « peut participer à son financement » et garantit aux régions volontaires le transfert automatique des crédits que l'État y consacrait en moyenne en 2010, 2011 et 2012, soit avant la chute brutale des crédits accordés par l'État. Elle permet également à l'État d'agréer, à leur demande, les conservatoires chargés de cet enseignement préparatoire s'ils satisfont à des conditions d'organisation pédagogique ayant vocation à être précisées par décret. Cette rédaction ouvre ainsi la voie au réengagement de l'État et permet aux communes et intercommunalités, sur lesquelles reposait de facto le financement de ce 3 e cycle, de poursuivre leur implication financière ;

- il donne la possibilité aux régions qui le souhaitent de jouer un rôle de chef de file en matière d'enseignement artistique , en leur permettant d'élaborer, en concertation avec les collectivités concernées et après avis de la conférence territoriale de l'action publique, un « schéma régional de développement des enseignements artistiques », qui précise l'organisation des enseignements artistiques, sur la base des principes définis dans les schémas départementaux, et fixe les conditions de sa participation au financement des conservatoires pour l'ensemble de leurs activités.

Cet article de loi marque clairement le réengagement de l'État dans le fonctionnement des conservatoires . Ce réengagement est d'ailleurs confirmé dans le projet de budget pour 2017, avec une revalorisation de l'enveloppe budgétaire consacrée aux conservatoires de 3,5 millions d'euros par rapport à 2016 (+ 26 %), dont 500 000 euros au titre des aides individuelles et 3 millions d'euros destinés à favoriser une plus grande diversité des jeunes intégrant les conservatoires.

L'enveloppe budgétaire pour 2017 devrait se situer aux alentours de 17 millions d'euros :

- 6 millions d'euros au titre de l'action 1 avec 4,4 millions d'euros au titre des subventions pour le fonctionnement des conservatoires à rayonnement régionaux (CRR) et des conservatoires à rayonnement départementaux (CRD) adossés à des pôles de l'enseignement supérieur et 1,6 million d'euros au titre des aides individuelles ;

- près de 11 millions d'euros au titre de l'action 2 (+ 38 %) afin de financer les projets d'établissement.

2. Un financement qui s'inscrit dans une nouvelle logique et n'a pas vocation à retrouver les montants inscrits par le passé

Votre rapporteur pour avis se félicite que l'État manifeste sa volonté de s'impliquer de nouveau sur la question des conservatoires. Son retour pour la deuxième année consécutive dans le financement de ces établissements, comme la reprise d'un dialogue régulier avec les collectivités territoriales et les conservatoires, sont autant d'éléments positifs après la crise profonde entre les différentes parties prenantes, qui a atteint son paroxysme en 2015.

La situation actuelle appelle cependant plusieurs observations.

D'une part, le réengagement de l'État reste partiel . En dépit de la nouvelle augmentation des crédits consentie cette année, l'enveloppe budgétaire allouée aux conservatoires reste très en deçà du niveau de celle de 2012 , qui atteignait alors 27 millions d'euros, soit une contraction des crédits de plus de 37 % .

D'autre part, l'engagement financier de l'État dans les conservatoires est désormais soumis à conditions . Pour pouvoir prétendre à un financement, chaque conservatoire doit obligatoirement mettre en oeuvre une tarification sociale et développer, au sein de son projet d'établissement, au moins deux axes parmi les trois suivants : le renouvellement des pratiques pédagogiques, la diversification de l'offre artistique (par le biais d'une ouverture aux musiques actuelles, par exemple) ou le développement de réseaux et de partenariats avec les acteurs culturels locaux.

La révision des critères d'intervention de l'État auprès des conservatoires, qui a été élaborée en concertation avec les collectivités territoriales, n'est pas critiquable en soi : ces derniers permettent de rééquilibrer le soutien étatique, jusqu'ici largement focalisé sur les parcours professionnels, en direction des enjeux de l'éducation artistique, sachant que 98 % des publics des conservatoires demeurent des praticiens amateurs.

Néanmoins, ils témoignent d'un changement profond de logique en matière de financement des conservatoires . Les crédits qui leur sont octroyés ne sont plus conçus comme des dotations destinées à leur permettre d'exercer leurs missions : ils ont vocation à soutenir ceux des conservatoires qui mettent en place une politique d'ouverture à tous les jeunes . C'est sur ce fondement que le bénéfice des crédits, jusqu'ici réservé aux CRR et CRD, a pu être élargi aux conservatoires à rayonnement intercommunaux (CRI) et aux conservatoires à rayonnement municipaux (CRM).

Cela signifie aussi que certains conservatoires ne devraient pas retrouver le niveau de financement étatique dont ils bénéficiaient par le passé, tandis que d'autres pourraient voir leurs crédits exploser. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement estime qu'en vertu de cette nouvelle logique, l'enveloppe budgétaire dévolue aux conservatoires n'a pas forcément vocation à retrouver les niveaux d'avant 2012 , à moins que les crédits alloués à l'EAC continuent de croître, ou que les arbitrages au sein des crédits de l'action 2 se fassent au profit des conservatoires. Autrement dit, cette enveloppe a vocation à financer un nombre d'acteurs toujours plus nombreux, puisque les CRI et les CRM sont désormais éligibles, avec un budget resserré. Dans l'hypothèse où, dans quelques années, l'ensemble des conservatoires s'engagerait en faveur de la diversité sans que l'enveloppe ait été significativement réévaluée, cela signifie-t-il que les conservatoires qui auraient été parmi les premiers à mettre en oeuvre cette politique verraient leurs crédits réduits afin de les partager avec les nouveaux venus, avec le risque de fragiliser leurs projets éducatifs en raison de l'instabilité des engagements financiers ? Votre rapporteur pour avis appelle à la plus grande vigilance pour que le montant des crédits alloués aux conservatoires permette à ces établissements de faire face à leur double mission d'éducation artistique et culturelle et d'enseignement professionnel.

Il souhaite par ailleurs se faire l'écho du manque de transparence qui lui a été rapporté dans l' attribution des crédits entre les différents conservatoires par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) en 2016 et l' application inégale qui aurait été constatée des nouveaux critères d'intervention de l'État. Même si la mise en oeuvre de la réforme territoriale a pu avoir un impact transitoire, cette situation soulève des questions en matière d'égalité territoriale et reste déroutante pour les conservatoires, pour lesquels une certaine prévisibilité est indispensable dans l'exercice de leurs missions. La rédaction d'un vade-mecum à l'attention des DRAC, déjà envisagé par le passé, pourrait être utile dans le contexte du nouveau cadre législatif et financier des conservatoires.

Votre rapporteur pour avis s'inquiète enfin qu'aucun concours d'assistant territorial d'enseignement artistique et de professeur d'enseignement artistique de la fonction publique territoriale n'ait été organisé depuis respectivement 2011 et 2013. Cette situation est une source de difficultés à double titre : pour les enseignants, d'une part, en entretenant la précarité de l'emploi ; pour les collectivités territoriales, d'autre part, puisqu'elles n'ont pas la possibilité de renouveler un contrat plus de deux fois. Des concours pourraient être organisés dans le courant de l'année 2017. Il est toutefois important que le nombre de postes ouverts tienne compte de l'absence de concours pendant plusieurs années, de manière à ouvrir des perspectives d'évolution pour les jeunes enseignants de musique contractuels.

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Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis du programme 224 propose à votre commission de donner un avis de sagesse à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2017 .

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2017.


* 3 « Décentralisation des enseignements artistiques : des préconisations pour orchestrer la sortie de crise », Rapport du Sénat n° 458 (2007-2008) et proposition de loi relative à la décentralisation des enseignements artistiques, n° 658, Sénat (2014-2015).

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