III. DES DÉFIS À RELEVER

A. LE FINANCEMENT DE LA CRÉATION À L'ÉPREUVE DU NUMÉRIQUE

1. Nouveaux usages, nouvelles oeuvres

La révolution numérique a entraîné, pour les industries culturelles, singulièrement la production musicale, mais également le cinéma et l'audiovisuel et, dans une moindre mesure, le secteur du livre, une modernisation radicale des techniques de production des oeuvres, une massification de leur diffusion, licite ou non, et un bouleversement des usages de consommation. Leur modèle économique s'en est trouvé dangereusement chamboulé, le temps de mettre en oeuvre des réponses adaptées.

Dans un récent rapport consacré aux modalités d'accès aux contenus audiovisuels sur les plateformes et aux conséquences économiques de ce type de diffusion 6 ( * ) , le CSA rappelait combien « l'évolution des équipements, notamment la progression des terminaux mobiles, et des connexions fixes et mobiles à très haut débit a modifié en profondeur les usages sur Internet , en favorisant le développement et la consommation des contenus vidéos en ligne . » À titre d'illustration, le nombre d'abonnements haut débit et très haut débit sur les réseaux fixes atteint 27,2 millions au deuxième trimestre 2016 (+ 3,6 % sur un an), dont 4,8 millions d'abonnements à très haut débit (+ 33 %). Le contenu audiovisuel, cinéma et séries en tête, est devenu l'un des premiers moteurs de consommation sur Internet et constitue un fort potentiel de captation d'audience pour ces plateformes. Selon le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), « la consommation de vidéos représentait 70 % du trafic Internet mondial en 2015 », proportion qui pourrait s'établir à 82 % à l'horizon 2020.

Selon le CSA, « la consommation mobile d'oeuvres est en forte croissance au détriment de la télévision, sans que cette dernière ne perde encore sa place centrale. Le visionnage de contenus audiovisuels en non linéaire et sur des écrans mobiles représentant une pratique en expansion chez les moins de 25 ans, il est toutefois probable qu'une inversion des usages majoritaires s'opère dans les années à venir ».

Les dépenses en programmes audiovisuels des Français 1

( en millions d'euros )

Source : CNC - Bilan 2015

Parmi les tentatives pour s'adapter à la nouvelle donne numérique en matière de diffusion et aux faiblesses de l'exposition en salles pour les productions modestes, le e-cinéma constitue un exemple intéressant, bien qu'encore rare et commercialement peu rentable . Le phénomène, né il y a deux ans en France, désigne la diffusion sur Internet de longs métrages sans sortie préalable en salles. Seuls deux acteurs se partagent le marché : le producteur et distributeur Wild Bunch, avec la sortie de Welcome in New York d'Abel Ferrara au printemps 2014, et TF1 Vidéo depuis 2015. On dénombre aujourd'hui environ quatre à cinq sorties par an au prix de 6,99 euros en location sur les plateformes, avec des résultats encore mitigés - entre 25 000 et 80 000 actes d'achat par oeuvre.

La révolution numérique n'a pas uniquement des conséquences sur les canaux de diffusion des oeuvres ; elle modifie également la nature des oeuvres elles-mêmes, dont l'hybridation pose la question du financement dans un système où chaque industrie bénéficie d'aides spécifiques.

À cet égard, la récente réforme du fonds nouveaux médias du CNC doit être saluée. Depuis 2007, ce fonds accompagne des oeuvres audiovisuelles innovantes qui intègrent les spécificités des nouveaux médias et des nouveaux usages dans leur démarche de création et de diffusion . Les projets issus de ce laboratoire éditorial et économique se caractérisent par leur diversité : séries digitales, narrations interactives, applications mobiles, expériences en réalité virtuelle, etc. Son fonctionnement, inchangé depuis la création du fonds en 2007, a été réformé par le conseil d'administration du CNC en date du 7 avril dernier pour désormais s'articuler autour de trois aides : l'aide à l'écriture réservée aux auteurs, l'aide au développement des entreprises de production et l'aide à la production. Compte tenu de l'augmentation constante des devis de production avec la multiplication des projets de séries digitales et de films en réalité virtuelle, il a également été décidé de ne plus contraindre ces aides par un plafond en valeur absolue.

2. Vers un équilibre plus juste avec les plateformes ?

Le 25 mai 2016, la Commission européenne a présenté sa proposition de révision de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dite directive « services de médias audiovisuels » (SMA). La directive établit les règles applicables aux chaînes de télévision et aux services audiovisuels à la demande pour ce qui concerne les droits de diffusion sur le territoire d'autres États membres , la protection des mineurs, la publicité ou encore la promotion des oeuvres européennes.

Le texte de la révision, qui doit désormais être examiné par le Conseil des ministres de l'Union européenne et par le Parlement européen, reprend, et votre rapporteur pour avis s'en réjouit, plusieurs propositions portées par la France afin de contraindre les plateformes à participer au financement de la création.

Il prévoit ainsi que, pour les services non linéaires en ligne, les règles du pays de consommation du service s'appliqueront en matière d'obligation d'investissement ou de contribution aux fonds de soutien nationaux . En d'autres termes, une plateforme qui réalise un chiffre d'affaires en France devrait s'acquitter de la taxe sur les vidéogrammes au profit du CNC, quand bien même elle est établie dans un autre pays européen. En outre, les services à la demande seront dans l'obligation de proposer 20 % a minima d'oeuvres européennes et d'en assurer la promotion sur leur support.


* 6 « Plateformes et accès aux contenus audiovisuels. Quels enjeux concurrentiels et de régulation ? » Septembre 2016.

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