B. DES CHANTIERS NATIONAUX À NE PAS NÉGLIGER

1. La relocalisation des tournages : un cap à maintenir

En 2015, année où le cinéma français n'avait jamais tant tourné, les professionnels du secteur tiraient la sonnette d'alarme devant l'inquiétante progression des délocalisations de tournages à l'étranger, notamment pour les productions les plus ambitieuses et, partant, les plus dépensières en emplois.

La dernière étude disponible pour la période 2006-2014, réalisée par le CNC en collaboration avec le cabinet Audiens, intitulée « L'emploi dans les films cinématographiques », fait apparaître que près de 204 700 intermittents sont employés à la production de films d'initiative française de fiction (hors industries techniques) générant une masse salariale de 1,3 milliard d'euros . Plus des quatre cinquièmes des effectifs intermittents sont salariés en tant qu'artistes interprètes (85,0 %). Ces derniers reçoivent pourtant moins d'un tiers de la masse salariale totale (31,5 %). Les personnels techniques bénéficiant du statut de cadre représentent 4,1 % des effectifs totaux et mobilisent 37,4 % de la masse salariale globale. Enfin, les emplois techniques non cadres concernent 10,9 % des intermittents employés pour la production de l'ensemble des films et captent 31,1 % de la masse salariale globale.

Sur la période considérée par l'étude, la production d'un film de fiction d'initiative française emploie en moyenne 387 intermittents dont 294 artistes interprètes (73,6 % des effectifs), 75 techniciens non cadres (18,8 %) et 31 cadres techniques (7,7 %). Ces intermittents sont des hommes (59,9 % des effectifs). En moyenne, 1,05 million d'euros est consacré à la masse salariale des intermittents sur un film . Il apparaît logiquement que plus le devis d'un film est élevé, plus le nombre d'intermittents employés pour sa production est important.

Une étude réalisée par Audiens et la commission du film de la région Île-de-France à partir de l'exploitation de déclarations nominatives annuelles permet de connaître, pour ladite région, riche en sites remarquables de tournage, les effectifs déclarés dans le secteur de la production cinématographique. Pour l'année 2014, les résultats ont été de 3 808 permanents et 54 660 intermittents (respectivement + 1,1 % et - 7,3 % par rapport à 2013). À titre de comparaison, les autres régions comptabilisent, la même année, 910 permanents et 6 190 intermittents (respectivement + 5,8 % et - 5,5 % par rapport à 2013).

La localisation des tournages, en particulier des plus importants, sur le territoire national représente donc un enjeu crucial en termes d'emploi pour la politique de soutien au cinéma . Or, en 2015, la Fédération des industries du cinéma, de l'audiovisuel et du multimédia (FICAM) s'inquiétait de l'inflation de la délocalisation des tournages de films à budget élevé à l'étranger. Cette année-là, 36 % des semaines de tournage des films d'initiative française étaient tournés hors des frontières hexagonales , contre 22 % en 2014.

Pire, ce taux atteignait 74 % pour les films dont le budget était supérieur à 10 millions d'euros . Parmi les quatre films à plus de 20 millions d'euros, trois ( Les Visiteurs 3 , The Lake et HHHH ) ont été presque intégralement tournés à l'étranger, tandis que la réalisation de l'intégralité des effets spéciaux du quatrième ( L'Odyssée ) était délocalisée. En outre, pour la première fois, le taux de délocalisation des prestations d'effets visuels, pour lesquelles la qualité des industries techniques françaises est pourtant mondialement reconnue, a atteint 60 %.

Il est donc fort heureux que le Gouvernement ait décidé, l'an passé, de modifier les dispositifs du crédit d'impôt cinéma et du crédit d'impôt international (cf infra ), afin d'attirer les tournages les plus ambitieux en France par des avantages à la hauteur de la concurrence internationale.

Ainsi, le dernier pointage de l'observatoire des relocalisations des tournages du CNC met en évidence un effet réel sur l'emploi des nouveaux dispositifs de crédits d'impôt , qui ont engendré, sur les cinq premiers mois de l'année 2016, 447 millions d'euros de dépenses en France, soit 179 millions d'euros supplémentaires par rapport à 2015, correspondant, secteur de l'audiovisuel inclus, à 10 000 emplois supplémentaires . Votre rapporteur pour avis salue cet excellent résultat et appelle de ses voeux le maintien des mécanismes fiscaux en faveur de la production à un niveau significatif au regard des dispositifs proposés à l'étranger.

2. La nécessaire réforme de l'agrément

La limitation des phénomènes de délocalisations constituait également, avec la prise en considération des évolutions technologiques et la problématique de la langue de tournage, l'un des objectifs de la mission confiée à Alain Sussfeld, directeur général d'UGC, par Frédérique Bredin, présidente du CNC, sur la réforme de l'agrément .

Ses conclusions, rendues en juin 2016, proposent d'apporter à l'agrément une dimension plus culturelle , en valorisant le lieu et la langue de tournage, afin de compléter utilement des dispositifs fiscaux ou de soutien financier, qui privilégient une approche quantitative des sommes engagés dans chaque projet.

Comme le rappelle Alain Sussfeld, « l'agrément est à la fois un label qui permet d'accéder à une multitude de sources de financement ou d'aides (financement encadré, crédit d'impôt, avances sur recettes, droit au soutien producteur ou distributeur) et un moyen de moduler l'aide automatique en fonction de la nature et du montant des dépenses françaises et européennes ». Dès lors, il apparaît effectivement souhaitable à votre rapporteur pour avis que les mécanismes et critères permettant d'être agréé reposent sur des données techniques « à jour » et des objectifs culturels clairs , sans pour autant imposer une rigidité qui rebuterait les producteurs.

Interrogée par votre rapporteur pour avis, la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD) a également jugée fondamentale la préconisation d'Alain Sussfeld de maintenir l'importance de la langue française au sein du barème. Elle a, en revanche, marqué son désaccord s'agissant de la proposition de refonte du barème « production et réalisation », qui prévoit de n'attribuer aucun point pour le poste « écriture » dans les cas où le réalisateur est le seul auteur du texte. Un tel mécanisme pénaliserait en effet le réalisateur qui serait également le scénariste de ses films . Par ailleurs, dans le système envisagé, il serait possible d'obtenir 20 points bonifiés pour le barème « production et réalisation » dès lors que le film aurait eu recours à un compositeur de musique français mais sans aucun scénariste européen, ce qui semble à tout le moins curieux en matière de promotion de la création européenne.

Votre rapporteur pour avis partage ces critiques. Il estime que la réforme de l'agrément, dont les modalités seront présentées au conseil d'administration du CNC d'ici la fin de l'année 2016 pour une application courant 2017 après autorisation par la Commission européenne, devra s'attacher à la question cruciale de l'emploi dans les industries techniques et parmi les artistes ; c'est seulement ainsi que le cinéma français conservera son talent, son originalité et son savoir-faire.

Par ailleurs, comme l'a indiqué l'Association des producteurs indépendants (API) lors de son audition, si la réforme proposée par le rapport Sussfeld va effectivement dans le sens d'une simplification de la procédure et d'une meilleure lisibilité du dispositif, son incitation en faveur de telle ou telle production ne doit pouvoir s'envisager sans véritable cohérence avec les critères attachés aux crédits d'impôt.

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