C. INQUIÉTUDES AUTOUR DE LA RÉVISION DE LA DIRECTIVE DU 22 MAI 2001

1. Des intérêts opposés

Le 15 janvier 2015, l'eurodéputée Julia Reda a présenté devant la Commission des affaires juridiques du Parlement européen son pré-rapport sur la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001 relative à l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information, dite DADVSI. Première étape en vue d'une résolution du Parlement européen, il faisait suite au lancement, par la Commission européenne, d'une consultation publique sur la révision des règles de l'Union européenne en matière de droit d'auteur - l'objectif fixé par Jean-Claude Juncker au commissaire à l'économie numérique Günther Oettinger dans sa lettre de mission étant, notamment, de « briser les barrières nationales » en matière de droit d'auteur .

Julia Reda y fait le constat d' une « fragmentation » du droit d'auteur et droits voisins , source « d'insécurité juridique (...) pour les personnes qui accèdent à de nouvelles oeuvres, les transforment et les créent », autant que source de « frais de transaction élevés » pour tous ceux qui veulent s'assurer d'agir dans la légalité. Selon l'eurodéputée, la directive de 2001, ayant « introduit des niveaux minimaux de protection du droit d'auteur sans fixer aucune norme de protection des intérêts du public et des utilisateurs (...) , bloque les échanges de savoirs et culturels transfrontaliers ».

La réforme des règles européennes sur le droit d'auteur proposée par Julia Reda consistait à lever les restrictions à la circulation des oeuvres, en généralisant les exceptions reconnues pour tel ou tel usage et en abolissant, autant que faire ce peu, les frontières territoriales.

Elle reçut le soutien des associations proches de l'Internet « ouvert », à l'instar de la Quadrature du net, qui regretta toutefois que ne soit pas proposée la légalisation des échanges non marchands d'oeuvres considérés aujourd'hui comme du piratage, tandis que les syndicats d'auteurs, les représentants des industriels de la culture et les sociétés de gestion collective des droits crièrent au scandale.

Comme de nombreux États membres, les pouvoirs publics français ont rapidement pris fait et cause pour la protection des auteurs et le maintien, à l'identique, de l'économie de la culture.

La mobilisation fut également massive au Parlement européen , où 550 amendements furent déposés en vue de modifier le pré-rapport avant son adoption. Un texte de compromis a finalement été voté à la quasi-unanimité par la commission JURI le 16 juin 2015. Une résolution non législative a ensuite été adoptée en séance plénière par le Parlement européen le 9 juillet 2015.

Les députés ont demandé à ce que les futures propositions visant à réformer la législation européenne sur le droit d'auteur à l'ère numérique assurent un juste équilibre entre les droits et intérêts des créateurs et ceux des consommateurs . Ils ont appelé de leurs voeux des solutions pour améliorer l'accès au contenu en ligne au-delà des frontières tout en reconnaissant l'importance des licences par territoire, en particulier pour la production audiovisuelle cinématographique.

2. Un projet de révision qui appelle à la vigilance

Annoncée pour la fin de l'année 2015 puis régulièrement reportée, la proposition de révision de la directive du 22 mai 2001 a été présentée par la Commission le 14 septembre.

S'agissant des oeuvres cinématographiques et audiovisuelles, l'essentiel de la réforme se concentre sur l' obligation faite aux plateformes d'utiliser des logiciels de reconnaissance de contenus violant le droit d'auteur , à l'image de Content ID utilisé par YouTube . Elles devront également communiquer avec les ayants droit sur les modalités et les paramètres de ces logiciels, ainsi que chercher à conclure des accords avec les titulaires de droits afin d'améliorer les rémunérations versées .

Les considérants de la directive limitent toutefois l'obligation de négocier avec les ayants droit aux plateformes qui ne bénéficient pas du régime de responsabilité de la directive e-commerce du 8 juin 2000 s'agissant des contenus qu'elles hébergent. À titre d'illustration, YouTube comme DailyMotion seraient exemptées de cette contrainte, sauf à prouver qu'elles jouent un « rôle actif » dans l'optimisation et la promotion des contenus diffusés.

Auteurs et artistes devront en outre être informés de façon « opportune, adéquate et suffisante » de la manière dont sont utilisées leurs oeuvres en ligne, selon une formulation proche de celle figurant dans le nouveau contrat d'édition signé entre auteurs et éditeurs en 2013.

Par ailleurs, ils seront en droit de demander une rémunération supplémentaire si le montant sur lequel ils s'étaient mis d'accord à l'origine avec les exploitants s'avère bien inférieur aux revenus générés par leur production, ce qui peut être fréquemment le cas dans le secteur musical.

Cette avancée pour les ayants droit pose néanmoins la question du statut qui pourrait être appliqué aux plateformes de ressources communes, qui fondent leur activité sur la contribution volontaire des textes et d'images par leurs usagers. Elle est de ce fait vigoureusement critiquée par les défenseurs d'un Internet ouvert , qui à l'image de la Quadrature du net, dans un article en date du 2 septembre 2016 sobrement intitulé « Réforme du droit d'auteur : la Commission européenne pouvait-elle faire pire ? » , dénoncent un risque de police privée du droit d'auteur .

Par ailleurs, bien que longtemps annoncée comme une priorité de la révision de la directive de 2001 par le vice-président de la Commission européenne Andrus Ansip, l'abolition du géoblocage des oeuvres voit son champ d'application fortement restreint , sans toutefois apaiser les craintes des diffuseurs sur l'avenir du système actuel de financement de la création, notamment la moins rentable, par la vente de droits.

Dans le cadre de l'instauration d'un marché unique digital en Europe, la réforme devrait ainsi revenir sur la sacro-sainte territorialité des droits , qui permet aux ayants droit de négocier avec chaque pays les conditions de diffusion de leurs oeuvres. Désormais, s'agissant de la seule diffusion numérique , s'appliquerait le principe du pays d'origine déjà en oeuvre pour le câble et le satellite depuis 1993 : au lieu de négocier les droits d'auteur et de s'en acquitter pays par pays, le radiodiffuseur les versera dans son pays d'origine en échange d'une autorisation d'exploitation dans l'ensemble des États membres.

Si les titulaires de droits pourront toujours exiger le maintien d'un géoblocage de l'accès en ligne de leurs oeuvres pour tel ou tel pays et renégocier leur contrat en cas de fort succès à l'étranger, reste que cette proposition soulève la question de la soutenabilité financière des achats de droits paneuropéens pour les diffuseurs européens , souvent bien moins puissants que leurs concurrents américains. Afin d'éviter que cette mesure ne constitue une première étape vers un nouveau débat autour de la territorialité des droits, Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication, a indiqué lors de son audition devant votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication, que la France reste mobilisée pour en limiter au maximum le champ d'application.

Toutefois, ni l'audiovisuel ni le cinéma ne seront concernés par cette réforme , ce qui fait écrire à Julia Reda sur son blog : « plutôt qu'une modernisation, pourtant si nécessaire, d'un régime de droit d'auteur vieux de quinze ans, Oettinger est sur le point de proposer de protéger les industries analogiques des opportunités numériques qu'elles devraient plutôt embrasser ».

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Compte tenu de ces observations, votre rapporteur pour avis propose à la commission d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2017 .

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La commission de la culture, de l'éducation et de la communication émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2017 .

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