Livre et lecture : l'espoir retrouvé

I. LIVRE ET LECTURE : L'ESPOIR RETROUVÉ

A. IMPRIMÉ ET NUMÉRIQUE : UNE COHABITATION APAISÉE

1. Des pratiques complémentaires
a) La résistance de l'imprimé...

En 2015, le chiffre d'affaires de l'édition française représente, en ventes de livres valorisées au prix de cession, 2,5 milliards d'euros , auxquels il convient d'ajouter 133 millions d'euros de cessions de droits, pour un total de 436 millions d'ouvrages vendus. Après cinq années consécutives de régression, le revenu net des éditeurs amorce enfin une légère reprise (+ 0,6 % en valeur) , comme l'indique le dernier rapport d'activité du Syndicat national de l'édition (SNE) 1 ( * ) .

L'édition en chiffres

Source : SNE, Statistiques nationales de l'édition 2016 (données 2015) Source : GfK, février 2016

Les exportations apparaissent, en revanche, à la peine avec un résultat de 680 millions d'euros en 2015 , en diminution de 1,7 % par rapport à l'année précédente.

Le marché a été particulièrement porté, sans surprise, par Riquet à la houppe d'Amélie Nothomb (75 000 exemplaires), mais également par les moins attendus Petit Pays de Gaël Faye (46 000 exemplaires) et Chanson douce de Leïla Slimani (26 000 exemplaires).

Après un excellent premier semestre 2016 (+ 3,5 % de chiffre d'affaires par rapport à la même période l'an passé), un mauvais été et une rentrée plutôt fade laissent présager une stabilisation, voire une progression légère du marché . Le résultat sera toutefois aidé par l'édition scolaire , qui bénéficie à plein de la réforme du collège, et par quelques best sellers . En particulier, avec un huitième tome, la magie d'Harry Potter continue d'opérer : depuis la sortie de version anglaise de Harry Potter et l'enfant maudit le 31 juillet dernier, plus de 150 000 exemplaires se sont déjà écoulés.

Les maisons d'édition ne sont toutefois pas toutes logées à la même enseigne. Le marché français reste, en effet, dominé par de grands groupes - Hachette Livre, Editis et Madrigall, issus du rachat de Flammarion par Gallimard opéré en 2012 -, qui réalisent 80 % du chiffre d'affaires du secteur. Ce déséquilibre pourrait s'accentuer à l'occasion de nouveaux phénomènes de concentration , notamment le rapprochement entre les éditions Belin et les Presses universitaires de France, annoncé le 17 octobre dernier. Aux côtés de ces puissantes structures, on compte environ 8 000 entreprises éditoriales , dont 4 000 pour lesquelles l'édition constitue l'activité principale et à peine un millier pour lesquelles cette activité est économiquement significative.

La progression du nombre de titres publiés , observable depuis plus de quarante ans, ne se dément pas : elle a crû de 229 % entre 1970 et 2015 selon les chiffres du dépôt légal de la Bibliothèque nationale de France (BnF) avec une stabilisation relative à partir de 2009. En 2015, 67 041 nouveautés ont été publiées , portant à 728 400 le nombre de titres imprimés disponibles. Le tirage moyen, qui s'établit à 5 017 exemplaires en 2015, ne cesse de diminuer . Il s'établissait à 14 500 exemplaires en 1974 et à 8 000 exemplaires en 2010.

Tous les genres littéraires ne font toutefois pas montre d'un même dynamisme : la bande dessinée, la littérature, notamment jeunesse, et l'art apparaissent nettement plus prolifiques que la littérature du savoir (philosophie, géographie et histoire, sciences sociales, mathématiques, etc.).

Ces inégalités se retrouvent dans la proportion de chaque catégorie dans le chiffre d'affaires des éditeurs. Ainsi, avec 13 % du chiffre d'affaires des éditeurs, le secteur de la jeunesse est, après la littérature, le deuxième secteur éditorial en France. Selon une récente étude publiée par le Centre national du livre (CNL), près de 70 % des jeunes âgés de 7 à 19 ans lisent au moins une fois par semaine et 28 % quotidiennement, même si cette activité apparaît infime au regard du temps passé devant la télévision, Internet et les jeux vidéo. En outre, 89 % des jeunes interrogés déclarent lire car ils y sont obligés.

Source : SNE, Statistiques nationales de l'édition 2016 (données 2015)

La bande dessinée affiche également une santé florissante avec, en 2015, la publication d'un nouvel album d' Asterix (1,62 million d'exemplaires vendus) et de Corto Maltese . Les ouvrages rassemblant les dessins des disparus de Charlie Hebdo ont également constitué des succès de librairies. La littérature demeure stable , portée par les ventes élevées des ouvrages primés - en moyenne, un prix Goncourt se vend à 250 000 exemplaires, voire au-delà (700 000 pour Au revoir là-haut de Pierre Lemaître en 2013) - et des livres de poche.

En revanche, la presse religieuse, technique et du savoir, les dictionnaires et les livres d'art continuent à marquer le pas, exception faite des livres de cuisine grâce aux ventes record de Simplissime publié par Hachette. Selon les informations données par Vincent Monadé lors de son audition par votre rapporteur pour avis, la situation demeure absolument catastrophique pour la poésie, le théâtre et les essais.

b) ... confirmée par le lent essor du livre numérique

Le livre numérique s'installe doucement dans les usages de lecture des Français. Il représente, en 2015, 6,5 % du chiffre d'affaires de l'édition à 90 millions d'euros . Sa croissance devrait se poursuivre à un rythme similaire en 2016 puis en 2017.

Le marché du livre numérique en France

(en millions d'euros)

Source : GfK

Selon les données fournies par le dernier rapport annuel du SNE, si seuls 2 % des Français ont acheté un livre numérique en 2015, 20 % en acquièrent plus de quatre par an . 65 % des clients paient à l'acte et 11 % des lecteurs se fournissent sur les sites de librairies en ligne. Les ouvrages acquis sur support numérique concernent à 62 % les ouvrages professionnels, notamment juridiques et à 20 % la littérature.

Les appareils de lecture numérique les plus fréquemment utilisés par les Français sont les tablettes et les ordinateurs portables ; les liseuses, pourtant spécifiquement dédiées à cet usage, n'arrivant qu'en troisième position.

Appareils utilisés pour la lecture de livres numériques

Source : Hadopi - 2015

Des lecteurs qui lisent en moyenne 10 livres au format numérique

Source : Ipsos - Les Français et la lecture - CNL

La France demeure, en matière de lecture numérique, largement en deçà des grands pays développés . À titre d'illustration, la part de marché du livre numérique représente 24 % du chiffre d'affaires des éditeurs américains et 16 % au Royaume-Uni. En Europe, seuls les Pays-Bas (4,9 %) et l'Italie (4,3 %) réalisent un résultat inférieur à celui de la France.

Le classement actuel dans ce domaine ne devrait guère être modifié dans les années à venir : en 2019, 59 % du chiffre d'affaires de l'édition seront numérique aux États-Unis et 57 % au Royaume-Uni, contre seulement 13 % en France.

Pourtant, les éditeurs français n'hésitent pas à saisir les opportunités du numérique et investissent des sommes importantes dans l'innovation , non seulement dans les outils, mais également dans la formation des salariés chargés d'élaborer, de développer et d'exploiter les nouvelles ressources numériques, les portails et autres systèmes de diffusion. La moindre ampleur du livre numérique s'explique plutôt, votre rapporteur pour avis en est convaincue, par un attachement culturel des Français au livre imprimé, plutôt qu'à un choix technologique ou économique des éditeurs.

Pénétration des e-books grand public par pays en 2019 (%)

Source : AFDEL

Pourtant, afin de soutenir le développement du livre numérique et dans un souci d'assurer la neutralité fiscale entre biens culturels de même nature, la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 a instauré, au 1 er janvier 2012, un parallélisme fiscal avec le livre physique en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) , sous la forme d'un taux réduit à 5,5 % sur le prix de vente des ouvrages.

La Commission européenne, considérant que la décision française était contraire à la lettre de la directive 2009/47/CE du 5 mai 2009 modifiant la directive 2006/112/CE en ce qui concerne les taux réduits de taxe sur la valeur ajoutée, a lancé une procédure en manquement contre la France et le Luxembourg, qui applique une législation similaire, le 3 juillet 2012.

Malgré les efforts de la France pour faire valoir que l'harmonisation du taux de TVA sur les livres est favorable à la diffusion de la culture et aux consommateurs et respecte le principe de neutralité fiscale , l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) en date du 5 mars 2015 a donné raison à la Commission européenne, considérant que la directive précitée du 5 mai 2009 excluait toute possibilité d'appliquer un taux réduit de TVA aux « services fournis par voie électronique » et que la fourniture de livres numériques constituait un tel service.

Depuis cette décision en sa défaveur, le Gouvernement français n'a toutefois nullement amendé la législation fiscale applicable au livre numérique , jouant la montre dans l'attente de la révision prochaine de la directive annoncée pour 2018.

Son immobilisme n'est cependant pas total, puisqu'il s'agit d'oeuvrer, dans ce délai, à une modification de la directive favorable au taux réduit de TVA sur les contenus numériques, presse comme livre. Grâce à un considérable travail de mobilisation et de persuasion , la France compte désormais de nombreux alliés dans ce combat. Ainsi, à la suite de la Journée de Berlin du 9 septembre 2013 « Avenir du Livre, avenir de l'Europe » , l'Allemagne, jadis l'un des principaux opposants à l'application du taux réduit sur le livre numérique, s'est ralliée à la position française. De fait, vivement préoccupés par la situation générée à l'issue de la décision de la CJUE, les ministres chargés de la culture de la France, de l'Allemagne, de l'Italie et de la Pologne ont signé une déclaration conjointe dans laquelle ils demandent « l'inclusion d'une modification du droit européen permettant l'application du taux réduit de TVA aux livres numériques dans la stratégie numérique pour l'Europe ». Une majorité d'États membres est aujourd'hui favorable à une telle réforme qui, comme toute réforme fiscale, nécessite l'unanimité .

La Commission européenne elle-même semble évoluer. Le 6 mai 2015, jour de la présentation de sa stratégie pour un marché unique numérique en Europe, le président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a annoncé lors d'un discours prononcé devant les éditeurs de presse allemands, qu'il souhaitait présenter en 2016 une réforme destinée à aligner les taux de TVA des livres électroniques et de la presse en ligne sur ceux des supports papier , soulignant, comme l'assène la France, que « le règlement de la TVA doit être technologiquement neutre » . S'il convient de se réjouir d'un tel revirement, votre rapporteur pour avis observe que nulle réforme n'est intervenue depuis et souhaite, dans l'intérêt du marché du livre, que la promesse annoncée soit rapidement tenue.

2. Un marché plus efficacement réglementé
a) Des libraires accompagnés
(1) Un secteur soutenu

Touchée de plein fouet, au tournant des années 2000, par un double phénomène de crise des industries culturelles et des commerces de centre-ville , et malmenée par la concurrence des nouvelles formes de vente, la librairie, poumon de la diffusion du livre avec 20 000 magasins sur l'ensemble du territoire, a connu une lente mais terrible érosion de son chiffre d'affaires.

La réaction des pouvoirs publics, après avoir longtemps tardé, intervient avec l'annonce, le 3 juin 2013 lors des rencontres nationales de la librairie, par Aurélie Filippetti, alors ministre de la culture et de la communication, d'un « plan librairie » , qui s'inspire largement des conclusions de la mission confiée à Serge Kancel sur le soutien aux entreprises de librairie rendues publiques en janvier de la même année.

Les différentes mesures de ce plan, doté de 11 millions d'euros dont 9 millions d'euros de crédits nouveaux et mises en oeuvre à compter du 1 er janvier 2014, visent à redonner à la librairie indépendante une rentabilité suffisante pour lui permettre d'engager les investissements de modernisation nécessaires s'agissant du livre numérique ou de la vente en ligne. Ce plan de soutien vise également à conforter, sur le long terme, le modèle économique et culturel de la librairie. Il repose sur trois piliers :

- le fonds d'aide à la transmission des librairies , géré depuis 2008 par l'Association pour le développement de la librairie de création (ADELC), a été renforcé par une dotation supplémentaire de 4 millions d'euros apportée par le CNL , afin de répondre à l'augmentation attendue du nombre de transmissions de librairies. En 2014 et en 2015, 25 librairies ont été rachetées grâce au soutien du fonds ;

- un fonds d'avances en trésorerie (FALIB) a été créé à l'Institut pour le financement du cinéma et des industries culturelles (IFCIC). Doté de 5 millions d'euros par le CNL , ce fonds est destiné à pallier les difficultés croissantes que rencontrent les librairies pour accéder au crédit bancaire de court terme. À ce jour, 51 librairies ont bénéficié d'une avance de trésorerie leur permettant de maintenir ou d'obtenir un crédit bancaire. Le dispositif a été élargi en 2016 aux prêts de moyen terme , afin de permettre aux libraires en difficulté de restructurer leur trésorerie ;

- enfin, le budget consacré par le CNL au soutien à la librairie a été renforcé de 2 millions d'euros par redéploiement interne à compter de l'exercice 2014.

Tous dispositifs confondus, le soutien public à la librairie s'est élevé, en 2015, à 8,3 millions d'euros .

Ces mesures, et votre rapporteur pour avis s'en réjouit, portent leurs fruits. On observe ainsi que la part de la librairie dans le marché de la vente de livre repart à la hausse. Selon les données fournies par le Syndicat de la librairie française (SLF) lors de son audition, le chiffre d'affaires des entreprises aurait augmenté de 2,7 % en moyenne en 2015 , participant à la bonne santé observé du marché du livre.

Au-delà du plan librairie, plusieurs dispositifs concourent à ce résultat, notamment le décret n° 2015-1163 du 17 septembre 2015 modifiant certains seuils relatifs aux marchés publics, qui a relevé le seuil de dispense de procédure de 15 000 euros à 25 000 euros pour les commandes de livres et, surtout, le décret n° 2016-360 du 25 mars 2016 relatif aux marchés publics , qui a in fine établi ce seuil à 90 000 euros , correspondant à près de 60 % des commandes publiques de livres. Cette modification, que salue votre rapporteur pour avis, aura des conséquences très positives pour les librairies pour lesquelles, en moyenne, les commandes publiques représentent 20 % du chiffre d'affaires, même si un important travail de pédagogie demeure à réaliser auprès des élus locaux sur la nouvelle réglementation. Le décret du 25 mars 2016 invite en effet les collectivités à « tenir compte de l'impératif de maintien sur le territoire d'un réseau dense de détaillants qui garantit la diversité de la création éditoriale et l'accès du plus grand nombre à cette création » .

Parallèlement, une réflexion a été engagée concernant les formations au métier de libraire . Des « Assises du métier de libraire », associant les représentants de la profession, les principaux organismes de formation et les institutions concernées, se sont tenues à l'automne 2015 avec pour objectif d'identifier les besoins de formation initiale et continue des entreprises et de leurs salariés. Des mesures sont attendues dans ce domaine d'ici la fin de l'année 2016, sur la base de contenus élaborés par le SLF.

(2) Une concurrence régulée

La loi n° 81-766 du 10 août 1981, dite loi « Lang » du nom du ministre de la culture de l'époque, a instauré un prix unique du livre imprimé à compter du 1 er janvier 1982 . Ce prix, qui s'impose à tous les détaillants, est fixé par l'éditeur ou par l'importateur. Il ne varie ni en fonction de la période de l'année, ni des territoires. Des remises peuvent toutefois être consenties par le détaillant, sans toutefois dépasser 5 % du prix fixé (9 % pour certaines commandes publiques).

L'objectif, toujours actuel, est de soutenir les libraires, afin de maintenir un réseau commercial dense sur l'ensemble du territoire national, mais aussi de favoriser la diversité littéraire et la création par un dispositif qui ne dessert pas la vente d'ouvrages difficiles.

De nombreux rapports, et notamment celui réalisé par Hervé Gaymard en 2009 pour le ministère de la culture et de la communication intitulé « Pour le livre : rapport sur l'économie du livre et son avenir » , en établissent un bilan particulièrement positif. Plus de trente-cinq ans après sa création, il apparaît en effet que le dispositif a permis le maintien d'un réseau de librairies dense et diversifié, qui représente toujours le principal acteur de la vente au détail de livres physiques, mais également d'une création éditoriale riche et variée . Surtout, le prix unique du livre n'a nullement eu l'effet inflationniste que craignaient ses détracteurs : l'évolution du prix du livre demeure inférieure ou égale à celui des prix à la consommation et le prix moyen du livre n'a pas progressé plus fortement en France que dans d'autres pays.

Par parallélisme, la loi n° 2011-590 du 26 mai 2011 relative au prix unique du livre numérique a ouvert à l'éditeur, comme pour le livre papier, la liberté de fixer le prix de vente d'un ouvrage numérique, prix qui demeure toutefois inférieur d'environ 30 % à celui du livre physique.

Trois dispositions législatives récentes permettent de renforcer, dans l'univers numérique, l'application des lois précitées de 1981 et de 2011 relatives au prix du livre.

D'abord, afin de prévenir les litiges pouvant survenir sur l'application des lois relatives au prix du livre, une instance de médiation pour le secteur du livre a été créée par la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation. Cette mission de conciliation est confiée à un médiateur du livre, dont les modalités de désignation ont été précisées par le décret n° 2014-936 du 19 août 2014, lequel définit également les modalités d'organisation de la procédure de conciliation. En 2015, une procédure de conciliation a été menée avec les principaux opérateurs pour rendre conformes les offres d'abonnement en ligne avec accès illimité à la loi du 26 mai 2011 . En 2016, le médiateur s'est saisi du dossier de la vente de livres d'occasion par plateformes de e-commerce.

Ensuite, afin de renforcer les moyens de contrôle de l'application des lois de 1981 et 2011 , la même loi du 17 mars 2014 a prévu une procédure d'assermentation d'agents relevant du ministère chargé de la culture afin de leur accorder des pouvoirs d'enquête et de constatation des infractions aux lois relatives au prix du livre. Les premiers agents devraient être habilités puis assermentés d'ici la fin de l'année 2016.

Enfin, pour mieux encadrer les pratiques commerciales non prévues par le législateur lors de l'adoption de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre et apparues chez certains opérateurs avec le développement du marché de la vente en ligne, la loi n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres prévoit l'interdiction de pratiquer la gratuité des frais de livraison des livres à domicile et la remise de 5 % dans le cadre de la vente à distance. Cette loi a pour objectif de restaurer les conditions d'une concurrence équilibrée entre les différents réseaux de la distribution de livres, notamment entre vendeurs de livres en ligne et librairies physiques. On assistait alors à une systématisation, par certaines plateformes, du double avantage de la remise légale de 5 % et de la gratuité de la livraison.

Le texte, originellement issu d'une proposition de loi du groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale, a été profondément modifié par le Sénat à l'initiative de votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication pour en renforcer l'efficacité . En effet, dans un premier temps, le dispositif prévoyait que la prestation de livraison à domicile ne pouvait être incluse dans le prix du livre ; le seul avantage autorisé dans le cadre de la vente en ligne demeurait donc le rabais de 5 %. Puis, l'Assemblée nationale a préféré interdire le rabais de 5 % sur les livres commandés en ligne et livrés à domicile. Il est in fine revenu au Sénat de renforcer la proposition en interdisant la gratuité des frais de port.

Auditionné par votre rapporteur pour avis, le SLF a estimé que la loi du 8 juillet 2014 avait représenté un élément majeur de la reprise économique constatée par de nombreux établissements : l'espoir du législateur qu'il pourrait contenir la concurrence d'Amazon et contribuer à faire revenir une partie du public en magasin n'était pas vain.

Désormais, les représentants des libraires portent leurs efforts sur les solutions à apporter à la très faible rentabilité des commerces de livres . Avec un taux de marge brute de 33,7 % en moyenne, la librairie se situe en effet au dernier rang de l'ensemble des commerces de détail. À titre de comparaison, le taux de marge brute s'établit à 39,9 % dans le secteur des jeux et jouets, à 43,1 % pour les articles de sport, à 46,5 % dans l'habillement et à 62,3 % pour les opticiens.

Il convient à cet égard de rappeler qu'en fixant à la fois le prix de vente public des livres et la remise commerciale accordée au libraire, le diffuseur (opérateur commercial des éditeurs) détermine la rémunération et la marge du libraire . Les conditions et critères de rémunération prévus dans les conditions générales de vente, plus difficiles à négocier pour les petits commerces, sont donc déterminants.

Certains diffuseurs appliquent déjà le principe d'une remise minimale sur un périmètre variable de détaillants (librairies labellisées LIR ou détaillants réalisant au moins 50 % de leur chiffre d'affaires avec le livre). En revanche, d'autres, parmi les plus grands, plafonnent la remise susceptible d'être accordée aux librairies dont ils estiment les volumes de vente insuffisants . L'addition de la remise commerciale de base et des points supplémentaires de remise en fonction de critères qualitatifs et quantitatifs conduit à une remise commerciale maximale de 35 % et dans la grande majorité des cas avoisinant les 30 %.

Dès lors, il pourrait être utile de prévoir, dans la loi du 10 août 1981, un taux de remise minimum de 35 % pour les librairies , afin d'assurer à ces commerces une rentabilité convenable.

b) Un opérateur indispensable à consolider

La loi n° 46-2196 du 11 octobre 1946 créant un centre national du livre et le décret n° 2014-1435 du 1 er décembre 2014 définissent les missions et l'organisation du CNL, établissement public administratif sous tutelle du ministère de la culture et de la communication.

Dans le cadre d'orientations définies par un conseil d'administration où siègent, aux côtés des pouvoirs publics, des représentants de la filière du livre et des personnalités qualifiées, le CNL a pour mission de :

- soutenir et encourager l'activité littéraire des écrivains, des illustrateurs et des traducteurs , par l'attribution de bourses de création et de résidence ;

- soutenir l'édition d'oeuvres littéraires jugées primordiales en raison de leur exigence littéraire ou scientifique par le biais de subventions à destination des éditeurs français ;

- encourager tous les modes d'expression littéraire et concourir à la diffusion , sous toutes ses formes, d'oeuvres littéraires en langue française ;

- contribuer, par l'aide aux entreprises d'édition et de librairie, au développement économique du secteur du livre ainsi qu'au maintien et à la qualité des réseaux de diffusion du livre et de la lecture ;

- participer à la défense et à l'illustration de la langue et de la culture françaises ;

- favoriser la traduction d'oeuvres étrangères en français et d'oeuvres françaises en langues étrangères ;

- accompagner les manifestations littéraires ;

- intensifier les échanges littéraires en France et à l'étranger et concourir à des actions de promotion du livre et de la lecture susceptibles de contribuer à la diffusion et au rayonnement du livre français ;

- soutenir les bibliothèques, les établissements culturels et les librairies , en France et à l'étranger, qui commandent des ouvrages de langue française présentant un intérêt culturel, scientifique, technique ou touchant à la francophonie.

À cet effet, le CNL attribue des subventions et des prêts après avis de l'un des vingt commissions ou comités , organisés par disciplines ou par type d'intervention, qui rassemblent plus de 300 spécialistes (écrivains, universitaires, journalistes, chercheurs, traducteurs, critiques, éditeurs, libraires, conservateurs, animateurs de la vie littéraire, français et étrangers), nommés par le ministre de la culture et de la communication, sur proposition du président du CNL. Ces structures s'appuient également sur un réseau de lecteurs et d'experts.

En mai 2015, dans le cadre d'une ambitieuse réforme, pleinement déployée en 2016, le CNL a installé de nouveaux dispositifs, parmi lesquels la rémunération obligatoire des auteurs intervenant dans les manifestations soutenues par l'établissement et l'accompagnement de projets menés par les bibliothèques à destination de publics éloignés géographiquement, culturellement ou socialement de la lecture. La réforme, dont votre rapporteur pour avis avait salué l'esprit l'an passé, poursuit un triple objectif de simplification des dispositifs, d'évolution de certains d'entre eux et de refonte de la politique de soutien aux bibliothèques . Ainsi, les interventions de l'opérateur sont passées de 38 à 26 dispositifs grâce à la fusion de certaines aides et à la suppression d'autres. D'autres encore ont évolué afin d'y intégrer la dimension numérique et d'éviter les cumuls de subventions.

Pour mener à bien sa politique de soutien, le CNL bénéficie du produit de deux taxes : la taxe versée par les éditeurs sur le produit des ventes d'ouvrages en librairie et la taxe sur les ventes des appareils de reprographie, de reproduction et d'impression. Il ne reçoit aucune subvention du ministère de la culture et de la communication.

Le rendement de ces deux taxes affectées a connu, en 2014, une diminution supérieure à 10 %, tendance confirmée en 2015 , ce qui ne permet plus à l'opérateur de disposer d'un budget conforme au plafond fixé en loi de finances, soit 34,7 millions d'euros. Cette évolution, si elle devait perdurer, pourrait avoir des conséquences graves sur la capacité du CNL à remplir ses missions , comme s'en est ému son président lors de son audition par votre rapporteur pour avis.

Répartition des taxes

(en millions d'euros)

Source : CNL - Rapport d'activité 2015

Sur la base de ce constat, le ministre des finances et des comptes publics et la ministre de la culture et de la communication ont confié, le 29 juillet 2015, à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), une mission destinée à analyser les causes de l'érosion du rendement des taxes affectées au CNL , en identifiant la part des causes structurelles et celle liée à la conjoncture du secteur. Ses conclusions ont été rendues en novembre 2015 ; y sont formulées plusieurs préconisations , dont deux ont d'ores et déjà été mises en oeuvre.

L'article 96 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015 a élargi le champ de la taxe sur l'édition aux ventes de livres numériques . Cette mesure devrait pouvoir dégager une ressource estimée à 400 000 euros par an. En outre, une démarche de sensibilisation a été menée envers les éditeurs publics assujettis à cette taxe afin de s'assurer d'un rendement optimal.

Par ailleurs, Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication, a indiqué, lors de son audition par votre commission de la culture, de l'éducation et de la communication le 9 novembre dernier, avoir confié conjointement à l'IGAC et au Conseil d'État le soin de définir un nouveau niveau de ressources pertinent à partir d'une revue des missions du CNL. Cette réflexion doit aboutir à la définition d'un nouveau modèle de financement . En effet, la mission menée en 2015 a estimé inexorable l'attrition progressive de la taxe dite « reprographie », dans la mesure où les ventes de photocopieurs diminuent au bénéfice de contrats de service.

En tout état de cause, le CNL a été conduit, en 2015, à réduire le montant de ses interventions . Son budget global d'intervention (26,3 millions d'euros) a ainsi diminué de 3,8 millions d'euros (- 12,6 %).

Panorama général des aides en volume et en valeur

Source : CNL - Rapport d'activité 2015

Sur 3 715 demandes d'aide reçues (hors les labels librairie de référence et agrément), le CNL a alloué 2 413 aides, soit un taux de satisfaction de près de 65 % (contre 67,1 % en 2014).

Panorama des aides par domaine d'intervention

Source : CNL - Rapport d'activité 2015

La diminution des dépenses d'intervention porte, dans des proportions variables, sur l'ensemble des champs d'intervention du CNL, à l'exception de la vie littéraire (2,4 millions d'euros), en particulier le soutien aux manifestations s'étant engagées dans une démarche de rémunération des auteurs, et des aides aux structures (4,7 millions d'euros) dont les budgets demeurent stables.

Le soutien aux organisateurs de manifestations littéraires

Source : CNL - Rapport d'activité 2015

Pour le reste :

- les bourses de création aux auteurs et traducteurs ont baissé de 15 %. La diminution de l'enveloppe destinée aux auteurs (- 13,5 %) porte essentiellement sur les bourses aux créateurs littéraires, les bourses aux chercheurs, comme les crédits de résidence, d'intraduction et de préparation restant stables. La baisse des aides aux traducteurs étrangers (- 23 %) sont la conséquence de la forte diminution du nombre de projets aidés (54 contre 89 en 2014) ;

- les aides aux éditeurs (- 8 %) ont été marquées par une diminution des aides à l'intraduction (- 23 %), les aides aux revues, à la publication, à l'extraduction, ainsi que les prêts aux éditeurs demeurant stables ;

Les aides aux auteurs comme aux éditeurs bénéficient majoritairement à la littérature, aux sciences sociales, à la poésie et au théâtre, comme l'indique le graphique ci-dessous, qui retrace la proportion des aides versées par le CNL au regard du chiffre d'affaires de chaque catégorie.

Panorama des aides par domaine éditorial

Source : CA édition : Repères statistiques France 2014/2015-SNE

- les aides à la diffusion ont diminué de 10,5 % en valeur pour un nombre de bénéficiaires néanmoins demeuré stable, conséquence de la suppression d'une aide aux acquisitions des bibliothèques au bénéfice, depuis 2015, du dispositif en faveur des publics empêchés dont la sollicitation reste encore limitée.

Le soutien aux bibliothèques

Source : CNL - Rapport d'activité 2015

S'agissant plus particulièrement des aides aux librairies, le CNL a choisi d'intervenir au plus près des territoires, en s'associant, depuis 2014, à la démarche de contractualisation entre les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) et les régions. Il est désormais cosignataire de onze conventions territoriales et s'est engagé à apporter, sur la durée de ces conventions (trois ans), 2,8 millions d'euros de crédits nouveaux.

Le soutien aux librairies

Source : CNL - Rapport d'activité 2015

- enfin, les aides au numérique ont régressé de 17 % , reflétant d'une part la diminution de la dotation du CNL à la BnF pour ses programmes de numérisation patrimoniale et, dans une moindre mesure, la baisse des subventions aux éditeurs pour la numérisation des catalogues sous droits.

Pour l'année 2016, les données relatives à l'activité du CNL ne sont pas encore disponibles, mais les missions restant inchangées, son activité devrait être similaire à celle observée en 2015. Votre rapporteur pour avis, soucieuse de permettre à l'opérateur de retrouver son niveau d'intervention d'antan auprès de la filière du livre, appelle de ses voeux des décisions rapides en faveur de la modernisation de ses sources de financement.

3. Des auteurs à mieux considérer
a) Une réglementation plus protectrice
(1) En matière de contrat

Les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition sont particulièrement structurantes pour le secteur du livre en ce qu'elles déterminent les règles impératives qui organisent les contrats de cession des droits par les auteurs aux éditeurs, ainsi que les obligations réciproques des parties .

En l'absence de modification significative depuis 1957, le contrat d'édition était devenu en partie obsolète : l'objet du contrat était défini comme « la fabrication en nombre des exemplaires de l'oeuvre » , ce qui ne permettait pas de prendre en compte la diffusion numérique. En outre, les règles édictées manquant de précision au point de permettre la perpétuation de mauvaises pratiques, il constituait un motif de mécontentement des auteurs comme de discorde avec les éditeurs.

Après plusieurs années de réflexion et de négociations sous l'égide du professeur Pierre Sirinelli, auteurs et éditeurs sont parvenus à un consensus formalisé dans un accord-cadre signé le 21 mars 2013 entre le Conseil permanent des écrivains (CPE) et le SNE, qui préconise, dans une démarche souple et originale, de déterminer les modalités d'application des grands principes dans un code des usages , discuté entre les organisations représentatives des auteurs et des éditeurs sous l'égide du ministère de la culture et de la communication, puis rendu obligatoire à tout le secteur du livre par un acte d'extension.

La loi n° 2014-779 du 8 juillet 2014 encadrant les conditions de la vente à distance des livres et habilitant le Gouvernement à modifier par ordonnance les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition, a habilité le Gouvernement à tirer les conséquences de cet accord-cadre par voie d'ordonnance, ce qui fut fait le 12 novembre de la même année, pour une entrée en vigueur au 1 er décembre 2014.

Désormais, le contrat d'édition couvre à la fois l'édition en nombre des exemplaires d'une oeuvre et la réalisation de cette oeuvre sous une forme numérique. Lorsqu'il a pour objet l'édition d'un livre sous une forme imprimée et numérique, le contrat doit comporter une partie distincte dédiée aux conditions de cession des droits numériques. Les nouvelles dispositions définissent avec précision l'étendue de l'obligation qui pèse sur l'éditeur en matière d'exploitation permanente et suivie et de reddition des comptes tant pour l'édition imprimée que l'édition numérique. L'auteur pourra, lorsque l'éditeur n'aura pas rempli ses obligations contractuelles, obtenir la résiliation de son contrat selon des procédures simplifiées ne nécessitant pas le recours au juge.

Le nouveau contrat d'édition garantit également une juste rémunération de l'auteur en cas d'exploitation numérique de son oeuvre en prévoyant une participation à l'ensemble des recettes issues plus ou moins directement des différents modes d'exploitation de l'oeuvre, que ce soit dans le cadre des traditionnelles ventes à l'unité mais également dans le cadre de bouquets, d'abonnements ou lorsque le modèle économique de l'éditeur repose sur la publicité.

Les conditions économiques de la cession des droits numériques feront par ailleurs l'objet d'un réexamen régulier afin de tenir compte de l'évolution des modèles économiques de diffusion numérique. Si la mesure peut aujourd'hui sembler anecdotique au regard du faible niveau des recettes tirées de l'exploitation numérique, elle prendra tout son intérêt dans les années à venir.

Répartition du revenu par source

Europe des 27, 2003 et 2013, en milliards d'euros et % du total

Source : AFDEL

Les modalités d'application du nouveau contrat d'édition ont été précisées par un accord interprofessionnel entre les organisations représentatives des auteurs, signé le 1 er décembre 2014, puis étendu par un arrêté de la ministre de la culture et de la communication le 10 décembre de la même année.

Un projet de loi ratifiant l'ordonnance n° 2014-1348 du 12 novembre 2014 modifiant les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au contrat d'édition a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 29 avril 2015. Finalement, l'article 107 de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l'architecture et au patrimoine fit office de ratification.

Par ailleurs, dès 2015, auteurs et éditeurs ont entamé un nouveau cycle de négociations relatives à l'amélioration de la transparence . En application de la loi du 7 juillet 2016 précitée, le Gouvernement remettra un rapport au Parlement sur les résultats de cette concertation, ainsi que sur la mise en oeuvre de la réforme du contrat d'édition.

Toutefois, sans attendre la fin des discussions interprofessionnelles, la loi du 7 juillet 2016 introduit d'ores et déjà dans le code de la propriété intellectuelle de nouvelles dispositions visant à faciliter les relations contractuelles entre auteurs et éditeurs (sanction du défaut de paiement des droits d'auteur ou de reddition des comptes par une résiliation de plein droit du contrat d'édition). S'agissant de la reddition des comptes, le SNE indique, dans son rapport d'activité 2015-2016, qu'il « est envisagé la mise en place, chez les éditeurs, d'un outil informatique pour produire leurs statistiques de ventes et faciliter la reddition des comptes ».

Votre rapporteur pour avis considère qu' un effort particulier de transparence doit être réalisé par les éditeurs, alors qu'en 2015, selon le 6 e baromètre des relations auteurs/éditeurs publié conjointement par la Société civile des auteurs multimédia (SCAM) et la Société des gens de lettres (SGDL), 45 % des auteurs ne reçoivent que rarement, voire jamais, de reddition de comptes de la part de leur éditeur. Lorsqu'ils sont transmis, les documents exigés ne sont clairs et complets que pour 13 % des auteurs.

(2) En matière de protection sociale

Le régime social des artistes auteurs, dont font partie les auteurs de l'écrit, est rattaché au régime général . La branche des écrivains est gérée par l'Association pour la gestion de la sécurité sociale des auteurs (AGESSA). Créée en 1977, elle est chargée du recouvrement de leurs cotisations et contributions.

Soucieux d'améliorer la protection sociale des auteurs, les ministères en charge de la culture et des affaires sociales ont confié une mission conjointe à l'Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) et à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), qui a remis ses conclusions en 2013. Une concertation a ensuite été engagée avec les organisations professionnelles représentatives des artistes auteurs pour examiner différentes mesures de simplification et de consolidation de leur protection sociale, concernant en particulier la retraite .

Le précompte de la cotisation pour la retraite de base des artistes auteurs a ainsi été inscrit dans la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016. De fait, l'appel de cotisation à la retraite de base n'avait jamais été mis en place pour les artistes auteurs non affiliés à l'AGESSA. Afin de les rétablir dans leurs droits en simplifiant le recouvrement, les cotisations et contributions de sécurité sociale seront systématiquement précomptées pour les artistes auteurs déclarant fiscalement leurs revenus en traitements et salaires. La mise en oeuvre de cette mesure est prévue au plus tard au 1 er janvier 2019.

Parallèlement, un dispositif de régularisation des cotisations prescrites a été élaboré pour une entrée en vigueur à la fin de l'année 2016 , afin que les artistes auteurs dont les cotisations vieillesse n'ont pas été appelées puissent reconstituer leurs droits à retraite auprès du régime général, dès lors qu'ils justifieront les rémunérations en droits d'auteur perçues et acquitteront les cotisations d'assurance vieillesse afférentes.

Par ailleurs, le régime de retraite complémentaire des artistes auteurs professionnels (RAAP), géré par l'Institution de retraite complémentaire de l'enseignement et de la création (IRCEC), a été réformé afin de garantir son statut de régime de protection sociale. Dans ce cadre, un dispositif de cotisations proportionnelles aux revenus d'artistes auteurs à un taux unique de 8 % remplace, depuis le 1 er janvier 2016, un système de classes de cotisations optionnelles. Cette réforme permet d' améliorer le niveau des retraites servies . Les auteurs de l'écrit, qui bénéficient de la prise en charge par la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (SOFIA) de la moitié de leurs cotisations du RAAP au titre du droit de prêt en bibliothèque, continueront d'en bénéficier.

b) Une paupérisation qui demeure inquiétante

Malgré des avancées significatives en faveur de la rémunération et de la protection sociale des auteurs de l'écrit, le phénomène de paupérisation s'accentue.

Selon le 6 e baromètre des relations auteurs/éditeurs précité, 69 % des auteurs perçoivent, en 2015, pour l'édition imprimée moins de 10 % de droits d'auteur sur le prix public de vente des livres , contre 59 % en 2013. Ils ne sont plus que 7 % (10 % en 2013) à percevoir un taux supérieur à 10 %. Pire, près de 19 % des auteurs sont rémunérés à un taux inférieur à 5 % du prix public de vente , alors qu'ils n'étaient que 15 %, proportion déjà alarmante, en 2013. Ce dernier chiffre atteint 27 % pour l'exploitation numérique. Non que le pourcentage de rémunération versé aux auteurs sur le prix d'un livre imprimé (8 %, 10 %, 12 % ou, très rarement jusqu'à 18 % selon les contrats) n'ait été brutalement diminué, mais il demeure très insuffisant en littérature jeunesse (6 % partagés avec l'illustrateur).

Par ailleurs, seul un auteur sur deux (49 %) se voit proposer systématiquement un contrat avec un à-valoir , dont le montant moyen est à la baisse : il est inférieur à 1 500 euros pour 38 % des auteurs.

Au final, les rémunérations issues de l'activité d'écriture représentent moins de 25 % des revenus pour plus de 65 % des auteurs de l'écrit.

Pourcentage des revenus d'auteur par rapport aux revenus annuels

Source : 6 e baromètre des relations auteurs/éditeurs - SCAM/SGDL

Il y a vingt ans, 20 000 auteurs se partageaient 450 millions d'euros de droits ; ils sont 60 000 aujourd'hui pour une somme identique . En réalité, les recettes de l'industrie du livre sont concentrées, chaque année, sur quarante titres et une quinzaine d'auteurs hors desquels il est difficile pour quiconque de vivre de sa plume. On estime à 150 seulement le nombre d'auteurs qui gagnent aisément leur vie et à 8 000 ceux qui perçoivent des revenus d'auteur équivalents au SMIC. Sans bénéficier de rémunérations élevées, les traducteurs ont les revenus les plus sécurisés car, outre leurs droits, ils touchent une rémunération fixe d'au minimum 21 euros par page.

En conséquence, près de 70 % des auteurs exercent un autre métier parallèlement à leur activité littéraire, notamment scénariste, journaliste, chercheur ou enseignant. Pour des raisons liées à l'exercice du métier comme à leur rémunération moyenne, les illustrateurs, dessinateurs et coloristes de bande dessinée ainsi que les traducteurs ont moins fréquemment une autre activité professionnelle.

D'autres auteurs choisissent de compléter les revenus issus de leurs oeuvres littéraires par des travaux alimentaires de « nègre » , ou ghost writer , pour le compte d'autrui, dont ils mettent en forme les confessions. Si certains assument ce second emploi, pour lequel ils peuvent même grassement être rémunérés lorsque la personnalité « biographée » est célèbre (jusqu'à 20 000 euros d'à-valoir et 3 à 4 % du prix du livre), existe aussi un lumpenprolétariat d'écrivains précaires pour lesquels les à-valoir sont faibles, les délais contraints et les droits d'auteur souvent inexistants. « Il y aura toujours assez de faméliques dans notre métier malheureusement, pour que l'emploi de nègre ne se perde point » , écrivait Colette, ghost writer de son propre mari, en 1936. La réalité n'est hélas guère différente aujourd'hui.

Dans ce contexte, le soutien du CNL aux auteurs apparaît vital pour nombre d'entre eux. Il se décline principalement en bourses de création et de résidence visant à permettre à des auteurs et illustrateurs professionnels, ayant déjà été publiés à compte d'éditeur, de mener à bien un projet en langue française. Les traducteurs peuvent bénéficier de bourses de traduction (langues étrangères vers le français) et de séjour (français vers les langues étrangères), afin de favoriser le rayonnement et la diffusion internationale des oeuvres. Enfin, la bourse Cioran bénéficie chaque année à un auteur pour l'écriture d'un essai à caractère philosophique ou littéraire. D'un montant de 12 000 euros, elle a été attribuée en 2015 à Santiago Espinosa pour l'écriture de son Traité des apparences . Par ailleurs, l'assistance culturelle du CNL vient en aide aux auteurs confrontés à des difficultés économiques.

En 2015, 306 aides ont été attribuées aux auteurs et aux traducteurs pour un montant total de 2,28 millions d'euros , soit une diminution de 30 % en volume et de 15 % en valeur par rapport à 2014, année où les demandes ont toutefois été en nombre supérieur de 20 %.

c) Une relation privilégiée avec le public à mettre en valeur

Les auteurs, signe de l'appétence conservée des Français pour le livre et la littérature, continuent à attirer le public, dans les salons spécialisés comme lors des animations organisées par les librairies ou les bibliothèques. Là réside une piste intéressante pour améliorer la rémunération des auteurs , sans modifier par trop les équilibres économiques fragiles du secteur.

Comme le rappelait le président du CNL lors de son audition par votre rapporteur pour avis, aux États-Unis, les conférences ou les clubs de lecture qui invitent des auteurs les paient systématiquement et, parfois, très cher. En Allemagne, les tournées d'écrivains, y compris dans les librairies, sont rémunérées.

Fort de ces exemples, le CNL a récemment conditionné sa participation au financement des festivals et autres salons du livre , au nombre de 86 en France, à l'obligation de rémunérer les écrivains qui participent aux débats qui s'y tiennent . Pour 200 000 euros d'aides versées sous condition à ces manifestations en 2016, les auteurs se sont ainsi vus verser 2 millions d'euros de rémunération pour leur participation.

Votre rapporteur pour avis salue cette initiative et se réjouit de la prise de conscience des organisateurs d'événements sur le thème du livre, y compris des collectivités territoriales, quant à la problématique de la rémunération des écrivains et des illustrateurs. Elle appelle de ses voeux la généralisation de ces bonnes pratiques dans l'ensemble des manifestations littéraires , qu'elles soient, ou non, subventionnées par le CNL.

L'enjeu est également de moderniser les salons afin d'y attirer un public de plus jeunes lecteurs . Il est à cet égard inquiétant que le Salon du Livre de Paris ait récemment perdu près de 30 % de visiteurs. Auditionné par votre rapporteur pour avis, le SNE, qui en assure l'organisation, a indiqué être en phase de refonte des équipes dédiées à l'événement en vue d'obtenir de meilleurs résultats de fréquentation en 2017.

L'année 2017 sera également marquée par la participation toute particulière de la France à la Foire du Livre de Francfort , événement le plus important de l'industrie du livre à l'échelle mondiale, dont elle sera l'invitée d'honneur. Au-delà de la semaine même de la Foire, la mise à l'honneur de la France se traduira dans un grand nombre de manifestations culturelles organisées en Allemagne au cours de l'année.

Afin de soutenir cette opportunité de mieux faire connaître la littérature et les auteurs français par-delà les frontières hexagonales, le CNL contribuera au financement de la présence de la France en ces différentes occasions en y consacrant une partie de l'enveloppe de 2,5 millions d'euros destinée aux actions de l'opérateur à l'international. En outre, le ministère de la culture et de la communication mobilisera à cet effet un million d'euros des crédits centraux de la sous-action 04 « édition, librairie et professions du livre » de l'action n° 01 « livre et lecture » du programme 334 « livre et industries culturelles ».


* 1 « L'édition en perspective » - Rapport d'activité du SNE - 2015-2016.

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