N° 283

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 janvier 2017

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , de programmation relatif à l' égalité réelle outre - mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique ,

Par M. Michel MAGRAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Claude Lenoir , président ; Mmes Élisabeth Lamure, Delphine Bataille, MM. Alain Bertrand, Martial Bourquin, Gérard César, Alain Chatillon, Daniel Dubois, Joël Labbé, Michel Le Scouarnec, Yannick Vaugrenard , vice-présidents ; M. Marc Daunis, Mme Valérie Létard, M. Bruno Sido , secrétaires ; MM. Gérard Bailly, Jean-Pierre Bosino, Henri Cabanel, François Calvet, Roland Courteau, Pierre Cuypers, Alain Duran, Mmes Frédérique Espagnac, Dominique Estrosi Sassone, M. Daniel Gremillet, Mme Annie Guillemot, MM. Serge Larcher, Jean-Jacques Lasserre, Daniel Laurent, Philippe Leroy, Mmes Marie-Noëlle Lienemann, Anne-Catherine Loisier, MM. Michel Magras, Franck Montaugé, Robert Navarro, Jackie Pierre, Ladislas Poniatowski, Mme Sophie Primas, MM. Yves Rome, Henri Tandonnet .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

4000 , 4054 , 4055 , 4064 et T.A. 823

Sénat :

19 , 279 , 280 , 281 et 284 (2016-2017)

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission des affaires économiques a examiné les 25 articles qui constituent le volet économique du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique dans les outre-mer.

Elle s'est efforcée non seulement d'en améliorer la cohérence et le réalisme mais aussi de fortifier les outils juridiques de nature à soutenir l'offensive économique que doivent mener nos opérateurs ultramarins.

1. Ce projet de loi consacré aux outre-mer a changé de volume et de nature après son passage chez nos collègues députés.

Comme son nom l'indique, le projet de loi initial s'est, au départ, fondé sur le concept d' « égalité réelle ».

Certaines notions politiques et philosophiques peuvent sonner comme des évidences au premier abord, mais soulèvent beaucoup d'interrogations quand on essaye de comprendre leur signification précise.

Tel est le cas de l'égalité réelle et il faut ici rendre hommage à la qualité des travaux du Conseil économique social et environnemental qui a fait bien ressortir la nécessité de privilégier une approche concrète et différenciée des outre-mer. Comme le fait observer l'avis de M. Christian Vernaudon, « Il n'y a rien de plus différent qu'un habitant des villages amérindiens de la forêt équatoriale guyanaise et un ingénieur travaillant sur la base spatiale de Kourou ou qu'un habitant d'un village coutumier des iles Loyauté et un chômeur de la banlieue de Nouméa.».

Le fait de baser une construction législative sur une notion d'égalité réelle assez floue - et dont l'exposé des motifs du projet de loi initial souligne lui-même « la subtilité et la complexité » - s'est traduit par la présentation au Parlement d'un texte sans grande portée économique.

Parmi les cinq articles du texte initial classés sous cette rubrique, ceux qui ont le plus fort impact économique consistent à améliorer le remboursement des frais pour les jeunes ultramarins qui suivent une formation ou un stage en dehors de leur territoire.

Bien entendu, on ne soulignera jamais assez à quel point il est fondamental d'améliorer la formation et l'émergence de talents ultramarins car la faiblesse des revenus salariaux dans le secteur marchand des outre-mer s'explique par un effet de structure : les emplois de cadres sont trop peu occupés par les ultramarins.

Mais, à lui seul, le projet de loi initial n'aurait guère justifié de saisine de la commission des affaires économiques puisque son coeur de cible consiste à mettre en place un appareillage de procédures et de schémas de planification pluriannuels qui visent, à un horizon éloigné de dix à vingt ans, une réduction des écarts de développement avec l'hexagone.

Le projet de loi adopté par les députés a subi, comme cela a été souvent le cas pendant la présente législature, une considérable inflation.

Le texte soumis au Sénat comporte à présent 116 articles. Il a changé de nature avec, désormais, une configuration de projet portant diverses dispositions pour les outre-mer.

Pour traiter au mieux cette rafale de mesures, six commissions sénatoriales ont été saisies : M. Mathieu Darnaud, est rapporteur au fond pour la commission des lois, Mme Chantal Deseyne pour les affaires sociales, Mme Vivette Lopez pour la culture, M. Jean-François Mayet pour le développement durable, M. Michel Canevet pour les finances, car plusieurs dispositions fiscales non dépourvues d'intérêt ont été introduites, et vous m'avez désigné pour traiter le volet économique de ce projet.

2. L'approche de la commission des affaires économiques : améliorer la cohérence et le réalisme du volet économique du texte en lui donnant aussi plus de "percussion".

Quelques brèves observations sur le constat de la situation de nos outre-mer et la nécessité de faire évoluer son modèle économique.

- Les études d'impact et les divers rapports sur les outre-mer présentent de nombreux indicateurs de pauvreté ou de production par habitant qui prouvent un écart persistant par rapport à la moyenne hexagonale.

Plutôt que d'égrener à nouveau des chiffres, d'ailleurs souvent contestables comme en témoignent les demandes de rapports tendant à perfectionner les indicateurs, il parait utile de rappeler ici que la cause essentielle de la pauvreté dans les outre-mer, s'explique principalement par le taux de chômage ultramarin qui est le double de celui de l'hexagone. Plus précisément, les travaux de notre délégation sénatoriale aux outre-mer soulignent trois facteurs d'explication de ce niveau de vie inférieur à celui de l'hexagone. Tout d'abord, les ménages ultramarins comptent en moyenne plus de personnes mais celles-ci, compte tenu de la forte proportion de jeunes et des taux d'emploi plus faibles, apportent moins de ressources. Ensuite, les emplois dans les outre-mer sont en moyenne moins qualifiés. Enfin, la proportion de familles monoparentales est plus forte que dans l'hexagone. Or, chacun sait que la monoparentalité est très souvent synonyme de pauvreté.

- Face au chômage et aux crises conjoncturelles ou structurelles, on a répondu pendant longtemps, et de manière quasi-systématique, par une politique d'augmentation de l'emploi public, tant dans l'hexagone que dans nos outre-mer. La nouveauté c'est qu'avec un niveau d'endettement public qui avoisine le PIB et 57% de prélèvements obligatoires, on atteint des seuils qui ne permettent plus d'appliquer cet "amortisseur".

Rien ne nous permet plus d'échapper à la nécessité de favoriser la création de richesse dans le secteur marchand ultramarin et telle est la conception - désormais quasi consensuelle - qui guide l'approche de notre commission à l'égard du volet économique de ce projet de loi.

Les critiques suscitées par la notion d'égalité réelle conduisent à rappeler le socle juridique opérationnel pour le législateur dans le domaine économique.

- Pour illustrer en deux phrases le message assez subtil transmis par nos plus grands juristes sur le principe d'égalité, on peut rappeler que nos concitoyens doivent avoir exactement le même droit de vote et les mêmes garanties de procédure pénale. En revanche, ils ne payent pas nécessairement les mêmes impôts.

En matière économique fiscale ou sociale, le principe d'égalité stricte est donc moins puissant et opérationnel que l'impératif de différenciation et d'adaptation aux exigences de la réalité.

Tel est le raisonnement juridique qui s'impose au législateur dans le domaine économique et social.

- La différenciation et l'adaptation sont également la principale clef de réussite de l'offensive économique ultramarine.

Telle est la position que défend traditionnellement la commission des affaires économiques. Tout récemment, pour les outre-mer, elle a adopté la proposition de résolution sur les normes agricoles européennes en demandant à la commission européenne de mieux différencier le climat tempéré et le climat tropical sans quoi on renvoie "dans le mur" l'agriculture ultramarine. Pour lutter contre la « fourmi manioc » qui détruit une récolte en 24 heures et pour valoriser les productions ultra-marines haut-de-gamme par la signalétique, il n'y a pas d'autre guide que le principe d'adaptation aux exigences du réel : c'est ainsi qu'on favorisera la création de richesse dont nos outre-mer ont tant besoin.

3. Les axes de recommandations sur le volet économique du projet de loi.

Tout d'abord, la commission des affaires économiques propose d'approuver plusieurs dispositions sans modification ou en se limitant à des correctifs rédactionnels.

- L'article 11 A propose d'élargir aux envois inférieurs à cent grammes, contre vingt grammes aujourd'hui, le champ de la péréquation tarifaire des lettres échangées entre les collectivités ultra-marines et l'hexagone.

Dans l'idéal il serait souhaitable d'aller au-delà du plafonnement à 100 grammes prévu par cet article, mais il convient de rappeler, d'abord que La Poste est dans une situation fragile, et ensuite, qu'à la différence des correspondances qui entrent dans le champ d'un monopole juridiquement protégé, les colis relèvent d'un marché ouvert et concurrentiel.

La commission préconise également d'approuver une série de quatre articles qui s'intègrent dans le code des transports. Ils favorisent la continuité territoriale et surtout l'aide à la formation des jeunes ultramarins :

- l'article 11 B prévoit une aide au voyage pour obsèques et une aide au transport de corps ;

- l'article 11 vise à créer un dispositif « cadres avenir » à Mayotte avec une panoplie d'aides au transport, une allocation mensuelle et une aide à l'insertion professionnelle des jeunes diplômés dans le département de Mayotte ;

- l'article 12 prévoit une aide nouvelle pour les élèves et les étudiants devant effectuer un stage à l'extérieur de leur collectivité ;

- et l'article 12 bis prévoit un ajustement juridique pour faire du préfet le représentant de l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité dans les collectivités du Pacifique.

Votre rapporteur pour avis estime qu'il serait intéressant de déterminer avec précision si l'ensemble de ces aides n'a pas pour effet de nourrir la hausse des prix des billets d'avion. Cette dernière question fait l'objet d'une demande de rapport. Conformément à sa ligne de conduite la commission a proposé la suppression de la plupart des articles demandant des études au Gouvernement mais votre rapporteur souligne ici l'intérêt des questions posées qui ont été relayées tout au long des auditions et des prises de contact avec divers acteurs concernés. Le Gouvernement s'est par ailleurs engagé lui aussi à traiter ces demandes.

S'agissant des dispositions qui concernent le code de commerce et l'enjeu fondamental de la formation des prix dans les outre-mer , les solutions retenues par la commission répondent à deux grandes préoccupations.

La première est de renforcer la cohérence entre des dispositions contradictoires, les unes visant à lutter contre la vie chère et les autres contre les denrées alimentaires à bas prix. Il est bien entendu fondamental de protéger les producteurs locaux, mais, comme cela a été souligné à plusieurs reprises, les consommateurs pauvres qui achètent des denrées alimentaires à prix sacrifiés n'ont de toutes les façons pas les moyens de choisir d'autres produits. On peut également faire observer que le Parlement a mis toute son énergie pour lutter contre le gaspillage alimentaire : il serait donc paradoxal de mener dans les outre-mer une politique trop dissuasive contre les produits dits de dégagement.

La seconde ligne directrice est de trouver le bon "timing" et le bon curseur pour l'intervention de l'administration dans la fixation des prix en outre-mer. La commission a estimé que l'automaticité et l'ampleur de l'intervention du préfet paraissaient un peu excessives dans les dispositions adoptées par les députés. En même temps, il est indéniable que les prix à la consommation sont un sujet explosif dans les outre-mer : l'État doit donc y être attentif et pouvoir utiliser au bon moment des moyens d'actions efficaces et bien ciblés sans pour autant tomber dans l'interventionnisme systématique.

Votre commission recommande enfin de faire preuve d'audace en soutenant l'idée d'une expérimentation d'un « Small Business Act » ultramarin et en fortifiant son dispositif.

A l'article 19 du projet de loi, les députés proposent de réserver 30 % des marchés publics aux PME locales avec un plafonnement par secteur.

Le risque de non-conformité à la constitution de cette initiative a été évoqué en citant la jurisprudence du Conseil Constitutionnel qui impose au législateur le respect du principe de libre accès à la commande publique.

La commission estime qu'il convient de relativiser cette objection en faisant valoir trois arguments. Tout d'abord, l'article 19 prévoit une expérimentation limitée à cinq ans. Ensuite, elle est prévue dans les seuls territoires outre-mer, qui bénéficient en droit européen et en droit français de larges possibilités d'adaptation. Enfin, et plus fondamentalement, l'analyse du « Small Business Act » américain, amène à constater que sa philosophie est de favoriser l'émergence de nouveaux candidats susceptibles d'améliorer leur compétitivité et, au final, de fortifier la libre concurrence. De ce point de vue, il serait dommage que le législateur s'autocensure aujourd'hui en se pliant par avance à une conception trop statique du principe de libre accès à la commande publique, ce qui revient, dans les faits, à maintenir le statu quo pour les entreprises qui sont en position dominante.

La commission propose également de fortifier le texte adopté par les députés : il s'agit, en s'inspirant d'un des piliers de la législation des États-Unis, de prévoir que les appels d'offres d'une valeur de plus de 500 000 euros remportés par une grande entreprise doivent comporter un « plan de sous-traitance » garantissant la participation des PME locales.

Une telle initiative doit favoriser les réseaux de micro-entreprises ultramarins. De tels réseaux, qui ont, par nature, une réactivité exceptionnelle, ont fait de l'Italie du Nord la deuxième puissance industrielle de l'Europe et les outre-mer peuvent s'en inspirer.

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