B. UNE PREMIÈRE DIMINUTION DES APL DE 5 EUROS POUR L'ENSEMBLE DES ALLOCATAIRES EN JUILLET 2017

En juillet 2017, le gouvernement a annoncé que le montant des APL serait diminué de 5 euros et que parallèlement à cette diminution, le seuil minimal de versement des APL passerait de 15 à 10 euros. Il s'agissait ainsi d'éviter que 50 000 personnes qui recevaient entre 15 et 19 euros ne soient privés d'aide.

Ces mesures sont entrées en vigueur le 1 er octobre 2017 avec la parution du décret du 28 septembre 2017 relatif aux aides personnelles au logement et au seuil de versement des allocations de logement et de l'arrêté du 28 septembre 2017 relatif aux aides personnelles au logement et au seuil de versement de l'aide personnalisée au logement.

Il convient de rappeler que cette baisse des APL n'avait pas été annoncée lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2017. Comme l'a souligné notre collègue Philippe Dallier, rapporteur spécial de la commission des finances à l'issue de son contrôle sur place en juillet 2017, « alors que le projet de loi de finances pour 2017 avait manifestement été construit en tenant compte d'une mesure d'économie reposant sur un abattement, celle-ci n'était plus envisagée à l'automne 2016 que comme une éventualité pour la bonne exécution du budget alloué au FNAL en cours d'année . »

Le ministre de la Cohésion des territoires a justifié cette diminution des aides par la nécessité de « faire face à une sous-budgétisation du budget des APL ». Constatant un besoin de financement de 139 millions d'euros, le Gouvernement a ainsi préféré, plutôt que d'ouvrir des crédits supplémentaires comme cela avait été fait les années précédentes, procéder à une baisse généralisée des APL de 5 euros.

La DHUP a indiqué à votre rapporteur que cette mesure contrairement à ce qui avait pu être annoncé initialement par certains avait vocation à perdurer dans le temps et qu'elle devrait entraîner une économie de 400 millions d'euros en année pleine.

C. UNE DIMINUTION BRUTALE ET SANS CONCERTATION DES APL POUR LES ALLOCATAIRES VIVANT DANS LE PARC SOCIAL

1. Présentation de la réforme

Depuis 2016, la totalité du financement des aides personnelles au logement est assuré par le Fonds national d'aide au logement (FNAL). À cette fin, le FNAL bénéficie des recettes suivantes :

- le produit des cotisations employeurs ;

- le produit de la surtaxe sur les plus-values immobilières mentionnées à l'article 1609 nonies G du code général des impôts, dans la limite de 45 millions d'euros ;

- une fraction du produit de la taxe sur les locaux à usage de bureaux, les locaux commerciaux et les surfaces annexes à ces locaux pour un montant de 116 millions d'euros ;

- une contribution de l'État pour permettre l'équilibre du FNAL et dont le montant est fixé à l'action 1 du programme 109.

(en millions d'euros)

2016

PLF 2017

Estimation

2017

PLF 2018

2018/2017

Cotisations employeurs

3 138

2 706

2682

2 738

+2%

Surtaxe sur les plus-values immobilières élevées

43

43

43

43

-

Taxe sur les bureaux en IDF

-

146

116

116

-

Contribution exceptionnelle de la PEEC

100

-

-

-

Contribution de l'État

15 338

15 422

15 452

13 538

-12,38%

Ressources du FNAL

18 619

18 317

18 293

16 435

-10,1%

Source : Commission des affaires économiques d'après les réponses au questionnaire budgétaire et les projets annuels de performance annexés aux projets de loi de finances pour 2017 et 2018.

Pour 2018, la contribution de l'État est en forte diminution de 12,3 %. Cette diminution s'explique par la prise en compte de plusieurs réformes engagées par le gouvernement à l'occasion du présent projet de loi de finances :

- la baisse des APL concomitamment à la mise en place d'une réduction de loyer de solidarité (RLS) dans le parc social ;

- la suppression à compter du 1 er janvier 2018 de l'APL-accession ;

- le gel des barèmes de calcul des APL et le gel des loyers du parc social en 2018.

Le détail de ces mesures est plus amplement présenté à l'article 52 rattaché à la mission (Cf. commentaire infra).

Selon l'étude préalable du gouvernement, une économie budgétaire d'1,7 milliard résulte de ces mesures. L'économie se décompose de la manière suivante :

- 1,5 milliard pour les APL ;

- 100 millions pour le gel des loyers et des barèmes de l'APL ;

- 50 millions pour la suppression de l'APL-accession ;

- 50 millions résultant d'un renforcement de la lutte contre la fraude.

2. L'absence d'évaluation sérieuse de l'impact de la réduction de loyer de solidarité et de la baisse des APL en résultant

Votre rapporteur constate que les mesures prévues à l'article 52 ont été inscrites dans le projet de loi de finances pour 2018 dans un objectif purement comptable sans étude d'impact sérieuse sur l'emploi et la construction dans le secteur du bâtiment et sans concertation aucune avec les bailleurs sociaux et les acteurs du secteur du logement concernés (collectivités territoriales, professionnels de la construction...).

Évaluant la soutenabilité globale et individuelle du modèle économique du logement social, le ministère des finances a indiqué dans son évaluation préalable que « l'immense majorité des organismes de logement social, pris individuellement, disposent d'une situation financière saine . Plus des trois quarts des organismes de logement social présentaient à fin 2015 une situation financière favorable , à la fois du point de vue de leur structure financière, de leur capacité de désendettement et de la marge de manoeuvre offerte par leur fonds de roulement. La bonne santé globale du secteur ne doit néanmoins pas occulter des situations financières hétérogènes entre les organismes de logement social. L'analyse des profils financiers des organismes de logement social montre en effet que certains organismes, minoritaires, présentent un profil moins favorable, disposant de fonds propres insuffisants et affichant une capacité de remboursement équilibrée, mais sans marge de manoeuvre . »


S'agissant des conséquences de cette mesure sur les bailleurs sociaux

Votre rapporteur constate qu'au titre de l'évaluation de l'impact des dispositions de l'article 52 sur les bailleurs sociaux, le gouvernement n'a évalué que les conséquences de la réduction de loyer de solidarité dont le coût est estimé à 1,7 milliard pour les bailleurs sociaux. Il a ainsi omis d'ajouter les coûts de gestion résultant de la RLS ainsi que le coût compris entre 150 et 200 millions lié au gel des loyers.

En outre, le gouvernement n'a pas mentionné le nombre d'organismes qui se retrouveraient en difficulté en raison de cette réforme.

Selon les projections de la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS), l'application de l'article 52 dans sa version initiale conduisait à une perte de ressources liées au loyer pour un montant de l'ordre de 1 500 millions d'euros ; l'autofinancement net du secteur aurait diminué de 63 % et l'autofinancement moyen se serait établi à 4,2 % (contre 10,5 %). 310 organismes -soit 56,8 % des organismes qui représentent 50,6 % du parc- se retrouveraient dans une situation de fragilité, 184 auraient un autofinancement négatif et 126 un autofinancement compris entre 0 % et 5 %.

La CGLLS a en outre indiqué à votre rapporteur que la RLS dans sa version initiale entraînerait en outre une baisse des loyers et donc une perte de cotisations versées à la CGLLS de 23 millions en 2019 et une baisse de l'autofinancement et donc une baisse de la cotisation additionnelle pour un montant estimé à 75 millions d'euros en 2020.

La RLS conduirait ainsi à une baisse du montant des cotisations alors même que la contribution des bailleurs sociaux au FNAP augmente en application de l'article 19 du présent projet de loi pour atteindre 375 millions d'euros en 2018.

Les dispositions auraient également des conséquences pour les organismes sous protocole de consolidation ou de redressement qui bénéficient à ce titre de dérogations aux règles encadrant les augmentations de loyers.

Depuis, le dispositif a été modifié par les députés sur proposition du Gouvernement pour prévoir une application progressive de la réduction de loyer de solidarité sur trois ans.

Votre rapporteur constate cependant que ni le gouvernement ni la CGLLS n'ont été en mesure de lui fournir une évaluation de l'impact de la réduction de loyer de solidarité dans sa version adoptée par l'Assemblée nationale et de lui indiquer les conséquences sur le nombre d'organismes qui se retrouveraient en difficulté en application de ces dispositions - un calcul rapide laisserait penser que 150 à 200 organismes seraient toujours concernés- et sur le nombre de communes qui pourraient voir leur garantie d'emprunt appelée en raison de la défaillance d'organismes HLM.


Les conséquences en matière d'emploi et de construction de logement

De même, l'étude d'impact du gouvernement n'a pas évalué les conséquences de la réforme sur le secteur du bâtiment .

L'Union sociale pour l'habitat (USH) a indiqué à votre rapporteur que l'autofinancement des bailleurs sociaux, soit 2,2 milliards d'euros étaient entièrement réutilisés soit pour la construction de logements neufs soit pour la réhabilitation. Les bailleurs apportent en moyenne 15 % de fonds propres dans le financement d'un logement PLUS. 170 000 emplois directs dans le secteur du bâtiment et 120 000 emplois indirects dans la filière en dépendent. Cette réforme touchera nécessairement par ricochet la construction du parc privé.

Votre rapporteur constate que certains bailleurs sociaux ont suspendu leurs projets d'investissement, notamment dans le cadre du nouveau programme de renouvellement urbain (NPNRU), dans l'attente de connaître la teneur du dispositif finalement voté. Le gouvernement a ainsi pris le risque de casser la dynamique de construction de logements sociaux.

De même, votre rapporteur s'interroge sur les conséquences de cette mesure sur l'application de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite SRU. Comment les maires pourront-ils respecter leurs obligations si les bailleurs sociaux n'ont plus les capacités financières de produire des logements ?

3. Les propositions de réforme de votre rapporteur

L'instauration de la réduction de loyer de solidarité a été vivement critiquée par les bailleurs sociaux qui ont proposé d'autres mesures en remplacement.

Votre rapporteur, en lien avec le rapporteur spécial de la commission des finances Philippe Dallier, la présidente de la commission des affaires économiques Sophie Primas, et plusieurs de ses collègues, a souhaité trouver une solution de compromis qui permette à la fois de réaliser une économie budgétaire à hauteur d'1,55 milliard et de ne pas pénaliser par ailleurs la construction et la réhabilitation des logements sociaux.

Une première mesure semblait faire consensus à la fois chez les bailleurs et le gouvernement sur l'augmentation du taux de TVA à 10 % pour la construction de logements sociaux et leur réhabilitation. Votre rapporteur a cosigné l'amendement de Philippe Dallier proposant cette mesure dont seraient cependant exclus l'hébergement d'urgence, les centres pour les personnes en situation de handicap et les opérations d'accession sociale à la propriété. La mesure serait applicable dès le 1 er janvier 2018. Le Sénat a adopté cette mesure le 25 novembre dernier. Le rendement est estimé par le gouvernement à 700 millions d'euros.

En complément, d'autres dispositifs ont été examinés parmi lesquels :

- le maintien de la réduction de loyer de solidarité mais pour un montant moindre que les 800 millions d'euros inscrits dans le projet de loi. Cette mesure permettrait de diminuer la dépense publique ;

- la mise en place d'une réduction forfaitaire de charges sur les logements « énergivores » des allocataires APL. Cette mesure permettrait de diminuer la dépense publique et favoriserait la rénovation des logements les plus énergivores. Néanmoins, le risque de non-conformité à la Constitution pour non-respect du principe d'égalité ne peut être sous-estimé ;

- l'application de l'impôt sur les sociétés aux organismes HLM. Cette réforme qui pourrait rapporter un milliard d'euros était proposée par la Cour des comptes. Toutefois, les sommes seraient versées au budget général de l'État. Le rendement pourrait ne pas être aussi important qu'espéré, des comportements d'optimisation fiscale ne peuvent être exclus ;

- l'instauration d'une contribution sur les revenus locatifs des immeubles HLM de plus de 15 ans. Cette mesure qui impacterait l'autofinancement ne permet pas de diminuer la dépense publique. À la différence d'une augmentation de la cotisation versée à la CGLLS, elle ne permet pas de tenir compte du nombre de locataires APLisés ;

- l'augmentation de la cotisation versée par les bailleurs à la CGLLS, ce supplément de cotisation alimentant le FNAL. Elle ne permet pas de diminuer la dépense publique mais permet de tenir compte du nombre de locataires APLisés ;

- la création d'une troisième cotisation versée par les bailleurs à la CGLLS reposant sur le nombre de logements énergivores. Cette nouvelle cotisation alimenterait également le FNAL. Elle ne permet pas de diminuer la dépense publique et elle ne permettrait pas, a priori , de tenir compte du nombre de locataires APLisés.

Votre rapporteur a proposé lors de la réunion de la commission des affaires économiques le 29 novembre 2017 d'adopter un amendement prévoyant en complément de l'augmentation de la TVA, une augmentation des cotisations versées par les bailleurs sociaux à la CGLLS, afin qu'une fraction puisse alimenter le FNAL à hauteur de 850 millions d'euros. Le taux de la cotisation dite principale serait en conséquence porté à 7 %. Cet amendement prévoit également le maintien de l'APL-accession.

La suppression de l'APL-accession avait déjà été décidée par le précédent gouvernement en 2015. Votre rapporteur s'y oppose de nouveau considérant que cette suppression n'a aucun sens tant sur le plan budgétaire, les économies entrevues étant faibles et même surestimées puisqu'elles ne prennent pas en compte les cas où les ménages renonceront à leur projet d'accession et continueront de percevoir des APL, que sur le plan de la politique du logement, cette mesure revenant à pénaliser des familles modestes qui souhaiteraient légitimement accéder à la propriété.

Votre rapporteur considère avec la Cour des comptes que si le dispositif a moins de bénéficiaires c'est en raison d'une inadéquation des paramètres de l'APL-accession avec les réalités du marché immobilier.

Elle tient à souligner que les discussions sur l'article 52 continuent avec les bailleurs sociaux et avec le gouvernement.

Enfin, votre rapporteur entend les critiques du gouvernement sur la multiplicité des organismes HLM et sur la nécessité d'engager une restructuration du secteur . Elle considère que cette restructuration suppose réflexion et concertation avec les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales. Elle proposera à votre commission de travailler sur ce sujet à la fin de l'examen du projet de loi de finances par le Sénat en première lecture.

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