EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. FACE À DES ATTENTES TOUJOURS IMPORTANTES, UN BUDGET DE TRANSITION SANS PARTICULIÈRE AMBITION

A. PLUSIEURS TERRITOIRES D'OUTRE-MER CONSTITUENT DE VÉRITABLES POUDRIÈRES

1. Un écart de développement persistant entre l'hexagone et les outre-mer

L'année écoulée a cruellement remis en lumière les difficultés économiques, sanitaires et sociales rencontrées par la plupart des territoires ultramarins. Entre la fin de l'année 2016 et le début de l'année 2017, la Guyane a été secouée par un mouvement social d'une ampleur et d'une longueur inédites depuis les émeutes de 2009. Le passage de l'ouragan Irma à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy et les difficultés sociales et sécuritaires qui s'en sont suivies ont mis en évidence les fragilités de ces collectivités. L'île de Mayotte a également traversé plusieurs épisodes de forte contestation sociale au cours de la période récente.

Ces événements exceptionnels ne doivent pas faire oublier que l'ensemble des territoires ultramarins sont confrontés à des difficultés socio-économiques pour partie structurelles . L'intitulé même de la loi de programmation « relative à l'égalité réelle outre-mer » reconnaissait d'ailleurs indirectement l'existence d'un écart significatif entre les conditions de vie hexagonales et celles de la plupart des outre-mer, qui devient de plus en plus intolérable à mesure que le temps passe et que les tentatives de réformes se succèdent.

L'exposé des motifs du texte indiquait ainsi que, « plus de soixante-dix ans après la loi du 19 mars 1946 2 ( * ) , l'égalité avec l'hexagone demeure, pour nombre des 2,75 millions de Français vivant outre-mer, une réalité parfois encore bien trop lointaine . En effet, en dépit des politiques publiques volontaristes menées par l'Etat et les collectivités territoriales des outre-mer, les écarts de niveaux de vie constatés entre les outre-mer et la France hexagonale restent considérables et affectent l'égalité des droits économiques et sociaux et des opportunités économiques que la République, par la solidarité nationale, doit garantir à tous les citoyens français ».

La délégation sénatoriale à l'outre-mer ne disait pas autre chose en mettant en évidence, dans un rapport de juin 2014 3 ( * ) , la situation d'un « rattrapage en panne » dans les territoires ultramarins. Cette étude relevait même que le mouvement de résorption des inégalités avec l'hexagone présentait un inquiétant ralentissement sur certains sujets spécifiques, comme la mortalité périnatale et infantile.

Toute la complexité de la situation réside dans le fait que, alors que ces territoires font figure d' « îlots de prospérité » dans leur environnement régional, leur niveau de vie demeure « sensiblement inférieur » à celui de l'hexagone.

Au total, et malgré des situations très contrastées, l'écart de développement entre la France métropolitaine et les outre-mer continue de s'établir à 20 ans en moyenne, et atteint jusqu'à 28 ans pour la Polynésie française.

2. Des indicateurs dégradés sur l'ensemble des sujets intéressant la commission des affaires sociales
a) Une « double peine » sanitaire

C'est tout d'abord dans le champ sanitaire que de très fortes difficultés sont constatées, ainsi que l'ont mis en évidence les récents travaux de notre commission sur la situation sanitaire des populations de l'Océan Indien 4 ( * ) .

De ce point de vue, les territoires ultramarins sont frappés par une double peine : tandis que les « maladies du siècle » que sont les maladies chroniques, notamment cardiovasculaires, s'y développent extrêmement rapidement sous l'effet de l'évolution de l'alimentation et du mode de vie traditionnels, certains territoires restent touchés par des maladies que l'on aurait pu penser éradiquées de longue date sur le sol français.


• La délégation de notre commission relevait tout d'abord que, à La Réunion comme à Mayotte en particulier, l'espérance de vie reste notablement en deçà des standards hexagonaux - dans une proportion cependant différente : l'écart est très notable à Mayotte, avec une espérance de vie inférieure de 6 à 10 ans à celle estimée pour la population hexagonale.

Sur le plan épidémiologique, l es maladies chroniques sont « en explosion » à La Réunion, avec un taux de prévalence du diabète (10 %) double de celui constaté en métropole. Mayotte connaît, quant à elle, une situation « d'urgence sanitaire » persistante, dans un contexte de déstabilisation plus générale résultant de l'immigration massive en provenance des Comores . La fièvre typhoïde et la lèpre y sont en effet toujours présentes, de même que certaines pathologies résultant de la malnutrition (comme le béribéri), tandis que le surpoids et les pathologies chroniques associées connaissent une progression galopante.

Face à cette alarmante situation, les standards de prise en charge sont encore très éloignés des normes hexagonales , du fait principalement du manque de praticiens. Ainsi, dans les maternités périphériques du centre hospitalier mahorais (CHM), les accouchements se font le plus souvent sans présence d'un médecin obstétricien.


• D'une manière plus générale, la Cour des comptes, dans son étude de 2014, soulignait que les territoires ultramarins dans leur ensemble cumulent les difficultés, avec des risques sanitaires spécifiques importants dans un contexte socio-économique dégradé .

Elle relevait en particulier la présence d'agents infectieux spécifiques et de maladies émergentes (épidémies de chikungunya et de zika), de pathologies rares ou peu fréquentes dans l'hexagone (leptospirose, résurgence de la tuberculose et des hépatites), la prévalence des maladies chroniques (en particulier le diabète et l'hypertension artérielle, associés à la prévalence du surpoids et de l'obésité, mais aussi le sida) et enfin certains risques environnementaux (chlordécone aux Antilles, notamment).

Elle rappelait cependant que les différents territoires ultramarins présentent, du point de vue sanitaire, une situation très contrastée . Tandis que La Réunion et les Antilles sont dans une « dynamique de convergence » avec l'hexagone, la Guyane et Mayotte font face à des « retards importants ».


• L'ensemble des territoires ultramarins continuent par ailleurs d'afficher une surmortalité marquée autour de la grossesse , qui demeure particulièrement alarmante en dépit de la légère baisse constatée au cours de la période récente.

Alors que le taux de mortalité infantile s'établit à 3,5 %o en France métropolitaine, il atteint 6 %o en Martinique, 6,6 %o à La Réunion, 7,9 %o à Mayotte, 8,3 %o en Guadeloupe et 8,8 %o en Guyane.

Votre rapporteure pour avis ne peut dès lors que regretter que les travaux du comité national d'experts sur la mortalité maternelle ne comportent pas de volets spécifiquement dédiés à la situation des territoires ultramarins.

La situation demeure en outre alarmante s'agissant de la prévalence du syndrome d'alcoolisation foetale (SAF) dans les territoires d'outre-mer, dont votre rapporteure rappelle qu'il constitue la première cause de handicap non génétique chez l'enfant, mais aussi la première cause de troubles neurocognitifs évitable. Interrogée sur ce point par votre rapporteure, la DGOM a indiqué qu'un projet de modification des obligations relatives à l'étiquetage des boissons alcoolisées faisait actuellement l'objet de travaux au sein du ministère des solidarités et de la santé, dans le but d'améliorer la lisibilité du logo de prévention sanitaire à destination des femmes enceintes.

b) L'emploi en panne


• Les difficultés économiques rencontrées par les territoires ultramarins se traduisent ensuite par la permanence de taux de chômage extrêmement élevés dans les Dom , en dépit d'un sensible recul dans plusieurs Dom historiques au cours des deux dernières années.

Selon l'enquête emploi pour l'année 2016, les taux de chômage constatés dans les Dom 5 ( * ) atteignent en effet plus du double de celui relevé dans l'hexagone (10,1 %). Ils s'élèvent ainsi à 23,8 % en Guadeloupe, 17,6 % en Martinique, 23,3 % en Guyane, 22,4 % à La Réunion et 27,1 % à Mayotte.

Ces taux annuels masquent cependant une évolution contrastée selon les territoires : ainsi, en Guadeloupe et à La Réunion, le niveau du chômage a baissé en un an 6 ( * ) respectivement de - 2,7 7 ( * ) et - 0,7 points, tandis qu'il est resté stable en Martinique et à Mayotte, et qu'il a augmenté de 0,8 point en Guyane.

La Réunion, qui était auparavant le département le plus touché par le chômage, présente désormais un taux inférieur à celui de la Guadeloupe, de la Guyane et de Mayotte.

Votre rapporteure pour avis s'inquiète plus particulièrement du niveau du chômage des jeunes , qui représente également bien souvent le double de la moyenne nationale (24,6 % en 2016 8 ( * ) ). Si une évolution nettement positive a pu être relevée depuis 2015, les jeunes ultramarins demeurent bien trop nombreux à ne disposer d'aucune réelle perspective d'avenir : 46,7 % (soit - 8,5 point par rapport à 2015) des 15-24 ans sont ainsi au chômage en Guadeloupe, 44,4 % en Martinique (soit - 2,7 points), 43,5 % en Guyane (soit - 3 points), 44 % à La Réunion (- 8,4 points) et 44,5 % à Mayotte (- 2,7 points).

Elle relève par ailleurs la forte dépendance des marchés de l'emploi ultramarin au secteur public. Le nombre de personnes travaillant dans la fonction publique représente 33 % de l'emploi total en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, 41 % en Guyane et 44 % à Mayotte.


• La situation est très différente, et beaucoup plus contrastée, dans les autres territoires ultramarins.

Alors que Saint-Martin affiche le taux de chômage le plus élevé de France (33 % en 2013 9 ( * ) , contre 9 % à Sint Marteen), Saint-Pierre-et-Miquelon connaît une situation de quasi plein emploi . Le chômage est également très faible à Saint-Barthélemy (4,3 % en 2012), tandis qu'il atteint 14,6 % en 2015 en Nouvelle-Calédonie et 21,8 % en Polynésie française en 2012.

Enfin, du fait de l'absence de dispositif d'indemnisation du chômage à Wallis-et-Futuna, son ampleur est difficile à estimer sur le territoire. Il a cependant été évalué à 8,8 % de la population active à l'occasion du recensement du 22 juillet 2013.

c) Des niveaux de vie très éloignés de ceux de l'hexagone

Les niveaux de richesse par habitant constituent un autre indicateur très révélateur des écarts qui continuent de se creuser entre la France hexagonale et les outre-mer.

Les écarts sont particulièrement sensibles dans les Drom. Alors que le PIB par habitant mesuré dans l'hexagone en 2014 était de 32 307 euros, il n'était que de 17 534 euros à La Réunion, 8 103 et 8 900 euros en Guadeloupe et en Martinique, 4 076 euros en Guyane, et 1 936 euros à Mayotte.

S'agissant des Com, cet indicateur s'échelonne de 10 148 euros à Wallis-et-Futuna, 14 700 euros à Saint-Martin et 15 755 euros en Nouvelle-Calédonie, à 28 327 euros à Saint-Pierre-et-Miquelon, 29 783 euros pour la Polynésie française, et même 35 700 euros pour Saint-Barthélemy.

Les taux d'allocataires des différentes prestations sociales permettent par ailleurs de mesurer la pauvreté et la précarité des populations ultramarines.

Pour l'ensemble des prestations, on comptait en 2015 70,2 % d'allocataires dans l'ensemble des Drom, contre 42,9 % dans l'hexagone.

S'agissant plus particulièrement du RSA, les Drom, qui ne comptent que 2,8 % du total de la population nationale, représentaient 10 % de ses bénéficiaires à la même date. Les allocataires du RSA socle représentent 18,5 % de la population âgée de 15 à 64 ans en Guadeloupe, 16 % en Martinique, 14 % en Guyane, 18 % à La Réunion et 5 % à Mayotte 10 ( * ) , contre 4,3 % dans l'hexagone.


* 2 Loi n° 46-451 du 19 mars 1946 tendant au classement comme départements français de la Guadeloupe, de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane française.

* 3 « Les niveaux de vie dans les outre-mer : un rattrapage en panne ? », rapport d'information de MM. Eric Doligé et Michel Vergoz fait au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer, n° 710 (2013-2014), 9 juillet 2014.

* 4 « Promouvoir l'excellence sanitaire française dans l'Océan Indien », rapport d'information n° 738 (2015-2016) de MM. Alain Milon, Gilbert Barbier, Mmes Laurence Cohen, Chantal Deseyne et M. Jean-Louis Tourenne, fait au nom de la commission des affaires sociales, 29 juin 2016.

* 5 Taux de chômage mesurés annuellement par l'enquête emploi.

* 6 Ces chiffres, transmis à votre rapporteure pour avis dans les réponses au questionnaire budgétaire, sont donnés par référence à la fin du mois de juin 2017, pour les demandeurs d'emploi de catégorie A.

* 7 Cette baisse représente une diminution de 600 chômeurs.

* 8 Chiffre hors Mayotte.

* 9 Selon les informations transmises à votre rapporteure pour avis dans les réponses au questionnaire budgétaire, ce chiffre pourrait cependant être surestimé : « malgré l'absence de statistiques officielles, il apparaît qu'une fraction très importante de l'activité économique saint-martinoise pourrait être réalisée de manière informelle compte tenu de l'existence probable de pratiques telles que la dissimulation d'activité, de salariés, la fausse sous-traitance ou la dissimulation d'heures supplémentaires.

* 10 Le dispositif est encore en cours de déploiement à Mayotte, où il a été lancé en janvier 2012. La montée en charge du RSA s'est avérée beaucoup plus lente que prévue, en raison notamment des difficultés administratives rencontrées par la population, du caractère restrictif de la condition de résidence continue de 15 ans sur le territoire pour les étrangers en situation régulière, et du faible montant initialement prévu pour cette prestation (25 % du barème national, soit 119 euros pour une personne seule).

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