III. DES SUJETS BRÛLANTS POUR LES DEUX FILIÈRES

A. VERS UNE REFONTE DE LA POLITIQUE DE LA MUSIQUE ?

1. Une opportunité à saisir

La filière musicale a connu de profonds bouleversements au cours de la dernière décennie. Les mutations numériques, en particulier, ont transformé les modalités de consommation de la musique. Alors que le secteur était encore en proie à des difficultés il y a quelques années, en pleine crise de la musique enregistrée, elle semble désormais s'inscrire dans une nouvelle dynamique . De nouveaux modèles économiques apparaissent autour de l'essor du streaming et de l'importance prise par la scène. Les entreprises du secteur ont retrouvé une certaine vitalité, comme en témoigne la hausse continue du produit de la taxe parafiscale perçue par le CNC ces trois dernières années, passé de 28,7 millions d'euros en 2014 à 31,3 millions d'euros en 2016. Le public est en hausse, malgré les attentats. Le renouvellement artistique a été assuré avec l'arrivée sur le marché d'un certain nombre de jeunes artistes. Les frontières entre les différentes familles musicales s'estompent de plus en plus, avec un rapprochement dans les modèles de production et de distribution des différents styles musicaux et des différences devenues moins marquées dans le fonctionnement des établissements publics et des établissements privés.

L'ensemble de la filière est aujourd'hui confrontée aux mêmes défis . Les problèmes posés par le mouvement de concentration ou par l'indispensable sécurisation des lieux et des manifestations en font partie. La question de la place progressivement prise par les plateformes numériques dans ce nouvel écosystème en est un autre. La position désormais incontournable des plateformes de musique par abonnement rend urgente la recherche de solutions permettant d'assurer une plus juste répartition de la valeur créée entre l'ensemble des acteurs de la filière musicale. La faiblesse de la rémunération tirée du streaming vidéo, dont YouTube est la principale plateforme, doit être examinée dans le cadre des discussions sur le partage de la valeur.

L'enjeu relatif aux plateformes dépasse la seule dimension économique. La montée en puissance de ces nouveaux acteurs constitue également une menace pour la diversité musicale . Le fonctionnement des algorithmes, qui orientent les choix des utilisateurs, est aujourd'hui mis en cause pour favoriser un certain type de répertoire et uniformiser progressivement les goûts musicaux au détriment des répertoires les plus fragiles ou même des artistes traditionnels. Le système de rémunération des artistes sur ces plateformes, qui se base sur le pourcentage d'écoute de leurs streams par rapport au nombre de streams écoutés par l'ensemble des utilisateurs, se traduit par un écrasement de la valeur des artistes traditionnels au profit de ceux qui sont plébiscités par les jeunes consommateurs. Le marché est par ailleurs faussé par l'apparition d'entreprises qui proposent leurs services pour acheter des streams sur internet.

Ces évolutions sont autant d'éléments qui plaident en faveur d' un effort pour mieux promouvoir et valoriser nos artistes sur la scène internationale , tant le marché de la musique est désormais globalisé. Votre rapporteure pour avis ne peut que se féliciter de la décision du Gouvernement d'accroître significativement les crédits dédiés au Bureau export en 2018. L'effort supplémentaire, initialement annoncé d'un montant de 800 000 euros dans le projet annuel de performances du programme 334 « Livres et industries culturelles », sera finalement porté à 1,3 millions d'euros, suite au vote d'un amendement du Gouvernement au projet de loi de finances en première lecture à l'Assemblée nationale. Cette revalorisation permet pratiquement de doubler, en l'espace d'un an, les crédits de l'établissement, même si les attentes des professionnels font apparaître des besoins encore supérieurs.

Mais, cet engagement financier accru de l'État doit s'accompagner d' une redéfinition de sa politique à l'égard de la filière musicale . Les attentes des acteurs en ce domaine sont fortes, après une période pendant laquelle ils ont eu parfois le sentiment d'être négligés ou incompris. C'est l'une des conclusions du rapport 2 ( * ) remis il y a quelques semaines par Roch-Olivier Maistre à la ministre de la culture, Françoise Nyssen, au terme de sa mission de réflexion sur le projet de « maison commune de la musique ». Aujourd'hui définie et mise en oeuvre au sein de deux directions distinctes - la direction générale de la création artistique et la direction générale des médias et des industries culturelles -, l'action du ministère en matière musicale peut manquer de lisibilité et de cohérence. En désignant au sein du ministère un « visage unique pour la politique musicale », l'État pourrait plus aisément endosser un « rôle stratégique et prescripteur » susceptible de lui faire aujourd'hui défaut. Le rapport insiste en particulier sur l'importance d'une meilleure prise en compte des mutations intervenues sous l'ère numérique et d'une clarification des priorités du ministère susceptible d'orienter le soutien aux établissements subventionnés. La ministre a jusqu'ici réagi à ces propositions en indiquant, dans un communiqué de presse paru le 15 novembre dernier, ses priorités pour la politique musicale : « le soutien à la création et à l'ensemble des composantes de la vie musicale, la diffusion et le rayonnement national et international , mais également l'accompagnement d'enjeux aussi cruciaux que sont la pratique artistique, l'éducation artistique et culturelle ou le partage de la valeur à l'ère du numérique ».

2. Des contours à définir

Après l'abandon du projet de Centre national de la musique en 2012 et les critiques autour du projet de maison commune lancé à partir de 2014, toute nouvelle ambition pour rassembler la filière musicale doit nécessairement composer avec l'existence de lignes de fracture entre les différents acteurs. Roch-Olivier Maistre souligne, dans son rapport, le caractère dual de la filière avec, « d'un côté, un important secteur qui repose nécessairement et durablement sur la subvention publique (orchestres, scènes, maisons d'opéra, festivals, ensembles spécialisés) » et, « de l'autre, un secteur non moins important qui repose sur l'initiative privée et qui est financé majoritairement et directement par les publics ». Il considère néanmoins que les divisions ne sont plus aussi fortes qu'elles l'ont été par le passé. On constate d'ailleurs que, depuis sa publication, son rapport a été bien accueilli par les acteurs, quels qu'ils soient.

Un grand nombre de questions reste encore en suspens .

La ministre de la culture n'a pas, à ce stade, fait part de sa position sur la proposition de Roch-Olivier Maistre, pour conforter les outils de soutien à la musique, de créer un nouvel opérateur public portant l'intérêt général plutôt que d'élargir le périmètre du CNV. Cette création répond au besoin de réunir autour d'une même table l'ensemble du champ musical et de ses métiers , c'est-à-dire l'ensemble des acteurs du spectacle vivant et de la musique enregistrée, pour apaiser les tensions et mieux faire valoir leurs préoccupations. À l'exception du soutien aux structures qui reposent sur la subvention publique, pour laquelle il paraît important que le ministère puisse continuer à en assurer directement la gestion, cet établissement pourrait être chargé de porter une partie de la politique du ministère à l'égard de la filière musicale. Roch-Olivier Maistre suggère qu'il ait pour missions l'observation, l'information, la formation, le développement international et la gestion de différentes formes d'aides au secteur (aides automatiques, aides sélectives, appui aux projets territoriaux, soutien aux actions menées par la filière en matière d'éducation artistique et culturelle).

Par souci de rationalisation , il est proposé que l'établissement regroupe les principales institutions des secteurs de la musique enregistrée et du spectacle vivant, à savoir le CNV, l'observatoire de l'économie de la filière musicale en cours d'installation et le centre d'information et de ressources pour les musiques actuelles (Irma). L'intégration du Bureau export ferait débat entre les acteurs de la filière musicale. Certains brandissent l'exemple de l'organisation du soutien au cinéma, marquée par la présence, aux côtés du Centre du cinéma et de l'image animée (CNC), d'UniFrance, dont la mission est de promouvoir le cinéma français dans le monde.

En termes de gouvernance , le rapport recommande un dispositif susceptible d'assurer l'efficacité des processus de décision, de garantir la prise en compte de l'intérêt général et de permettre l'expression de toutes les parties prenantes. Il plaide pour un conseil d'administration resserré assurant une place prépondérante aux représentants de l'État, aux parlementaires et aux collectivités territoriales, aux côtés d'un comité d'orientation reflétant le plus largement possible la diversité de la filière.

Pour garantir l'efficacité du fonctionnement de cet établissement, des moyens financiers supplémentaires seraient nécessaires. Sur le modèle du CNV, son financement pourrait reposer à la fois sur des crédits de l'État, dont il est suggéré que le montant soit revalorisé, et sur des contributions du secteur, par le biais de la taxe sur les spectacles de variétés. Le rapport évoque aussi la possibilité d'allouer à l'établissement une part non affectée du produit de taxes existantes, qui profitent pour l'instant exclusivement à d'autres secteurs : d'une part, la taxe sur les opérateurs de communications électroniques (TOCE), d'autre part, la taxe sur la diffusion en ligne de contenus audiovisuels (TSV), dite « taxe YouTube ». S'agissant de cette dernière taxe, l'intérêt serait éminemment symbolique pour le secteur, puisque la musique est le premier contenu consommé sur YouTube, loin devant le cinéma. Elle permettrait à la filière musicale de bénéficier pour la première fois d'une source de financement moderne, même si sa rentabilité est aujourd'hui difficile à évaluer et pourrait se révéler faible.

Lors de son audition devant votre commission, le 22 novembre dernier, la ministre de la culture a indiqué qu'elle s'apprêtait à lancer des consultations avec l'ensemble des acteurs de la filière musicale sur la base des préconisations du rapport et qu'elle annoncerait ses décisions en janvier. Quelles que soient les options qui seront retenues par la ministre chargée de la culture sur le sujet, une intervention du législateur pourrait se révéler nécessaire . En dehors de la revalorisation des crédits du Bureau export, aucun nouveau crédit n'est de toute façon prévu au présent projet de loi, ce qui pourrait repousser d'un an la mise en place effective du futur établissement, s'il devait être créé.


* 2 Rapport de la mission de réflexion confiée par Françoise Nyssen, ministre de la culture, à Roch-Olivier Maistre « Rassembler la musique pour un centre national », octobre 2017

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