II. DES ÉVOLUTIONS INSTITUTIONNELLES DIFFÉRENCIÉES : MONOGRAPHIES DES DIFFÉRENTES COLLECTIVITÉS ULTRAMARINES ET DES TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES (TAAF)

Au cours de la législature précédente, le Parlement a adopté plusieurs réformes institutionnelles relatives à certains territoires ultramarins ainsi que deux lois plus générales qui visaient également à répondre plus ponctuellement à des questions institutionnelles 4 ( * ) .

Trois d'entre elles sont d'ailleurs issues d'initiatives sénatoriales, prouvant une fois de plus l'attention du Sénat aux territoires ultramarins et sa volonté de trouver pour ces territoires les solutions institutionnelles les plus adaptées.

La loi organique n° 2015-1485 du 17 novembre 2015 portant diverses dispositions relatives à la collectivité de Saint-Barthélemy, issue d'une initiative de notre collègue Michel Magras, vise, sept ans après la loi organique n° 2007-223 du 21 février 2007 portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l'outre-mer qui a érigé la commune de Saint-Barthélemy en collectivité d'outre-mer, à apporter des ajustements au statut de cette collectivité afin de mieux l'adapter à la réalité locale.

La loi n° 2016-507 du 25 avril 2016 relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie, fruit d'une initiative de notre ancienne collègue Catherine Tasca, tend à lutter contre la « vie chère » par la mise en place d'une autorité administrative indépendante en Nouvelle-Calédonie exerçant des prérogatives en matière de régulation de la concurrence sur ce territoire.

Enfin, la loi n° 2016-1658 du 5 décembre 2016 relative à l'élection des conseillers municipaux dans les communes associées de la Polynésie française et à la modernisation du code général des collectivités territoriales applicable aux communes de la Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics, déposée par notre collègue Lana Tetuanui, a poursuivi deux objectifs : l'élection des conseillers municipaux dans les communes associées de Polynésie française et la modernisation de plusieurs dispositions relatives au fonctionnement des conseils municipaux des communes de cette collectivité.

Par ailleurs, des réflexions ont été engagées à Saint-Pierre-et-Miquelon pour simplifier l'architecture institutionnelle de ce territoire, tandis que se poursuit en Guadeloupe le travail mené par les élus locaux pour une éventuelle évolution institutionnelle vers une collectivité unique, sur le modèle de la Guyane et de la Martinique qui sont, depuis le 1 er janvier 2016, des collectivités uniques relevant de l'article 73 de la Constitution.

Votre rapporteur a fait le choix de monographies afin de rappeler le contexte et les enjeux institutionnels de chaque territoire ultramarin, tout en mettant par ailleurs l'accent sur la problématique spécifique de l'immigration illégale à Mayotte et en Guyane, même si celle-ci concerne l'ensemble des outre-mer à des degrés divers.

A. LA GUYANE : UNE ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE QUASI ABOUTIE, DES PROBLÈMES D'IMMIGRATION ILLÉGALE PERSISTANTS ET UNE CRISE SOCIALE AIGUE AU PRINTEMPS 2017

1. La récente mise en place de la collectivité territoriale de Guyane

Tout comme la Martinique, la Guyane a fait le choix de créer une collectivité unique, en lieu et place des anciens département et région d'outre-mer. C'était l'objet de la loi n° 2011-884 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités uniques de Guyane et de Martinique qui définit l'organisation et le fonctionnement institutionnel de la collectivité territoriale de Guyane, mise en place le 1 er janvier 2016 à l'issue des dernières élections locales de décembre 2015 5 ( * ) .

Les 51 conseillers de l'assemblée de Guyane sont élus pour six ans au scrutin de liste proportionnel à deux tours à la plus forte moyenne, avec une prime majoritaire de onze sièges, sur le modèle du mode de scrutin régional. La Guyane forme une circonscription unique divisée en huit sections. L'exécutif de la collectivité est formé par le président de l'assemblée de Guyane, assisté de vice-présidents. Les institutions guyanaises sont complétées par le futur conseil économique, social, environnemental, de la culture et de l'éducation de Guyane, qui sera placé auprès de l'exécutif de la nouvelle collectivité le 1 er janvier 2018. Comme en Martinique, le mandat des actuels conseils consultatifs (le conseil économique et social régional
- CESER - et le conseil de la culture, de l'éducation et de l'environnement
- CCEE) - a été prolongé jusqu'au 31 décembre 2017, afin de permettre une véritable concertation locale sur la composition du futur conseil.

Selon les éléments recueillis par votre rapporteur, la collectivité unique de Guyane s'est engagée dans une politique de rationalisation de son organisation administrative qui devrait porter ses fruits aussi bien en matière de qualité des politiques publiques que d'optimisation des moyens. L'organigramme de la nouvelle collectivité territoriale de Guyane est toujours en cours d'élaboration. Une première version a été soumise aux syndicats de personnels et fait l'objet de modifications. Afin que cet organigramme soit l'un des supports du développement économique du territoire, l'exécutif se laisse jusqu'au 31 décembre 2017 pour le finaliser.

S'agissant des emplois fonctionnels, l'assemblée de Guyane a décidé, par délibération du 29 juin 2016 de créer, en sus de l'emploi de directeur général des services, dix emplois de directeurs généraux adjoints chacun ayant la charge d'un domaine précis comme le sport, l'éducation, la petite enfance ou la culture.

Outre cette question d'organigramme, des outils de gestion et de pilotage demeurent encore à construire, notamment les outils de gestion (financier, RH et métiers).

2. La lutte contre l'immigration illégale

La Guyane connaît une forte pression migratoire : selon les éléments recueillis par votre rapporteur, les immigrés clandestins représenteraient au moins 25 % de la population, soit environ 40 000 à 70 000 personnes dont 3 500 à 5 000 travaillent en forêt sur les sites d'orpaillage clandestin.

La lutte contre l'immigration clandestine est une priorité de l'action de l'État en Guyane. Celle-ci est le seul territoire de l'Union européenne à avoir une frontière terrestre avec l'Amérique du Sud, très attractif pour les populations des États voisins du Brésil, du Suriname et du Guyana. Le taux d'exécution des arrêtés de reconduite à la frontière y est élevé et supérieur à 79 % pour les nationalités brésilienne et surinamaise.

3. Le fléau de l'orpaillage illégal

L'orpaillage illégal, c'est-à-dire l'exploitation aurifère clandestine, constitue un fléau majeur pour la Guyane. Outre le manque à gagner considérable sur le plan économique, il entraîne d'importantes conséquences écologiques : déforestation sauvage, pollution des sites, etc.

L'orpaillage illégal est essentiellement le fait de ressortissants brésiliens, à l'origine également d'autres infractions, notamment le vol de véhicules, l'aide au séjour irrégulier et le proxénétisme sur les lieux d'extraction clandestins.

Pour combattre ce fléau, a été mise en place, depuis 2008, une opération de police dénommée « Harpie » et placée sous le double contrôle du préfet et du procureur de la République. Cette opération conduit des actions régulières de démantèlement de sites clandestins dans le but d'asphyxier durablement l'exploitation aurifère illégale. Pérennisée à compter de 2010, elle est menée conjointement par les forces armées de Guyane (FAG) et la gendarmerie. Elle succède à d'autres opérations, notamment « Anaconda », conduites entre 2002 et 2004, et aux opérations mixtes du protocole « Toucan », de 2004 à 2008.

Les résultats de cette opération sont tangibles, le nombre de sites actifs d'exploitation clandestine, bien qu'encore élevé, ayant été réduit de manière importante, passant d'environ 500 fin 2013 à 200 fin 2015. On peut néanmoins regretter les capacités insuffisantes d'intervention sur le terrain et surligner la nécessité de renforcer les dispositifs de lutte. L'objectif est de désorganiser les flux logistiques, en reconduisant systématiquement à la frontière les orpailleurs en situation irrégulière, et en saisissant ou détruisant les matériels nécessaires à l'exploitation aurifère illégale.

À la frontière brésilienne, compte tenu de la convergence existant entre l'orpaillage clandestin et l'immigration irrégulière, l'accent a été mis sur la répression des réseaux de trafiquants. Le recrutement des « garimpeiros » (orpailleurs clandestins) s'effectue pour l'essentiel parmi une population brésilienne démunie de tout titre de séjour. Ainsi, des opérations menées conjointement avec les forces armées en Guyane permettent d'associer la police aux frontières (PAF) de manière efficace à la lutte contre l'orpaillage clandestin. Elles se traduisent par l'interpellation et la reconduite à la frontière d'étrangers en situation irrégulière, d'une part, et la destruction du matériel utilisé pour l'orpaillage clandestin, d'autre part.

4. La crise sociale de mars-avril 2017

Plusieurs facteurs peuvent expliquer la crise sociale qui a éclaté en Guyane entre le 20 mars et le 21 avril 2017 : une hausse du sentiment d'insécurité, liée en partie à une forte augmentation du nombre d'homicides et de vols avec violence en 2016, à laquelle s'ajoute la détérioration du contexte économique. Le mouvement social est d'une ampleur comparable à celui qu'avaient connu les Antilles en 2009.

Le mouvement a été initié par le collectif dit des Toukans, et des syndicalistes de l'Union des travailleurs guyanais (UTG) au sein de l'entreprise EDF, pour protester contre la vente à un opérateur privé du centre médico-chirurgical de Kourou (CMCK) géré par la Croix-Rouge. Il s'est tout d'abord traduit par une grève, à Kourou, le 20 mars 2017. Rapidement suivie par plusieurs corporations, cette crise a permis d'attirer l'attention sur les importantes difficultés de la Guyane.

Le conseil des ministres du 5 avril 2017 a entériné un « plan d'urgence pour la Guyane », doté d'une aide de 1,085 milliard d'euros, et l'examen prioritaire d'une demande de deux milliards d'euros supplémentaires dont 250 millions d'euros pour la construction de cinq lycées et de dix collèges en cinq ans ; 150 millions d'euros sur dix ans pour la construction d'établissements scolaires ; 125 millions d'euros pour les hôpitaux et les structures d'accueil de la petite enfance ; 300 millions d'euros pour les infrastructures routières (construction d'une route à quatre voies et doublement d'un pont) ; 40 millions d'euros pour la couverture des besoins de télécommunications et, enfin, 53 millions d'euros pour le plan d'investissement de la collectivité territoriale de Guyane.

Lors de son récent déplacement en Guyane, le Président de la République a annoncé que ce plan serait intégralement mis en oeuvre, ce dont se félicite votre rapporteur.


* 4 Loi n° 2015-1268 du 14 octobre 2015 d'actualisation du droit des outre-mer ; Loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 5 Dans un premier temps, la date d'installation des nouvelles institutions locales, initialement fixée en mars 2014, a été repoussée par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral au mois de mars 2015, comme pour le renouvellement général des conseils régionaux. Elle a été repoussée, une deuxième fois, au mois de décembre 2015, par l'article 10 de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral.

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