II. LE RENSEIGNEMENT

A. LA LPM 2019-2025 ASSIGNE UNE PRIORITÉ LA FONCTION « CONNAISSANCE ET ANTICIPATION »

1. Une priorité justifiée par l'état des menaces

Comme le rappelle le rapport annexé à la loi de programmation militaire 2019-2025, « la Revue stratégique d'octobre 2017 a montré que les menaces et les risques identifiés dans le Livre blanc de 2013 se sont manifestés plus rapidement et avec une intensité plus forte que ce qui avait été anticipé. La France, engagée militairement sur plusieurs théâtres de crise, est directement exposée, comme ses voisins européens, à une instabilité croissante de l'environnement international » 7 ( * ) .

2. Le renforcement de la fonction « connaissance et anticipation »

Dans ce contexte, le renforcement de la fonction « connaissance et anticipation » est l'une des deux priorités de la LPM 8 ( * ) .

3. Le projet de loi de finances pour 2019 s'inscrit dans cette perspective

Pour ce premier exercice de mise en oeuvre de la nouvelle programmation militaire 2019-2025, les crédits de paiements inscrits au programme 144 poursuivent leur progression (+15,84 %) en fonctionnement comme en investissement, consolidant les efforts entrepris entre 2014 et 2018. Ils permettent d'accompagner le renforcement en personnels et la modernisation des infrastructures, dont les crédits respectifs sont inscrits au programme 212 et de développer les capacités techniques des services dans le domaine du recueil et de l'exploitation du renseignement.

Le montant des autorisations d'engagement inscrites au programme 144 reprend sa progression (+9,07 %) après la stabilisation intervenue en LFI 2018 (-1,15 %) sous l'effet du cycle des investissements techniques de la DGSE.

a) Une augmentation des moyens de fonctionnement et d'investissement

Dans le programme 144, l'action n° 3 « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France » regroupe les activités de la DGSE et de la DRSD 9 ( * ) .

Crédits du renseignement (action 3) hors titre 2

(en euros)

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Renseignement extérieur

333 708 270

342 922 505

Renseignement de sécurité de défense

15 698 349

15 698 349

Total

349 406 619

358 620 854

Source : PAP de la mission « Défense » annexé au PLF 2019

Par ailleurs, les crédits de la direction du renseignement militaire (DRM ), 54,59 M€ en AE en 2019 et 53,52 M€ en CP (respectivement 53,50 et 52,45 M€ en 2018) sont inscrits au programme 178 10 ( * ) , du fait de la vocation opérationnelle du renseignement d'intérêt militaire, notamment sur les théâtres d'opérations extérieurs.

Pour disposer d'une vision globale de l'effort consenti par le ministère de la défense au profit de la fonction « connaissance et anticipation », il faudrait ajouter les crédits inscrits dans les actions et sous-actions des programmes 178 au profit des unités militaires mises au service de la DGSE, ainsi que tout ou partie des crédits inscrits au programme 146 au titre des sous-actions « renseigner, surveiller, acquérir et reconnaître » et « communiquer » 11 ( * ) et des crédits du programme 144 de la sous-action « Etudes amont » 12 ( * ) .

b) La poursuite du renforcement des effectifs qui se traduit par une augmentation des crédits de Titre 2
(1) L'évolution des effectifs et le renforcement des crédits de titre 2

Un effort conséquent est consenti au renseignement avec une augmentation des effectifs de 1 500 sur la période 2019-2025 (soit le quart de l'augmentation prévue pour l'ensemble des effectifs du ministère des armées).

CADENCEMENT DES CRÉATIONS DE POSTES PRÉVUES DANS LE RENSEIGNEMENT

2019

2020

2021

2022

2023

2024

2025

Total

199

152

104

146

421

239

239

1 500

Source : ministère des Armées - réponses au questionnaire du rapporteur.

Le cadencement des créations de postes prévoit 601 postes d'ici 2022 (150/an en moyenne), 421 au cours de l'exercice 2023 et 478 sur les exercices 2024 et 2025. L'effort est donc porté principalement (60%) sur les trois dernières années . Pour autant, ce cadencement en deux phases est peut-être nécessaire pour permettre aux services, qui ont bénéficié depuis 2015, de nombreuses créations de postes, et aux armées, d'intégrer cette croissance de leurs effectifs dans de bonnes conditions. Le décalage entre emplois créés et emplois pourvus a eu tendance à s'accroître dans certains services au cours des dernières années.

Ces postes seront répartis entre les besoins propres des armées (près de 40%), de la DRM et de la DRSD (environ 15% chacune) et ceux de la DGSE pour le tiers restant. L'un des enjeux en matière de ressources humaines est de donner aux services la capacité de traiter la masse exponentielle des données recueillies. L'effort devra donc être porté principalement sur l'analyse et l'exploitation, avec l'arrivée de compétences et d'expertises nouvelles 13 ( * ) .

Le succès de cette montée en puissance et de cette transformation reste conditionné à la mise en oeuvre d'une politique plus dynamique qui permettra d'offrir les conditions de rémunérations adaptées au marché de l'emploi pour recruter, et surtout fidéliser, certains spécialistes mais aussi de favoriser les mobilités interarmées et interservices. Le volet « ressources humaines » de la LPM devrait permettre, à cet égard, des assouplissements bienvenus.

Le plafond d'emploi des services de renseignement relevant du programme 144 est établi à 7 353 ETPT en 2018, 5 843 pour la DGSE et 1 510 pour la DRSD. En 2018, ce plafond était de 7 252 ETPT (5 727 pour la DGSE et 1 525 pour la DRSD).

Le montant des crédits de titre 2 inscrits au programme 212 est de 585,36 M€, dont 465,28 pour la DGSE et 120,08 pour la DRSD contre 568,22, 447,27 pour la DGSE et 120,94 pour la DRSD en LFI 2018 14 ( * ) .

S'agissant de la DRM, les rémunérations de ses personnels sont inscrites au programme 212 15 ( * ) pour un montant de 169,80 millions d'euros en 2019 (170,63 M€ en 2018). Pour mémoire, la DRM a bénéficié sur la période 2014-2018 de 419 créations de postes, ses effectifs atteignant théorique 2070 au 31/12/2018. En réalisation, au 1/1/2018, les effectifs étaient de 1803 avec une prévision au 31/12/2015 à 1920

(2) Les efforts de mutualisation dans le domaine des ressources humaines

Vos rapporteurs ont, depuis plusieurs années 16 ( * ) , constaté que les services de renseignement et d'autres services de l'Etat, notamment les domaines de la cybersécurité, de l'exploitation des données de masse, de l'intelligence artificielle et des langues rares étaient confrontés aux mêmes problématiques de recrutement. Ils appelaient à un renforcement des mesures afin de limiter la concurrence qui s'est inévitablement instaurée pour l'exploitation de ces viviers limités.

Ils se réjouissent que le Coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme se soit saisi de cette problématique commune à l'ensemble des services et ait défini un cadre d'action pour « dynamiser la mobilité » (mai 2018) 17 ( * ) . De même, la rédaction, en juin 2018, d'une charte des bonnes pratiques en matière de gestion des ressources humaines entre services de la communauté du renseignement constitue un développement positif. Les services s'emploient à partager leurs viviers, à participer conjointement à des forums spécialisés, à favoriser les mobilités croisées et la constitution de parcours professionnels interservices 18 ( * ) .

Le cas des langues rares

Outre des partenariats existants avec le CFIAR 19 ( * ) de Strasbourg pour certaines formations linguistiques, des partenariats ont été noués entre services pour mutualiser certaines formations. La politique engagée depuis 2013 est opérationnelle et en forte croissance, la DGSE mettant ses linguistes à disposition des autres entités couvrant plus de 120 langues et dialectes. La mutualisation s'est étendue à la coordination des besoins et des recrutements à moyen terme. Un groupe de travail sur les linguistes langue rare a été constitué par le CNRLT pour élaborer un plan d'action couvrant les questions de formation, recrutement et fidélisation. Force est de constater que les services ont des besoins linguistiques similaires ce qui obère les possibilités de mutualiser la ressource et éprouvent les mêmes difficultés dans le recrutement tant en raison de la forte sélectivité sur les critères linguistiques que sur la gestion des vulnérabilités en matière de sécurité.

Ces problématiques vont s'accroître du fait des renforts importants obtenus par l'ensemble des services, les profils recherchés étant identiques. Le ministère des armées continuera également à être confronté aux différences existantes entre les niveaux de rémunération des différents services qui lui sont rattachés et devra veiller à ne pas accroître celles-ci, voire à les atténuer.

Vos rapporteurs attirent de nouveau l'attention du Gouvernement et souhaitent qu'au-delà des assouplissements à proposer en termes de rémunération et de carrière, le Premier ministre s'empare de ces questions qui concernent les services de renseignement, mais bien au-delà s'agissant des capacités numériques, l'ensemble des départements ministériels.

Il s'agit d'un véritable enjeu de sécurité nationale à court terme. Il est regrettable que les écoles de d'ingénieurs et les universités soient dans l'incapacité de répondre à la croissance des demandes ce qui accroît les tensions sur le marché du travail. Sans une politique active de formation dans les établissements scolaires (notamment au codage et aux langues étrangères au-delà du seul apprentissage de l'anglais) et universitaires notamment en incitant fortement les filières scientifiques, la France sera incapable de protéger efficacement ses administrations et ses opérateurs d'importance vitale et elle aura des difficultés à suivre la politique active des pays concurrents ou adversaires dans le domaine du renseignement technique.

Vos rapporteurs lancent ici un cri d'alarme, il y a urgence à agir compte tenu du temps de formation nécessaire pour fournir les compétences dont nos services auront besoin.


* 7 LPM 2019-2025 Rapport annexé p. 64 et suiv. http://www.senat.fr/leg/tas17-130.pdf

* 8 LPM 2019-2025 Rapport annexé p. 71 et suiv. http://www.senat.fr/leg/tas17-130.pdf

* 9 Ces crédits peuvent être abondés en gestion par des crédits inscrits au programme 129 « direction de l'action du gouvernement » au titre des projets interministériels concourant à la défense et à la sécurité nationale d'une part, ou au titre des fonds spéciaux, d'autre part.

* 10 « Préparation et emploi des forces » (action 01-11 « Renseignement d'intérêt militaire »).

* 11 concernant les équipements du programme spatial optique MUSIS (sous-action 07.40) dotée de 105,1 M€ en CP, en 2019, ceux du programme spatial de renseignement électromagnétique CERES (sous-action 07.42) : 56 M€ en CP et dans une acception élargie à la fonction « connaissance et anticipation » tout ou partie de ceux de la sous-action 07.39 « autres opérations » 492,6 M€ en CP et de la sous-action 07.41 « d éploiement des services de communication et architecture des réseaux de télécommunications sécurisées DESCARTES » dotée de 70,31 M€ en CP.

* 12 Opérations budgétaires « information et renseignement classique » dotée de 100 M€ en CP et « information et renseignement Espace » dotée de 14 M€ en CP.

* 13 Experts en mégadonnées, analystes de données, géomaticiens, spécialistes des télécommunications

* 14 Respectivement, 531,54 au total, 425,99 pour la DGSE et 105,54 pour la DRSD en LFI 2017.

* 15 « Soutien de la politique de la défense » (action 54-06).

* 16 Avis budgétaire 2018 p.20 et suiv.

* 17 Les services de renseignement ont instauré depuis quelques années, des échanges sur les procédures de travail, les CV et les fiches de postes, et développé des mobilités croisées avec la définition de parcours-types communs et la mise en place d'un référentiel des métiers.

* 18 Pour mémoire, en 2017, s'agissant plus spécifiquement du personnel militaire, une mission d'audit a émis un certain nombre de préconisations en matière de recrutement, de formation et de fidélisation, qui sont progressivement mises en oeuvre.

* 19 Centre de formation interarmées au renseignement qui devrait rejoindre la base de Creil dans le cadre du regroupement des activités de la DRM dans le cadre de la LPM 2019-2025.

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