EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 28 NOVEMBRE 2018

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La commission procède à l'examen du rapport pour avis sur les crédits du programme 175 « Patrimoines » de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2019.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis des crédits du programme 175 « Patrimoines » . - Il m'appartient de rapporter les crédits du programme 175 « Patrimoines ». Il s'agit du patrimoine, de l'architecture, mais aussi, des musées, des archives, et du patrimoine archéologique.

L'année 2018 a été incontestablement une année particulière. En effet, c'était l'année européenne du patrimoine culturel, qui a donné lieu à la labellisation d'un grand nombre de projets à travers le territoire. En outre, en France, elle a été marquée par une politique en faveur du patrimoine ambitieuse et nouvelle. Notre commission a connu des années où le patrimoine était sacrifié. Nous nous étions d'ailleurs mobilisés avec beaucoup de force à cette époque. À d'autres moments, la situation était beaucoup plus favorable. Cette année, de manière incontestable, entre le budget et l'opération « Loto du patrimoine » sur laquelle je reviendrai, a été particulièrement bonne, après un certain nombre d'années difficiles en raison de baisse des financements croisés - nous connaissons les difficultés financières des communes et départements. D'ailleurs, de nombreux départements ont dû se retirer du financement du patrimoine. Il était donc essentiel qu'un sursaut se produise. Celui-ci a eu lieu cette année.

Nous sommes tous convaincus de l'importance du patrimoine, en termes d'attractivité - touristique et économique -, de cohésion sociale - c'est notre mémoire collective qui est en jeu -, de maintien des savoir-faire et des entreprises. D'ailleurs, nous avons auditionné, comme chaque année, le groupement des monuments historiques qui regroupe toutes les entreprises spécialisées. Il est très inquiet de voir disparaître à jamais des savoir-faire et des métiers : des stucateurs ou des tailleurs de pierre par exemple. C'est une perte terrible pour la restauration du patrimoine.

Le patrimoine peut également être un outil au service de la revitalisation des centres historiques dégradés. C'était le but de la loi Malraux il y a plusieurs décennies. Je crois qu'il convient de le rappeler plus que jamais.

À l'examen des crédits, on constate des chiffres paradoxaux. Les crédits « patrimoines » augmentent en autorisations d'engagement de 10,9 %, mais baissent de 0,4 % en crédits de paiement. Cela s'explique par le transfert de l'action « patrimoine linguistique » du programme 175 vers un autre programme, pour un montant de 3,22 millions d'euros. Si les crédits apparaissent en baisse, ce n'est pas le cas en réalité.

On constate, pour les musées, une baisse des crédits de paiement. Cela est dû à l'évolution de l'échéancier des travaux du centre Georges-Pompidou. Les subventions des opérateurs sont stables. Les crédits pour l'enrichissement des collections publiques à Paris et en province sont préservés. L'État encourage d'ailleurs les opérateurs à développer leurs ressources propres. Or, à ce jour, seuls quelques établissements parviennent à dégager un autofinancement supérieur à 50 %, comme Versailles, le Louvre, le musée Picasso, et le musée d'Orsay. Les autres musées restent tributaires des subventions de l'État et, le cas échéant, des collectivités.

On constate une diminution des crédits pour les archives de 7 % en autorisations d'engagement et de 17 % en crédits de paiement, liée à l'évolution des échéanciers de travaux. Cette année correspond à la fin des travaux sur les sites des archives nationales, de Paris comme de Pierrefitte-sur-Seine.

Les crédits déconcentrés pour l'archéologie préventive et les fouilles en région sont revalorisés de cinq millions d'euros dans un souci de sincérité budgétaire. En effet, les années précédentes, on constatait une insuffisance des crédits en faveur de l'archéologie préventive dans le courant de l'année, qu'il fallait financer en prélevant sur les crédits du patrimoine, au détriment des travaux sur les monuments historiques. C'est la raison pour laquelle cinq millions d'euros ont été ajoutés au programme « patrimoine archéologique », qui augmente ainsi de 3,4 %. On peut espérer que ce sera suffisant. Mais il est arrivé certaines années qu'il faille abonder de plus de dix millions d'euros cette action.

Cette année encore, on constate une certaine inquiétude vis-à-vis d'une sous-consommation des crédits. Le ministre s'est engagé - et il nous l'a dit - à ce que l'intégralité des crédits soit exécutée d'ici à la fin de l'année. La sous-consommation est préoccupante. Elle entraîne la suspension de certains chantiers, d'où les conséquences catastrophiques pour les entreprises spécialisées dans les monuments historiques et les difficultés en matière d'emplois, d'apprentissage et de formation. Cette année, on peut espérer que ces crédits soient consommés compte tenu de l'effort consenti en faveur du patrimoine.

Les crédits consacrés au patrimoine et aux monuments historiques en 2019 augmentent en autorisations d'engagement de 25,1 % et de 4 % en crédits de paiement. L'augmentation très importante s'explique par deux grands projets : d'une part, la restauration du château de Villers-Cotterêts - le président de la République souhaite y installer un laboratoire mondial de la francophonie alors qu'il est aujourd'hui dans un état pathétique. Pour l'anecdote, ce château a abrité, pendant un siècle et demi, le « dépôt de mendicité » de la ville de Paris. Outre l'aspect humain qui est effroyable, le bâtiment a été totalement dégradé. L'autre projet est la rénovation du Grand Palais, dont le montant est estimé à 450 millions d'euros. D'autres opérateurs que l'État participent au financement de ces deux projets. Même ces deux grands projets mis à part, les crédits progressent fortement, notamment pour renforcer le fonds incitatif pour les monuments historiques des petites communes à faible potentiel financier mis en place l'an dernier. Quatre critères doivent être remplis pour son intervention : la taille de la commune _ moins de 10 000 habitants avec une priorité pour les communes de moins de 2 000 habitants -, les ressources des communes, le type d'opération - il s'agit d'opérations portant surtout sur des monuments en péril ou en mauvais état, dont plus de 10 000 sont répertoriés - , enfin le type d'édifices : il s'agit des immeubles protégés au titre des monuments historiques. Il y a une seule condition : la région doit financer le projet à hauteur d'au moins 15 %. À ce jour, toutes les régions en France financent le patrimoine, sauf deux : la Normandie - où les départements sont très investis sur ce sujet - , et Centre-Val de Loire. Ce fonds a permis de financer 151 opérations dans 12 régions.

Chaque année dans le rapport, je déplorais que Paris et la région parisienne drainent l'essentiel des crédits. Cette année, on constate un effort de régionalisation.

Il faut ajouter aux crédits du programme les 21 millions d'euros débloqués en compensation des taxes sur les recettes du Loto du patrimoine. Après la polémique, l'État a décidé de dégeler l'intégralité des crédits du programme 175 en 2018. Ces crédits transiteront par le budget de l'État mais seront affectés prioritairement à des projets sélectionnés dans le cadre du Loto du patrimoine, dont la gestion relève d'un opérateur de l'État, à l'image du centre des monuments nationaux (CMN). Trois projets vont être privilégiés : le château de Bussy-Rabutin en Côte d'Or, l'abbaye de Montmajour dans les Bouches-du-Rhône, et le château de Castelnau-Bretenoux dans le Lot. Ces crédits doivent être dépensés avant la fin de l'année 2018, annualité budgétaire oblige. C'est pourquoi seront privilégiées des opérations en cours.

Un mot sur la mission Bern et la première édition du Loto du patrimoine. Il y a une quinzaine d'années, notre commission avait créé une mission d'information que je présidais, et dont Philippe Richert était rapporteur. Nous avions conclu à la nécessité de mettre en place en France, sur le modèle de ce qui existait dans d'autres pays, une loterie en faveur du patrimoine. Bien que séduisante, l'idée avait été jugée compliquée à mettre en oeuvre pour des raisons budgétaires et techniques. La fourchette haute des estimations du Loto du patrimoine devrait être atteinte, grâce notamment aux jeux de grattage, dont la commercialisation se poursuit. Ils abonderont de 20 millions d'euros le financement de la protection du patrimoine, hors budget, à travers la Fondation du patrimoine. Celle-ci a sélectionné 269 projets dans toute la France, dont vous trouverez la liste en annexe du rapport. Elle est très équilibrée entre la métropole et l'outre-mer. L'opération sera pérennisée en 2019 et 2020. Conformément à la convention signée pour trois ans entre la Fondation du patrimoine et la Française des jeux. Il faut souhaiter qu'elle soit définitivement pérennisée, à l'issue de l'évaluation qui sera faite au terme de cette période. Le montant total des travaux sur les sites en péril signalés - 2 000 - est évalué à 2,5 milliards d'euros. L'intérêt du Loto est donc moins dans les crédits qu'il rapporte, que dans l'élan qu'il a permis de donner en France. La présidente de la Française des jeux m'a indiqué que de très nombreux tickets avaient été achetés par de nouveaux joueurs. Trouver des moyens nouveaux était nécessaire, alors que certaines sources financières pour le patrimoine se sont taries, telle la réserve parlementaire, qui a beaucoup servi pour le petit patrimoine rural, et le mécénat. Les dons des particuliers ont beaucoup baissé cette année, en raison de l'incertitude liée au prochain démarrage du prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu et de la transformation de l'impôt sur la fortune en impôt sur la fortune immobilière. En outre, le mécénat pourrait être menacé : vous avez tous vu le rapport de la Cour des comptes, ainsi que les polémiques autour de certaines opérations de mécénat. Dans le rapport qu'il a fait au nom de la mission d'information de note commission, notre collègue Alain Schmitz a pourtant montré l'importance de ce financement privé pour le patrimoine. Il y a de réels doutes aujourd'hui sur la capacité de l'État à financer dans la durée la protection du patrimoine, surtout dans une période où il se lance dans de grands travaux. Le CMN a été amené à reporter certaines opérations sur le Panthéon, à Saint-Cloud, au Mont-Saint-Michel, faute de crédits suffisants. Nous devons donc faire preuve de vigilance, afin que l'effort qui est fait ne s'arrête pas.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Avant de donner la parole à mes collègues, permettez-moi de donner quelques éléments d'information expliquant pourquoi la région Normandie ne cofinance pas les opérations susceptibles d'être soutenues par le fonds incitatif pour les petites communes. Certes, il est très positif que l'État se préoccupe du patrimoine dans les zones rurales. Mais, compte tenu du principe de libre administration des collectivités territoriales, l'État peut-il obliger certaines d'entre elles à intervenir, en fixant jusqu'au pourcentage minimum de leur intervention ? En Normandie, le projet nous a été très mal présenté : aucun choix ne nous a été donné sur la liste des projets susceptibles d'être concernés et cette liste ne nous a même pas été communiquée, de peur que nous ne puissions en faire un objet de communication ! Voilà pourquoi nous n'avons pas souscrit au dispositif.

L'État décentralisé ne fait pas toujours son travail avec subtilité de façon à créer du lien, du débat et de la co-construction. Par ailleurs, les départements de notre région sont très investis sur ce sujet. Nous avons engagé un plan « patrimoine » ambitieux. Ce dossier illustre le problème des compétences partagées. Il faut qu'elles le soient vraiment.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis . - En effet, la méthode, en Normandie, n'était pas la bonne. Dans la région Grand-Est, où je m'occupe du patrimoine, dès la première année d'exercice du mandat de Philippe Richert, la région a mis en place un programme d'aide au patrimoine. Lorsque l'État a lancé son fonds, il s'est coulé dans le moule du programme initié par la région, et cela s'est passé dans les meilleures conditions possibles avec le préfet de région.

Mme Catherine Dumas . - On constate, cette année, une stabilité des crédits de la mission Culture, qui se situent juste en dessous de la barre du 1 % symbolique du budget de l'État. Vous l'avez dit, l'effort est important. Vous avez évoqué le Loto du patrimoine ; la fréquentation des établissements culturels est très satisfaisante. Mais cet effort est contrasté. Un certain nombre de questions demeure - le financement de certains projets immobiliers par exemple. Je reviendrai sur ce sujet dans le cadre de l'examen du rapport pour avis sur la création artistique.

Mme Marie-Pierre Monier . - Si on regarde globalement le budget du programme 175, il n'y a pas d'inquiétude à avoir, mais dans le détail, cette analyse mérite d'être nuancée.

L'action 1 « monuments historiques et patrimoine monumental » est en hausse, mais après trois années de stagnation des crédits. La situation de ce secteur est critique depuis 15 ans. Le rattrapage de 2019 est-il suffisant ? Les crédits destinés aux monuments historiques sont en légère augmentation, mais ce n'est peut-être pas suffisant au regard des besoins. D'ailleurs, le groupement des monuments historiques estime toujours nécessaire un engagement de 400 millions d'euros en autorisations d'engagement et crédits de paiement, afin d'avoir une restauration et un entretien conséquents des monuments historiques.

L'action 9 « patrimoine archéologique » connait une amélioration par rapport aux années précédentes. Pendant longtemps, le financement de l'INRAP a été aléatoire, en fonction des perceptions effectives ou non de la redevance d'archéologie préventive (RAP). Depuis la budgétisation de la RAP en 2016, les budgets sont presque à l'équilibre, surtout depuis que l'INRAP bénéficie aussi du crédit impôt recherche (CIR). Cet octroi a permis d'assainir les finances de l'institut. Il y a eu un rattrapage sur les années antérieures, mais qui n'existera plus dans les années futures. Ses activités dans le secteur non concurrentiel sont toujours difficiles à équilibrer. L'INRAP reste préoccupé par l'avenir. Pour 2019, le déficit sera tout de même de dix millions d'euros.

L'action 3 « patrimoine des musées de France » prévoit une baisse des crédits, due à l'évolution des travaux au centre Pompidou. Mais, les dépenses d'intervention destinées aux actions en région - avec 25,804 millions d'euros en crédits de paiement en 2019 - sont en baisse de 1,7 %. Le rééquilibrage des crédits en faveur des musées de province amorcé en 2015 pâtit de la baisse globale et récurrente de cette action. La capacité d'investissement et de fonctionnement des musées de province serait ainsi tout juste maintenue. Cette baisse va les impacter. Or, ces musées sont indispensables pour l'accès de tous à la culture. Ils constituent un atout important pour le développement touristique et un évènement essentiel du développement économique de ces communes et territoires. Il est important de préserver les crédits de l'action 3.

J'ai auditionné les architectes des bâtiments de France (ABF). Ils sont inquiets pour plusieurs raisons. Nous avons évoqué la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (ELAN). Pour eux, nous sommes revenus, à la situation d'avant la loi Malraux. Ils ne sont pas sollicités quand, avec ces dispositions, il y a des problèmes d'insalubrité sur les bâtiments - ce sont plutôt les services en charge du logement qui s'en occupent. Nous avions tous souligné dans cette commission lors des débats. Ils ont évoqué le rapport sur l'organisation de la direction générale des Patrimoines rendu par Philippe Belaval le 15 septembre dernier, qui dénonce un manque de personnels dans les départements. Or, des suppressions de postes vont encore intervenir. Cette situation complique et affaiblit le travail des ABF, dont l'avis conforme est pourtant essentiel pour la protection du patrimoine.

M. Pierre Ouzoulias . - En 2017, nos collègues André Gattolin et Vincent Éblé avaient remis un rapport d'information sur les archives, dans lequel ils appelaient à des investissements, notamment pour permettre l'accueil des archives jusqu'ici stockées à Fontainebleau sur le site de Pierrefitte-sur-Seine. Il avait été prévu de construire très rapidement une extension à cette fin. Lorsque j'ai questionné le ministre de la Culture sur la baisse de 17 % de l'action « patrimoine archéologique », il a expliqué que l'on arrivait à la fin du projet de Pierrefitte. J'en conclus donc que l'extension indispensable pour faire vivre les archives est abandonnée. Je crains que la bonne santé relative du budget de la culture s'explique par le report d'investissements majeurs. Ce n'est pas une bonne politique.

La gestion de l'archéologie préventive est incohérente. Elle fonctionnait avec une taxe affectée. Aujourd'hui, elle a été rebudgétisée. On comprend que pour arriver à un budget équilibré pour l'INRAP, on fait appel au CIR, qui est une dépense fiscale gérée par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, et qui vient compenser le manque à gagner de la redevance d'archéologie préventive. Il n'y a plus aucune lisibilité politique sur ce budget. Or, on sait que de tels rafistolages ne durent jamais très longtemps. Il suffit qu'il y ait un problème avec le CIR pour que l'on retombe sur les mêmes difficultés. Il est plus sain de regarder ce que coûte l'archéologie préventive et d'essayer de mettre des ressources budgétaires pérennes et politiquement identifiées en face.

Mme Sonia de la Provôté . - Globalement, ce budget est plutôt positif. Nous sommes dans une situation de hiatus entre l'absence de prise de position forte du ministère de la culture sur les sujets patrimoniaux, que ce soit sur la revitalisation des centres-villes ou à l'occasion de l'examen du projet de loi ELAN, et une surcommunication à travers le Loto du patrimoine, et les citoyens qui se sont emparés du sujet.

L'État attend des entreprises et des citoyens, à travers le Loto du patrimoine, qu'ils l'aident à financer les besoins. Mais ce nouvel apport lui-même n'est pas suffisant. Il va falloir trouver un modèle économique stabilisé. Nous n'avons aucune garantie que l'engouement pour le Loto du patrimoine sera le même l'année prochaine.

Nous devons nous interroger sur la manière dont les crédits sont répartis entre les territoires. Le territoire francilien, car il concentre beaucoup d'opérateurs, se voit affecter une grande partie des budgets. Or, le patrimoine, est principalement constitué par le petit patrimoine, classé ou non. Au-delà de la déconcentration des crédits, et d'un accompagnement par les Directions régionales des affaires culturelles (DRAC) des collectivités territoriales, l'État doit afficher sa vision de la prise en charge du patrimoine classé ou non sur les territoires. Cela ne doit pas obligatoirement passer par le filtre d'une labellisation.

Le dernier sujet important concerne l'évolution des dons et du mécénat. Elle ne sera pas compensée par le Loto du patrimoine. Cette diminution des dons pose la question du devenir du mécénat.

Il me semblerait utile de disposer d'une cartographie des besoins en ce qui concerne le patrimoine protégé et le petit patrimoine, pas seulement la liste de monuments sélectionnés, pour bien comprendre les besoins, cerner les priorités et, sur cette base, fixer un budget en adéquation avec les besoins.

M. André Gattolin . - Ce budget, reconnaissons-le, est conséquent. Dans le domaine de la culture, on nous promet depuis des années le 1 %. Depuis le début des années 1980, on était vers 0,98 %.

Il faut souligner le succès du Loto du patrimoine. Près de 30 % des joueurs était des joueurs spécifiques à cette cause. La Française des jeux s'est engagée à reproduire cette opération. Je pense aux doutes de certaines personnes au moment où cela a été envisagé, qui le voyait comme un gadget. Cela a plutôt bien fonctionné, et je m'en réjouis.

La rénovation du château de Villers-Cotterêts n'est pas une décision présidentielle sans fondement. Il y a une association qui se bat localement depuis dix ans : l'édit de Villers-Cotterêts est considéré comme le premier acte de politique publique de la culture en France. En faire un lieu consacré à la francophonie et plus encore à la langue française est essentiel. La rapporteure du budget à l'Assemblée nationale a estimé que ce projet était vague. Or, il ne l'est pas. Il vient des territoires. D'ailleurs, s'il est appuyé, c'est parce qu'il répond à des objectifs de politique du patrimoine, de déconcentration, mais aussi d'hommage à la structuration de la langue française devenue indépendante du latin ou des différents patois instables qui étaient utilisés.

Le rapport sur les archives nationales que j'ai commis l'an dernier, explique pourquoi les archives de Fontainebleau ont dû être déménagées à Pierrefitte-sur-Seine, après les inondations intervenues dans l'arrière bâtiment de l'OTAN, inadapté au stockage des archives, dans lesquelles elles avaient été entreposées. Certains documents ont pu être restaurés mais d'autres ont été dégradés de manière irrémédiable. L'intérêt de ce rapport est aussi de pointer du doigt les erreurs de conception du bâtiment de Pierrefitte-sur-Seine, où de vastes salles de consultation des documents ont été prévues, sans prendre en compte le fait que l'on était désormais au numérique et que la consultation des archives avait désormais vocation à intervenir depuis son domicile. À peine fini, le centre de Pierrefitte-sur-Seine doit déjà être réaménagé pour mieux répondre aux besoins.

Enfin, je conclurai en indiquant que le groupe de la République en marche suivra le rapporteur en donnant un avis favorable à l'adoption des crédits.

Mme Colette Mélot . - On ne peut que se réjouir de ce budget en augmentation très significative. Depuis des années, nous n'avions pas eu un tel budget.

La mise en place du Loto du patrimoine a permis de sensibiliser les citoyens aux nécessités de restauration du patrimoine. Cela a été un grand succès. On ne peut que souhaiter sa pérennisation.

Fontainebleau se situe dans mon département. Je me suis intéressée de près au sujet du devenir du centre des archives nationales. Ce bâtiment est inexploitable. On ne pouvait pas en reconstruire un nouveau en raison des contraintes géologiques du terrain. Cela a été un sujet difficile pour les personnels. La situation s'est apaisée.

Nous donnerons un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

Mme Françoise Laborde . - Nous ne pouvons qu'apprécier le maintien de l'effort pour le patrimoine. Le budget est très correct. Mais cela n'empêchera pas la vigilance, sur les musées en province ou sur les grands chantiers. Il ne faut pas que Villers-Cotterêts et le Grand Palais empêchent le lancement d'autres chantiers ou entraînent une dérive des coûts, comme cela a été le cas par le passé.

Je souscris à beaucoup de choses qui ont été dites sur les conséquences de la baisse du mécénat, de la baisse des dons des particuliers et de la suppression de la réserve parlementaire. Je serai peut-être moins optimiste l'année prochaine. Mais cette année, nous sommes confiants.

M. Alain Schmitz . - Je souhaite exprimer à la fois une satisfaction et une inquiétude. Jamais on n'a autant parlé du patrimoine. Je rappelle que lors des Journées du patrimoine, ce sont 12 millions de visiteurs qui se pressent, soit un Français sur cinq. Dans ce cadre, ce n'est donc pas une surprise que le Loto du patrimoine ait rencontré un grand succès populaire.

En revanche, et là se trouve mon inquiétude, je ne voudrais pas que cela donne bonne conscience à l'État, qu'il se décharge sur les régions ou les départements, et a fortiori sur les particuliers. Il faut que l'augmentation des crédits en faveur du patrimoine s'inscrive dans la durée. Il ne faut pas non plus que le budget du patrimoine soit obéré par de grandes opérations très spectaculaires, dont nous savons par expérience qu'elles peuvent comporter des dérives considérables sur le plan financier. La rénovation du Grand Palais devrait coûter 450 millions d'euros. Cette somme doit être comparée aux 297 millions d'euros inscrits pour les monuments historiques hors grands projets en 2018. Enfin, 2 000 sites sont en péril en France, dont le coût de restauration est évalué à 2,5 milliards d'euros. Les besoins sont énormes. L'État ne doit pas relâcher ses efforts au motif de l'apport fourni par le Loto du patrimoine ou par l'engagement renforcé des régions.

Mme Catherine Morin-Desailly, présidente . - Je remercie Marie-Pierre Monier d'avoir recontextualisé le vote de ce budget. Il arrive au terme d'une année où des dispositions législatives importantes au regard du patrimoine ont été adoptées. La loi ELAN a été promulguée il y a quelques jours. Je continue à regretter le silence de la ministre de la culture tout au long de l'examen de ce texte. Je pense que le nouveau ministre, Franck Riester, reprendra la main sur ces sujets. Nous le soutiendrons. Nous aurions alors pu évoquer le nouveau rôle des commissions régionales du patrimoine et de l'architecture (CRPA). Lors d'une table ronde que nous avons organisée en octobre, leurs présidents ont confirmé que les nouvelles dispositions prévues par la loi relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, qui les a dotés d'un pouvoir d'auto-saisine, et a rendu obligatoire leur consultation en cas de recours contre l'avis conforme émis par un ABF, avaient permis, dans de nombreux cas, la reprise du dialogue entre élus et ABF et l'élaboration de compromis. Je regrette que l'excellent travail de ces commissions régionales, désormais présidées par des élus, n'ait pas été pris en compte.

Les ABF sont confrontés à des difficultés budgétaires importantes. La Seine-Maritime compte 740 communes au patrimoine très riche. Pourtant, seulement 1,5 ABF nous est affecté en ETP. On ne peut pas leur reprocher leurs délais, lorsqu'ils sont si peu nombreux, et que les postes ne sont pas pourvus.

Il m'a été remonté, notamment par le délégué régional de la Fondation du patrimoine dans ma région, le manque de transparence et de méthodologie dans le choix des sites retenus pour bénéficier des crédits du Loto du patrimoine. Il y a des disparités, à due proportion du nombre de sites en péril selon les départements et l'influence de tel ou tel élu. Je souhaite que notre commission auditionne très officiellement Guillaume Poitrinal, le président de la Fondation du Patrimoine - je charge Dominique Vérien, qui représente le Sénat en son sein, de le sensibiliser, et Stéphane Bern, afin qu'ils viennent nous expliquer les critères de sélection. On ne peut pas être confronté à la même opacité l'année prochaine.

Je souhaite rappeler que le Loto est une idée de notre collègue député François de Mazières. Il faut que les Français aient le sentiment que les quinze euros qu'ils mettent dans l'achat d'un ticket aillent bien au patrimoine. La politique autour des taxes perçues sur ces billets de loterie, avant le salon du patrimoine au carrousel du Louvre, a démontré la nécessité de rester vigilants. On ne peut que se réjouir qu'une solution ait été trouvée cette année pour compenser le montant des taxes. On sait que beaucoup de taxes aujourd'hui sont détournées pour aller réalimenter les caisses de Bercy.

Je vous propose également d'auditionner prochainement Philippe Belaval.

M. Philippe Nachbar, rapporteur pour avis . - Le choix des sites s'est fait en liaison avec les DRAC pour le patrimoine protégé et les délégués départementaux et régionaux de la Fondation du patrimoine pour le patrimoine non protégé. La répartition des 269 sites sélectionnés est la suivante : deux tiers de monuments historiques et un tiers de petit patrimoine. Ils représentent la diversité de notre patrimoine : 34 % d'édifices religieux, 23 % de châteaux, 13 % de patrimoine agricole et vernaculaire, 9 % de patrimoine industriel et artisanal. Je répercuterai vos demandes, car on ne peut pas se réjouir du succès du Loto du patrimoine, sans souligner ses faiblesses. Pour rencontrer dans ma région les délégués de la Fondation du patrimoine, je peux dire qu'ils ont été étroitement associés aux opérations. Il faut qu'à l'échelle du pays, il y ait une pratique unique au nom de l'équité. Il faut une plus grande concertation dans toutes les régions de France.

Ce budget est un rattrapage des années précédentes. Je m'en réjouis, mais ce n'est que cela. En effet, pendant plusieurs années, le budget du patrimoine a été sacrifié. Certes, on peut estimer que le budget nécessaire est colossal en raison des besoins - je le rappelle, 2 000 sites sont aujourd'hui en péril - et ne sera jamais suffisant. Mais, il est nécessaire de le pérenniser. De plus, souvent les travaux s'échelonnent sur plusieurs années. Or, nous votons un budget dont la règle est l'annualité.

Le crédit d'impôt recherche représente une bouffée d'oxygène, aussi bien pour l'INRAP que pour les archéologues privés.

Concernant Pierrefitte-sur-Seine, le ministère indique simplement que les premières études de programmation vont être lancées sur le quinquennat, en vue de la construction d'une première extension sur la réserve foncière prévue à cet effet. Il faudra questionner le ministre sur ce point.

Je partage l'avis de plusieurs d'entre vous sur la nécessité d'être vigilant. C'est d'ailleurs la mission première du rapporteur du budget « patrimoine » et de notre commission dans son ensemble. Je rappelle qu'elle s'était collectivement insurgée contre certaines mesures. À l'époque où elle était présidée par Maurice Schumann, la commission s'était violemment insurgée, par conférence de presse, contre la suspension en cours d'année des chantiers sur les monuments historiques de l'État. On allait enlever les échafaudages pour les remonter l'année suivante. La mobilisation extrêmement virulente de la commission a permis d'arrêter cette hérésie.

Le Loto sera reconduit pendant deux années. Il faudra s'assurer l'année prochaine que la partie TVA, qui n'est pas dans les produits de la Française des jeux, soit bien destinée à abonder le budget du ministère. Je ne pense pas que l'État ose faire autrement, après la polémique de cet automne, mais il faudra le vérifier.

Enfin, pour les critères de choix des bâtiments financés par le Loto, je suggère d'associer l'inventaire du patrimoine. Il dépend maintenant des régions. Il fait un travail remarquable, commune par commune. Personne ne connaît mieux que les responsables de l'inventaire du patrimoine l'état de celui-ci, et les choix à faire pour son financement.

En conclusion, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption de ces crédits.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Culture » du projet de loi de finances pour 2019.

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