IV. L'AFP DANS L'ATTENTE D'ORIENTATIONS STRATÉGIQUES

Les crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2019 en faveur de l'Agence France-Presse (AFP) représentent 133,4 M€, en hausse de 2 M€ . La dotation à l'AFP représente un peu moins de la moitié des aides à la presse .

Votre commission de la culture, qui attache une attention toute particulière à l'Agence, a entendu pour la première fois Fabrice Fries, nouveau président de l'AFP, le 3 octobre 2018 9 ( * ) .

A. LE RÔLE ET LE STATUT DE L'AFP

1. Une gouvernance qui repose sur deux organes

Créée par ordonnance du 30 septembre 1944, l'AFP dispose d'un statut sui generis , défini par la loi du 10 janvier 1957, qui a fait l'objet de modifications substantielles par la loi 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse.

L'article premier de la loi de 1957 précise que cet organisme a pour objet :

1° de rechercher, tant en France qu'à l'étranger, les éléments d'une information complète et objective ;

2° de mettre contre paiement cette information à la disposition des usagers.

Ce statut très spécifique de l'AFP, « organisme autonome doté de la personnalité civile », qui n'a pas d'équivalent en droit français , est issu d'une double contrainte : en 1944, date de sa création, comme en 1957, les éditeurs n'avaient pas les moyens d'entrer à son capital (comme pour les Messageries, modèle retenu par la loi « Bichet », AP aux États-Unis étant pour sa part possédé par les éditeurs), et l'État ne souhaitait pas afficher une proximité avec l'Agence qui aurait été comprise par analogie avec l'Agence soviétique Tass.

De ce statut très spécifique découle une conséquence aujourd'hui particulièrement préoccupante : l'absence de capital social, qui rend difficile, voire impossible, de recourir à un prêteur privé pour financer les investissements en raison des normes prudentielles .

La gouvernance de l'AFP s'organise autour d'un président-directeur général, d'un conseil d'administration et d'un conseil supérieur dont la composition et le rôle ont été fixés par la loi du 17 avril 2015, avec pour objectif de constituer un réel contre-pouvoir.

Composé de huit membres, le conseil supérieur comprend en particulier un député et un sénateur, nommés par la commission de la culture de chaque assemblée.

Le Conseil supérieur est « chargé de garantir la pérennité de l'Agence France-Presse et de veiller au respect des obligations énoncées à l'article 2 (qui définit les obligations fondamentales de l'Agence et garanti son impartialité) ». Il se réunit au moins chaque semestre sur un ordre du jour établi par son président.

2. Des relations non dénuées d'ambiguïtés avec l'État : le remplacement chaotique du président-directeur général

Le mandat du président de l'AFP, Emmanuel Hoog, est arrivé à expiration en avril 2018. Les dispositions de l'article 10 de la loi du 10 janvier 1957 prévoient que la nouveau président est désigné par le conseil d'administration , par 13 voix au moins sur les 18 membres qui le composent, hors son président, sur la base de la présentation d'un projet stratégique.

La loi n° 2015-433 du 17 avril 2015 portant diverses dispositions tendant à la modernisation du secteur de la presse a rénové la composition du conseil d'administration, composé de 13 personnalités en plus du Président. L'État n'est pas majoritaire , n'étant représenté directement que par trois représentants des services publics usagers nommés par les ministres des affaires étrangères, de la culture et de l'économie, et indirectement par les deux représentants des sociétés audiovisuelles nommées par décret en Conseil d'État. Cette relative discrétion de l'État, si elle peut surprendre, a pour objet de marquer l'indépendance de l'agence .

Un comité de sélection, composé de sept administrateurs de l'Agence, a été créé en janvier 2018. Six candidatures ont été analysées, et les candidats auditionnés. Le comité a finalement proposé au conseil d'administration deux noms, Emmanuel Hoog, qui visait un troisième mandat, et Fabrice Fries.

Pour autant, la désignation du nouveau président a bien été marquée par une intervention directe de l'État au-delà de son poids au conseil d'administration . En effet, l'annonce, le 11 avril 2018, jour de la réunion du conseil d'administration, que l'Etat ne soutenait pas le renouvellement du mandat d'Emmanuel Hoog a placé le conseil dans une position difficile, puisqu'elle revenait finalement à imposer au conseil ou de voter pour le seul autre candidat proposé par le comité de sélection, ou bien de relancer une procédure déjà engagée . Un premier vote dans la matinée du 11 avril n'a pas permis de rassembler les 13 voix nécessaires sur le nom de l'autre candidat. Fabrice Fries a cependant été finalement élu le lendemain. Trois membres du conseil d'administration s'en sont émus et ont adressé une lettre ouverte à la ministre le 16 avril. Ils notent ainsi que « Sur le fond, cette décision a bafoué toutes les prérogatives du Conseil et a créé un biais définitif sur les débats qui s'en sont suivis. Elle est venue déstabiliser - nous osons espérer que ce ne fut pas à dessein - l'ensemble du processus de sélection du futur PDG, l'État prenant ainsi un poids bien supérieur à celui de ses trois voix sur les dix-huit que comptent le Conseil ».

Dans son rapport au Parlement rendu public en juillet 2018, le conseil supérieur de l'AFP formule des réserves quant au mode de désignation du président, jugé « complexe et peu transparent », à la fois dans son lancement, avec une absence de publicité autre qu'une annonce sur le site de l'Agence, et dans son déroulé, avec une intervention de l'État qui dépasse le cadre fixé par la loi, qui plus est intervenue très tardivement, ce qui n'a pas contribué à un climat de sérénité au sein de l'AFP.

Votre rapporteur pour avis ne peut que déplorer cette approche brouillonne, alors même que les défis qui attendent l'Agence méritent d'être abordés par une équipe confortée.


* 9 La vidéo : http://videos.senat.fr/Datas/senat/portail/video.834797_5bb29fdf7a7aa.audition-de-m-fabrice-fries-pdg-de-l-afp

Le compte-rendu : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20181001/cult.html#toc2

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