Avis n° 153 (2018-2019) de M. Patrick KANNER , fait au nom de la commission des lois, déposé le 22 novembre 2018

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N° 153

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 novembre 2018

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi de finances , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, pour 2019 ,

TOME IV

JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES
ET JURIDICTIONS FINANCIÈRES

Par M. Patrick KANNER,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François Pillet, Jean-Pierre Sueur, François-Noël Buffet, Jacques Bigot, Mmes Catherine Di Folco, Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, MM. Loïc Hervé, André Reichardt , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 1255 , 1285 , 1288 , 1302 à 1307 , 1357 et T.A. 189

Sénat : 146 et 147 à 153 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 28 novembre 2018 , sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné, sur le rapport pour avis de M. Patrick Kanner , les crédits des programmes 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » inscrits au projet de loi de finances pour 2019 1 ( * ) .

Le rapporteur a tout d'abord observé que les moyens alloués à ces deux programmes étaient en progression avec, d'une part, une hausse des crédits de 3,4 % et un plafond d'emplois en augmentation de 132 équivalents temps plein travaillé (ETPT) pour les juridictions administratives et, d'autre part, une hausse des crédits de 1 % et un plafond d'emplois stable à 1 840 ETPT pour les juridictions financières .

Concernant les juridictions administratives , il a cependant relevé que les moyens supplémentaires étaient en réalité quasi exclusivement destinés à renforcer les effectifs de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), qui fait face à une hausse sans précédent du nombre des affaires enregistrées (+ 34 % en 2017). Elle bénéficierait ainsi de 122 nouveaux emplois sur les 132 créés, ce qui devrait lui permettre, à la fin de l'année 2019, d'absorber ce flux de saisines et d'atteindre les délais légaux de traitement des affaires qui lui sont imposés.

Corrélativement, avec seulement 10 ETPT créés, le rapporteur a considéré que les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel faisaient figure de grands « laissés pour compte » de ce budget , alors même qu'ils subissaient, ces dernières années, une augmentation constante de leur activité, liée à la progression des contentieux de masse et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur.

Pour faire face à cette situation, le rapporteur a relevé que des économies avaient été recherchées avec le développement des téléprocédures, de la médiation ou le recours aux effectifs d'aide à la décision.

Parallèlement, il a rappelé que les juridictions administratives avaient mis en place différents outils visant à renforcer leur efficacité comme la multiplication des procédures à juge unique ou le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, appelé aussi décret « JADE », qui permet d' évacuer rapidement de nombreuses affaires peu complexes.

Le rapporteur a considéré qu'il n'était pas possible d'aller plus loin dans les réformes de procédure sous peine d'« abîmer » définitivement la justice administrative en portant atteinte aux principes mêmes qui la régissent.

Quant aux juridictions financières , l'augmentation des crédits prévue pour 2019 permettrait seulement la création de 15 ETPT , pour se rapprocher du plafond d'emplois fixé depuis 2010 , à 1 840 ETPT, alors même que les missions de ces juridictions se sont multipliées dans les années récentes.

Le rapporteur a fait valoir qu'il résultait de cette situation une « priorisation » des travaux , qui se traduisait mécaniquement par une concentration des contrôles sur les situations qui présentent le plus de risques , voire par un véritable effet d'éviction sur les missions traditionnelles des juridictions financières, et en particulier sur le contrôle budgétaire.

Cette situation lui est apparue d'autant plus problématique que les chambres régionales et territoriales des comptes sont de plus en plus le dernier repère des collectivités territoriales , dans un contexte local de reconcentration du réseau des trésoreries et de recul du contrôle de légalité par les services de l'État.

Dans la mesure où les juridictions administratives et les juridictions financières continuaient, tant bien que mal, à afficher des performances satisfaisantes , qui sont en grande partie le résultat du volontarisme et du professionnalisme dont font preuve les magistrats et les personnels de ces juridictions, le rapporteur a proposé de donner un avis favorable à l'adoption des crédits de ces deux programmes.

Il a néanmoins souligné que la situation de ces juridictions était pour le moins fragile et pouvait se dégrader dans les années à venir, si le législateur ne prenait pas la mesure de la nécessité de prévoir les moyens nécessaires pour assumer toute nouvelle mission confiée.

Suivant la proposition de son rapporteur, la commission des lois a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2019 .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Cette année encore, votre commission des lois est appelée à examiner pour avis les crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » avec les crédits du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières », au sein de la mission « Conseil et contrôle de l'État », dont le responsable est le Premier ministre.

Pour l'exercice 2019, les juridictions administratives bénéficient d'une hausse de leur budget de 3,4 % par rapport à l'exercice précédent, consacrée à la création de 132 équivalents temps plein travaillé (ETPT), dont 122 sont en réalité destinés à la Cour nationale du droit d'asile, qui fait face à une augmentation sans précédent de son activité.

Les juridictions financières voient également leurs crédits augmenter de 1 %, permettant ainsi la création de 15 ETPT, pour s'approcher du plafond d'emplois fixé à 1 840 ETPT depuis 2010.

Dans la continuité des observations qu'il avait formulées l'an dernier, votre rapporteur estime que les performances satisfaisantes affichées par ces juridictions, qui sont le résultat du volontarisme et du professionnalisme dont font preuve les magistrats et les personnels, ne doivent pas masquer la situation extrêmement tendue dans laquelle elles se trouvent, compte tenu de l'augmentation continue des missions qui leur sont confiées par le législateur à effectifs quasi-constants, d'autant que la recherche de gains de productivité, à travers des réformes de procédure ou d'organisation, semble avoir atteint ses limites.

I. UNE INSUFFISANCE DE MOYENS QUI MET EN PÉRIL LE BON FONCTIONNEMENT DES JURIDICTIONS ADMINISTRATIVES

Le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » de la mission « Conseil et contrôle de l'État » regroupe les moyens affectés au Conseil d'État, aux huit cours administratives d'appel, aux quarante-deux tribunaux administratifs et, depuis 2009, à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).

Présence du juge administratif sur le territoire national

Source : services du Conseil d'État

A. UNE AUGMENTATION DES MOYENS QUASI EXCLUSIVEMENT DESTINÉE À LA COUR NATIONALE DU DROIT D'ASILE

1. Une hausse du budget qui se traduit par des recrutements massifs à la Cour nationale du droit d'asile

Avec 420 millions d'euros en crédits de paiement, le programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » bénéficie d'une augmentation de 13,8 millions d'euros, soit une progression de 3,4 % de ses crédits par rapport à 2018. Cette augmentation est légèrement plus importante que celle observée lors des exercices précédents (+ 3 % en LFI 2018, + 2,6 % en LFI 2017, + 1 % en LFI 2016 et + 2,2 % en LFI 2015).

Évolution des crédits par titre

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

Votés en

Demandés pour

Progression

Progression

Votés en

Demandés pour

Progression

Progression

2018

2019

(millions d'euros)

(%)

2018

2019

(millions d'euros)

(%)

Titre 2 - Dépenses de personnel

337,59

350,38

+12,79

+3,79 %

337,59

350,38

+12,79

+3,79 %

Titre 3 - Dépenses de fonctionnement

74,02

70,49

-3,53

-4,77 %

60,62

60,85

+0,23

+0,38 %

Titre 5 - Dépenses d'investissement

8,76

62,56

+53,80

+614,16 %

8,03

8,81

+0,78

+9,71 %

Total

420,37

483,43

+63,07

+15,00 %

406,24

420,04

+13,80

+3,40 %

Source : commission des lois à partir du projet annuel de performances pour 2019

Cette augmentation est quasi exclusivement destinée à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) dont les moyens matériels et humains sont renforcés.

Les crédits prévus dépassent de plus de 8 millions d'euros les montants fixés par la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022, pour permettre à la CNDA de faire face à la hausse de son activité.

Le plafond d'emplois pour 2019 est fixé à 4 147 équivalents temps plein travaillé (ETPT) contre 3 953 ETPT en 2018. Après divers correctifs tenant compte de mouvements intervenus en 2018, 132 nouveaux emplois sont créés dont 122 destinés à la CNDA . En 2018, la CNDA a bénéficié de 102 créations d'emplois, dont seules 51 avait été prévues en loi de finances initiale. 51 emplois supplémentaires lui ont été affectés en cours d'année.

Plafond d'emplois

(en ETPT)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

PLF 2019

3 655

3 713

3 738

3 784

3 819

3 899

3 953

4 147

Source : projets annuels de performances pour 2019

La Cour nationale du droit d'asile confrontée à une augmentation inédite du nombre de ses saisines

L'activité de la CNDA

Avec 53 581 nouveaux recours enregistrés en 2017, la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) a dû faire face à une hausse sans précédent du nombre de ses saisines : + 34 % . Pour 2018, la hausse du nombre d'affaires enregistrées est déjà de 20 %.

Nombre de recours enregistrés devant la CNDA

Source : Conseil d'État, rapport public 2018, https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000286.pdf

Cette augmentation est directement liée à la hausse des décisions rendues par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA). En 2017, le taux de recours contre les décisions de l'OFPRA était de 85,2 %.

Principaux pays de provenance des demandeurs d'asile devant la CNDA

Source : Conseil d'État, rapport public 2018 , https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000286.pdf .

En 2017, la CNDA a accordé une protection (qualité de réfugié ou protection subsidiaire) dans 16,8 % des affaires jugées (soit 8 006 décisions de protection) tous types de décisions confondus.

L'augmentation de 11 % du nombre de décisions rendues en 2017, avec 47 814 décisions, n'a pu compenser la hausse spectaculaire du nombre de saisines, le taux de couverture 2 ( * ) s'est établi à 89,2 %.

La situation s'est encore dégradée en 2018 avec la poursuite de la progression du nombre des saisines ainsi qu'en raison de divers mouvements sociaux qui ont touché la Cour entre février et juillet 2018, conduisant à un taux de renvoi des affaires très important en début d'année (47 %). Il en est résulté une augmentation du stock des affaires en instance (15 % en 2018 alors que la prévision était de 6 % et que ce taux était de 6,8 % en 2017) et un allongement du délai moyen constaté de jugement des affaires.

À la suite de l'adoption de la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d'asile, il convient de faire une distinction selon la catégorie de recours. En effet, le législateur a fixé à cinq mois le délai de jugement pour les procédures ordinaires et à cinq semaines le délai de jugement pour les procédures accélérées.

Délai moyen constaté de jugement des affaires

Source : projet annuel de performances 2019

Aide juridictionnelle

En 2009, l'élargissement de l'aide juridictionnelle lié à l'application de l'article 93 de la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 qui supprimait la condition d'entrée régulière en France pour l'octroi de l'aide juridictionnelle, avait entraîné une très forte augmentation des demandes, qui ont été multipliées par trois : 9 927 demandes ont été enregistrées en 2009, contre 3 468 en 2008.

La demande d'aide juridictionnelle n'a pas cessé d'augmenter depuis et le taux d'admissions également, atteignant 96,6 % des demandes en 2017.

Croissance de l'aide juridictionnelle

Source : Conseil d'État, rapport public 2018 , https://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000286.pdf .

Les moyens humains de la CNDA

Pour faire face à son activité croissante, depuis 2011, le Conseil d'État renforce régulièrement les effectifs de la Cour. Les plans d'action mis en oeuvre au profit de la CNDA se sont traduits par les créations suivantes :

- 50 emplois en 2011 ;

- 15 emplois en 2014 ;

- 23 emplois en 2015 ;

- 24 emplois en 2016 ;

- 40 emplois en 2017 ;

- 102 emplois en 2018 ;

- 122 emplois en 2019.

Compte tenu de la nécessité de procéder à des recrutements importants dans des délais très courts, les emplois créés depuis 2011 sont principalement des emplois contractuels. En 2017, sur 463 personnes physiques que comptait la Cour, 191 étaient contractuelles, soit 41 % de l'effectif global. S'agissant des seuls rapporteurs à l'instruction, cette proportion qui était de 58 % en 2015, est montée à 80 % en 2017 en raison de recrutements massifs de rapporteurs. Une telle proportion qui s'accroîtra encore du fait des recrutements de 2018 et 2019 n'est pas sans incidence sur le climat social de la cour.

De plus, alors que jusqu'à présent la durée des contrats était de trois ans et qu'ils étaient systématiquement renouvelés, elle est désormais de deux ans et, si l'objectif fixé par le Gouvernement est bien atteint fin 2019, ces contrats ne seront pas renouvelés.

L'organisation de la CNDA

La CNDA compte actuellement 17 chambres, 4 chambres ayant été créées en 2018. 5 nouvelles chambres seront créées au 1 er janvier 2019.

Ces renforts successifs nécessitent de trouver les surfaces supplémentaires pour l'installation de nouveaux agents et la création ou l'utilisation de nouvelles salles d'audience. En 2017, la Cour comptait 19 salles d'audience, dont une salle équipée pour la vidéo-audience, où se sont tenues 3 607 audiences dont 121 vidéo-audiences 3 ( * ) . En 2018, la Cour compte 22 salles d'audience qui fonctionnent en même temps sur un même site à Montreuil.

Compte tenu de l'effet de saturation de cette organisation, la présidente de la Cour, Mme Dominique Kimmerlin, a indiqué à votre rapporteur, lors de sa visite à la CNDA, qu'il était envisagé d'installer cinq nouvelles salles supplémentaires dans les locaux de l'ancien palais de justice de Paris sur l'île de la Cité. Ce projet pose un certain nombre de difficultés pratiques puisqu'il supposerait de pouvoir dématérialiser tous les dossiers et y accéder lors des audiences sur ce site.

Par ailleurs, début 2019, la vidéo-audience sera également déployée en province au sein des cours administratives de Nancy et de Lyon. Le développement des vidéo-audiences devrait permettre aux demandeurs d'être entendus à côté de chez eux et de bénéficier du soutien des associations locales qui les suivent.

Selon la présidente de la CNDA, le renforcement des moyens prévus en 2019 devrait permettre, sauf imprévu, de faire face au flux de nouvelles saisines enregistrées. Les délais légaux imposés par la loi de 2015 pourraient être atteints au 31 décembre 2019.

2. Des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel grands « laissés-pour-compte » de ce budget
a) Une augmentation continue des contentieux

La loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022 a prévu pour cette période une dotation supplémentaire de 35 emplois pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, soit une augmentation cumulée sur quatre ans de 1 % seulement des effectifs totaux de ces juridictions (2 693 personnes en 2018). Pour 2019, seuls 10 ETPT seront créés à destination de ces juridictions.

Sans remettre en cause la nécessité de renforcer les effectifs de la CNDA, ces créations d'emplois à destination des autres juridictions administratives sont insuffisantes compte tenu de l'augmentation constante de leur activité, observée ces dernières années, liée à la progression des contentieux de masse (contentieux des étrangers, contentieux sociaux, contentieux de la fonction publique...) et à la dévolution de nouvelles compétences par le législateur .

Nombre d'affaires enregistrées en données nettes
par les juridictions administratives 4 ( * )

2013

2014

2015

2016

2017

Progression 2016-2017

CE

9 235

9 456 5 ( * )

8 727

9 620

9 864

+ 2,54 %

CAA

28 885

29 857

30 597

31 308

31 283

- 0,08 %

TA

175 780

195 625

192 007

193 532

197 243

+ 1,92 %

CNDA

34 752

37 356

38 674

39 986

53 581

+ 34 %

Source : commission des lois à partir des rapports publics d'activité du Conseil d'État

Pour 2018, au 30 octobre, on observait déjà une hausse d'activité de 6,3 % dans les tribunaux administratifs et de 8,6 % dans les cours administratives d'appel.

En 2017, devant les tribunaux administratifs, deux contentieux ont particulièrement progressé :

- le contentieux des étrangers, qui représentait plus de 34 % des affaires enregistrées,

- le contentieux de l'urbanisme de l'aménagement et de l'environnement, qui représentait 7 % des entrées, en augmentation de 11 %.

Source : services du Conseil d'État.

Devant les cours administratives d'appel, les deux contentieux en hausse ont été :

- le contentieux des étrangers, qui représentait 48 % des entrées et qui a progressé de 8 % ;

- le contentieux des marchés publics, qui représentait 3 % des entrées, en hausse de 10 %.

Source : services du Conseil d'État

Le 29 octobre dernier, la garde des sceaux, ministre de la justice, Mme Nicole Belloubet, a annoncé la création d'une nouvelle cour administrative d'appel en Occitanie, située à Toulouse ou à Montpellier, pour décharger les cours administratives d'appel de Marseille et Bordeaux et rapprocher les justiciables de cette région de leur juge d'appel.

b) Un alourdissement de la charge de travail des juridictions par la création et le transfert de nouvelles compétences

De nombreuses réformes sont venues alourdir la charge des juridictions ces dernières années. Pour ne citer que quelques exemples de réformes intervenues en 2017 et 2018, en matière de contentieux des étrangers , la loi n° 2018-778 du 10 septembre 2018 pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a notamment confié un nouvel office au juge administratif en matière d'asile, qui vient s'ajouter aux différents contentieux qu'il a déjà en charge en matière d'éloignement.

Cette loi supprime le caractère suspensif de certains recours devant la Cour nationale du droit d'asile. Dans ces hypothèses, il appartient désormais au juge de l'éloignement, à l'occasion d'un litige sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français, de suspendre temporairement jusqu'à l'expiration du délai de recours devant la CNDA ou jusqu'à ce que la CNDA se soit prononcée, l'exécution de cette mesure si les éléments produits par le requérant sont suffisamment sérieux pour que la Cour nationale du droit d'asile soit susceptible de prendre une décision de protection.

Les nouvelles hypothèses de recours non suspensif devant la CNDA concernent 20 000 demandeurs d'asile par an. En supposant que la moitié seulement fasse l'objet d'une obligation de quitter le territoire, contestée devant le tribunal, les conclusions tendant au rétablissement du droit au maintien sur le territoire emploieront au minimum 6 ETPT de magistrats qui ne sont pas pris en compte dans le projet de loi de finances pour 2019.

Ce nouveau dispositif, qui confie au juge administratif de l'éloignement le soin d'apprécier si les éléments produits par le requérant, débouté du droit d'asile par l'OFPRA, sont suffisamment sérieux pour estimer que la Cour nationale du droit d'asile est susceptible de prendre une décision de protection et justifient en conséquence la suspension temporaire de l'exécution de la mesure d'éloignement, le temps que la CNDA statue, est extrêmement complexe. Selon les personnes entendues par votre rapporteur, il brouille la frontière des compétences du juge de l'éloignement et du juge de l'asile . Le juge de l'éloignement doit se prononcer seul, très rapidement, alors même que les enjeux humains en cause sont très importants, sur des éléments relatifs à la demande d'asile, alors qu'il n'a pas la compétence technique de la CNDA pour le faire.

En matière de droit du travail ensuite, l'ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles et le décret d'application n° 2017-305 du 9 mars 2017 ont mis en place une nouvelle procédure complexe pour permettre au juge de se prononcer sur le caractère communicable des pièces soumises au secret des affaires ou relevant d'une procédure devant une autorité de la concurrence.

L'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a créé un régime de plans de départs volontaires distinct de celui des plans de sauvegarde de l'emploi. Les plans de départs volontaires seront soumis à une procédure de validation par l'autorité administrative et le régime contentieux applicable à la décision prise à l'issue de cette procédure obéira au même régime contentieux que les plans de sauvegarde de l'emploi. Cette nouvelle compétence vient alimenter un contentieux déjà lourd, concentré sur certaines juridictions et soumis à des délais de jugement contraints et sanctionnés par un dessaisissement de la juridiction .

En matière de sécurité intérieure et de lutte antiterroriste , la dernière loi en date, la loi n° 2017-1510 du 30 octobre 2017 renforçant la lutte contre le terrorisme et la sécurité intérieure, a prévu que certaines décisions prises par le préfet ou le ministre de l'intérieur puissent être contestées devant le tribunal administratif dans le délai d'un mois suivant leur notification, sans préjudice des procédures de référé-liberté ou de référé suspension. Le tribunal doit alors statuer dans un délai de deux mois à compter de sa saisine. Ce délai n'est toutefois pas prévu à peine de dessaisissement.

Même si les contentieux issus de ces nouvelles dispositions sont numériquement faibles, l'impact de la loi du 30 octobre 2017 sur les juridictions administratives n'est pas négligeable :

- les délais de jugement dérogatoires extrêmement brefs, d'une durée différente pour certaines mesures, sont une source de complication pour le juge ;

- le traitement, dans des délais contraints, des contentieux liés à cette loi nécessite des moyens matériels , notamment pour assurer la protection des magistrats et agents de greffe et la sécurité des audiences, et des moyens humains adéquats, qui n'ont pas été prévus .

En matière d' urbanisme , la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance a prévu une expérimentation d'une durée de trois ans, dans quatre tribunaux administratifs déterminés par décret, d'un « rescrit juridictionnel » qui permet à l'auteur ou au bénéficiaire d'une décision administrative non réglementaire, prise sur le fondement du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ou du code de l'urbanisme essentiellement, concernant des grands projets et des opérations complexes, de saisir le tribunal administratif afin qu'il apprécie la légalité externe de l'acte, en dehors de tout litige. Il devra statuer dans un délai de 6 mois et examiner tous les moyens relatifs à la régularité de la procédure qui seront soulevés, ainsi que tous ceux sur lesquels il estimera devoir se prononcer d'office. La décision sera seulement susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Si la procédure est jugée régulière, aucun vice de procédure ne pourra plus être invoqué à l'encontre de la décision, ni par voie d'action ni par voie d'exception.

Quant à la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, elle prévoit qu'un référé suspension ne pourra plus être valablement déposé contre une autorisation de construire après la date de cristallisation des moyens. L'irrecevabilité dont seront frappés les référés suspension présentés après la cristallisation des moyens sera très certainement un facteur d'incitation des requérants à systématiser de telles demandes de référé. Cette disposition aura donc un impact important sur la charge de travail des juridictions, qui seront appelées à statuer en référé dans des délais très brefs sur des dossiers lourds et complexes, ainsi que sur l'organisation des permanences dans les juridictions, qui devront être étoffées.

En matière de contentieux de la sécurité sociale , l'ordonnance n° 2018-358 du 16 mai 2018 relative au traitement juridictionnel du contentieux de la sécurité sociale et de l'aide sociale supprime, à partir du 1 er janvier 2019, les commissions départementales et commission centrale d'aide sociale, qui sont des juridictions administratives spécialisées relevant du Conseil d'État par la voie de la cassation. Les contentieux que ces juridictions traitaient sont répartis entre l'ordre judiciaire et les juridictions administratives de droit commun.

Enfin, l'article 51 de la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense transfère, au plus tard le 1 er janvier 2020, le contentieux des pensions militaires d'invalidité aux juridictions administratives de droit commun. Ce contentieux relève actuellement des tribunaux des pensions en première instance et des cours régionales des pensions en appel, qui sont des juridictions administratives spécialisées relevant du Conseil d'État par la voie de la cassation mais hébergées par les juridictions judiciaires et présidées par un magistrat judiciaire.

Le transfert et la création de ces nouvelles compétences, à traiter dans des délais fixes extrêmement brefs, en plus de l'augmentation continue des contentieux existants, ont un effet d'éviction important sur les autres contentieux et font peser de lourdes contraintes sur les magistrats et les greffes .

Comme l'écrivait déjà votre rapporteur l'an dernier, aucune nouvelle compétence, ni aucune extension de compétence existante ne doit désormais être décidée sans une évaluation sérieuse de son impact sur l'activité de ces juridictions et sans l'allocation de moyens suffisants, sous peine de mettre le fonctionnement de ces juridictions en péril et de porter atteinte à la qualité de la justice rendue à nos concitoyens.

c) Des performances qui se maintiennent à un niveau satisfaisant au prix d'efforts considérables des personnels et magistrats

L'objectif fixé par la loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d'orientation et de programmation pour la justice de ramener à un an en moyenne les délais de jugement est atteint, toutes juridictions confondues, depuis 2011.

Délai moyen constaté de jugement des affaires

2016

2017

2018

2018

2019

2020

Réalisation

Réalisation

Prévision

Prévision actualisée

Prévision

Cible

Conseil d'État

8 mois

7 mois et 12 jours

9 mois

9 mois

9 mois

9 mois

CAA

11 mois
et 3 jours

11 mois
et 3 jours

10 mois
et 15 jours

11 mois

11 mois

10 mois
et 8 jours

TA

10 mois
et 20 jours

10 mois
et 15 jours

10 mois
et 8 jours

10 mois et 15 jours

11 mois

10 mois

Source : projet annuel de performances 2019

Cependant, les résultats de cet indicateur doivent être nuancés car il ne distingue pas selon les types de décisions rendues . Sont donc comptabilisées de la même manière toutes les affaires, y compris les référés, les procédures d'urgence, les ordonnances et les procédures enfermées dans un délai déterminé. Seules les affaires dites « de séries » 6 ( * ) sont exclues de ce mode de calcul.

Les délais moyens constatés pour les affaires dites « ordinaires » 7 ( * ) , c'est-à-dire hors ordonnances et contentieux dont le jugement est enserré dans des délais particuliers, est quant à lui plus élevé. Il est même en augmentation pour les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel en 2017 par rapport à 2016.

Délai constaté de jugement des affaires ordinaires

2013

2014

2015

2016

2017

Conseil d'État

1 an, 3 mois, 9 jours

1 an, 1 mois, 26 jours

1 an, 2 mois, 2 jours

1 an, 12 jours

1 an, 1 jour

CAA

1 an, 2 mois, 11 jours

1 an, 2 mois, 1 jour

1 an, 1 mois, 15 jours

1 an, 1 mois, 26 jours

1 an, 2 mois, 13 jours

TA

1 an, 10 mois, 2 jours

1 an, 9 mois, 4 jours

1 an, 9 mois, 7 jours

1 an, 8 mois, 22 jours

1 an, 9 mois, 21 jours

Source : rapport public du Conseil d'État 2018

Dès lors, si la multiplication des procédures urgentes permet d'afficher un délai de traitement moyen des affaires très satisfaisant, elle a pour effet collatéral d'allonger les délais de traitement des affaires ordinaires , qui ont parfois un impact humain tout aussi important que les contentieux qui font l'objet de procédures d'urgence.

Les juridictions administratives ont cependant fourni d'importants efforts pour réduire le stock des dossiers en instance depuis plus de deux ans, tant en première instance qu'en appel ou en cassation.

Proportion d'affaires en stock enregistrées depuis plus de deux ans

2016

2017

2018

(prévision actualisée)

2019

(prévision)

2020

(cible)

CE

1,6 %

2,3%

2,27 %

2,5 %

< 3 %

CAA

1,9 %

3,2 %

4 %

4 %

3 %

TA

8,6 %

7,8 %

7,5 %

7,5 %

7,5 %

CNDA

7 %

6,8 %

15 %

5 %

5 %

Source : projet annuel de performances 2019

Quant à la qualité des décisions de justice, celle-ci continue à s'améliorer au regard du taux d'infirmation des décisions, qui permet de connaître le taux de litiges définitivement réglés conformément à la solution apportée par les premiers juges.

Taux d'infirmation des décisions rendues
par les tribunaux administratifs

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Taux d'infirmation

4,23%

3,64%

3,93%

3,73%

3,80%

3,46%

3,23%

Taux de litiges réglés conformément à la solution des juges de 1 ère instance

95,77%

96,36%

96,07%

96,27%

96,20%

96,54%

96,77%

Source : services du Conseil d'État

À effectifs constants, ces bonnes performances reposent sur une augmentation de la charge de travail des magistrats et des personnels administratifs .

Charge moyenne de travail par magistrat en données nettes

Année

Affaires traitées par magistrat TA

Affaires traitées par magistrat CAA

2013

233

107

2014

241

109

2015

244

114

2016

250

116

2017

262

122

Source : services du Conseil d'État

Il convient de préciser que la charge de travail des magistrats n'est pas uniquement représentée par le nombre d'affaires traitées, la présence des magistrats étant rendue obligatoire, par la loi ou le règlement, dans de nombreuses instances 8 ( * ) .

Ces activités ont représenté, en 2017, 175 demi-journées de présence pour les magistrats d'un tribunal administratif et 258 pour ceux d'une cour administrative d'appel.

Charge moyenne de travail par agent de greffe en données brutes

Année

Affaires traitées par agent de greffe TA

Affaires traitées par agent de greffe CAA

2013

194

106

2014

194

107

2015

198

110

2016

200

109

2017

221

127

Source : services du Conseil d'État

Le nombre de dossiers traités par agent de greffe a progressé entre 2016 et 2017 dans les tribunaux administratifs, avec une augmentation de 10,5 %, et plus nettement dans les cours avec 16,5 %.

Comme pour les magistrats, le nombre de dossiers traités ne représente pas le seul indicateur de la charge de travail des agents de greffe. En effet, le greffier en chef gère l'organisation administrative du tribunal. Par ailleurs, le traitement des séries, l'organisation d'audiences durant le week-end, en particulier dans le contentieux des étrangers, la gestion de « télérecours », avec l'obligation de numériser les dossiers ou de les imprimer en cas d'asymétrie, représentent une charge de travail extrêmement lourde pour le greffe des tribunaux et des cours.

Selon les personnes entendues par votre rapporteur, les efforts demandés aux magistrats et aux personnels des juridictions ne sont pas sans conséquences sociales ni humaines .

Selon les données transmises à votre rapporteur par les services du Conseil d'État, le premier baromètre social établi en 2017 par le Conseil d'État révélait que la charge de travail est ressentie comme excessive par 60 % des magistrats, et comme inconciliable avec la vie privée par 55 % d'entre eux. Par ailleurs, les jours d'arrêts maladie ont augmenté de 11 % chez les magistrats et de 18 % chez les agents de greffe entre 2016 et 2017.

Lors de son déplacement au tribunal administratif de Dijon, les magistrats et personnels administratifs rencontrés par votre rapporteur l'ont alerté sur l' impossibilité pour les juridictions administratives de continuer à faire face à leurs missions sans moyens supplémentaires .

B. DES RECHERCHES D'ÉCONOMIES ET DE GAINS DE PRODUCTIVITÉ QUI ONT ATTEINT LEURS LIMITES

1. Des gisements d'économies de plus en plus rares

Depuis déjà quelques années, les juridictions administratives se sont efforcées de réduire leur frais de fonctionnement par la dématérialisation des procédures.

Déployée depuis 2013 dans l'ensemble des juridictions administratives, l'application « télérecours » a permis de fluidifier le traitement des dossiers et de réduire les dépenses de frais de justice. L'utilisation de cette application, facultative dans un premier temps, a été rendue obligatoire à compter du 1 er janvier 2017 pour les avocats, les personnes publiques autres que les communes de moins de 3 500 habitants, les organismes privés chargés de la gestion permanente d'une mission de service public, en action et en défense, sous peine d'irrecevabilité des requêtes ou de mise à l'écart des écritures.

Cette application permet aux avocats et aux administrations de transmettre électroniquement leurs productions (requêtes, mémoires et pièces). Les juridictions administratives peuvent communiquer électroniquement à ces parties tous les actes de procédure (communications, mesures d'instruction, avis d'audience, notifications des décisions pour les administrations et transmissions de leurs ampliations pour les avocats).

Entre le 1 er janvier 2018 et le 30 septembre 2018, 62 % des requêtes enregistrées dans les tribunaux administratifs et 90 % des requêtes enregistrées dans les cours administratives d'appel l'ont été via « télérecours ».

La généralisation de « télérecours » a permis de réaliser des économies substantielles, en matière de frais d'affranchissement notamment, évaluées à 3,1 millions d'euros pour l'année 2017.

L'ouverture d'un « télérecours citoyens », accessible à tous, a commencé au cours de l'année 2018. Elle est susceptible de générer de nouvelles économies. En effet, les affaires actuellement non éligibles à « télérecours » (12 % des saisines des cours administratives d'appel et 38 % de celles des tribunaux administratifs) pourront faire l'objet de transmissions dématérialisées via ce nouveau portail.

Cette application permettra aux particuliers et aux personnes morales de droit privé non chargées d'une mission permanente de service public, qui ne sont pas représentés par un avocat, de déposer leurs recours devant les juridictions administratives, de recevoir communication des mémoires des parties adverses et des courriers de la juridiction, d'accéder à leur dossier et de suivre l'état de son avancement. Ces justiciables pourront toujours, s'ils le souhaitent, déposer leur recours en venant à l'accueil de la juridiction ou par voie postale.

Les modalités d'utilisation de « télérecours citoyens » ont été précisées par le décret n° 2018-251 du 6 avril 2018 relatif à l'utilisation d'un téléservice devant le Conseil d'État, les cours administratives d'appel et les tribunaux administratifs et portant autres dispositions.

Le déploiement de cette application est progressif : il a débuté le 7 mai 2018 dans les tribunaux administratifs de Cergy-Pontoise et de Melun et à la section du contentieux du Conseil d'État. Le 6 septembre 2018, l'application comptait déjà 870 inscrits et a servi au dépôt de 272 requêtes. Elle sera étendue aux cours administratives d'appel et aux autres tribunaux administratifs le 30 novembre 2018.

Toutefois, comme il n'est pas envisagé, à ce stade, de rendre obligatoire l'utilisation de cette application pour l'ensemble des justiciables, les économies attendues sont sans commune mesure avec celles qui ont été réalisées grâce à la mise en oeuvre de « télérecours ». Elles sont estimées, par les services du Conseil d'État, à près de 350 000 euros à l'horizon 2022.

Malgré les efforts entrepris, la dotation des frais de justice est à nouveau orientée à la hausse depuis 2018 pour tenir compte notamment de l'augmentation des tarifs postaux et de l'activité juridictionnelle, en particulier à la CNDA.

Dotations de frais de justice en lois de finances initiale

Dotation

2012

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019 (PLF)

Dotation LFI en M€

11

12,9

14,25

12,3

11,85

9,7

10,14

12,75

Évolution N/N-1 en %

10%

17,3 %

10,5%

- 13,7 %

- 3,7 %

- 18,1%

4,5%

25,7%

Source : services du Conseil d'État

2. Des tentatives pour recentrer les magistrats sur leur coeur de métier sans grands effets
a) Le renforcement des effectifs d'aide à la décision

De nouveaux modes de collaboration, qualifiés d'aide à la décision, se sont développés ces dernières années afin de permettre aux membres des juridictions administratives d'augmenter le nombre de décisions rendues et de diminuer la durée de traitement des dossiers. Ils consistent à confier à des assistants le soin de préparer, sous le contrôle des magistrats, soit des projets de décisions simples, soit des éléments d'analyse d'un dossier.

Les assistants qui apportent ainsi leur concours aux magistrats relèvent actuellement de deux catégories :

- les assistants de justice, agents contractuels exerçant à temps incomplet, recrutés pour une durée maximale de deux ans renouvelable deux fois ;

- les assistants du contentieux, qui sont des fonctionnaires titulaires de catégorie A, pour l'essentiel des attachés, affectés sur ces fonctions comme le sont les autres agents de greffe. Leurs fonctions se situent à la charnière du greffe et des magistrats. Ils sont notamment chargés de préparer les dossiers contentieux sous le contrôle d'un magistrat, d'assister les présidents de chambre par la préparation d'ordonnances, ou encore de constituer des dossiers de documentation juridique.

À côté de ces deux catégories, l'article 22 du projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit que des juristes assistants pourront être nommés au Conseil d'État et auprès des magistrats des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel, dans les mêmes conditions que celles qui ont été prévues pour les juristes assistants nommés auprès des magistrats des juridictions judiciaires par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

Les candidats devront être titulaires d'un doctorat en droit ou d'un diplôme juridique de niveau master II. Ils devront en outre justifier de deux années d'expérience professionnelle dans le domaine juridique et être particulièrement qualifiés pour exercer ces fonctions. Ces juristes assistants seront des agents contractuels de l'État de catégorie A. Ils seront nommés, à temps complet ou incomplet, pour une durée maximale de trois années, renouvelable une fois.

Entendus par votre rapporteur, les représentants des syndicats de magistrats administratifs se sont montrés sceptiques s'agissant de la création d'un statut supplémentaire de personnel, estimant qu'elle risquait de rendre peu lisible la répartition des compétences entre les différents intervenants, les juristes assistants faisant doublon avec les assistants du contentieux et les assistants de justice.

Ils ont également estimé que les bénéfices attendus de ces recrutements seraient en réalité annulés par la nécessité pour les magistrats de passer six mois à les former alors même que ces juristes assistants ne resteront en fonction qu'un an ou un an et demi.

Pour autant, même si votre rapporteur aurait préféré que soient recrutés des magistrats, dès lors que ce nouveau statut a tout de même été créé et que les magistrats judiciaires semblent être pleinement satisfaits du concours des juristes assistants, il estime que ce renfort est bienvenu, dans un contexte budgétaire contraint. Il avait d'ailleurs lui-même proposé un tel déploiement dans son rapport de l'année dernière.

b) Le développement de la médiation devant les juridictions administratives

La loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle, complétée par le décret n° 2017-566 du 18 avril 2017 relatif à la médiation dans les litiges relevant de la compétence du juge administratif, a étendu la possibilité de recourir à la médiation administrative, jusqu'alors réservée aux différends transfrontaliers, à tous les litiges relevant de la compétence du juge administratif, la seule limite tenant à ce que l'accord auquel parviennent les parties ne puisse porter atteinte à des droits dont elles n'ont pas la libre disposition.

Le décret n° 2018-441 du 4 juin 2018 fixe la rétribution de l'avocat assistant une partie bénéficiaire de l'aide juridictionnelle dans le cadre d'une médiation administrative à l'initiative du juge ou d'une médiation administrative à l'initiative des parties donnant lieu à la saisine du juge aux fins d'homologation d'un accord.

Dans le souci de favoriser au maximum le recours au règlement amiable des litiges, la procédure de médiation, y compris les garanties qu'elle offre aux parties, est désormais expressément définie dans le code de justice administrative et répond aux principes suivants :

- lorsque la médiation est initiée par les parties avant l'introduction d'un litige devant le juge administratif, elle interrompt les délais de recours contentieux et suspend les délais de prescription ;

- en dehors de tout litige introduit devant la juridiction, les parties peuvent demander aux présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel d'organiser une mission de médiation, ou simplement de désigner la personne qui sera chargée d'une mission de médiation dont elles ont déjà déterminé les modalités ;

- saisi d'un litige, le juge administratif peut organiser, avec l'accord des parties, une médiation confiée à des membres de la juridiction ou à des tiers ;

- lorsque la médiation est confiée à un tiers, le président de juridiction ou le juge saisi du litige détermine s'il y a lieu la rémunération du médiateur et en fixe les modalités ;

- saisie de conclusions en ce sens, la juridiction peut homologuer et donner force exécutoire à l'accord issu de la médiation.

La mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions sur la médiation administrative s'est accompagnée de la création d'un comité « justice administrative et médiation » au Conseil d'État, chargé de promouvoir le règlement alternatif des litiges, en collaboration active avec les partenaires institutionnels extérieurs et parties prenantes de la médiation. Ce comité a pour missions :

- de mettre en place un réseau de tiers pouvant contribuer au règlement alternatif des litiges administratifs (au sein de l'administration et parmi les professionnels de la médiation) ;

- d'explorer les possibilités d'orientation des litiges administratifs vers ce mode de règlement ;

- d'élaborer un guide de la médiation ;

- de définir le contenu des formations à la médiation à l'attention des magistrats et agents de greffe ;

- de contribuer à l'élaboration des outils législatifs ou réglementaires nécessaires au développement de la médiation.

Enfin des correspondants « médiation » (magistrat ou greffier en chef) ont été désignés dans chaque juridiction afin de développer les réseaux locaux de médiateurs et de promouvoir auprès des magistrats et des agents de greffe ce nouveau mode de traitement des litiges. Leur rôle est également d'identifier, au moment de leur dépôt, les affaires pour lesquelles une médiation peut être proposée.

Entre le 1 er janvier et le 31 août 2018, 77 médiations ont été enregistrées à l'initiative des parties, principalement en matière de marchés et contrats (28 %), de fonction publique (22 %) et d'urbanisme (17 %). Sur 34 médiations terminées, le taux d'accord a été de 26,5 %.

Durant cette même période, 494 médiations ont été ordonnées par le juge, principalement dans le domaine de la santé (53 %), de la fonction publique (14 %), de l'urbanisme (9 %) et des marchés et contrats (5 %). 215 médiations ont été menées à leur terme, avec un taux d'accord de 73 %.

La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle a prévu par ailleurs, qu'à titre expérimental et pour une durée de quatre ans à compter de la promulgation de la loi, les recours contentieux formés en matière de fonction publique ou de prestations sociales soient soumis à une médiation préalable obligatoire, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'État. Le dispositif expérimental n'a toutefois pu entrer en vigueur qu'au 1 er avril 2018. Le projet de loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice prévoit en conséquence de reporter au 31 décembre 2021 la fin de l'expérimentation de médiation préalable obligatoire, afin de disposer d'éléments de bilan suffisamment significatifs.

Le décret n° 2018-101 du 16 février 2018 portant expérimentation d'une procédure de médiation préalable obligatoire en matière de litiges de la fonction publique et de litiges sociaux a mis en oeuvre ces dispositions.

Dans un périmètre géographique déterminé, la saisine d'un médiateur est obligatoire avant l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre :

- certaines décisions relatives à la situation individuelle des agents publics (décisions individuelles relatives à la rémunération, aux positions statutaires, à la réintégration, au reclassement à l'issue d'un avancement de grade ou d'un changement de corps obtenu par promotion interne, à la formation professionnelle et à l'adaptation des postes de travail) ;

- certaines décisions rendues en matière de prestations sociales (revenu de solidarité active, aides de fin d'année pouvant être versées à ses allocataires, aide personnalisée au logement, prime d'activité, allocation de solidarité spécifique, radiation des listes des demandeurs d'emploi et aides de fin d'année pouvant être versées aux bénéficiaires de certaines allocations prévues par le code du travail).

L'autorité ayant pris la décision contestée est tenue d'informer l'agent ou l'administré de l'exigence d'un recours préalable à la médiation et de communiquer les coordonnées du médiateur compétent. À défaut, le délai de recours ne court pas à l'encontre de la décision litigieuse.

La saisine du médiateur interrompt les délais de recours contentieux et suspend les prescriptions, qui ne recommenceront à courir qu'à compter de la date à laquelle il aura été mis fin à la médiation, soit par le médiateur lui-même, soit par l'une des parties.

À défaut de recours préalable à la médiation, la requête sera irrecevable et rejetée par ordonnance, mais la juridiction devra elle-même transmettre le dossier au médiateur compétent.

Un bilan chiffré concernant la médiation préalable obligatoire n'est pas encore disponible mais plus de 2 500 collectivités territoriales ont d'ores et déjà adhéré au dispositif pour les litiges de la fonction publique territoriale.

Votre rapporteur estime que le recours accru à la médiation permet de développer une autre forme de résolution des conflits pour les affaires dans lesquelles une réponse en pur droit n'est pas adaptée. Ce nouvel outil de procédure devrait par ailleurs oeuvrer contre l'encombrement de la justice administrative.

Il a cependant un coût pour les justiciables. Comme l'ont indiqué à votre rapporteur les représentants du Conseil d'État, lors de leur audition, le Conseil d'État a négocié avec les barreaux une uniformisation des tarifs de la médiation, avec un forfait à 900 euros. Au-delà de ce forfait, la séance supplémentaire coûte 150 euros. Les bénéficiaires de l'aide juridictionnelle sont couverts à hauteur de 256 euros.

Un premier bilan de cette expérimentation pourra être fait l'an prochain, d'autant que le Conseil d'État a évalué le nombre de recours sur les territoires concernés, au cours de trois dernières années, pour pouvoir apprécier l'impact réel de la médiation préalable obligatoire sur les contentieux de la fonction publique et sur les contentieux sociaux concernés.

3. Des réformes procédurales au-delà desquelles il est impossible d'aller sous peine de porter atteinte au droit à l'accès au juge

Au cours des dernières années, des solutions ont été recherchées dans la rationalisation des procédures applicables devant les juridictions administratives, pour permettre un traitement plus rapide des affaires les plus simples et un allégement de la charge de travail des juridictions , tout en préservant la qualité des décisions rendues .

a) Un recours au juge unique pour des affaires toujours plus nombreuses

Devant les tribunaux administratifs, les affaires jugées par un juge unique et non par une formation collégiale relèvent actuellement de quatre catégories différentes :

- les affaires au fond instruites et jugées selon la procédure de droit commun, la seule dérogation apportée tenant à la composition de la formation de jugement ;

- les affaires au fond instruites et jugées selon une procédure dérogatoire au droit commun, essentiellement en raison de l'urgence (contentieux des obligations de quitter le territoire français lorsque l'étranger fait l'objet d'une mesure de surveillance, contentieux du refus d'entrée sur le territoire au titre de l'asile, contentieux du stationnement des résidences mobiles des gens du voyage, contentieux du droit au logement opposable) ;

- les procédures de référé ;

- les ordonnances.

Au total, en 2017, la part des affaires jugées par un juge unique ou par ordonnance a représenté 61,32 % du total du contentieux et la part des affaires jugées en formation collégiale, 38,68 %.

Évolution de la part respective des affaires jugées par une formation collégiale et par un juge unique

TA

(données brutes)

2010

2011

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Affaires jugées

en formation collégiale

70 045

71 378

78 115

79254

83570

79966

81 513

79 546

36,10%

37,15%

39,68%

42,75%

44,28%

41,4%

41,05%

38,68%

Affaires jugées

par un juge unique
(affaires au fond
et référés)

62 933

62 800

58 847

55063

57402

59986

62 846

70 392

32,44%

32,69%

29,89%

29,70%

30,42%

31,09%

31,65%

34,22%

Ordonnances

61 029

57 951

59 913

51073

47738

53014

54 205

55 746

31,46%

30,16%

30,43%

27,55%

25,30%

27,47%

27,30%

27,10%

Source : services du Conseil d'État

Devant les cours administratives d'appel, les affaires jugées par un juge unique sont beaucoup plus limitées.

Les personnes rencontrées par votre rapporteur se sont accordées pour dire que le recours au juge unique avait atteint ses limites et qu'il ne pouvait être envisagé d'aller plus loin sous peine de dégrader la qualité des décisions de justice rendues .

Elles ont également souligné la difficulté pour les magistrats administratifs nouvellement nommés de se retrouver seuls pour juger ces contentieux parfois très difficiles humainement, s'agissant par exemple des contentieux sociaux.

b) Des réformes permettant d'évacuer rapidement de nombreuses affaires

Par ailleurs, le Conseil d'État a engagé une réflexion d'ensemble sur l'évolution du rôle et des pouvoirs du juge administratif qui s'est traduite par le décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016 portant modification du code de justice administrative, appelé aussi décret « justice administrative pour demain » (JADE).

Ce décret prévoit notamment des évolutions procédurales destinées à permettre une instruction dynamique des dossiers, ou d'évacuer les requêtes en déshérence des stocks telles que :

- la suppression, en appel, de la dispense d'avocat pour les litiges d'excès de pouvoir en matière de fonction publique ;

- la possibilité de fixer une date au-delà de laquelle aucun moyen nouveau ne peut être invoqué lorsque l'affaire est en état d'être jugée (article R. 611-7-1 du code de justice administrative) ;

- la possibilité de demander des éléments complémentaires aux parties sans rouvrir l'instruction (article R. 613-1-1 du code de justice administrative) ;

- l'élargissement des possibilités de prononcer un désistement d'office : après demande infructueuse de produire un mémoire récapitulatif (article R. 612-5-1 du code de justice administrative), en l'absence de réponse à une invitation à confirmer expressément le maintien de la requête lorsque l'état du dossier permet de s'interroger sur l'intérêt qu'elle conserve pour son auteur (article R. 612-5-1 du même code) ;

- la possibilité pour les juridictions, lorsqu'un dossier d'une série a été attribué à une juridiction par le président de la section du contentieux du Conseil d'État, de renvoyer à cette juridiction tous les dossiers relevant de cette série, sans avoir à solliciter une nouvelle décision du président de la section du contentieux ;

- la possibilité pour les présidents de tribunal administratif de statuer par ordonnance sur les requêtes relevant d'une série qui, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification de faits, présentent à juger en droit des questions identiques à celles tranchées par un arrêt devenu définitif de la cour administrative d'appel dont ils relèvent ;

- la possibilité pour les présidents de cour administrative d'appel et pour les présidents de formation de jugement des cours de rejeter par ordonnance les requêtes d'appel manifestement mal fondées ;

- la possibilité pour le Conseil d'État de rejeter par ordonnance les pourvois en cassation manifestement dépourvus de fondement, dirigés contre les décisions rendues en appel.

Plus récemment encore, le décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018 portant modification du code de justice administrative et du code de l'urbanisme a prévu :

- une cristallisation automatique des moyens en matière d'urbanisme, qui prend effet deux mois après la communication du premier mémoire en défense ;

- un désistement d'office à défaut de confirmation par la partie concernée du maintien de la requête au fond après le rejet de la requête en référé suspension pour défaut de moyen susceptible de faire douter de la légalité de la décision attaquée.

Les représentants de l'union syndicale des magistrats administratifs, entendus par votre rapporteur ont fait valoir que cette dernière mesure avait d'ores et déjà été utilisée de manière abusive, en plein été pendant les vacances judiciaires, les avocats n'ayant pas été en mesure de confirmer les requêtes au fond.

De même, les représentants du Conseil d'État, lors de leur audition, ont admis qu'avec une telle « boîte à outils » procédurale, des dérives n'étaient pas impossibles.

Pour diminuer le contentieux, il serait toujours possible de multiplier les suppressions de dispense d'avocat, en première instance notamment, mais ce serait contraire au principe de gratuité de la justice administrative.

De même, il pourrait être envisagé de permettre le rejet par ordonnance, en première instance cette fois, des demandes manifestement infondées, mais ce serait contraire au principe de collégialité.

L'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur s'est accordé pour dire qu'il n'était pas possible d'aller plus loin dans les réformes de procédure sous peine d'« abîmer » définitivement la justice administrative en portant atteinte aux principes mêmes qui la régissent .

II. UN BUDGET STABLE ALORS MÊME QUE LES MISSIONS DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES SONT EN AUGMENTATION CONSTANTE

Le programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » concerne la Cour des comptes et les dix-huit chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC) 9 ( * ) . L'essentiel de l'activité de ces juridictions est constitué par le jugement des comptes publics, le contrôle des finances publiques, le contrôle de la gestion des administrations et organismes publics ainsi que l'évaluation des politiques publiques. À ces missions s'ajoutent l'assistance au Parlement et au Gouvernement, ainsi que l'information des citoyens et le suivi des recommandations formulées à l'occasion des contrôles.

Carte des chambres régionales et territoriales des comptes

Source : Cour des comptes

A. UNE PROGRESSION TRÈS LIMITÉE DES CRÉDITS QUI VISE SEULEMENT À S'APPROCHER DU PLAFOND D'EMPLOIS

1. Une hausse des crédits destinés à financer quelques recrutements à plafond d'emplois constant

Le montant des crédits alloués à la Cour des comptes et aux autres juridictions financières par le projet de loi de finances pour 2019 est en légère augmentation de 1 % par rapport à l'année précédente (+ 1,9 % entre 2017 et 2018). Il s'élève à 219,85 millions d'euros en crédits de paiement.

Évolution des crédits du programme 164

« Cour des comptes et autres juridictions financières »

Titre et catégorie

Autorisations d'engagement

Crédits de paiement

PLF 2018

PLF 2019

Progression

Progression

PLF 2018

PLF 2019

Progression

Progression

(en millions d'euros)

(en %)

(en millions d'euros)

(en %)

TOTAL

219 131 207

232 151 105

13 019 898

+ 5,94 %

217 673 207

219 854 105

2 180 898

+ 1,00 %

Titre 2 - Dépenses de personnel

192 373 207

195 078 041

2 704 834

+ 1,41 %

192 373 207

195 078 041

2 704 834

+ 1,41 %

Autres titres

26 758 000

37 073 064

10 315 064

+ 38,55 %

25 300 000

24 776 064

-523 936

- 2,07 %

Dont titre 3 - Dépenses de fonctionnement

25 738 000

35 788 064

10 050 064

+ 39,05 %

24 280 000

23 446 064

-833 936

- 3,43 %

Dont titre 5 - Dépenses d'investissement

970 000

1 235 000

265 000

+ 27,32 %

970 000

1 280 000

310 000

+ 31,96 %

Dont titre 6 -Dépenses d'intervention

50 000

50 000

0

0

50 000

50 000

0

0

Source : commission des lois à partir des données du projet annuel de performances 2019

Cette hausse des crédits est destinée à financer la création de 15 emplois supplémentaires de catégories A et A + , à plafond d'emplois constant depuis 2010, dans le cadre de la poursuite de la politique de revalorisation des emplois et d'adaptation des compétences à l'évolution des juridictions financières.

Évolution des catégories d'emplois du programme 164
(en ETPT)

Catégorie d'emplois

Plafond autorisé
pour 2014

Plafond autorisé
pour 2015

Plafond autorisé
pour 2016

Plafond autorisé
pour 2017

Plafond autorisé
pour 2018

Plafond demandé
pour 2019

Variation

2018/2019

Catégories
A + et A

1 200

1 263

1 275

1 285

1 295

1 295

0

Catégorie B

350

317

311

305

303

303

0

Catégorie C

290

260

254

250

242

242

0

TOTAL

1 840

1 840

1 840

1 840

1 840

1 840

0

Source : commission des lois à partir des données du projet annuel de performances 2019

En 2017, alors que le plafond était fixé à 1 840 équivalents temps plein travaillé (ETPT), seuls 1 763 ETPT ont été employés. L'exécution du titre 2 a été caractérisée par la création de 49 emplois en 2017, en rattrapage des recrutements non réalisés lors des exercices précédents, en raison du gel des recrutements intervenu en 2015 , dans la perspective de la réforme de la carte des juridictions financières, afin de favoriser le reclassement des agents concernés.

Consommation des dépenses du titre 2 et du plafond d'emplois pour l'année 2017

LFI 2017

Exécution 2017

Taux de réalisation

Titre 2 en millions d'euros

188,51

187,37

99%

Plafond d'emplois en ETPT

1 840

1 763

96%

Source : services de la Cour des comptes

Pour l'exercice 2018, le taux d'exécution prévisionnel devrait dépasser 99 %. Cette prévision intègre une consommation prévisionnelle des emplois à hauteur de 1 774 ETPT, soit une augmentation de 8 ETPT par rapport à la réalisation 2017.

L'objectif, comme l'a souligné le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, lors de son audition par votre rapporteur, est d' atteindre le plafond d'emplois de 1 840 ETPT à l'horizon 2022 , comme le prévoit la loi n° 2018-32 du 22 janvier 2018 de programmation des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Comme l'an dernier, lors de leur audition, les représentants des magistrats de la Cour des comptes ont fait part à votre rapporteur de leurs inquiétudes concernant la démographie du corps des magistrats de la Cour, du fait de la répartition actuelle des recrutements au tour extérieur qui représentent plus de postes de conseillers maîtres que de postes de conseillers référendaires, entraînant par là même un blocage de l'avancement des conseillers référendaires et un vieillissement du corps .

La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a créé deux nouveaux emplois de conseiller référendaire chaque année : tout d'abord, un rapporteur extérieur en fonction à la Cour depuis plus de trois ans est désormais nommé chaque année conseiller référendaire, après examen des candidatures par une commission ; en outre, le nombre de magistrats de CRTC pouvant être nommés dans le grade de conseiller référendaire à la Cour a été porté de un à deux par an.

Ces modifications, appliquées depuis 2017, ont eu pour objet de rééquilibrer le corps des magistrats de la Cour et de renforcer ses effectifs du milieu de carrière.

Cependant, cette mesure apparaît insuffisante pour inverser la proportion, alors même qu'une réduction du nombre de conseillers maîtres permettrait, selon les représentants des magistrats de la Cour, d'atteindre le plafond d'emplois de 1 840 ETPT avec l'enveloppe budgétaire actuelle.

Pour résoudre ce problème, votre rapporteur réitère le souhait qu'il avait formulé dans son précédent avis de voir une réflexion engagée pour inverser la proportion des recrutements au tour extérieur de conseillers maîtres et de conseillers référendaires .

2. Des crédits hors titre 2 qui ne couvrent que les dépenses contraintes de fonctionnement des juridictions

Hors titre 2 , avec 24,78 millions d'euros, les crédits de paiement diminuent de 2,07 % en raison d'une mesure de périmètre liée au débasage des loyers budgétaires, représentant 523 936 euros, soit l'exacte différence entre les crédits hors titre 2 prévus en loi de finances pour 2018 et les crédits hors titre 2 prévus en loi de finances pour 2019. Mise à part cette mesure, donc, les crédits hors titre 2 sont stables en 2019 par rapport à 2018.

La hausse de plus de 10 millions d'euros en autorisations d'engagement par rapport à la loi de finances pour 2018 s'explique par le renouvellement des baux pluriannuels de plusieurs chambres régionales et territoriales des comptes (CRC de Corse, CRTC Antilles-Guyane et CRC Pays de la Loire). Ces renouvellements de baux impliquent une importante consommation d'autorisations d'engagement en 2019 mais n'ont pas d'incidence sur la consommation des crédits de paiement.

Une grande partie des dépenses hors titre 2 sont des dépenses contraintes , liées aux activités de contrôle, comme les frais de déplacement des personnels de contrôle et les marchés d'expertise dans le cadre des missions de certification des comptes de l'État, du régime général de la sécurité sociale et des comptes locaux.

Les efforts déjà réalisés et la politique d'optimisation des achats dans lesquels les juridictions financières sont engagés depuis plusieurs années afin de participer activement à la maîtrise des dépenses publiques ne permettent plus d'envisager des économies supplémentaires sans porter atteinte aux conditions d'exercice des missions de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes .

Dès lors, le caractère dynamique des dépenses liées à la mise en oeuvre des missions de contrôle des juridictions financières , qui ne peut être contenu sans remettre en cause l'exercice même de ces missions, impose un effort de maîtrise des autres composantes de dépenses afin de respecter la stabilité de l'enveloppe globale.

Ainsi, au sein du poste « informatique et télécommunications », qui représente 4,75 millions d'euros en crédits de paiement, une part significative des crédits (3,97 millions d'euros) est constituée d'un socle de dépenses incompressibles et directement liées à l'exercice des missions des juridictions financières, en particulier le maintien en condition opérationnelle des équipements informatiques.

Il ne reste donc que 0,78 million d'euros consacrés aux projets de transformation et d'adaptation des systèmes d'information des juridictions financières.

Or, comme l'ont souligné les personnes entendues par votre rapporteur dans le cadre de ses travaux, le développement de projets informatiques revêt un enjeu crucial pour le fonctionnement de la Cour et des chambres régionales et territoriales des comptes . Ces projets doivent prendre en compte les évolutions liées à la dématérialisation des contrôles et des échanges, les besoins en matière de pilotage des travaux des juridictions financières et les outils d'aide au contrôle, les contraintes induites par certaines évolutions réglementaires et les impératifs de sécurisation des systèmes d'information.

3. Une inquiétude concernant l'application à la Cour des comptes de mesures de régulation budgétaire

Pour 2019, comme c'était le cas entre 2006 et 2017, votre rapporteur tient à rappeler la nécessité de préserver l'indépendance de la Cour des comptes, en garantissant qu'aucune mise en réserve de précaution en début de gestion n'affectera les crédits ouverts au titre du programme 164.

Les principes internationaux prévoient en effet que le bon fonctionnement des institutions supérieures de contrôle (ISC) suppose que les contrôleurs des finances publiques disposent « de l'indépendance fonctionnelle et organisationnelle nécessaire à l'exécution de leur mandat » 10 ( * ) .

Cette indépendance fonctionnelle s'entend comme le fait de « disposer des ressources humaines, matérielles et financières nécessaires et raisonnables ». À ce titre, « les pouvoirs exécutifs ne doivent pas contrôler ni encadrer l'accès à ces ressources. Les ISC gèrent leur propre budget et peuvent l'affecter de la manière qu'elles jugent appropriée. Le Parlement est chargé de veiller à ce que les ISC disposent des ressources nécessaires pour remplir leur mandat. Les ISC ont le droit de faire appel directement au Parlement lorsque les ressources fournies sont insuffisantes pour leur permettre de remplir leur mandat » 11 ( * ) .

Or, la dispense de mise en réserve de crédits en début d'exercice, qui s'appliquait à la Cour des comptes depuis 2005 a été mise à mal en 2017 et 2018 même si le programme 164 a finalement bénéficié de la levée de la réserve de précaution en début de gestion en 2017 comme en 2018.

S'agissant de l'exercice 2017, ces décisions de levée de la réserve sont intervenues les 10 et 25 janvier 2017, pour respectivement les crédits hors titre 2 et les crédits du titre 2. Pour l'exercice 2018, la levée de la réserve de précaution est intervenue le 9 mars 2018 à la suite d'un courrier du ministre de l'action et des comptes publics, qui confirme le principe de l'exemption dont bénéficie la Cour en raison de son indépendance et de son statut.

Par ailleurs, en application des mêmes principes internationaux, la Cour ne peut être soumise à des mesures de régulation budgétaire en cours de gestion qu'avec son accord. Au cours de l'année 2017, elle a accepté que le programme 164 fasse l'objet d'une annulation de crédits d'un montant de 5,4 millions d'euros en autorisations d'engagement et 1,4 million d'euros en crédits de paiement (uniquement sur le hors titre 2) au titre de la contribution des juridictions financières à l'équilibre du schéma d'ouvertures et d'annulations de crédits du décret d'avance n° 2017-1182 du 20 juillet 2017 et du décret d'avance n° 2017-1639 du 30 novembre 2017.

Pour l'exercice 2019, votre rapporteur invite le Gouvernement à ne pas remettre en cause ces conditions d'exécution du budget des juridictions financières .

Il estime également nécessaire qu'une réflexion soit menée pour consacrer expressément dans les règles budgétaires cette dispense de mise en réserve de précaution des crédits en début de gestion 12 ( * ) ainsi que l'obligation de recueillir l'accord de la Cour avant toute mesure d'annulation des crédits ouverts en loi de finances initiale .

B. DES JURIDICTIONS FINANCIÈRES AU MAXIMUM DE LEURS CAPACITÉS À MOYENS CONSTANTS

Au cours des années récentes, les juridictions financières ont vu leurs missions se multiplier alors même que le plafond d'emplois, fixé à 1 840 ETPT, n'a pas évolué depuis 2010.

Comme l'a relevé le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, lors de son entretien avec votre rapporteur, les juridictions financières sont sous-dotées en effectifs au regard du périmètre de leurs missions par rapport aux institutions supérieures de contrôle étrangères équivalentes.

1. Des missions toujours plus nombreuses dévolues aux juridictions financières
a) L'expérimentation de certification des comptes des collectivités territoriales

Pour n'évoquer que les réformes les plus récentes, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) a prévu un dispositif d'expérimentation de certification des comptes de collectivités territoriales , conduite par la Cour des comptes, en liaison avec les chambres régionales des comptes. Ce dispositif, prévu pour durer jusqu'en 2023, est destiné à assurer la régularité, la sincérité et la fidélité des comptes des collectivités territoriales volontaires 13 ( * ) .

Par arrêté du 6 décembre 2016, une fois connue la liste des collectivités expérimentatrices fixée par les ministres, le Premier président de la Cour des comptes a créé une formation inter-juridictions permanente (FIJ), commune à la Cour des comptes et aux chambres régionales des comptes, sur le fondement de l'article L. 141-13 du code des juridictions financières. Cette structure est chargée de conduire l'expérimentation. La FIJ examine l'ensemble des travaux conduits dans le cadre de cette expérimentation et en assure l'homogénéité.

Conformément à la loi du 7 août 2015, une convention a été conclue par le Premier président de la Cour des comptes avec l'autorité exécutive de chaque entité expérimentatrice. La signature de ces conventions a été échelonnée jusqu'à la fin du 1 er semestre 2017. Elles sont toutes identiques. Ces conventions définissent l'objet de l'intervention de la Cour des comptes de 2017 à 2020, en fixent les modalités de mise en oeuvre, le calendrier de réalisation et les moyens dédiés. Elles renvoient à un avenant pour la période 2020-2022.

Il a ainsi été convenu que l'expérimentation comprendrait deux périodes :

- une première période, allant de 2017 jusqu'à mi-2020, durant laquelle les juridictions financières accompagneront, à titre gratuit, les collectivités expérimentatrices dans une démarche progressive d'évaluation de la fiabilité de leurs états financiers ;

- une seconde période, de mi-2020 à 2023, de réalisation de certifications expérimentales sur les comptes des exercices 2020, 2021 et 2022. Le cadre et les modalités de ces certifications seront définis par un cahier des charges, compte tenu des enseignements tirés des constatations faites lors de l'accompagnement mis en oeuvre dans la première période.

Jusqu'à l'été 2016, les moyens humains consacrés à l'expérimentation ont été de 2 ETPT par an. À partir de la fin 2016, lorsque la liste des collectivités expérimentatrices a été arrêtée, et plus encore en 2017, l'impact budgétaire a augmenté : 15 ETPT et 0,11 million d'euros pour 2017, Cour et CRC confondues. Ces moyens humains et budgétaires ont été dégagés par des redéploiements internes, ce qui implique que l'équivalent de ces 15 ETPT n'a pas participé aux autres missions des juridictions financières afin de se consacrer à l'expérimentation. La situation devrait être la même en 2018 et 2019.

Comme prévu par la loi NOTRe, un bilan intermédiaire sera réalisé fin 2018 puis un bilan final en 2023. La Cour des comptes aura finalisé avant la fin de l'année 2018 ses observations qui devront accompagner le rapport que le Gouvernement transmettra au Parlement, ainsi que les observations des collectivités territoriales et des groupements concernés.

Sans anticiper sur ce premier bilan, à la suite des auditions et déplacements qu'il a réalisés dans le cadre de la préparation du présent avis, votre rapporteur estime qu'envisager une généralisation de ce dispositif aurait un impact extrêmement lourd sur les juridictions financières .

Comme l'a souligné M. Pierre Van Herzele, président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, dans laquelle votre rapporteur s'est rendu, ce dispositif devrait être limité aux collectivités territoriales les plus importantes. Par ailleurs, les chambres ne pouvant pas certifier directement les comptes de l'ensemble de ces grandes collectivités, une réflexion pourrait être engagée pour confier cette mission aux commissaires aux comptes, qui interviennent déjà auprès des universités et des grands hôpitaux par exemple, sous le contrôle de la Cour des comptes.

b) Le contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux et des établissements de santé privés

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a étendu les compétences de contrôle des juridictions financières à l'ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESMS), y compris de droit privé .

L'intervention des juridictions financières dans le secteur médico-social était jusqu'ici limitée au seul secteur public ou associatif financé par le biais de subventions publiques, ce qui ne permettait pas d'avoir une vision d'ensemble des activités du secteur. Il s'agit donc d'une avancée significative, portant sur un ensemble d'organismes hétérogènes, difficilement comparables entre eux et s'adressant à des publics très divers.

Ces compétences sont partagées entre la Cour des comptes et les CRTC. Le champ à couvrir à ce titre est important, tant en termes de montants financiers que de nombre de structures à contrôler et de variété des publics concernés et des services rendus.

Cette réforme concerne potentiellement plusieurs dizaines de milliers d'établissements supplémentaires (38 000 dont 36 000 ESMS et 2 000 établissements privés) tant pour la Cour des comptes que pour les chambres régionales et territoriales des comptes.

La stratégie et les méthodes de contrôle pour réaliser cette mission - à moyens constants - ont été déterminées en 2017 et les premiers contrôles ont été conduits dans la foulée. En 2018, environ 30 contrôles ont été effectués.

En tout état de cause, compte tenu du champ de ce dispositif, il sera impossible pour les juridictions financières de contrôler plus de quelques structures par an. Si ce contrôle était amené à se développer, il faudrait envisager une hausse substantielle du plafond d'emplois et des crédits du titre 2 du présent programme.

D'autres textes, adoptés en 2018, ont confié à la Cour des compétences nouvelles, qui seront mises en oeuvre dans les années à venir.

La loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 a confié à la Cour des comptes le contrôle des comptes et de la gestion des personnes concourant à l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 ayant leur siège en France et bénéficiant à ce titre, s'agissant des personnes morales de droit privé, d'un financement public. Conformément à la loi, un premier rapport sur l'organisation des jeux olympiques et paralympiques de 2024 sera remis au Parlement en 2022. Le périmètre et les modalités concrètes de réalisation de cette mission nouvelle, notamment la stratégie et les méthodes de contrôles, restent à préciser.

La loi n° 2018-727 du 10 août 2018 pour un État au service d'une société de confiance prévoit l'évaluation comptable et financière, deux ans après leur entrée en vigueur, d'un certain nombre de dispositifs de simplification fiscale et d'incitation à la régularisation . Là encore, il conviendra, dans les prochains mois, d'arrêter les conditions dans lesquelles ces évaluations seront conduites.

Comme l'a relevé votre rapporteur, plus haut, à propos des juridictions administratives, le fonctionnement de ces juridictions est mis en péril par l'absence d'évaluation sérieuse de l'impact des nouvelles missions confiées sur leur activité et l'absence d'allocation de moyens suffisants pour y faire face.

c) Le recours accru aux formations inter-juridictions (FIJ)

Les compétences des formations communes à la Cour et aux chambres régionales et territoriales des comptes, ou communes à plusieurs chambres régionales et territoriales des comptes, sont définies à l'article L. 141-13 du code des juridictions financières. Elles coordonnent ou conduisent les travaux dont elles ont la charge, délibèrent sur leurs résultats, et enfin adoptent la synthèse ainsi que les suites à leur donner, qui prennent le plus souvent la forme d'un rapport publié. Ces compétences ne portent jamais sur les missions juridictionnelles de la Cour et des chambres régionales et territoriales.

Elles ont une durée de vie limitée au temps nécessaire à la réalisation de leurs travaux. Une fois leur rapport publié, un arrêté du Premier président constate leur suppression.

Trois d'entre elles ont, cependant un caractère permanent : les formations communes « Outre-mer », « Fonction publique » et « Finances publiques locales ». Cette dernière est chargée de préparer le rapport annuel relatif à la situation financière et la gestion des collectivités territoriales et de leurs établissements publics. L'expérimentation de la certification des comptes des collectivités territoriales prend également la forme d'une FIJ.

Au 1 er septembre 2018, 20 FIJ étaient en cours. Les thèmes des enquêtes diligentées par ces formations sont très variés. Les enquêtes récentes ont porté notamment sur les services publics d'assainissement non collectifs, les opérations funéraires ou les stations thermales d'Occitanie.

Selon la Cour des comptes, grâce à cette procédure, les juridictions financières sont en mesure de répondre dans un délai beaucoup plus court aux demandes d'enquête, émanant du Parlement et du Gouvernement, qui concernent à la fois le champ de compétence de la Cour et celui des CRTC.

Selon les représentants de l'association des présidents de chambres régionales des comptes, entendus par votre rapporteur, ces structures sont très efficaces et présentent l'avantage de porter un regard transversal, là où les chambres régionales et territoriales des comptes ne peuvent avoir qu'une vision géographiquement limitée à leur ressort.

Cependant, les magistrats qui participent à ces formations sont nommés par arrêté du Premier président sur proposition des présidents des chambres auxquelles ils appartiennent. Ils continuent à exercer, en parallèle, les missions de contrôle engagées pour le compte de leur juridiction d'appartenance.

Selon les représentants du syndicat des juridictions financières unifié, entendus par votre rapporteur, ces travaux transversaux absorbent les moyens humains des chambres régionales et territoriales des comptes au détriment de leurs missions de contrôle budgétaire et pèsent lourdement sur la programmation des travaux de ces juridictions.

2. Des juridictions à court de ressources pour absorber ce surcroît d'activité

Avant de demander un renfort de moyens, les juridictions financières ont commencé par réformer leur organisation interne.

À cet égard, la carte des juridictions financières a subi d'importantes restructurations ces dernières années. Dans un premier temps, la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l'allègement de certaines procédures juridictionnelles a fixé à quinze le nombre de chambres régionales des comptes pour la métropole (contre vingt-deux par le passé), auxquelles s'ajoutaient cinq chambres territoriales des comptes dans les collectivités situées outre-mer. Dans un second temps, la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral et le décret n° 2015-1199 du 30 septembre 2015 modifiant les dispositions relatives au siège et au ressort des chambres régionales des comptes, a réduit ce nombre de quinze à treize.

De façon générale, la réforme de l'organisation sur le territoire métropolitain des CRC s'est déroulée dans un calendrier et une enveloppe maîtrisés. Le coût total des opérations de regroupement s'est établi à 5,76 millions d'euros : 2,89 millions d'euros au titre des travaux et des aménagements (hors titre 2) et 2,87 millions d'euros au titre des indemnités de mobilité (titre 2), financés à budget constant des juridictions financières. Compte tenu des économies réalisées par ailleurs (économies de loyers notamment), l'opération globale sera amortie sur une durée d'un peu plus de cinq ans.

Bien que les ressorts des chambres régionales des comptes aient été substantiellement élargis, cette réforme a permis de renforcer les capacités d'action des juridictions financières, désormais mieux dotées en personnels de contrôle, de moderniser leurs conditions de travail et de faire des économies d'échelle sur les fonctions support. Un bilan de cette réforme devrait être dressé en 2019 dans le cadre du rapport public annuel sur les finances publiques locales de la Cour des comptes.

En tout état de cause, comme l'a fait valoir le Premier président de la Cour des comptes, M. Didier Migaud, lors de son audition par votre rapporteur, toutes les économies possibles et toutes les mutualisations ont désormais été réalisées. Il est impossible pour les juridictions financières d'aller au-delà.

Il résulte de cette situation une « priorisation » des travaux , qui se traduit, comme l'a souligné le président de la chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté, M. Pierre Van Herzele, par le fait que les programmes de contrôle doivent devenir de plus en plus fins et permettre une concentration des contrôles sur les situations qui présentent le plus de risques .

Pour d'autres personnes rencontrées par votre rapporteur, comme les représentants du syndicat des juridictions financières unifié, la multiplication des missions confiées aux juridictions financières produit un véritable effet d'éviction sur les missions traditionnelles des juridictions financières, et en particulier sur le contrôle budgétaire.

Cette situation est d'autant plus problématique que les chambres régionales et territoriales des comptes sont de plus en plus le dernier repère des collectivités territoriales, dans un contexte de reconcentration du réseau des trésoreries et de recul du contrôle de légalité par les services de l'État 14 ( * ) .

*

* *

Au bénéfice de ces observations, votre commission a donné un avis favorable à l'adoption des crédits du programme 165 « Conseil d'État et autres juridictions administratives » et du programme 164 « Cour des comptes et autres juridictions financières » de la mission « Conseil et contrôle de l'État », inscrits au projet de loi de finances pour 2019.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET DES DÉPLACEMENTS

Auditions programme Conseil d'État et autres juridictions administratives

Conseil d'État

M. David Moreau , secrétaire général adjoint

M. Jean-Noël Bruschini , directeur de la prospective et des finances

Syndicat de la juridiction administrative

M. Robin Mulot , président

Mme Suzie Jaouën , secrétaire générale

Union syndicale des magistrats administratifs

M. Ivan Pertuy , président

Mme Ophélie Thielen , secrétaire générale

Auditions programme Cour des comptes et autres juridictions financières

Cour des comptes

M. Didier Migaud , Premier président

M. Xavier Lefort , secrétaire général

Association des présidents et vice-présidents des chambres régionales des comptes

Mme Marie-Christine Dokhélar , présidente

M. Frédéric Advielle , vice-président

Syndicat des juridictions financières unifié

M. Yves Roquelet , président

M. Nicolas Billebaud , premier vice-président

Mme Lucille Lejeune , secrétaire générale

Association des magistrats de la Cour des comptes

M. Vincent Feller , vice-président

M. Yannick Cabaret , membre de l'association

Déplacements

Cour nationale du droit d'asile (lundi 22 octobre 2018)

Tribunal administratif de Dijon (vendredi 26 octobre 2018)

Chambre régionale des comptes Bourgogne-Franche-Comté (vendredi 26 octobre 2018)


* 1 Le compte rendu de cette réunion est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/lois.html

* 2 Ratio affaires réglées / affaires enregistrées.

* 3 La Cour organise des vidéo-audiences hebdomadaires avec la Guyane depuis 2014, avec Mayotte depuis juin 2015, ainsi que, depuis le premier semestre 2016, avec la Guadeloupe et la Martinique.

* 4 Les données nettes excluent les affaires dites de « séries », c'est-à-dire celles qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelle appréciation ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 5 Hors affaires liées au découpage cantonal.

* 6 Les affaires de séries sont les affaires qui présentent à juger en droit, sans appeler de nouvelles appréciations ou qualification des faits, une question qui a déjà fait l'objet d'une décision juridictionnelle.

* 7 Contentieux fiscal, contentieux de l'urbanisme, contentieux des dommages de travaux publics...

* 8 Ainsi les magistrats doivent notamment assister, le cas échéant en assurant leur présidence, aux commissions départementales des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, aux commissions des recours du Conseil supérieur de la fonction publique de l'État, aux commissions de déontologie, aux commissions d'expulsion, aux jurys d'entrée dans un centre régional de formation professionnelle des avocats, aux réunions des différents ordres, médecins, pharmaciens, infirmiers, sages-femmes, etc .

* 9 13 chambres régionales des comptes et 5 chambres territoriales des comptes situées outre-mer.

* 10 Déclarations de Lima d'octobre 1977 et de Mexico de novembre 2007 de l'Organisation internationale des institutions supérieures de contrôle des finances publiques - INTOSAI.

* 11 Déclarations précitées.

* 12 Cette dispense découlait, comme pour le Conseil d'État, d'une lettre du Premier ministre datant de 2005.

* 13 50 collectivités se sont portées candidates et 48 candidatures ont été déclarées recevables. Après avis du Premier président de la Cour des comptes, les ministres chargés des comptes publics et des collectivités territoriales ont fixé la liste des collectivités expérimentatrices par arrêté du 16 novembre 2016. Cette liste compte 25 collectivités et groupements. Toutes les régions métropolitaines et deux régions ultramarines (la Guadeloupe et La Réunion) comptent au moins une collectivité expérimentatrice. De plus, à la seule exception des communautés urbaines, chaque catégorie de collectivités territoriales et de groupements est concernée (région, département, commune, communauté d'agglomération, communauté de communes, métropole, syndicat).

* 14 Voir le rapport public annuel 2016 de la Cour des comptes : Le contrôle de légalité et le contrôle budgétaire : une place a` trouver dans la nouvelle organisation de l'État . Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.ccomptes.fr/sites/default/files/EzPublish/10-controle-legalite-et-budgetaire-RPA2016-Tome-1.pdf .

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