EXAMEN EN COMMISSION

Au cours de sa réunion du 20 novembre 2019, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, sous la présidence de M. Christian Cambon, président, a procédé à l'examen des crédits du programme 152 - Gendarmerie nationale - de la mission « Sécurités » inscrits dans le projet de loi de finances pour 2020.

M. Philippe Paul, co-rapporteur des crédits de la gendarmerie . -Cette année encore, le budget de la gendarmerie nationale nous paraît préoccupant à plus d'un titre. Certes, le Général Lizurey nous a présenté la situation sous un jour plutôt positif, conformément à l' « esprit gendarmerie », qui est de chercher à remplir la mission le mieux possible avec les moyens disponibles. Pour notre part, nous ne sommes pas tenus par la même réserve ! Si les crédits de paiement du programme augmentent de 1,7 % par rapport au PLF 2019, cette augmentation provient essentiellement d'une hausse des dépenses de personnel de 2,5 %. Rappelons que le Président de la République a annoncé la création de 10 000 emplois sur la période 2018-2022 au sein des forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la gendarmerie nationale bénéficie de 527 emplois au titre de 2020. Du fait de cette augmentation, les dépenses de personnel représentent désormais presque 86 % des crédits du programme. Avec un tel ratio, les effets des gels budgétaires sont particulièrement handicapants puisqu'ils impactent d'autant plus fortement les crédits de fonctionnement et d'investissement. Concernant justement ces crédits de fonctionnement, ils stagnent encore cette année. Je rappelle qu'entre 2006 et 2019, les dépenses autres que de personnel de la gendarmerie ont déjà connu une baisse de 6,5 %, pendant que les dépenses de personnel ont augmenté de 35 % ! Le budget de fonctionnement prévu au PLF 2020 permettra ainsi seulement de reconduire les dotations de fonctionnement courant des unités, les loyers de droit commun, le maintien en condition opérationnelle des systèmes d'information et de communication et des hélicoptères, ainsi que l'équipement des unités. Il n'y aura aucune amélioration des moyens dont disposent des gendarmes pour accomplir leurs missions quotidiennes. S'agissant par ailleurs de la réserve opérationnelle, désormais essentielle au fonctionnement quotidien de la gendarmerie, le constat est le même. Il y avait déjà eu de grandes difficultés en 2019. En 2020, il est prévu une réduction de 28 millions d'euros des crédits, ramenés de 98,7 M€ à 70,7 M€. Cette diminution va nécessairement peser sur les capacités opérationnelles. Je laisserai mon collègue Yannick Vaugrenard évoquer plus en détail la faiblesse tout aussi inquiétante des crédits d'investissement, notamment en ce qui concerne les véhicules légers. En effet, sur ce plan également, on est loin du compte avec seulement 1 600 nouveaux véhicules prévus en 2020. Pour ma part, je souhaite évoquer certains résultats de ces « ateliers d'idéation » qui ont permis au cours de l'année 2019 à la gendarmerie de réfléchir à son avenir avec l'appui de 1 500 réservistes citoyens. Le premier atelier portait sur le thème : « dégager des marges nouvelles pour investir ». L'une des propositions qui s'en est dégagée est assez radicale : « contracter significativement le maillage territorial par regroupements d'unités et fermer les brigades de moins de 10 gendarmes ». C'est en fait un sujet qui « est dans l'air » depuis plusieurs années à cause de la baisse des crédits destinés à l'entretien du parc immobilier, réductions qui font désormais craindre des fermetures de locaux pour des raisons de sécurité ou de salubrité. Une telle contraction du maillage territorial permettrait certes peut-être d'obtenir une meilleure rationalisation des moyens. Toutefois, elle signifierait surtout un recul des services publics de proximité, qui semble particulièrement peu pertinent dans le contexte actuel ! Relancer la fonction contact dans les brigades, comme l'a souvent évoqué le Directeur général, c'est une bonne chose, mais encore faut-il qu'il reste des brigades ! L'une des pistes alternatives envisagées pour maintenir une certaine présence territoriale tout en réalisant des économies est de s'appuyer sur la création des maisons « France service », dont 300 doivent ouvrir d'ici janvier 2020. Il s'agirait ainsi de profiter de la densité du maillage des brigades de gendarmerie et des plages horaires larges des gendarmes qui y travaillent pour y installer d'autres services publics. Dans l'esprit de ceux qui la soutiennent, une telle démarche permettrait de mieux rentabiliser la présence d'emprises foncières gendarmiques parfois sous-employées. Pour intéressante qu'elle paraisse, cette solution marquerait une forme de renoncement devant les efforts à fournir pour maintenir le maillage territorial qui fait la spécificité de cette force de sécurité en zone rurale et périurbaine. Il existe en effet une autre possibilité, celle défendue par le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de police et de gendarmerie de nos collègues Michel Boutant et François Grosdidier : un renforcement des moyens planifié de manière pluriannuelle, via une nouvelle loi de programmation de la sécurité intérieure. La gendarmerie nationale se trouve ainsi en quelque sorte à la croisée des chemins : Soit les prochaines années verront une forte remise en cause de son modèle territorial, en partie compensée par des efforts drastiques de mutualisation avec d'autres services de l'Etat ; soit la Nation décide d'un effort d'ampleur en faveur du service public de la sécurité afin de remettre à niveau l'ensemble des moyens matériels sur lesquels s'appuient la gendarmerie nationale (et la police nationale) - pour remplir leurs missions au service de nos concitoyens. En conclusion, compte tenu de la nette insuffisance des crédits prévus pour le fonctionnement et l'investissement, je vous propose de donner un avis défavorable au programme « Gendarmerie nationale ». Je vous remercie et je passe la parole à Yannick Vaugrenard.

M. Yannick Vaugrenard, co-rapporteur des crédits de la gendarmerie . - Je souhaite commencer mon intervention en soulignant les conditions de travail difficiles auxquelles sont de plus en plus souvent confrontés les gendarmes. Ainsi, au 30 juin 2019, la gendarmerie enregistre par rapport au 30 juin 2018 une augmentation de +11,5 % des agressions physiques ; une augmentation de +3,7 % du nombre de blessés à la suite d'agressions armées et une augmentation de 11,4 % du nombre de blessés à la suite d'agressions sans arme. Ces augmentations sont inquiétantes et doivent être condamnées fermement. Nous savons que la gendarmerie a eu affaire à forte partie au cours des deux années passées en matière de maintien de l'ordre. Certaines mesures ont été prises. Ainsi, en 2019, la direction générale de la gendarmerie nationale, la direction générale de la police nationale et la préfecture de police se sont réunies pour élaborer un schéma national de maintien de l'ordre (SNMO), sur la base des enseignements tirés des engagements des derniers mois, avec notamment un accent mis sur la formation des unités spécialisées comme des unités territoriales. Ce travail crucial toujours en cours doit absolument aboutir à un cadre juridique clarifié, adapté à la diversité des situations rencontrées. Autre sujet d'inquiétude pour les gendarmes, la réforme des retraites. En effet, alors qu'il était entendu qu'ils seraient traités comme les autres militaires, donc dans une logique statutaire, une déclaration récente du Président de la République a pu faire craindre que ce ne soit pas le cas. Le général Lizurey a indiqué pour sa part lors de son audition qu'il n'y avait pas d'inquiétude particulière à avoir sur ce sujet. Nous devrons en tout cas rester vigilants sur ce point. Par ailleurs, nous devons certes nous féliciter que le nombre de gendarmes augmente encore en 2020 avec 527 postes créés dans le cadre du plan mis en oeuvre depuis 2017. Toutefois, il faut noter que les gendarmes n'ont pas apprécié que sur les 10 000 postes créés, seulement 2 500 le soient pour la gendarmerie nationale. Une telle différence de traitement ne semble pas vraiment justifiée. En outre, augmenter les effectifs n'a de sens que si les équipements, les matériels et les véhicules permettent à ces nouveaux militaires d'exercer leurs missions. Avec la stagnation des moyens de fonctionnement et la diminution des crédits d'investissement, cela ne sera malheureusement pas le cas. Enfin, mon collègue ayant plus longuement évoqué les crédits de fonctionnement, je souhaiterais évoquer la situation de l'investissement. Alors que la situation n'était déjà pas brillante l'année dernière, on observe encore une diminution de ces crédits, puisque l'on passe de 174 millions d'euros en 2019, montant déjà en forte baisse par rapport à l'année précédente, à 165 millions d'euros dans le PLF 2020. Arrêtons-nous par exemple sur la situation du parc automobile de la gendarmerie. Au 1er janvier 2019, la gendarmerie nationale dispose de 30 350 véhicules dont 26 992 véhicules opérationnels. Le parc automobile présente un âge moyen de 7 ans et un kilométrage moyen de 110 000 km. Le parc deux-roues a un âge moyen de 5,7 ans et un kilométrage de 57 000 km. Un léger rajeunissement du parc a certes pu être constaté depuis 2018 grâce à la sortie prioritaire des véhicules atteignant les critères de réforme. Cela reste toutefois nettement insuffisant. De l'aveu même du ministère, le remplacement idéal serait de de 2 800 véhicules par an, soit environ 60 M€. En réalité, sur la période 2010-2019, en moyenne annuelle, environ 2 000 véhicules ont été acquis. En 2019, l'année en cours, on est à environ 1 950 véhicules. Loin de redresser la barre, au sein du PLF 2020, le budget consacré au renouvellement du parc de véhicules est de 43,6 M€, ne permettant que l'acquisition de 1 550 véhicules légers et 48 véhicules de commandement et de transmission pour la gendarmerie mobile. C'est évidemment très nettement insuffisant, d'autant que les habituels gels de crédit risquent de nous faire descendre bien en-dessous de ces 1 550 véhicules prévus ! J'en viens à présent à la question des investissements immobiliers. Le rapport de la commission d'enquête sur l'état des forces de sécurité évaluait à environ 300 millions d'euros la dépense annuelle nécessaire pour entretenir un parc domanial tel que celui de la gendarmerie nationale selon les standards généralement admis. Les services du ministère eux-mêmes confirment cette évaluation qui recouvre deux aspects : 200 M€ seraient dédiés à la reconstruction de casernes et aux réhabilitations et restructurations de grande envergure ; 100 M€ seraient destinés aux travaux de maintenance. Or, qu'observe-t-on au sein du PLF 2020 ? Le plan de réhabilitation du parc immobilier domanial de la gendarmerie est certes poursuivi, mais avec des crédits en baisse. Ainsi, un montant d'engagements de seulement 83,1 millions, contre 90 M€ en 2019, est prévu. Même en y ajoutant les 15 millions d'euros prévus pour continuer à sécuriser les casernes, c'est 3 fois moins que ce qui serait nécessaire ! Comme nous l'ont clairement dit les membres du Conseil de la fonction militaire gendarmerie (CFMG), le moral des gendarmes est profondément affecté par l'état de l'immobilier, par les conditions dans lesquelles vivent leurs familles. Dans les casernes, les problèmes de sécurité, les fuites d'eau, les pannes d'ascenseurs sont permanentes. À Nantes, le GIGN a été forcé de réinvestir de vieux locaux qui doivent être vendus. Les travaux sont attendus depuis 2016. Devant la dégradation de la situation, une généralisation de la location est désormais évoquée. Ça ne serait sans doute pas de la très bonne gestion à long terme : mieux vaudrait faire l'effort d'investissement nécessaire et gérer le parc domanial, comme on dit traditionnellement en bon père de famille ! Au total, il ne me paraît pas acceptable que nos gendarmes soient nettement moins bien traités que leurs homologues des pays comparables à la France, comme c'est malheureusement le cas. En conséquence, je vous propose de donner un avis défavorable aux crédits du programme « Gendarmerie nationale ».

Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Qu'en est-il du problème des dotations en carburant insuffisantes ? Par ailleurs, les maisons France Service intégrant les brigades de gendarmerie, ce n'est pas une bonne idée : il y aurait une perte de sécurité et d'image. C'est un peu la « foir'fouille » !

M. René Danesi . - En matière de renseignement territorial, la gendarmerie a des capteurs dans tous les milieux. Pourtant, le projet de loi de finances pour 2020 ne prévoit aucun crédit pour former des gendarmes aux langues étrangères ! Seuls 20 gendarmes connaissent l'arabe littéraire. Il faut absolument développer une politique de formation en ce domaine, au profit, en particulier, du renseignement gendarmique !

Mme Sylvie Goy-Chavent . - Je partage l'avis de Mme Pérol-Dumont sur ces « supérettes » avec gendarmerie incluse. C'est aberrant. Concernant les moyens, j'ai auditionné des gendarmes des services de renseignement au cours des travaux de la commission d'enquête sur le suivi de la menace terroriste : ils paient l'addition avec leur propre argent lorsqu'ils invitent des gens à déjeuner dans le cadre de leur travail !

M. Richard Yung . - Je ne partage pas ces sentiments très pessimistes. Les crédits augmentent de 3 % après des années de baisse ; on est à presque 10 milliards d'euros de crédits et il y aura 527 postes en plus. Il y a eu d'importants projets en matière informatique, comme NéoGend. Sur l'immobilier, c'est vrai que la situation est difficile, mais on ne peut pas tout faire ! Je voterai pour ces crédits.

Mme Gisèle Jourda . - La question du maillage territorial dans le rural et l'hyperruralité est très inquiétante. Des brigades sont parfois supprimées alors même que leurs locaux ne sont pas vétustes. On a besoin des gendarmes dans les territoires de montagne. Il faudrait certes une représentation territoriale plus efficiente, mais sans oublier les territoires reculés.

M. Jean-Pierre Grand . - Le problème de l'immobilier est gérable pour les maires avec de la volonté et les bonnes informations. Il est crucial que nous soyons informés des projets de redéploiements autrement qu'au détour d'une visite ministérielle. La gendarmerie, ce sont des postes avancés de la République sur les territoires, cela a une dimension préventive. Il faut donc que nous soyons informés sur les modifications de la carte des implantations dans nos territoires.

M. Christian Cambon, président . - En petite couronne, toutes les petites gendarmeries ont été supprimées d'un trait de plume. Or elles étaient essentielles. Dans ma commune, les six gendarmes de la brigade se mêlaient à la population et avaient un rôle préventif. En outre le patrimoine de l'arme a été souvent bradé !

M. François Patriat . - Certes il y a eu des contractions de moyens, et des problèmes d'immobilier. Cela ne date pas d'hier. Aujourd'hui la gendarmerie est beaucoup plus visible sur le terrain et les gendarmes disent qu'ils ont des moyens pour cela. Les personnels augmentent. Ce n'est pas le nirvana, mais c'est mieux que par le passé : je voterai ces crédits.

M. Philippe Paul, co-rapporteur . - Le budget n'augmente que parce qu'il y a des recrutements. Les investissements, eux, diminuent. Pour les véhicules, certains craignent que moins de 700 seront acquis en 2021 ! Pour le carburant, les gendarmes disent qu'ils ne sont pas là pour faire des kilomètres. Certes, mais pour le GIGN, il n'y a pas de carburant pour les vols d'essai... Nous avons reçu le groupe de contact du Conseil de la formation militaire gendarmerie (CFMG) : ils nous ont indiqué qu'il y avait un bon coin des pièces détachées spécialement pour les gendarmes ! Pour ce qui est du maillage territorial, aucun plan n'est encore arrêté, mais il y a des propositions pour supprimer les brigades de moins de 10 gendarmes. Concernant les maisons France Service, bientôt on demandera au brigadier un paquet de nouilles après avoir porté plainte... Pour l'immobilier, les gendarmes se tournent actuellement vers les mairies. Mais les communes ne sont pas riches. On tourne donc vers les Conseils régionaux !

M. Yannick Vaugrenard, co-rapporteur . - Nous devrons effectivement creuser cette question des gendarmes qui utilisent leurs propres ressources dans le cadre de leurs missions. Lorsqu'il y a redéploiement, il est en effet indispensable que les élus locaux en soient informés pour qu'une co-décision puisse être élaborée. Je suis d'accord avec Richard Yung et François Patriat sur un point : les problèmes ne datent pas d'hier. Mais le phénomène des gilets jaunes, et une telle violence à l'encontre des forces de sécurité, cela nous ne l'avions jamais connu. La reconnaissance est donc encore plus nécessaire aujourd'hui qu'hier. Une enquête d'opinion auprès de plus de 13 000 gendarmes a montré que 60 % ne sont pas satisfaits de l'état de leur logement. 80 % des casernes ont plus de 50 ans. Dès lors qu'il y a davantage de postes, il devrait y avoir plus de moyens de fonctionnement et d'investissement. Le ministère dit lui-même qu'il faudrait au moins 2 800 véhicules supplémentaires chaque année ! Ce n'est pas un problème politicien. En outre, les véhicules blindés à roues de la gendarmerie ont plus de 45 ans de moyenne d'âge ! Les efforts à faire sont considérables. Enfin, il y a eu 33 suicides depuis le 1er janvier dernier, contre 14 sur la même période en 2010. Il y a donc un malaise qui doit être pris en compte. Nous souhaitons alerter le Gouvernement par ce vote négatif.

Les crédits du programme 152 « Gendarmerie nationale » sont rejetés par la commission, les quatre membres du groupe LREM s'étant prononcés en faveur des crédits et deux sénateurs s'étant abstenus.

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