EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 20 novembre 2019, sous la présidence de M. Alain Milon, président, la commission procède à l'examen du rapport pour avis de Mme Corinne Imbert sur la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2020.

Mme Corinne Imbert , rapporteur pour avis de la mission « Santé » . - Les crédits de la mission « Santé » s'établiront, en 2020, à un peu plus d'un milliard d'euros, en diminution de 19,5 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2019.

Le programme 204, relatif à la prévention, à la sécurité sanitaire et à l'offre de soins, est en effet concerné par d'importantes modifications de périmètre qui le conduisent à enregistrer une baisse de ses crédits de 58 %. Les dotations de l'ANSM et de Santé publique France sont ainsi transférées à l'assurance maladie dans le cadre du PLFSS pour 2020.

La mission « Santé » se trouve désormais confrontée à une véritable crise existentielle. Le basculement vers l'assurance maladie du financement de la plupart des agences responsables de notre politique sanitaire pose la question de la pertinence d'un programme 204 qui ne comprend plus, comme opérateur à part entière, que l'INCa. Or ce dernier a lui-même vocation à voir ses moyens reportés à terme sur le budget de l'assurance maladie.

Dans ces conditions, le programme 204 ne devrait plus comprendre que des crédits épars dont la cohérence reste discutable et qui pourraient eux-mêmes faire l'objet de transferts vers d'autres programmes du budget de l'État ou vers différentes branches de la sécurité sociale. Je pense notamment aux crédits en faveur d'associations oeuvrant à la prévention des addictions qui pourraient être transférés à la Mildeca ou au fonds de lutte contre les addictions liées aux substances psychoactives géré par la CNAM.

Je souhaiterais m'attarder un instant sur la situation financière des comités de protection des personnes (CPP). Conformément aux engagements pris par la ministre des solidarités et de la santé à l'automne dernier, devant l'Assemblée nationale, lors de l'examen de la proposition de loi relative à la désignation aléatoire des CPP, les moyens des CPP s'établiront, dans le PLF pour 2020, à quatre millions d'euros, soit 700 000 euros supplémentaires en rebasage par rapport à 2019.

Cette augmentation pérenne bienvenue des moyens des CPP ne permettra toutefois pas de porter à 1,5 le nombre d'ETP dans les secrétariats des CPP. Ils permettront en effet le financement de 14 ETP supplémentaires alors que les CPP sont au nombre de 39. Or certains CPP continuent de ne pas pouvoir fonctionner en été en raison des congés de leur secrétariat.

Par ailleurs, plus d'un an après le vote l'automne dernier d'une PPL en ce sens, je regrette que la modulation du tirage au sort des CPP, selon leur disponibilité et leur expertise, ne soit toujours pas opérationnelle.

Le portail devant permettre cette modulation ne sera en effet pas déployé avant la fin 2019. En attendant, notre pays perd du terrain en matière d'attractivité pour la réalisation d'essais cliniques.

J'en viens aux crédits du programme 183 « Protection maladie ». Pour 2020, il est prévu de consacrer un peu plus de 934 millions d'euros au financement de l'AME, un montant inchangé par rapport à 2019.

Sur le plan de la sincérité budgétaire, reconnaissons que la dépense d'AME est de mieux en mieux maîtrisée. Les projections du Gouvernement se fondent sur une hypothèse globale de stabilisation du nombre de bénéficiaires en 2019 et 2020. Compte tenu du renforcement de la lutte contre l'immigration illégale, l'hypothèse d'un reflux du nombre de bénéficiaires à moyen terme n'est d'ailleurs pas à exclure.

Les trois CPAM centralisant l'examen des demandes d'AME, à Paris, Bobigny et Marseille, organisation qui sera enfin effective à la fin de l'année, auront en effet prochainement accès à l'outil « Visabio » qui leur permettra, en complément de leurs échanges avec les consulats, de mieux identifier les demandes frauduleuses formulées par des personnes disposant d'un visa touristique.

Nous pouvons également nous féliciter du déploiement d'un programme ambitieux de contrôle, défini en concertation avec l'assurance maladie, qui ciblera non seulement les multi-hébergeurs de personnes en situation irrégulière mais également le phénomène de « méga-consommation » de médicaments. À cet égard, tant les prescripteurs qui s'écartent de la moyenne des prescriptions, notamment de produits détournés comme stupéfiants, que les « méga-consommants », feront l'objet d'actions coordonnées en vue de leur meilleure identification. Le ciblage des « méga-consommants » a fait ses preuves dans d'autres pays pour le démantèlement de filières de revente d'opiacés.

La question de la refonte du dispositif de l'AME a cristallisé le débat engagé cet automne par le Gouvernement sur la réforme de la politique migratoire. La commission des finances du Sénat n'a pas manqué de saisir cette occasion pour redéposer des amendements tendant à restreindre sensiblement les conditions d'accès à l'AME, en allant même plus loin : elle souhaite d'abord réinstaurer, à compter du 1er janvier 2021, un droit de timbre annuel pour l'accès à l'AME.

Elle entend ensuite remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence (AMU) et limiter le panier de soins pris en charge par cette aide, au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive. Elle compte en outre soumettre la prise en charge des soins non urgents ou non vitaux à l'accord préalable de l'une des trois CPAM assurant l'instruction des dossiers d'AME. Enfin, elle souhaite minorer les crédits du programme 183 de 300 millions d'euros.

Je ne vous surprendrai pas par mon opposition à l'ensemble de ces amendements, sur un sujet aussi grave que l'état de santé de personnes particulièrement vulnérables. Le droit de timbre a déjà été expérimenté et a montré son inefficacité. Faute d'accès aux soins de prévention, les personnes en situation irrégulière se présentent en effet aux urgences avec une prise en charge dont le coût sera aggravé par leur état de santé dégradé et pèsera en définitive sur les finances des hôpitaux.

Nous ne pouvons que déplorer les affirmations entendues dans la période récente selon lesquelles l'AME serait détournée pour la prise en charge de soins de confort.

Dans son rapport d'octobre 2019, une mission des corps d'inspection mandatée par le Gouvernement a indiqué qu'il s'agissait « du milliard le plus scruté du budget de l'État ». Elle a rappelé que le panier de soins couvert par l'AME est « réduit par rapport à celui des assurés sociaux » et exclut les médicaments à faible service médical rendu, les médicaments princeps pour lesquels un générique existe, la procréation médicalement assistée et les cures thermales.

Cette même mission exclut une réduction du panier de soins de l'AME, la jugeant peu pertinente tant d'un point de vue de santé publique qu'au regard de l'objectif de maîtrise de la dépense. Le retrait de certains médicaments pourrait « constituer un risque de santé publique et aboutir à la prescription de médicaments plus chers ou à l'aggravation de l'état de santé des personnes concernées ».

Afin d'endiguer le phénomène du tourisme médical, la mission propose toutefois de conditionner la dispensation de certains soins programmés non essentiels à une durée de séjour supérieure à un an, soit au moins neuf mois après l'ouverture des droits à l'AME. Les soins concernés pourraient inclure la chirurgie orthopédique non traumatique, la chirurgie du cristallin et la chirurgie bariatrique. Le Gouvernement semble vouloir aller dans ce sens, ce qui peut soulever, à mon sens, quelques inquiétudes légitimes.

Nous devons en effet rester très prudents sur le conditionnement de l'accès à certains soins pour les bénéficiaires de l'AME. Il me semble indispensable de préserver la marge d'appréciation des soignants dans l'évaluation des besoins de chaque patient. Seule l'équipe soignante est en capacité de pouvoir définir le parcours de soins le plus pertinent pour un patient. Par exemple, si la plupart des opérations de la cataracte n'engagent pas le pronostic vital du patient, certaines situations peuvent malgré tout justifier une intervention dans des délais plus brefs.

Par conséquent, si le Gouvernement décide d'instituer un délai d'ancienneté dans le dispositif de l'AME pour bénéficier de certains soins, il me semble capital que des mécanismes d'entente préalable soient mis en place entre l'assurance maladie et l'équipe médicale afin que l'accès aux soins puisse toujours être ouvert, lorsque l'examen clinique le justifie, même si la condition d'ancienneté n'est pas remplie.

Telles sont les principales observations que je souhaitais formuler sur la mission « Santé » du PLF pour 2020 et qui me conduisent à proposer un avis favorable aux crédits de la mission.

M. Alain Milon , président . - Je partage l'analyse de notre rapporteure sur cette mission, en particulier s'agissant de la sécurisation du dispositif de l'AME.

Mme Véronique Guillotin . - Merci pour ce rapport, qui ouvre des perspectives. Quel serait l'intérêt de vider cette mission de son contenu en le transférant à la sécurité sociale ?

J'abonde dans le sens de la rapporteure s'agissant des CPP. Je veux d'ailleurs rendre hommage à Catherine Deroche pour la proposition de loi résultant de notre rapport d'information sur l'accès aux médicaments innovants. Restons attentifs à ce sujet majeur.

Sur l'AME, je partage également sa position. Ne revenons pas sur l'équilibre qui a été trouvé, qui protège les bénéficiaires de l'AME, leur entourage, et en définitive la santé publique, tout en épargnant à l'hôpital une importante charge de travail. Plus prosaïquement, ce n'est pas aux services d'urgences de vérifier si les gens bénéficient ou non de l'AME.

Mme Laurence Cohen . - Merci pour ce rapport très détaillé. Les rapporteurs qui se sont succédé ce matin ont manifesté un esprit très critique mais leur conclusion est toujours décevante, car leurs propos plaideraient plutôt chaque fois pour un vote défavorable !

La baisse de 20 %, soit environ 25 millions, est liée au transfert du financement de l'Agence nationale de santé publique (ANSP) vers la sécurité sociale. Cela concerne aussi l'AME, inscrite au programme 183, et les actions de prévention du programme 204. Je m'inquiète des effets du délai de carence de trois mois imposé aux demandeurs d'asile pour bénéficier d'une protection maladie : cela risque d'avoir des conséquences sur la santé publique, alors que les coûts réels de cette prise en charge sont tout à fait modiques. Bref, c'est une aberration médicale, autant qu'économique et sociale.

Ce transfert ne risque-t-il pas d'avoir aussi une incidence sur la politique menée en matière de prévention ?

Ne contribue-t-il pas, en outre, à baisser artificiellement les charges sur le budget de l'État, puisqu'elles reposeront sur celui de la sécurité sociale ? Nous avons observé un phénomène analogue en examinant le projet de loi de financement de la sécurité sociale.

M. Michel Amiel . - Je rejoins également la rapporteure sur le programme 183 : son objectif est de soigner les gens en grande détresse sanitaire et dont la dégradation de l'état de santé pourrait générer des dégâts importants en termes de santé publique. Les dépenses de ce programme sont passées, grosso modo, de 500 à près de 900 millions d'euros. Les abus existent, mais ils sont marginaux. D'ailleurs, le fait de les combattre, en identifiant les filières et les cas de tourisme médical, revient à protéger le dispositif en rappelant ce pour quoi il est fait.

M. Bernard Jomier . - Sur le programme 204, je souscris aux propos tenus par la rapporteure. Je ne trouverais pas bon que le budget de l'État en matière de santé finisse par se résumer à l'AME. Ce serait un contre-signal politique total.

Le transfert du financement de l'ANSP vers l'assurance maladie suscite, partout où j'en ai entendu parler, une incompréhension si grande que je me demande comment l'Assemblée nationale a pu le voter.

Sur le programme 183, je voudrais dénoncer la mise en scène à laquelle nous avons assisté, qui a commencé par la dénonciation de la fraude. Le secrétaire général du parti présidentiel nous a tout de même expliqué que des femmes se faisaient poser des prothèses mammaires aux frais de l'AME, avant de se rétracter.

De vraies fausses nouvelles ont ainsi été versées au débat public dans un objectif politique. La mise en scène a continué avec le rapport de l'IGAS et de l'IGF sur la réalité de la fraude : nous allions voir ce que nous allions voir ! Et nous avons vu... Il faut être sérieux : le rapport montre que la fraude à l'AME existe, mais qu'elle est trois fois inférieure à la fraude à l'assurance maladie. La fraude est marginale, et se limite à quelques filières organisées. Si l'on me demande d'enrayer la fraude et de lutter contre les filières organisées, je signe sans réserve. Mais instrumentaliser la fraude pour empêcher d'honnêtes personnes d'accéder à un dispositif auquel ils ont droit, ça, c'est inacceptable.

Sur le délai de carence, distinguons le droit formel du droit réel. Le droit formel proposé consiste en un délai de trois mois de carence pour bénéficier de l'AME. Dans la réalité, c'est beaucoup plus long, ceux qui ont rempli un dossier d'AME - ils sont concentrés à Paris, Bobigny et dans les Bouches-du-Rhône - le savent : il faut six à neuf mois pour faire ouvrir les droits ! Pendant ce temps, les malades vont se faire soigner à l'hôpital ou en ville. Un bénéficiaire de l'AME qui suit un traitement chronique subit en outre des ruptures de prise en charge. Si j'ai bien compris, le Gouvernement justifie les trois mois de carence par la symétrie avec nos compatriotes revenant de l'étranger. Espérons que ce sera le droit réel ; nous en reparlerons dans deux ans. Mais, de fait, l'ingéniosité administrative empêche le droit de s'appliquer.

Je défends pour ma part la position de l'Académie de médecine et du Défenseur des droits : pour appliquer le droit commun, exercer les contrôles nécessaires et faire en sorte que les personnes soient soignées, il faut fondre ce régime dans celui de l'Assurance maladie. Pour le coup, ce serait un bon transfert.

Mme Élisabeth Doineau . - Je remercie la rapporteure pour ce rapport. Je la rejoins sur l'AME : il faut absolument préserver la population. Je regrette également que les crédits partent du côté de l'assurance maladie : c'est un mauvais signal donné à la population.

Je défendrai un amendement sur la maladie de Lyme - vous savez que le sujet me tient à coeur. La prévention et la recherche nécessitent des crédits supplémentaires et la mobilisation des professeurs et des médecins. Les malade sont en errance et continuent de souffrir, privés de solution.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Le périmètre de ce programme 204, qui ne contient plus guère que l'AME, me préoccupe également. Faut-il intégrer l'AME au PLFSS ? C'est une question qui mérite d'être posée.

Je partage les propos des orateurs précédents, notamment ceux de Michel Amiel et Bernard Jomier, et je remercie la rapporteure et le président de mettre un terme à ce faux débat, porté quasiment tous les ans par certains de nos collègues, notamment de la commission des finances, sous de faux prétextes d'économies chaque année démentis par les faits ! Heureusement que les médecins ont une déontologie qui passe avant les considérations budgétaires, et qui est l'honneur de notre pays.

Le vrai problème est de savoir comment nous traiterons les personnes atteintes de maladies chroniques, qui repartent et reviennent avec des visas touristiques... Ce dernier est parfois difficile à obtenir, car on sait pourquoi ils viennent. On ne peut cependant pas les laisser tomber ! J'ai déjà réussi à obtenir plusieurs fois du préfet une certaine mansuétude pour que des personnes ne pouvant être soignées dans leur pays d'origine continuent à l'être dans le nôtre. Ce n'est pas du tourisme, mais tout simplement un devoir de solidarité et d'humanité ! Aussi suis-je heureux que la commission prenne cette position.

Mme Corinne Imbert . - Madame Guillotin, le Gouvernement prétend que l'effort de prévention sera rendu plus lisible par le transfert à l'assurance maladie de certaines agences. Je crains l'effet inverse, comme nombre d'entre vous apparemment. D'autant que le Gouvernement a des objectifs ambitieux en matière d'éradication de certaines pathologies : l'hépatite C en 2025, le Sida en 2030... Il y faut un effort d'investissement lisible pour y parvenir.

La proposition de loi que vous avez déposée vise à désengorger les CPP. Le tirage au sort conduit en effet à un flux constant de dossiers, les secrétariats sont engorgés, et ne peuvent tenir les délais, ce qui pénalise l'action médicale et la recherche. Il est regrettable que les crédits nécessaires pour tenir les délais n'aient pas été alloués aux CPP.

Madame Cohen, les annonces du Gouvernement ne se traduisent pas dans les crédits du programme 183, qui affiche toujours, comme en 2019, 934 millions d'euros. Elles ne font que lancer une polémique détestable. Il est prévu que le nombre de bénéficiaires augmente légèrement, comme celui des contrôles. Il y a quelques années, les crédits étaient plus faibles et nous étions quelques-uns à les trouver insuffisants : ils sont désormais à la hauteur de la dépense nécessaire.

Si transfert il devait y avoir, mieux vaudrait, selon moi, que ce soit sur la mission « Solidarité » plutôt qu'à l'assurance maladie, car les bénéficiaires de l'AME n'ont pas cotisé à l'assurance maladie : la politique qui leur est destinée est bel et bien d'ordre humanitaire.

Monsieur Amiel, les personnes qui entrent avec un visa touristique sont en situation régulière, mais il ne faudrait pas que les détournements de procédure portent atteinte à l'objectif même de l'AME. Les CPAM vont encourager les contrôles ; faisons également confiance aux soignants. Lorsque les droits à l'AME ne sont pas ouverts, les soins d'urgence peuvent toujours être pris en charge. Depuis 2010, 40 millions d'euros de participation de l'État aux soins urgents sont prévus à cet effet. La dépense est toutefois supérieure, et l'État ne l'assume en réalité qu'à hauteur de 50 % environ - un peu plus ou un peu moins selon les années.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Santé » du projet de loi de finances pour 2020.

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