B. UNE RÉFORME DÉLICATE

La question de la refonte du dispositif de l'AME a cristallisé le débat engagé cet automne par le Gouvernement sur la réforme de la politique migratoire. La commission des finances du Sénat a ainsi adopté, à l'initiative de notre collègue Alain Joyandet, trois amendements tendant à restreindre sensiblement les conditions d'accès à l'AME en prévoyant :

- de réinstaurer, à compter du 1 er janvier 2021, un droit de timbre annuel pour l'accès à l'AME et renvoie la fixation de son montant à un décret ;

- de remplacer l'AME par une aide médicale d'urgence (AMU) et de limiter le panier de soins pris en charge par cette aide au traitement des maladies graves et des douleurs aiguës, aux soins liés à la grossesse et ses suites, aux vaccinations réglementaires et aux examens de médecine préventive ;

- de soumettre la prise en charge des soins non urgents ou non vitaux à l'accord préalable de l'une des trois CPAM assurant l'instruction des dossiers d'AME ;

- de minorer, en conséquence, les crédits du programme 183 de 300 millions d'euros.

1. Une réduction du panier de soins de l'AME peu pertinente tant d'un point de vue économique qu'au regard de la santé publique

Votre commission s'est opposée de manière constante à l'institution d'un droit de timbre qui viendrait entraver l'accès aux soins de personnes majoritairement isolées et en situation financière très précaire. En outre, elle rappelle que le pouvoir réglementaire conserve la possibilité de prévoir une participation financière du bénéficiaire pour certains soins.

Par ailleurs, elle rappelle que l'AME répond à une logique humanitaire de prise en charge de personnes vulnérables dont la dégradation de l'état de santé représentera des charges supplémentaires que devront assumer, en tout état de cause, les hôpitaux et donc la collectivité. Il est, par ailleurs, dans l'intérêt de la santé de la population générale de permettre aux personnes les plus éloignées du système de santé d'accéder aux soins et examens permettant de prévenir des pathologies aux conséquences potentiellement graves, en particulier les maladies infectieuses.

Votre commission déplore les affirmations selon lesquelles l'AME serait détournée pour la prise en charge de soins de confort. Dans son rapport d'octobre 2019 11 ( * ) , la mission IGAS-IGF rappelle que le panier de soins couvert par l'AME est « réduit par rapport à celui des assurés sociaux » et exclut les médicaments à faible service médical rendu, les médicaments princeps pour lesquels un générique existe, la procréation médicalement assistée et les cures thermales. Les interventions cosmétiques et de chirurgie esthétique ne sont bien entendu pas prises en charge par l'AME, pas plus qu'elles ne le sont pour les assurés sociaux.

La mission IGAS-IGF exclut une réduction du panier de soins de l'AME , la jugeant peu pertinente tant d'un point de vue de santé publique qu'au regard de l'objectif de maîtrise de la dépense. Elle souligne ainsi que le retrait de certains médicaments « pourrait constituer un risque de santé publique et aboutir à la prescription de médicaments plus chers ou à l'aggravation de l'état de santé des personnes concernées ». Elle n'est pas plus convaincue par l'utilité de la réinstauration d'un droit d'entrée, en rappelant qu'à la suite de la mise en place d'un droit de timbre de 30 euros en 2011, la faible baisse de la dépense d'AME (- 2,5 %) avait été plus que compensée par une forte hausse de dépense de soins urgents (+ 33,3 %). L'expérience montre, comme le rappelle la mission, que le droit de timbre est inopérant dans les situations de prise en charge à l'hôpital puisque les établissements ont tendance à se substituer aux patients dans le paiement du droit d'entrée afin de pouvoir facturer les soins.

2. Privilégier une sécurisation du dispositif par un renforcement des contrôles

Les préconisations de la mission IGAS-IGF privilégient le renforcement de la lutte contre la fraude , notamment par un meilleur partage des informations entre l'assurance maladie, le ministère de l'intérieur et le ministère des affaires étrangères afin de repérer plus facilement les demandeurs disposant en réalité d'un visa touristique.

Dans le souci d'endiguer le phénomène du tourisme médical , la mission propose de conditionner la dispensation de certains soins programmés non-essentiels à une durée de séjour supérieure à un an , soit au moins neuf mois après l'ouverture des droits à l'AME. Les soins concernés pourraient inclure la chirurgie orthopédique non traumatique, la chirurgie du cristallin et la chirurgie bariatrique.

Dans cette logique, l'Assemblée nationale a introduit, à la faveur d'un amendement du Gouvernement, un article 78 duodecies dans le projet de loi de finances pour 2020 visant à conditionner la prise en charge de certaines prestations programmées et non urgentes des bénéficiaires majeurs de l'AME à un délai d'ancienneté de bénéfice de cette aide . Un sous-amendement de notre collègue député Jean-François Eliaou (LREM) est venu préciser que ce délai d'ancienneté dans le dispositif ne pouvait excéder neuf mois. Un décret en Conseil d'État viendra définir les frais concernés, le délai d'ancienneté et les conditions de mise en oeuvre de ces nouvelles dispositions.

Deux autres sous-amendements à l'amendement du Gouvernement ont été adoptés afin de prévoir que :

- l'obligation de comparution physique en CPAM pour le dépôt d'une demande d'AME ou de dépôt auprès de l'établissement de santé de prise en charge ne vaut que pour la première demande. Dans un souci de maximisation de l'accès aux droits, les demandes de renouvellement pourront également être déposées auprès d'un centre communal ou intercommunal d'action sociale, de services sanitaires et sociaux du département ou des associations ou organismes agréés à cet effet ;

- les associations ou organismes agréés par l'État dans le département apporteront leur concours aux intéressés dans leurs démarches de demande d'AME.

La disposition introduite par l'Assemblée nationale prévoit que la prise en charge pourra être accordée avant l'expiration du délai d'ancienneté pour des prestations dont la non-réalisation pourrait avoir des conséquences vitales ou graves et durables sur l'état de santé de la personne, après accord préalable du service du contrôle médicale de la CPAM. Votre commission insiste sur la nécessité de ménager pour les soignants une marge d'appréciation au cas par cas afin de tenir compte de l'état de santé du patient. À titre d'exemple, si la plupart des opérations de la cataracte n'engagent pas le pronostic vital du patient, certaines situations peuvent justifier une intervention dans des délais plus rapprochés. En cas d'institution d'un délai d'ancienneté dans le dispositif de l'AME pour bénéficier de certains soins, votre commission souscrit à la mise en place de mécanismes d'entente préalable entre l'assurance maladie et l'équipe soignante afin que l'accès aux soins soit ouvert avant l'expiration de ce délai lorsque l'examen clinique le justifie .

La mission IGAS-IGF écarte, par ailleurs, l'extension de l'AME aux demandeurs d'asile qui bénéficient aujourd'hui de la protection universelle maladie (PUMa), en cohérence avec la position constante de votre commission. Ces deux dispositifs ne sauraient en effet être fusionnés dès lors qu'ils poursuivent des logiques distinctes . L'AME est censée permettre la prise en charge de personnes en situation de grande précarité et il est légitime, à ce titre, que son financement relève de l'État. En revanche, la PUMa, qui ne s'adresse du reste pas qu'aux demandeurs d'asile, requiert une cotisation maladie subsidiaire.

La mission IGAS-IGF privilégie le maintien de la PUMa, assorti de la mise en place d'un délai de carence de trois mois pour l'ouverture des droits à compter de la date de dépôt de la demande d'asile et d'une réduction de douze à trois mois de la durée de maintien des droits après le rejet de la demande.

Enfin, votre commission souscrit à la proposition de la mission visant à mettre en place une visite de prévention à l'occasion de l'ouverture des droits pour chaque bénéficiaire de l'AME afin de minimiser, par une prise en charge la plus précoce possible, le coût de leurs soins.


* 11 Jean-Yves Latournerie, Jérôme Saulière, Christophe Hemous, Fabienne Bartoli, Francis Fellinger et Jean-Louis Rey, L'aide médicale d'État : diagnostic et propositions, n° 2019-060R (IGAS) et n° 2019-M-039-04 (IGF), octobre 2019.

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