TRAVAUX EN COMMISSION

Examen en commission
(Mercredi 25 novembre 2020)

Réunie le mercredi 25 novembre 2020, la commission a examiné le rapport pour avis sur les crédits relatifs à la mission « Économie » du projet de loi de finances pour 2021.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - La présidente Primas, retenue ce matin dans son département, m'a chargée de vous présenter ses excuses et de conduire notre réunion, au cours de laquelle nous examinerons trois avis budgétaires.

M. Serge Babary , rapporteur pour avis . - L'exercice d'aujourd'hui a ceci de singulier qu'il me conduit à vous présenter les crédits de la mission « Économie » destinés au commerce et à l'artisanat, alors que l'édition 2021 acte leur quasi-disparition. S'il existait jusqu'en 2019 au sein de la mission une action spécifiquement dédiée à ces secteurs, elle a depuis disparu. Ses crédits continuaient tout de même d'exister l'an dernier, en étant répartis sans trop de cohérence dans d'autres actions ; ils sont désormais supprimés.

Pour autant, cela ne signifie pas qu'aucune action n'est menée en faveur de ces secteurs dans le PLF : un plan de relance à destination de l'économie de proximité, certes maigre, est en effet prévu dans la mission « Relance », que je vais détailler après vous avoir exposé les mouvements de la mission « Économie ».

Le PLF pour 2021 acte tout d'abord, au sein de cette mission, la disparition du FISAC. Ce dispositif était jusqu'à présent mis en gestion extinctive, c'est-à-dire que des crédits étaient ouverts uniquement pour assurer les appels d'offres des années passées, sans en prévoir de nouveau. Désormais, plus aucun crédit n'est prévu, alors qu'il s'agit d'un outil de soutien et de protection des services commerciaux et artisanaux de proximité auquel l'ensemble des acteurs de terrain a indiqué être attaché.

Le Gouvernement justifie sa décision en arguant de la compétence économique des régions, de la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires (ANCT) et du programme « Action coeur de ville ». Je conteste cette analyse, pour trois raisons : premièrement, aucun autre dispositif n'est aujourd'hui prêt à prendre sa relève - l'ANCT existe en effet depuis moins d'un an ; deuxièmement, le programme « Action coeur de ville » concerne uniquement les villes moyennes et ne luttera donc pas contre la vacance commerciale en zone rurale ; troisièmement, les régions n'ont pas encore achevé la montée en puissance de leur compétence économique qui, en tout état de cause, est jugée trop éloignée du terrain, selon les acteurs de proximité. Je vous proposerai donc un amendement visant à rétablir les crédits du FISAC en le dotant de 30 millions d'euros. L'urgence de venir au secours du commerce et de l'artisanat dans nos territoires en difficultés n'a jamais été aussi grande.

Deuxièmement, il n'est prévu dans cette mission « Économie » qu'une maigre dotation de 900 000 euros à destination de l'Institut national des métiers d'art (INMA), association d'utilité publique qui se transforme progressivement en Agence française des métiers d'art et du patrimoine vivant. L'an dernier, l'institut avait pu bénéficier de 1,2 million d'euros de subventions. L'objectif du Gouvernement est que l'institut s'autofinance à partir de 2022.

Or la crise actuelle va mécaniquement impacter les ressources de l'INMA, par exemple via l'annulation des salons ou la baisse du mécénat. En outre, une réflexion est toujours en cours sur le traitement fiscal de ces nouvelles ressources, alors que l'INMA est une association reconnue d'utilité publique. Il serait particulièrement dommageable que le projet du Gouvernement entraîne l'assujettissement de ces ressources à la TVA et, potentiellement, la perte du statut associatif. L'objectif d'autofinancement en 2022 est donc, à l'heure actuelle, irréaliste.

Je vous proposerai donc un amendement augmentant de 300 000 euros la dotation versée à l'INMA afin d'assurer son activité l'an prochain.

J'en viens maintenant au plan de relance pour l'économie de proximité, essentiellement retracé dans le programme « Cohésion » de la mission « Relance », que notre collègue Anne Chain-Larché nous a présentée la semaine dernière. Comme nous le savons tous, le commerce de proximité connaît des difficultés structurelles depuis plusieurs années et subit un enchaînement de crises depuis deux ans. Après une perte moyenne de 30 % de leurs ventes durant le mouvement des gilets jaunes, comme l'a montré Evelyne Renaud-Garabedian dans son rapport l'an dernier, les commerçants ont été impactés par les mouvements sociaux fin 2019 et, cette année, ont affronté deux confinements. C'est plusieurs dizaines de milliers de commerces qui pourraient disparaître d'ici fin 2021, entraînant la perte de plusieurs centaines de milliers d'emplois. Les conséquences seront multiples, de l'aggravation de la vacance commerciale à la hausse du chômage. Surtout, c'est un pan de l'économie fait de liens sociaux, de contacts humains, de conseils, qui s'effondre.

Face à ce terrible constat, le Gouvernement prévoit un plan d'environ 200 millions d'euros, uniquement axé sur l'offre. Non seulement le montant ne semble pas encore à la hauteur des enjeux, mais il se décompose en outre en une kyrielle d'actions hétérogènes, chacune dotées de faibles crédits, et parfois même sans que leur présence au sein d'un tel plan ne paraisse évidente...

Le Gouvernement entend ainsi créer 100 foncières afin de rénover des locaux commerciaux et de les louer à un tarif préférentiel. C'est une initiative bienvenue, mais gonflée par un effet d'annonce : en réalité, plus de la moitié de ces foncières existent déjà, dans le cadre d'« Action coeur de ville », et sont financées par la Banque des territoires à hauteur de 200 millions d'euros. Seule une enveloppe supplémentaire de 60 millions d'euros est prévue par le Gouvernement dans ce plan de relance pour que de telles foncières soient créées également en zone rurale, et non uniquement dans les villes moyennes.

Il conviendra de veiller, en tout état de cause, à ce que les plus petites villes, villages ou bourgs aient bien accès à ces foncières, et que les élus de ces territoires les moins dynamiques soient précisément informés de leur fonctionnement ; autrement, seules les communes disposant de moyens techniques et humains suffisants en auront connaissance ou sauront les appréhender. À nouveau, de bonnes intentions pourraient manquer leur cible.

Le plan de relance prévoit également une enveloppe de 40 millions d'euros qui permettra de financer des actions collectives menées par les collectivités en faveur de la revitalisation des centres-villes. Parmi elles figurent, par exemple, le recrutement de managers de centres-villes, l'achat de prestations d'ingénierie numérique, comme des analyses de zone de chalandise, la création de plateformes numériques locales, sur le modèle du site « Achatville » créé par le réseau consulaire ou sur celui de « Ma Ville Mon Shopping », hébergé par La Poste.

Nous le voyons, le Gouvernement souhaite mettre l'accent sur la numérisation des commerces de proximité. Pour autant, avec un plafond de 20 000 euros par action menée, l'enveloppe ne pourra financer au maximum que 2 000 actions : une goutte d'eau dans l'océan des besoins de nos territoires. En outre, alors que la relance du commerce de proximité passe nécessairement par des outils flexibles et adaptables aux diverses réalités des territoires, les modalités de déblocage de ces crédits semblent au contraire particulièrement rigides : le montant de l'aide est fixe, indépendamment de la taille de la commune, de la profondeur de ses besoins ou de son taux de vacance commerciale.

Une enveloppe de 40 millions d'euros est également prévue dans le plan de relance pour des prêts « Croissance TPE » accordés par Bpifrance pour financer des dépenses ayant une faible valeur de gage. Il est pour le moins surprenant de faire figurer cette enveloppe dans le plan de rénovation des commerces de centre-ville : ces prêts bénéficieront en effet à toute TPE éligible, indépendamment de son secteur d'activité, de sa localisation, et sans que la dépense couverte ne concerne spécifiquement la rénovation commerciale. Il semble donc s'agir là d'un effet d'annonce.

Dans l'objectif d'accélérer la numérisation des PME, dont le confinement rappelle l'intérêt en termes de ventes, le Gouvernement a également prélevé à l'Assemblée nationale 60 millions d'euros du Fonds de solidarité pour financer une aide de 500 euros versée aux commerçants ou artisans fermés administrativement et n'ayant aucune présence numérique. L'aide doit permettre de prendre en charge, partiellement, certaines dépenses comme l'achat d'un site internet ou le paiement de l'adhésion à une plateforme de commerce en ligne.

Il semble donc que le Gouvernement ait fini par entendre les demandes répétées du Sénat, qu'il s'agisse de la Délégation aux entreprises ou de notre commission, de traiter le sujet du financement de la transition numérique. Toutes les études montrent que le coût de la formation ou des équipements est un frein massif à cette numérisation. Pour autant, l'aide ne concernera que les entreprises contraintes de fermer, dans la limite de 120 000 entreprises, alors que l'impératif de numérisation touche plus largement toutes nos PME, et singulièrement celles de proximité. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement créant un crédit d'impôt de 50 % à la formation et à l'équipement numérique, utilisable par les PME dans la limite de 10 000 euros par an. Le Sénat l'avait adopté lors de l'examen de la 3 e loi de finances rectificative, contre l'avis du Gouvernement. Or nous ne réussirons cette nécessaire transition que si l'obstacle financier est levé et qu'il existe un instrument fiscal clair à disposition des entrepreneurs.

Je me félicite que le sujet de la numérisation des PME soit devenu central. J'ai donc analysé plus particulièrement l'opérateur principal sur lequel s'appuie le Gouvernement pour promouvoir sa politique en la matière : l'initiative « France Num », créée en 2018. Elle remplit principalement un rôle utile d'intermédiaire en référençant sur son site internet les professionnels du numérique disponibles pour accompagner les petites entreprises, ainsi qu'un rôle de sensibilisation, en publiant de nombreuses vidéos et articles. Pourtant, étonnamment, elle ne contrôle pas de façon approfondie la fiabilité et le sérieux des personnes proposant leurs services ; elle n'assure pas non plus de suivi des actions de numérisation, ce qui ne lui permet pas de mesurer sa propre efficacité. Ces deux lacunes peuvent être particulièrement dommageables, alors que l'on sait que le virage du numérique nécessite une relation de confiance entre la petite entreprise et le professionnel, qui sont par nature dans une relation asymétrique.

Par ailleurs, 11 millions d'euros ont été accordés à « France Num » en loi de finances rectificative pour qu'elle finance des diagnostics et des formations, essentiellement assurés par le réseau consulaire. Pour 2021, 26 millions d'euros supplémentaires sont prévus. Je salue cette initiative, qui montre que la politique de numérisation commence à entrer dans une phase d'intensification.

Malheureusement, toutes ces initiatives risquent de se heurter à un obstacle clé : « France Num » manque fortement de notoriété. Ses campagnes de communication sont diffusées via des supports ou des canaux qui ne sont en réalité familiers que des entrepreneurs déjà informés du sujet : web radio, magazine Frenchweb, salon nationaux ou internationaux, etc. Autrement dit, la communication de « France Num » s'adresse à ceux qui en ont le moins besoin.

Il est donc essentiel de prévoir au contraire une vaste campagne nationale de communication qui utilise les médias grand public, de télévision, de presse et de radio. Je vous proposerai donc un amendement augmentant le budget de « France Num » de 5 millions d'euros, afin de financer cette campagne de communication mais également de mettre en place un dispositif de suivi de ses actions et de mesure de leur efficacité ainsi que de renforcer les contrôles de fiabilité des professionnels qui se référencent sur la plateforme.

Nous le voyons donc, le plan de relance de l'économie de proximité est d'un maigre montant, 200 millions d'euros, et comporte essentiellement des mesures de rénovation des locaux et de numérisation. C'est utile, mais largement insuffisant, alors que les restaurateurs craignent par exemple la disparition des deux tiers d'entre eux, et que leur activité a encore chuté de 60 % en novembre. Les annonces d'hier soir, qui plus est, attestent que cette chute aura également lieu en décembre et, pour partie, en janvier.

Aucune mesure de relance n'est spécifiquement dédiée à ce secteur, de même qu'aucune mesure n'est tournée vers le redémarrage de la consommation, en particulier celle des plus modestes qui ont une propension marginale à consommer plus élevée ! Il est anormal de concentrer la quasi-intégralité de l'enveloppe de relance sur le numérique, aussi utile soit-il, et d'en oublier ces mesures de demande.

Pourtant, une fois la réouverture des restaurants autorisée, c'est bien à un risque d'insuffisance de la demande que ces derniers feront face. Cet été, après le premier confinement, le marché de la restauration n'avait ainsi atteint que 70 % du chiffre d'affaires généré au cours de l'été 2019.

Il n'est pas possible que le secteur le plus sinistré par cette crise ne fasse pas l'objet d'un soutien spécifique, massif, afin de le relancer au plus vite. Au Royaume-Uni, par exemple, l'État a pris en charge en août la moitié des additions des clients des restaurants, dans la limite de 10 livres par repas. La mesure est utile, mais pouvait engendrer des effets d'aubaine car elle n'était pas ciblée sur les plus précaires.

Compte tenu du délai limite de dépôt d'amendement sur la mission « Relance », j'ai donc déposé hier un amendement en mon nom pour que soit créé par l'État, pendant un mois, un dispositif de « chèque restaurant » à destination des ménages les plus modestes (par exemple ceux des trois premiers déciles de revenus).

Ces chèques seraient distribués par les communes volontaires, via par exemple les centres communaux d'action sociale, qui ont une forte légitimité en la matière. Le montant de la mesure est conséquent : 400 millions d'euros ; mais ce n'est rien à côté des pertes subies par les restaurateurs !

N'oublions pas, en outre, que la réouverture se fera pour eux dans des conditions toujours strictes : le nombre de couverts sera diminué et la clientèle étrangère manquera. Il est donc particulièrement important d'envoyer un signal fort à ce secteur, de permettre aux ménages en difficultés financières de partager ces moments de convivialité, et de tirer la sonnette d'alarme auprès du Gouvernement.

Tels sont les éléments que je souhaitais porter à votre connaissance. Je vous proposerai donc un avis favorable aux crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption des quatre amendements relatifs au FISAC, à l'INMA, à « France Num » et au crédit d'impôt.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - La discussion est ouverte.

Mme Évelyne Renaud-Garabedian . - Je félicite le rapporteur pour la qualité de son travail ; la mission « Économie » regroupe en effet de nombreux opérateurs et des sujets hétérogènes. Je souhaiterais avoir votre avis sur le plan de soutien aux entreprises exportatrices, qui comporte entre autres un renforcement de leur accompagnement par Business France, des chèques exports ainsi que des incitations au recrutement. Quel est votre avis sur le fait d'inciter ainsi ces entreprises à prendre des risques dans une période dans laquelle l'accent est au contraire mis sur le soutien aux entreprises qui s'adressent à notre marché national ?

M. Franck Menonville . - Je félicite également le rapporteur pour son travail. Je soutiens l'amendement relatif au FISAC. L'Assemblée nationale a voté le maintien des zones de revitalisation rurale jusqu'au 31 décembre 2022, compte tenu de la crise actuelle. Dans ce même esprit, il est également important de conforter le FISAC sur cette période, afin d'accompagner le commerce de proximité qui est dans une situation catastrophique. La situation est très grave dans de nombreuses villes moyennes et petites communes, où les espaces commerciaux se vident progressivement. Il y aura un avant et un après la crise actuelle : il est donc nécessaire de maintenir le FISAC. Du fait de son activité en 2020, il sera par ailleurs aisé de le proroger.

Mme Florence Blatrix Contat . - Le maintien et le soutien au FISAC est déterminant pour nos territoires, à commencer par les petites communes. Nous soutiendrons donc cet amendement.

Je partage votre avis sur le manque de moyens concernant le commerce de proximité et la manque d'ambition concernant la numérisation des entreprises. Il faut rappeler que le commerce en ligne est passé de 25 milliards d'euros en 2009 à 100 milliards d'euros en 2018, soit une multiplication par quatre. Il est donc très important que les entreprises réussissent leur transition numérique.

En outre, il faut rechercher une plus grande solidarité entre les acteurs. Je rappelle à ce titre que le Sénat a adopté le 21 novembre dernier une taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises de vente à distance. Ce sujet rejoint par ailleurs celui de la « taxe GAFA ».

M. Joël Labbé . - Je salue également la qualité de l'analyse, que je partage. Concernant les chèques restaurants, l'intention est louable, mais je souhaiterais poser une question sur son ciblage. Les plus modestes, en effet, ne vont plus au restaurant. Cette aide ne risque-t-elle pas de bénéficier à McDonald's ?

À ce sujet, il pourrait être intéressant d'entendre les porteurs du projet « sécurité sociale de l'alimentation », ainsi que l'association Solidarité Paysans : ils travaillent à la distribution de bons d'achat pour les plus modestes, ciblés vers la production et l'agriculture de proximité.

M. Fabien Gay . - Je souligne la qualité du rapport. Nous avons des échanges nombreux à ce sujet, avec le rapporteur et d'autres collègues, et nous sommes d'accord sur beaucoup de points. Entre autres, sur le maintien du FISAC ; notre groupe déposera d'ailleurs un amendement similaire.

Nous sommes dans une année exceptionnelle pour les petits commerces et l'artisanat. Or entre mission « Relance » et la mission « Économie », il est difficile de s'y retrouver ! En réalité, le débat politique et budgétaire aura surtout lieu sur le plan de relance, pour lequel 150 amendements ont déjà été déposés.

Concernant le Fonds de solidarité, je constate que du temps aurait été gagné si le Gouvernement avait écouté plus tôt le Sénat. Certains critères nécessitent toujours d'être assouplis : les employeurs, des dizaines de milliers de petits patrons, n'y ont toujours pas droit. Il est inconcevable que le Gouvernement refuse toute condition aux aides aux grands groupes mais soit en mesure, via la technocratie de Bercy, d'inventer de nombreux obstacles qui barrent la route vers les aides aux petits commerces et artisans.

Le débat est ancien entre choc de l'offre et choc de la demande. Je constate que les 10 millions de pauvres sont les grands oubliés du discours du Président de la République. L'aide de 150 euros annoncée il y a maintenant six mois ne résoudra pas la crise : c'est la question de la hausse des salaires et du partage des richesses qui doit être posée.

Enfin, il est nécessaire de prévoir une aide encore plus spécifique pour les bars et restaurants que celle annoncée hier soir. Par ailleurs, quand étudiera-t-on cette mesure ? Dans un cinquième projet de loi de finances rectificative pour 2020 ? Dans un premier projet de loi de finances rectificatives pour 2021 ? Le Parlement est devenu le paillasson de l'exécutif. Les propositions que notre commission formulait ont ainsi été refusées, avant qu'elles ne soient financement appliquées par le Gouvernement quelques jours plus tard, ce que l'on apprenait par communiqué de presse !

Nous sommes donc, potentiellement, en train de voter un budget insincère, et nous interpellerons le Gouvernement sur cette nouvelle mesure.

Mme Anne-Catherine Loisier . - Je salue le travail de notre rapporteur. Je souhaiterais vous interroger sur le travail des chambres de commerce et d'industrie (CCI), et notamment sur celui d'accompagnement à la numérisation : quels outils sont mis en place ? Il sera important qu'il se fasse au plus proche du commerçant ou de l'artisan.

L'enjeu, en tout état de cause, sera de relancer la demande, ce qui nécessite de la confiance ; or le discours, hier, du Président de la République était anxiogène. Comment faire en sorte que les Français disposant d'une épargne accumulée la consomment ? Si elle n'est pas débloquée, les aides risquent de ne pas être suffisantes et dureront plusieurs mois.

M. Jean-Marc Boyer . - L'importance du FISAC a été soulignée par mes collègues ; c'est en effet un outil essentiel.

Concernant l'annonce faite hier par le Président de la République d'une aide de 20 % du chiffre d'affaires des restaurateurs, il m'a été indiqué que l'assiette serait plafonnée à 100 000 euros. Pour un chiffre d'affaires supérieur, l'aide ne pourra donc dépasser 20 000 euros. Une colère sourde monte actuellement parmi les restaurateurs, qui ne comprennent pas pourquoi ils sont maintenus fermés. Ce n'est plus une question d'aide financière, mais de conséquences psychologiques : ils veulent travailler ! Sans annonce les concernant avant le 20 janvier, le mouvement social pourrait être important, et aurait le soutien d'une partie importante de la population.

Le Secours catholique et le Secours populaire nous alertent justement sur les fortes souffrances éprouvées par ceux qui y font appel.

Mme Marie-Christine Chauvin . - Le fait que les restaurants soient fermés pose également d'autres problèmes : les ouvriers du bâtiment et des travaux publics, par exemple, sont obligés de s'entasser dans leur camionnette pour manger ou de manger dehors. En hiver, avec d'aussi basses températures, c'est tout à fait anormal ! Le Gouvernement a certes assoupli les règles en faveur des chauffeurs routiers, mais il convient de ne pas oublier ces autres professions.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente. - Avant de passer la parole à notre rapporteur, je souhaiterais rappeler la phrase exacte prononcée par le chef de l'État hier : « en plus des dispositifs déjà existants, les restaurants, les bars, les salles de sport, les discothèques, tous les établissements qui resteront fermés administrativement se verront versés, quelle que soit leur taille, 20 % de leur chiffre d'affaires de l'année 2019 si cette option est préférable pour eux aux 10 000 euros du Fonds de solidarité ». La nouvelle n'est donc pas forcément excellente : ils devront choisir entre l'un ou l'autre.

On peut se réjouir que les commerces de proximité puissent rouvrir dès le samedi 28 novembre. Mais les restaurants, bars, salles de sport, vont rester fermés encore deux mois, au minimum. De nouveaux protocoles sanitaires sont en discussion, alors que ceux qui avaient permis la réouverture après le premier confinement étaient déjà draconiens (certains ont même décidé de ne pas rouvrir, compte tenu de leur petite taille). Ils auront subi au total six mois de fermeture administrative ! Rien ne dit en outre que les clients seront au rendez-vous lors de la réouverture.

Mme Catherine Fournier . - Se pose aussi la question de savoir quelle sera la capacité d'accueil autorisée... Hier, le discours du Président de la République ne contenait que du négatif. J'ai eu le sentiment d'un propos fermé, comme si nous étions pris au piège. Dans ces conditions, le message ne peut pas passer.

Ma région subit déjà le Brexit, un taux de chômage de 14 %, et les problèmes migratoires. Il faut donc absolument aider ces commerçants et artisans de proximité, qui ne seront pas sauvés par une simple réouverture. En outre, les Français savent bien que lors des vacances, des sports d'hiver, des loisirs, ils n'auront pas de restaurant.

M. Serge Babary , rapporteur pour avis. - Je vous remercie pour l'intérêt que vous portez au rapport.

Concernant la nouvelle aide à destination des restaurants, bars, etc., le Président de la République n'a pas indiqué de plafonnement du chiffre d'affaires pouvant être pris en compte. Les restaurateurs ont donc dû réfléchir, parfois avec angoisse, aux différentes options possibles.

Aujourd'hui, le risque de fermeture est évalué à 60 % : que sera-t-il dans deux mois ? Le risque social est en effet considérable, et les salariés n'ont même pas de visibilité pour leur propre vie personnelle. La fermeture des restaurateurs touche en outre à la culture française, à un certain attachement à la gastronomie. Une déconvenue supplémentaire entraînera des réactions fortes. Nous faisons donc face à un problème grave de communication du Gouvernement, alors que les gens sont à fleur de peau.

Les cas particuliers cités par Mme Chauvin sont exacts : ils nous ont en effet été remontés par la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et la Fédération française du bâtiment (FFB). Les ouvriers sont obligés de se confiner dans l'habitacle du camion, sans masque. Nous avons interpellé les pouvoirs publics sur ce sujet.

Les protocoles des restaurateurs étaient déjà très stricts : on ne pourra pas exiger d'eux d'espacer encore davantage les tables.

L'amendement sur les chèques restaurants concerne la demande : inutile d'ouvrir les magasins s'il n'y a pas de consommation. L'amendement est donc en faveur des restaurateurs, secteur le plus touché, ciblé sur les plus modestes, distribué au plus proche des consommateurs, par exemple par les centres d'action sociale. Ils pourront déterminer les bénéficiaires, ainsi que les restaurants éligibles, pour éviter que les tickets soient utilisés dans les fast-foods de la ville centre. L'objet est donc bien de permettre aux personnes en situation de précarité de partager un moment de convivialité, et de redynamiser ainsi les restaurants.

Concernant la numérisation des PME, il faut savoir qu'un tiers seulement du 1,5 million de petites et moyennes entreprises ont un site internet, tous n'étant pas forcément des sites marchands. C'est une cause nationale, d'autant que beaucoup de chefs d'entreprises ne voient toujours pas l'intérêt de la numérisation.

Les CCI ont développé une plateforme de commerce en ligne, Achatville . Étant décentralisée, cette plateforme n'a pas été mise en place dans chaque département. Nous avons donc eu des contacts avec CCI France et plusieurs CCI de régions afin de les pousser à l'installer. Le réseau consulaire dispense également des formations : 10 000 doivent l'être en 2020. Il faut saluer le travail des CCI et des chambres des métiers et de l'artisanat, alors que les difficultés dépassent désormais la sphère économique et concernent désormais les problématiques humaines. Les CCI sont en première ligne pour prévenir les drames humains. Beaucoup d'indépendants prennent le chemin des « restos du coeur »...

Mon rapport s'est concentré sur les crédits liés au commerce et à l'artisanat, et n'a donc pas abordé le sujet des entreprises à l'international. En revanche, à titre personnel, je me suis intéressé au renforcement de l'aide aux entrepreneurs français à l'étranger. En tout état de cause, les échanges internationaux sont aujourd'hui figés : les exportations, espérons-le, redémarreront en 2021.

EXAMEN DES AMENDEMENTS

Article 33

État B

M. Serge Babary , rapporteur. - L'amendement AFFECO.1 vise à empêcher la disparition du FISAC en le dotant de 30 millions d'euros. C'est en effet un outil efficace et apprécié de l'ensemble des acteurs du terrain. Aucun dispositif ne semble aujourd'hui prêt à prendre réellement sa relève.

L'amendement AFFECO.1 est adopté à l'unanimité.

M. Serge Babary , rapporteur. - L'amendement AFFECO.2 vise à abonder de 5 millions d'euros les fonds de l'initiative « France Num », dans l'objectif de financer une vaste campagne de communication nationale qui cible le grand public, et non uniquement les initiés. Ces fonds permettront également de mettre en place un système de suivi des actions menées grâce à « France Num », afin de disposer d'un retour sur son efficacité.

L'amendement AFFECO.2 est adopté à l'unanimité.

M. Serge Babary , rapporteur. - L'amendement AFFECO.3 entend augmenter la subvention publique versée à l'Institut national des métiers d'art de 300 000 euros supplémentaires. L'objectif de son autofinancement en 2022 semble en effet irréaliste, compte tenu de l'impact de la crise actuelle sur ses ressources propres et sur le mécénat.

L'amendement AFFECO.3 est adopté à l'unanimité.

M. Serge Babary , rapporteur. - L'amendement AFFECO.1 entend créer un crédit d'impôt à la formation et à l'équipement numérique. Dans la limite de 10 000 euros par an, 50 % des dépenses en la matière seraient ainsi prises en charge. Il s'agit de faire entrer la numérisation des PME dans une nouvelle dimension, à la hauteur des enjeux.

L'amendement AFFECO.1 est adopté à l'unanimité.

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous passons à présent à l'examen des crédits « Numérique et postes ». Je cède la parole à Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteur pour avis.

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure pour avis sur les crédits « Numérique et postes » de la mission « Économie » . - Je souhaite au préalable remercier mon collègue Patrick Chaize pour nos échanges sur cette mission. Comme pour l'ensemble du budget cette année, la mission « Économie » est complétée par le plan de relance, qui reprend plusieurs préconisations que nous avions formulées au printemps. Je pense notamment à l'inclusion numérique ou à la numérisation des PME, dont M. Serge Babary vient de parler en détails.

J'ai souhaité cette année concentrer mon avis budgétaires sur trois principaux points, dont deux figuraient dans nos réflexions sur le plan de relance. L'autre point, concernant La Poste, est d'une actualité budgétaire plus récente.

Premier point : le Sénat a semble-t-il enfin été entendu sur le financement des réseaux de télécommunications à usage fixe. Cela faisait plusieurs années que nous plaidions en faveur d'une rallonge budgétaire substantielle pour donner de la visibilité aux acteurs des réseaux sur tout notre territoire. L'année dernière, nous avions plaidé pour 322 millions d'euros supplémentaires. Cette année, en troisième projet de loi de finances rectificative, j'avais obtenu, en lien avec la commission des finances, une rallonge de 30 millions d'euros. Dans le plan de relance, c'est un surplus de 240 millions d'euros qui est dégagé. Au-delà de cette enveloppe, le Gouvernement estime pouvoir « recycler » 280 millions d'autorisations d'engagement non utilisées au préalable. En tout, cela ferait 550 millions d'euros. Ce n'est pas encore les 670 à 680 millions que la filière réclame pour couvrir l'ensemble du territoire, et cette enveloppe sera composée pour une bonne partie de crédits qui ne sont pas nouveaux - puisque, comme je l'ai déjà dit l'année dernière il y a une part de recyclage -, mais c'est déjà un budget conséquent, qui permettra de sortir des errements de ces dernières années. Nous avons d'abord connu une fermeture du guichet « France très haut débit », puis nous avons observé sa réouverture, mais dans des conditions resserrées. Ces 550 millions d'euros donneront lieu à l'établissement d'un nouveau cahier des charges pour le financement des réseaux d'initiative publique. Il conviendra que celui-ci établisse un cadre stable, pérenne, et de nature à traiter les raccordements longs et complexes à venir, pour faciliter les investissements et ne laisser personne au bord du chemin numérique.

Sur le terrain, si la dynamique enclenchée est bien réelle, il y a encore des millions de locaux qui ne sont pas couverts ni en très haut débit ni en fibre optique jusqu'à l'abonné. Le confinement a bridé la dynamique haussière mais heureusement, si l'on suit les premières tendances de l'année, on arrive à des estimations oscillant entre 4,8 et 5 millions de prises installées en 2020, contre 4,8 millions en 2019. Le retard pourrait donc être rattrapé grâce à la mobilisation des entreprises. C'est essentiel car 35 % des locaux restent inéligibles au très haut débit et 48 % des locaux restent inéligibles à la fibre - et c'est 75 % en zone rurale. Nous sommes toujours bons derniers de l'Union européenne sur le très haut débit fixe. En somme, le chemin reste long à parcourir mais le signal envoyé par le projet de budget, à travers le plan de relance, est encourageant.

S'agissant du mobile, la dynamique des déploiements dans le cadre du « New Deal » apparaît vraiment positive si l'on regarde les derniers chiffres : la France est ainsi passée de la 18 e à la 13 e place en Europe et cela devrait encore s'améliorer. Compléter la couverture du territoire en 4G et ne pas prendre de retard sur la 5G sera un véritable défi industriel pour les acteurs des télécommunications. Pour accompagner ce mouvement, je proposerai en séance de parvenir à une fiscalité plus favorable aux déploiements d'antennes mobiles à travers deux amendements : l'un prolongeant le dispositif d'exonération existant en zone de montagne, l'autre - qui est plutôt un amendement d'appel dans l'attente d'un rapport des services de l'État sur le sujet - plafonnant le produit de l'imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux (Ifer) « mobile » à son niveau de 2020. Ainsi, nous préserverions les recettes perçues jusqu'alors par les collectivités locales tout en créant un environnement plus favorable à cette nouvelle vague de déploiements tant attendue.

J'en viens au deuxième point s'agissant de la mission « Économie », qui concerne le financement des missions de service public de La Poste. Année après année, les missions de service public confiées à La Poste sont sous-compensées par l'État. En tout, La Poste estime le déficit non compensé de ces missions de service public à 850 millions d'euros. Dans ces conditions, nous risquons une dégradation des services.

Il en va de même s'agissant de la mission de transport et de distribution de la presse. Sa compensation baisse encore de quelques millions d'euros, sans que La Poste n'ait été consultée. Une mission d'inspection est en cours pour faire des propositions. Nous y serons attentifs.

Cela doit conduire notre commission à mener une réflexion plus globale sur l'ensemble des missions de service public de La Poste, en particulier sur un renouveau du service universel, peut-être plus numérisé et qui réponde davantage aux attentes de nos concitoyens dans les années à venir.

Mais dans ce projet de loi de finances, l'urgence porte sur la mission d'aménagement du territoire. Cette mission de service public qui garantit un maillage territorial fort de 17 000 points de contact et qui se traduit par des actions de financement concrètes, en lien avec les commissions départementales de présence postale territoriale, est financée par des abattements de fiscalité locale, en particulier par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Or, la suppression de la moitié de la CVAE régionale dans le projet de loi de finances pour 2021 fait perdre 66 millions d'euros d'abattements correspondant, qui finançaient la mission d'aménagement du territoire. L'État n'avait manifestement pas anticipé le sujet car rien n'est prévu dans le projet de budget pour compenser cette perte ! Cette mission est déjà déficitaire à hauteur de 60 millions d'euros. Poursuivre sur cette voie serait prendre le risque d'une dégradation importante des services. Il convient donc que l'État compense les effets de la réforme de la fiscalité de production. Il tiendrait ainsi sa parole, car il s'était engagé dans le contrat de présence postale territoriale signé avec les élus locaux à un financement annuel de 177 millions d'euros par an. Un amendement a été adopté par le Sénat en première partie au projet de loi de finances sur ce sujet, en affectant une fraction du produit de la taxe sur la valeur ajoutée au fonds national de péréquation territoriale. Si c'est un signal assurément bienvenu, le Gouvernement n'est pas disposé à l'accepter. Cette solution risque donc de ne pas prospérer au cours de la navette. C'est pourquoi je vous proposerai, en lien avec M. Patrick Chaize, président de l'observatoire national de présence postale, d'adopter un amendement de crédits dotant à hauteur de 66 millions d'euros la mission « Économie » pour maintenir le niveau de financement de cette mission d'aménagement du territoire. C'est une solution à laquelle le Gouvernement semble adhérer. Afin que l'État honore sa parole sur toute la durée du contrat de présence postale territoriale, j'assortirai l'amendement d'une demande que le Gouvernement s'engage à reconduire la subvention dans les années à venir.

Au-delà de l'urgence, je disais qu'il faudrait nous pencher également sur le financement à plus long terme des missions de service public. La crise sanitaire a porté un nouveau coup dur au service universel postal : elle a accéléré de deux ans la baisse du courrier par rapport aux prévisions, générant un déficit prévisible de la mission d'environ 1,5 milliard d'euros en 2020 selon La Poste. Cet effondrement de l'activité courrier est insoutenable pour l'entreprise publique et ne peut être compensé par la croissance des services colis. Nous devrons mener ce chantier de réflexion en 2021. C'est l'occasion de créer un nouveau service universel modernisé, le cas échéant plus numérisé.

Enfin, j'ai souhaité me pencher cette année sur le sujet de la fiscalité applicable aux centres de stockage de données -les data centers . Ces infrastructures sont essentielles à notre avenir numérique, notamment comme élément de souveraineté. Un avantage fiscal a été créé en 2019 pour inciter à l'implantation de data centers en France. Il y avait deux raisons à cela : d'abord, la vive concurrence entre États européens pour accueillir ces infrastructures numériques stratégiques ; ensuite, pour maximiser l'avantage compétitif de notre pays que constitue son prix de l'électricité, parmi les moins chers. Il fallait donc que la fiscalité accompagne cet effort d'attractivité.

Mais il y avait deux limites à ce dispositif aujourd'hui en vigueur, limites que je proposerai de corriger en séance publique à l'occasion de ce projet loi de finances. D'abord, l'avantage fiscal ne s'applique pas à tous les data center , mais seulement aux plus énergivores, créant une rupture d'égalité et qui se justifie d'autant moins que cela n'incite pas à réduire l'empreinte environnementale des data centers . Je proposerai d'y revenir à travers un amendement qui étend l'avantage fiscal à tous les data center . Ensuite, il s'agit d'obtenir, en contrepartie, des engagements environnementaux. Jusque-là aucun dispositif de ce type n'a été adopté, malgré ce qui avait été initialement envisagé. C'est ce que propose de corriger le projet de loi de finances en mettant en place une forme d'éco-conditionnalité du dispositif, qui consiste notamment en l'adhésion à un programme de mutualisation des bonnes pratiques de gestion énergétique. Dans une logique conciliation entre attractivité et exigences environnementales, je proposerai en séance un amendement visant à aligner ces exigences sur celles déjà édictées au niveau européen, dans le cadre du code de bonne conduite européen auquel adhèrent de nombreux acteurs de la filière. C'est une approche européano-compatible qui devrait séduire le ministre Cédric O, qui nous a montré à maintes reprises son attachement à l'échelon européen ! Cela favorisera l'intégration des data centers français dans un référentiel environnemental commun à l'échelle européenne.

Pour conclure, je vous invite, sous réserve de l'adoption de l'amendement que je vous propose sur La Poste, à émettre un avis favorable sur ces crédits qui, comme vous l'aurez compris, sont sauvés par le plan de relance.

M. Franck Montaugé , rapporteur pour avis sur les crédits « Industrie » de la mission « Économie » .. - Les opérateurs ont pu avoir droit à des conditions préférentielles d'octroi des fréquences. Quelles sont les contreparties qui leurs sont imposées sur la 5G ? Nous serions en droit de leur demander des engagements fermes, notamment auprès des collectivités, pour accélérer le calendrier de couverture. Cet enjeu est fondamental pour le public mais aussi pour les entreprises établies en milieu rural.

M. Joël Labbé . - La notion de service universel du numérique est fondamentale pour assurer un service équitable et équilibré de l'ensemble du territoire. La 4G doit être ce minimum accessible à tous. Je vais prêcher dans le désert mais on sait que la 5G fait débat ! L'intérêt de la 5G pour le monde économique et industriel est indéniable, ainsi que pour la santé, éventuellement pour les administrations. Mais pour le grand public, dès lors que tout le monde sera équipé de la 4G, le service minimum sera assuré. Il ne faut pas continuer la fuite en avant. Comment fera-t-on quand nous serons arrivés à la 14G ? Comme disait Coluche, « on ne sait pas où on va, mais on y va ! ».

Mme Anne-Catherine Loisier , rapporteure pour avis sur les crédits « Numérique et postes » de la mission « Économie » . - Sur le déploiement de la 5G, je ne reviendrai pas sur les débats que l'on connaît tous. Les opérateurs ont déboursé 2,7 milliards d'euros, et il y a bien sûr des contreparties dans les autorisations qui leur ont été octroyées, par exemple l'obligation de déployer 10 500 antennes d'ici à 2025. Une attention particulière a été portée pour éviter que les déploiements se focalisent sur les zones denses. Il s'agit notamment de couvrir des zones d'activité prioritaires en zone rurale, qui ne doivent en aucun cas pâtir d'un retard. Sur la 4G, le Ne w Deal a également permis une amélioration de la couverture. Par exemple, 96 % du territoire est au moins couvert par un opérateur.

J'en viens à l'amendement que je vous propose : il vise à abonder la mission « Économie » à hauteur de 66 millions d'euros afin de financer la mission d'aménagement du territoire de La Poste. L'idée serait d'obtenir que le Gouvernement « lève le gage » en séance publique.

La commission adopte l'amendement AFFECO.4 .

Mme Dominique Estrosi Sassone , présidente . - Nous passons à présent à l'examen des crédits « Industrie ». Je cède la parole à M. Franck Montaugé, rapporteur pour avis.

M. Franck Montaugé , rapporteur pour avis sur les crédits « Industrie » de la mission « Économie » . - Cette année plus encore que d'ordinaire, l'industrie est au centre des débats sur la politique économique de la France. En marquant un coup d'arrêt brutal à l'activité des entreprises industrielles, en interrompant les échanges commerciaux et les chaînes d'approvisionnement traditionnelles, la crise liée à la pandémie de coronavirus a mis en évidence les conséquences de plusieurs décennies de désindustrialisation et de délocalisation.

À l'heure où se pose désormais la question de la reprise, mais surtout de la relance, il est plus que jamais urgent de se doter d'une politique industrielle claire, structurée et conquérante. Comment remédier aux faiblesses structurelles de notre tissu productif ? Comment réinvestir des pans d'activité que nous avions délaissés au profit d'importations moins coûteuses ? Quel plan d'action pour se positionner sur les produits et technologies d'avenir ? Et plus généralement, quelle sera la place de l'industrie et des emplois industriels dans notre société ? Un rapport de la Fabrique de l'Industrie paru il y a quelques jours à peine rappelle à ce titre que les entreprises industrielles tirent vers le haut la productivité et la capacité d'innovation de notre pays, mais sont aussi fortement pourvoyeuses d'emploi : elles sont donc un pilier de notre tissu économique. Et ce, même si le poids de l'industrie dans l'économie n'est aujourd'hui plus que de 13 %, contre 21 % en Allemagne...

C'est dans cette optique que j'ai examiné le budget proposé par le Gouvernement pour l'année 2021, année charnière pour la relance.

Laissez-moi dire d'entrée que si mon avis « Industrie » porte formellement sur les crédits de la mission « Économie », il eut été cette année impossible d'y limiter mon analyse. De budget en budget, notre commission constate que les crédits dédiés à l'industrie dans la mission « Économie » se réduisent à peau de chagrin. En 2021, ils se limitent quasiment à une seule sous-action : la « compensation carbone » des sites électro-intensifs, pour 400 millions d'euros environ. Les crédits de l'industrie se retrouvent aux quatre coins du budget, à la façon d'un puzzle : une approche panoramique est donc nécessaire.

Il faut inclure dans notre analyse les crédits exceptionnels mobilisés depuis l'été en réponse à la crise. Selon mes calculs, depuis le 3e PLFR, ce sont au total près de 2,2 milliards d'euros du budget général qui ont été mobilisés pour l'industrie. Dans la mission « Plan de relance » du budget pour 2021, il est prévu près de 7,4 milliards d'euros pour l'industrie, dont 2,6 milliards dès 2021. En un an et demi, la politique industrielle devrait ainsi recevoir près de 15 fois plus de moyens qu'elle n'en reçoit d'habitude chaque année. Vous comprendrez donc que mon avis « Industrie » dépasse, cette année, le champ de la seule mission « Économie ».

Comment évaluer la pertinence et le ciblage de ces moyens colossaux déployés pour la relance et la transformation de l'industrie ? D'abord, en rappelant brièvement l'impact de la crise liée à la pandémie de coronavirus, et les priorités qui doivent être les nôtres.

Mon rapport démontre que le choc économique subi en mars, plus brutal et plus durable qu'ailleurs en Europe, a eu pour conséquence d'exacerber les faiblesses structurelles de notre industrie, à au moins quatre niveaux.

Premièrement, il a conduit à une forte hausse de l'endettement. Si le recours au prêt garanti par l'État (PGE) a permis de soutenir la trésorerie et d'éviter une vague de faillites à court terme, il est venu s'ajouter à l'important stock de dette de nos entreprises industrielles. En septembre, l'encours total de dette de l'industrie est de 147 milliards d'euros - soit 1,5 fois le plan de relance... - dont 20 milliards d'euros de PGE. Cela représente une hausse de 13 % en une année seulement. Cette hausse est principalement portée par les PME. L'endettement accru est d'autant plus problématique que les entreprises industrielles françaises se caractérisent par la faiblesse de leurs fonds propres.

Deuxièmement, l'investissement a chuté de 14 % par rapport à 2019, en raison des trésoreries asséchées et des pertes d'exploitation. Or, la France accuse déjà un important retard en matière de modernisation de l'outil industriel : à 19 ans d'âge moyen, il est deux fois plus ancien qu'en Allemagne, et bien moins robotisé et numérisé. Il souffre d'une certaine inertie : il est difficile de susciter les décisions d'investissement, surtout en conjoncture défavorable. Ce n'est pas qu'un problème de compétitivité, mais aussi un problème environnemental : on estime que 40 % de l'énergie consommée par l'industrie en France est le fait d'équipements de plus de trente ans d'ancienneté, aux mauvaises performances énergétiques. Le manque d'investissement est aussi un frein à l'innovation et à la montée en gamme.

Troisièmement, la crise a révélé l'importante dépendance de la France à certains grands secteurs exportateurs. L'aéronautique, moteur de l'export, a été touchée de plein fouet ainsi que le secteur automobile, dans une moindre mesure. Ces deux secteurs représentent le quart des exportations industrielles de la France. Les exportations aéronautiques ont baissé de 60 % au premier semestre 2020 et sont toujours aujourd'hui à - 35 % environ de leur niveau normal. En conséquence, le déficit de la balance commerciale française devrait se creuser de près de 22 milliards en 2020, atteignant - 79 milliards selon une estimation d'avant le reconfinement. Au-delà du seul déficit, le risque est que nous perdions durablement des parts de marchés à l'international.

Quatrièmement, l'emploi industriel renoue avec une trajectoire à la baisse. Pour l'instant, l'activité partielle, largement mobilisée dans l'industrie, a permis de limiter l'impact ; mais près de 53 000 emplois industriels auraient été détruits en 2020, alors que des créations nettes avaient été enregistrées au cours des dernières années. De nombreux groupes ont déjà annoncé des plans sociaux : Renault, Airbus, ou encore Vallourec et Daher ; mais les PME aussi ont stoppé les embauches. Des capacités et compétences industrielles clefs pourraient être perdues, sans parler de l'impact sur les territoires, qui sera répercuté sur les autres secteurs économiques (moindre consommation, moindre attractivité, moindre ressources fiscales pour les collectivités territoriales...).

Comment le budget pour 2021 répond-il à ces enjeux ? Du point de vue structurel, il me semble qu'il identifie bien les principaux leviers de transformation à long terme de l'industrie, même si certaines actions doivent être approfondies. En revanche, je pense qu'il sous-estime les défis à court terme, en particulier la faiblesse de la demande et le mur de la dette. À cet égard, il doit être renforcé.

Concernant la transformation à long terme, les actions du plan de relance s'organisent autour de trois axes.

Le premier axe est l'aide à la modernisation. Je me félicite que le Gouvernement ait enfin fait droit aux demandes du Sénat. Notre commission a proposé dès juin de contemporanéiser les aides à la robotisation et à la numérisation des PME : c'est désormais chose faite. Le suramortissement a été transformé en aide forfaitaire. Pour les secteurs automobile et aéronautique plus spécifiquement, deux fonds ont été mis en place pour près de 1,2 milliard sur quatre ans. J'estime toutefois qu'il faut renforcer ces efforts, d'abord en offrant aux dispositifs une meilleure visibilité en les prolongeant. Ensuite, j'ai déposé un amendement visant à prévoir une enveloppe de 20 millions d'euros en AE et 10 millions d'euros en CP, dédiée au soutien des applications industrielles de la 5G en France. Cette technologie de rupture sera une part intégrante de « l'Industrie du Futur », et la France ne doit pas prendre de retard. Les usines allemandes la déploient par exemple déjà.

Le deuxième axe est le soutien à la transition énergétique. Là aussi, le Gouvernement a partiellement fait droit à des demandes de longue date de notre commission. Un crédit d'impôt couvrant une partie des dépenses des TPE et PME pour leur rénovation énergétique a été inséré à l'Assemblée nationale, tardivement, mais c'est une bonne chose. J'ai déposé un amendement pour le compléter, en faisant entrer dans son champ les dépenses d'audit énergétique, coûteux préalable aux travaux de rénovation. Si le plan de relance prévoit une enveloppe de 1,2 milliards d'euros pour la décarbonation de l'industrie, seuls 290 millions devraient être débloqués dès 2021. L'effort me paraît trop tardif. Je fais le même constat pour les actions relatives à l'économie circulaire, avec seulement 84 millions d'euros en 2021 sur 500 millions d'euros. J'ai déposé un amendement renforçant dès 2021 ce volet, en mobilisant 50 millions d'euros d'aides visant spécifiquement l'écoconception et la réduction des déchets industriels. La rénovation énergétique est une chose, mais il faut aussi accompagner la transformation des procédés de production eux-mêmes.

Enfin, le troisième axe de long terme est la « relocalisation ». Le Gouvernement entretient la confusion entre relocalisation et ce qui s'apparente en réalité davantage à de la réindustrialisation, c'est-à-dire l'implantation de nouvelles activités. Environ 400 millions d'euros devraient y être dédiés en 2021 et une trentaine de projets ont déjà été validés. Il me semble que le volet « territorial » de cette enveloppe devra faire l'objet d'une attention particulière pour assurer que l'ensemble des territoires y aient bien accès : les financements passent par le programme « Territoires d'Industrie », or l'éligibilité y est basée sur une approche géographique et la gouvernance de ce programme est difficile.

Enfin, je pense que les orientations stratégiques de la réindustrialisation du pays devraient faire l'objet d'un dialogue avec les filières, d'une part, et le Parlement de l'autre. Il nous faut établir une feuille de route stratégique partagée, qui traduise notre politique industrielle. Cette coordination des efforts passera aussi par l'échelle européenne, souvent la plus pertinente pour investir dans de nouvelles filières et pour massifier la demande.

Pour que la transformation de notre industrie réussisse, et que les dispositifs de relance que j'ai cité fonctionnent bien, il me semble en outre qu'un effort particulier de suivi et d'accompagnement devra être déployé. Avec l'affaiblissement des réseaux consulaires, la charge importante confiée aux collectivités territoriales et la réduction des services déconcentrés de l'État, nous devrons nous assurer que les entreprises trouvent bien écoute et conseil, sous peine d'être laissées au bord du chemin, comme nos auditions l'ont mis en évidence. En outre, au vu des montants colossaux en jeu, l'évaluation des politiques publiques sera centrale : nous devons exiger du Gouvernement la mise en place d'indicateurs transparents et cohérents, en matière d'emplois et de performance environnementale notamment, déclinés à l'échelle de chaque action. Je note avec surprise que le principal indicateur de performance prévu pour le plan de relance est la rapidité de consommation des crédits, et que les indicateurs de verdissement sont bien frustes... Il y a là un enjeu de responsabilité démocratique et de bonne gestion des dépenses publiques.

Si les orientations de long terme du budget me paraissent les bonnes, il me semble en revanche qu'il présente des carences à court terme.

D'abord, un soutien plus conséquent à la demande sera nécessaire. Des efforts ont été faits pour la filière automobile et l'aéronautique, mais la crise de demande qui se profile déjà fera des dégâts dans l'ensemble de l'industrie. Plusieurs leviers existent. D'abord, le soutien à des secteurs oubliés du plan de relance, comme la construction neuve, qui soutient la production métallurgique par exemple. Ensuite, la commande publique, en tirant profit des assouplissements récents - mais encore faudrait-il que les collectivités, qui représentent 60 % de l'investissement, disposent des ressources nécessaires - or le plan de relance ne soutient pas assez l'investissement local. Enfin, la réouverture des commerces est également un impératif pour l'industrie. Elle offre des débouchés indispensables pour l'industrie cosmétique et chimique, l'agroalimentaire, l'habillement ou l'ameublement et permettra de mobiliser l'épargne importante accumulée par les Français pendant la crise - angle trop peu traité par le budget pour 2021.

Ensuite, le Gouvernement ne semble pas bien prendre la mesure du mur de la dette que j'ai évoqué tout à l'heure, qui s'élève aujourd'hui à près de 150 milliards d'euros dans l'industrie. Le budget pour 2021 prévoit certes de renforcer les capacités de financement par Bpifrance, et prévoit des aides et incitations à l'investissement. Mais cela ne suffira pas à déclencher l'investissement s'il implique encore davantage de dette... La solution des prêts participatifs garantis par l'État, créés par le PLF 2021, est intéressante, car elle permet de renforcer les fonds propres. Son montant apparaît en revanche bien insuffisant - j'estime qu'il faudrait au moins le doubler - et il n'est pas certain que les investisseurs s'en saisissent... Il faut étudier d'autres solutions, en lien avec l'Union européenne, comme le cantonnement de la « dette Covid » ; la mise en place d'un PGE « de relais », au remboursement à long terme, permettant de rembourser la dette privée plus urgente ou de plus fortes incitations à l'investissement en fonds propres.

En conclusion, mes chers collègues, il me semble que la relance offre une opportunité longtemps attendue de penser une politique industrielle ambitieuse et réaliste, qui utilise tous les leviers de transformation de notre industrie. Le budget pour 2021 mobilise des montants très conséquents, sans commune mesure avec les crédits habituels de la mission « Économie », dans l'objectif de mener de nombreuses nouvelles actions de soutien. Le plan de relance identifie bien les enjeux de long terme (modernisation - transition environnementale - réindustrialisation), mais doit être renforcé à court terme pour pallier à une crise de la demande et au problème de l'endettement.

Au vu de ces conclusions, je rends un avis favorable à la mission « Économie », bien qu'elle ne soit plus cette année le véhicule budgétaire principal des crédits dédiés à l'industrie. J'ai aussi déposé plusieurs amendements à la mission « Plan de relance », qui traduisent les recommandations de mon rapport.

Mme Anne-Catherine Loisier . - On compare souvent la France à l'Allemagne lorsque l'on parle de modernisation et de numérisation de l'industrie. Or, en matière de déploiement de la fibre, nous avons un coup d'avance : nous visons la couverture du territoire en 2022, alors que l'Allemagne lance à peine un grand programme, car elle n'avait pas opéré ce choix en amont. Il me semble que nous devons optimiser cette avance concurrentielle en matière de maillage du territoire car, à l'inverse, nos PME et ETI se sont peu lancées dans « l'Industrie 4.0 ». Nous avons un avantage de couverture et d'infrastructure, mais pas de technologie.

M. Fabien Gay . - Nous sommes dans le moment de la réindustrialisation - même le Gouvernement le dit. Nous devons retrouver une souveraineté industrielle, en particulier dans un certain nombre de domaines stratégiques tels que le secteur du médicament. Or, en matière de 5G, nous sommes handicapés : nous n'avons que des solutions américaines, par Qualcomm, ou chinoises, par Huawei, car nous avons démantelé nos capacités nationales détenues par Alstom et Nokia. Maintenant qu'il existe un Haut-commissariat au Plan, je m'interroge sur notre plan de réindustrialisation pour la France. Quelles sont nos priorités, nos secteurs de souveraineté ? Le ministre Arnaud Montebourg s'était attelé à délimiter ces secteurs essentiels, dont la loi PACTE a encore élargi le champ.

Il existe une vraie question vis-à-vis des licenciements. L'une des réponses est, peut-être, le chômage de longue durée, qui a été négocié avec les syndicats mais peu d'entreprises y font en réalité appel. D'autres préfèrent aujourd'hui licencier, notamment dans le secteur aéronautique. On ne peut pas imposer le recours au chômage de longue durée ; mais comment peut-on engager les négociations avec les entreprises, au plus haut niveau, pour éviter de licencier des milliers de personnes alors que le carnet de commandes est certes retardé, mais toujours plein ? Nous nous mettons en difficulté car nous perdrons des compétences et des savoir-faire qui nous serons utiles au moment de la reprise.

Mme Valérie Létard . - Ce rapport s'inscrit dans la droite ligne des travaux de notre commission sur la souveraineté industrielle française. J'en partage les conclusions. Il existe aujourd'hui un ministère de l'industrie, des comités stratégiques de filière, un délégué interministériel aux restructurations d'entreprises, mais ce qu'il nous manque est la vision d'avenir. Nous courons derrière les catastrophes industrielles pour tenter de les rattraper. Il faut certes savoir gérer les urgences, mais nous avons besoin, au niveau de l'État, d'un pendant aux comités stratégiques de filière, qui travaillent dans le long terme. Cela pourra passer par des équipes renforcées au sein du ministère de l'industrie et, peut-être, par l'intermédiaire du Haut-commissariat au Plan, qui pourra coordonner les apports de chaque ministère et être garant de la vision transversale. Notre pays doit avoir une stratégie claire sur la manière d'engager le virage industriel. Les ministères n'ont aujourd'hui pas assez de moyens pour travailler sur le fond plutôt que sur l'urgence.

Dans le cas de Vallourec, contrairement à celui de Bridgestone, l'État doit pouvoir agir, car il est actionnaire principal. Bpifrance a beaucoup investi, mais l'entreprise supprime aujourd'hui à nouveau 350 emplois. Certes, la crise est passée par là mais ces suppressions d'emplois sont-elles réellement le résultat de la crise ? Nous devons travailler avec la ministre chargée de l'Industrie, qui fait preuve de volonté. L'usine Vallourec de Déville-lès-Rouen est peut-être la mieux placée pour accompagner le « plan hydrogène » de notre pays, car elle fabrique des éléments nécessaires. Or, c'est cette usine qui va fermer. Quel est le sens de cette restructuration ? Quelle est la stratégie de l'État, comment accompagne-t-il la mutation industrielle pour ne pas se priver de capacités importantes ? Sur quoi va-t-on concentrer les efforts, quelles sont nos forces et nos faiblesses ? Il me semble que cette analyse fait aujourd'hui défaut. Mettre les moyens sans stratégie sous-jacente ne mènera nulle part. Cette réflexion doit être conduite avec les régions, les intercommunalités, les territoires, qui représentent l'échelon de proximité et qui tissent au quotidien la relation avec les industriels.

Mme Florence Blatrix Contat . - Le mur de l'endettement des entreprises est en effet source d'inquiétude. La part de la valeur ajoutée captée par la dette va augmenter de 5 à 6 % dans les prochaines années : cela va peser sur la capacité de notre industrie à investir. La confiance sera un paramètre déterminant pour la reprise de l'investissement : il faut clarifier les perspectives et accroître la demande.

Un sondage récent effectué auprès des entreprises, relatif à la relocalisation, montre que 58 % d'entre eux n'ont pas l'intention de relocaliser, tandis que 70 % estiment que le plan de relance est insuffisant pour les convaincre de relocaliser. Un travail de fond doit être fait pour améliorer les incitations. 30 % des entreprises indiquent délocaliser pour accéder à des technologies et innovations qui ne sont pas disponibles en France. Comme le suggère le rapport de notre collègue Franck Montaugé, il faut intensifier les investissements dans l'innovation et diversifier nos filières industrielles. Je partage également la nécessité d'établir une feuille de route partagée entre le Gouvernement et le Parlement, pour que notre pays reprenne l'initiative.

Mme Marie-Noëlle Lienemann . - Les interventions de mes collègues se complètent bien et montrent la voie à suivre. Je crois également en la nécessité d'un ministère de l'industrie, qui s'appuie peut-être davantage sur les territoires, comme c'est le cas en Allemagne via les Länder . Une meilleure coordination doit être visée entre l'État, les partenaires sociaux, les industriels, les acteurs locaux, afin de définir des stratégies de filière et une stratégie globale de réindustrialisation.

Le plan de relance français à destination de l'industrie est plus restreint que celui mis en oeuvre par l'Allemagne. Or son industrie est déjà largement avantagée. On ne cible pas assez l'industrie - certes, la dette est un sujet, mais les taux d'intérêts bas facilitent aujourd'hui le recours à l'emprunt. Je pense qu'on en fait peut être trop pour certains secteurs qui n'en ont pas besoin, et pas assez pour ceux qui le nécessitent réellement, comme l'industrie.

En matière d'intelligence économique, l'Allemagne sait trouver des bonnes sources de financement, notamment européennes, et pour comprendre et détecter les mécanismes de délocalisation et de réorganisation. Nous ne savons pas aussi bien le faire, et donc réagir. Dans le cas de Bridgestone, l'étude des prix de transfert montre qu'ils ont été très fortement augmentés, ce qui permet de créer un déficit « arbitraire » pour mieux justifier la délocalisation. Dans le même temps, l'Union européenne finance en Europe de l'Est l'installation d'usines délocalisées depuis la France. En attendant de changer l'Europe, réalisons un véritable effort d'intelligence économique en amont, par filière, pour mieux détecter ce qui va se passer. Mieux vaut prévenir que guérir.

Je suis convaincue qu'il faut donner aux collectivités locales la possibilité d'entrer au capital d'entreprises locales, surtout les PME. Les Länder allemands le font très facilement. Le but n'est pas de diriger les entreprises à leur place, mais de veiller à ce qu'elles investissent et gardent un ancrage territorial. Dans la phase défensive que nous allons connaître, le capital public sera un outil permettant de ne pas fermer les sites mais d'accompagner leur inévitable mutation. Le niveau de désindustrialisation atteint est tel que la situation l'exige.

Je note enfin que le Japon a prévu dans son plan de relance des mécanismes de financement des relocalisations, par le biais de subventions directes actées dans des contrats de relocalisation signés avec les entreprises, et prenant compte des besoins immobiliers ou de matériel. La France pourrait-elle mettre en place cette stratégie, qui est efficace ailleurs ?

M. Franck Montaugé , rapporteur pour avis sur les crédits « Industrie » de la mission « Économie » . - L'Allemagne a une grande avance sur la France en matière de robotisation et de numérisation, et est déjà entrée pleinement dans l' edge computing , tendance qui va s'accélérer avec l'arrivée de la 5G. Nous sommes peut-être en avance sur l'infrastructure, mais eux sont en avance sur les applications industrielles directes, ce qui leur confère un avantage certain.

Le sujet de la souveraineté industrielle, et des moyens pour l'atteindre, est majeur. Il appartient pour partie à la France, mais je suis convaincu que nous n'y parviendrons que dans le cadre de coopérations européennes renforcées. Certaines sont déjà lancées, en particulier dans le secteur du numérique comme sur l'ordinateur quantique, mais elles s'imposeront aussi dans le secteur industriel. Nous mesurons bien que beaucoup de dossiers ont aujourd'hui une dimension européenne, comme la commission l'a récemment étudié avec le rachat des Chantiers de l'Atlantique par Fincantieri.

On parle souvent d'État stratège, mais quelle est la capacité de l'État à faire respecter sa stratégie dès lors qu'il n'est plus présent au capital d'entreprises importantes ? L'implication du Parlement dans ces sujets me paraît souhaitable : nous ne pouvons pas nous en désintéresser. La commission d'enquête sur la souveraineté numérique avait par exemple proposé d'élaborer une loi de programmation sur la souveraineté numérique, sous l'égide du Parlement. Cela vaut pour tous les secteurs industriels.

Des crédits dédiés au soutien à la relocalisation sont bien prévus au sein du plan de relance. Il faudra nous assurer qu'ils sont suffisants, accompagner les projets naissants, et en évaluer l'impact réel dans les territoires. Les régions joueront un rôle important dans l'accompagnement du tissu économique au cours des mois et des années à venir.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Économie » sous réserve de l'adoption des amendements.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances
et de la relance
(Mardi 20 octobre 2020)

Mme Sophie Primas , présidente . - Nous entendons aujourd'hui le ministre de l'économie, des finances et de la relance, M. Bruno Le Maire, sur le projet de loi de finances pour 2021. Si l'exercice budgétaire nous est familier, il prend cette année une ampleur et une importance toutes particulières.

Je relisais hier, Monsieur le Ministre, votre présentation sur le projet de loi de finances pour 2020, il y a tout juste un an. Vous disiez à l'époque : « La politique économique conduite par le Gouvernement donne de bons résultats. Notre croissance est solide. Il y a quelques années, en termes de croissance, la France était encore à la traîne derrière l'Allemagne. Aujourd'hui, elle est le moteur de la croissance dans la zone euro, avec 1,4 % de croissance et 1,3 % prévu pour l'année prochaine, là où d'autres États sont, eux, à la limite de la récession. » Nous finissons l'année aux alentours de - 12 % de croissance, contre - 6 à - 8 % en Allemagne. Je ne dis pas cela pour vous jeter la pierre, mais bien pour dire combien les perspectives ont été bouleversées.

La crise que nous traversons depuis le mois de mars dépasse, par son impact sanitaire et économique, ce que nous avions connu jusqu'alors, touchant tous les secteurs d'activités et tous les acteurs de notre économie : ménages, entreprises, collectivités territoriales. Elle a réduit notre production, nos échanges avec le monde extérieur, mis à l'épreuve notre système de santé et notre quotidien. Cette crise est durable, nous devons désormais l'admettre. C'est dans cette optique que nous examinons le projet de loi de finances pour 2021, quatrième texte budgétaire soumis au Parlement en cette année exceptionnelle.

Nous allons vous écouter, Monsieur le Ministre, et vous interroger, car les questions sont nombreuses sur un plan de relance dont chacun espère ici qu'il réussira à maintenir l'essentiel de l'activité, à préserver le maximum d'emplois et à préparer l'avenir. Dans ce budget, il figure à hauteur de 36,4 milliards d'euros, dans une nouvelle mission consacrée à la relance, et vous prévoyez de décaisser 42 milliards d'euros dans les 16 mois à venir.

Dans le contexte de crise durable, mais aussi très mouvant, que j'ai rappelé, le plan de relance sera-t-il capable de donner le stimulus rapide que nous appelons de nos voeux ? Les baisses d'impôts, les dispositifs d'aides octroyées après de longs appels à projets, les investissements au long cours du Programme d'investissement d'avenir (PIA), sont plutôt des outils de politique économique de moyen terme que des outils adaptés à l'urgence de la relance. Les entrepreneurs qui guettaient la reprise craignent désormais le trou d'air, alors que l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) annonce une hausse de 80 % des faillites dans les mois à venir et que les plans sociaux s'accumulent... Certaines des mesures que notre commission vous avait présentées dès juin dernier trouvent seulement aujourd'hui leur traduction dans ce projet de loi : ne perdons pas davantage de temps !

La question du tempo de la relance est d'autant plus pressante que le Gouvernement a décidé la mise en place d'un couvre-feu sur de larges pans du territoire, ce qui replonge notre économie dans un semi-confinement. Les hypothèses sur lesquelles vous fondez votre budget, et les mesures mêmes qui sont soumises à notre approbation, ne sont-elles pas déjà caduques ? On parle d'un nouveau projet de loi de finances rectificative... Ce plan suffira-t-il à absorber ce nouveau choc économique, qui ne sera, malheureusement, peut-être pas le dernier ?

En outre, nous savons de longue date que les entreprises, surtout les plus petites, ont du mal à se saisir de dispositifs aux cahiers des charges lourds, pilotés depuis Paris - elles n'en ont parfois pas même connaissance. Entendez-vous mettre les moyens - notamment humains - nécessaires au déploiement rapide de cette relance jusque dans chaque commune française - alors même que baissent le financement des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et les effectifs déconcentrés du ministère ?

Plus que jamais, il faut concilier les trois volets de votre large portefeuille ministériel : l'économie, la relance, et les finances.

Je souhaiterais justement vous interroger sur le financement du projet de loi que vous nous présentez. Au vu des incertitudes au niveau européen, de votre volonté de décaissement rapide, quelle est la soutenabilité du budget de l'État ? Quelles mesures seront prises dès aujourd'hui pour éviter de glisser sur la pente d'un endettement encore plus élevé ? Je relève que la charge de la dette est le premier programme budgétaire en termes de crédits de paiement, avec 36,4 milliards d'euros, devant le programme « Enseignement du second degré » et la mission « Plan de relance ». Ces chiffres parlent d'eux-mêmes !

Plus globalement, notre balance commerciale devrait enregistrer un déficit record de 80 milliards d'euros en 2020. Certes, la pandémie de Covid-19 a touché le monde entier, mais prenons garde à ce qu'elle ne creuse pas encore davantage les écarts entre la France et ses voisins européens, ou les autres puissances économiques, qui ont mis en oeuvre un soutien assez volontariste à leurs économies. Le budget que vous nous présentez permettra-t-il de rivaliser dans la compétition mondiale ?

Je vous cède la parole pour répondre à ces premières questions. Les rapporteurs budgétaires pour avis de notre commission pourront ensuite vous adresser leurs questions spécifiques, avant que je ne donne la parole à l'ensemble de nos collègues.

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la relance . - Je suis très heureux de vous retrouver, de retrouver cette commission des affaires économiques, chère à mon coeur.

Je voudrais d'abord exprimer mon soutien au corps enseignant des Yvelines, qui a été particulièrement touché par la tragédie de Conflans-Sainte-Honorine, et dire à quel point je suis déterminé, en tant que ministre des finances, à lutter contre les réseaux de financement du terrorisme. Nous préparons des propositions au Président de la République pour faire en sorte que pas un euro ne puisse aller, en France, ni au financement du terrorisme, ni aux associations qui ont le moindre lien avec le terrorisme ou avec l'islam politique.

Nous travaillons dans trois directions. D'abord, les circuits de financement des associations dites cultuelles, culturelles ou sportives, mais qui cachent, en fait, des réseaux de l'islam politique, et soutiennent l'islam politique et son objectif de destruction de la nation française, de ses valeurs, de son histoire, et de sa culture. Nous luttons également contre l'anonymat des cryptomonnaies, qui permettent de financer des activités liées au terrorisme.

Nous travaillons enfin sur la responsabilité des plateformes numériques. C'est probablement l'enjeu le plus important, et l'objectif le plus difficile à atteindre, mais vous connaissez ma détermination à obtenir une juste régulation des plateformes digitales. Cela passe par leur taxation, mais aussi par la responsabilité qu'elles doivent avoir sur les contenus qui circulent sur les réseaux digitaux : quand des messages qui appellent à la haine, qui appellent directement à la vengeance contre un enseignant, sont diffusés sur un réseau social, ce réseau ne peut pas considérer qu'il ne porte aucune responsabilité dans leur diffusion. Après tout, on demande bien à un éditeur de retirer un livre qui comporterait des propos haineux ou qui appellent à la violence. Pourquoi cette obligation ne pourrait-elle concerner une plateforme numérique ? Ma détermination à mettre les plateformes numériques devant leurs responsabilités par rapport à nos sociétés et par rapport à nos valeurs est totale.

Je voudrais aussi profiter de cette audition pour vous dire à quel point le défi qui est devant nous est considérable. Nous sommes, comme je l'ai dit à plusieurs reprises, confrontés à une crise qui n'a pas d'équivalent en France depuis un siècle, c'est-à-dire depuis la grande récession de 1929. Nous avons perdu en un an, à cause du virus, 10 % de notre production nationale, de notre richesse nationale. Certains semblent avoir tendance à l'oublier, et se disent que dans deux ou trois mois, tout cela sera derrière nous. Non ! Après une chute aussi importante du produit national brut, chute qu'on observe dans tous les autres pays européens, aux États-Unis et dans beaucoup d'autres pays, il faut du temps pour se redresser. Il nous faudra au moins deux ans pour retrouver notre niveau de développement économique d'avant-crise - dont vous avez rappelé, Madame la Présidente, qu'il était satisfaisant.

Tout le défi, pour nous tous, pas simplement pour le ministre de l'économie et des finances, mais pour les entrepreneurs, pour les parlementaires que vous êtes, pour la société française toute entière, sera de combiner protection des salariés et des entreprises face à la crise et relance de l'activité économique pour préparer la France à l'après-crise. Et je ne renoncerai ni à l'un, ni à l'autre. Je compte au contraire continuer à protéger les salariés des entreprises qui en ont le plus besoin, qui sont confrontés aux obligations sanitaires liées au couvre-feu et, dans le même temps, investir dans l'avenir, dans les nouvelles technologies, dans la 5G, dans l'hydrogène, dans le calcul quantique, dans la formation des salariés.

Ne vous faites aucune illusion : la crise fera des vainqueurs et des vaincus. La Chine sortira grand vainqueur de cette crise, du point de vue économique et sans doute financier. Je souhaite que la France et l'Europe sortent aussi grands vainqueurs de cette crise, ce qui suppose que nous expliquions à nos compatriotes avec le plus de détermination possible que protéger dans l'immédiat n'exclut pas de préparer le futur.

C'est bien l'objectif qui est le mien : afficher un volontarisme économique de tous les instants, de tous les jours, de toutes les semaines, pour que nous puissions protéger notre économie et en même temps la préparer aux défis futurs.

Pour la protection, vous savez l'ampleur de ce qui a été mis en place. Je le rappelle rapidement. Les prêts garantis par l'État (PGE), d'abord, ont déjà occasionné le décaissement de 120 milliards d'euros. S'y ajoutent 6 milliards d'euros d'aide aux indépendants, aux commerçants, aux artisans, et aux très petites entreprises, à travers le Fonds de solidarité. Nous avons aussi consenti des reports d'échéances fiscales et sociales pour 42 milliards d'euros depuis le mois de mars, et dépensé 22 milliards d'euros pour le chômage partiel. Tout cela avait pour objectif d'éviter des centaines de milliers de licenciements et des dizaines de milliers de faillites. Les chiffres sont clairs : 38 000 entreprises ont fait faillite en août 2020, contre 53 000 en août 2019. Sur les douze derniers mois, le nombre de faillites en France a été de 30 % inférieur à celui observé l'an passé, grâce aux mesures de soutien que nous avons mises en oeuvre. Nous avons connu environ 750 000 destructions d'emplois. C'est un chiffre considérable, et une réalité qui touche les plus précaires, les CDD, les intérimaires, les travailleurs les moins qualifiés. Mais le chiffre aurait été infiniment supérieur si nous n'avions pas mis en place les mesures de chômage partiel que nous avons décidées avec le Président de la République et le Premier ministre.

Beaucoup de nos compatriotes souffrent de la situation actuelle. Certains sont tombés dans la pauvreté, et nous voulons leur apporter des réponses. Mais le pouvoir d'achat moyen des Français n'a été réduit que de 0,5 % quand l'activité chutait de 10 %. Nous avons donc fait le maximum - et nous continuerons à faire le maximum - pour protéger les Français.

D'aucuns demandent si tout cela ne risque pas de coûter trop cher. Cette politique ne serait-elle pas aventureuse ? Non, elle est responsable. Je me félicite que la présidente de la Banque centrale européenne (BCE), Mme Christine Lagarde, ait rappelé encore aujourd'hui qu'il fallait que les États continuent de soutenir, en 2020 et en 2021, les entreprises et les salariés. Elle a eu la lucidité de rappeler que rien ne serait plus irresponsable que de couper court aux mesures de soutien au moment où elles produisent tout leur effet.

Cela vous surprendra peut-être de la part d'un ministre des finances, mais je suis bien déterminé à continuer à dépenser l'argent nécessaire pour nos compatriotes, pour l'emploi et pour les entreprises. Il est moins coûteux, en effet, que l'État finance des projets de développement, des formations ou des projets pour un ingénieur aéronautique, qui aujourd'hui est privé de toute perspective chez Airbus, Thales, Safran ou Dassault, parce que le trafic aérien s'est effondré, que de voir cet ingénieur licencié, et les dix ou douze années d'études et de formation qu'il a fallu pour former un ingénieur de niveau mondial, perdues et gaspillées. Je préfère dépenser beaucoup d'argent dans les PGE pour sauver notre capital industriel et économique, plutôt que de le laisser s'effondrer et de ne plus avoir ensuite les moyens de le redresser. Les dépenses que nous faisons actuellement sont un investissement pour l'avenir des Français et de notre économie.

Notre dette atteindra donc 117,5 % du PIB en 2020, soit une augmentation d'environ 20 points par rapport à l'année dernière. Nous sommes dans le temps de la dépense publique, et nous continuerons à l'être tant que le virus circulera. C'est la position de la BCE, c'est la position du ministre de l'économie et des finances, telle qu'elle a été décidée par le Président de la République.

Mais le moment venu, quand nous commencerons à voir l'horizon s'éclaircir - c'est-à-dire, je l'espère, d'ici la fin de l'année 2021 ou le début de 2022 - avant de retrouver notre pleine croissance - c'est-à-dire, je l'espère, dans le courant de l'année 2022 - il faudra rembourser cette dette. Ce n'est pas le moment, mais le moment viendra. Je ne veux laisser aucune ambiguïté devant les Français sur ce sujet.

Comment la rembourserons-nous ? D'abord, par la croissance que nous aurons retrouvée. On ne rembourse jamais de dette sans croissance : la dette publique a besoin de croissance pour être remboursée. C'est là l'instrument le plus efficace et le plus durable de réduction de la dette. Le deuxième moyen sera la maîtrise de nos finances publiques. Nous devons continuer à faire preuve de responsabilité sur les finances publiques, notamment sur les dépenses de fonctionnement. C'est ce que ferons en 2021 en refusant toute augmentation du nombre de fonctionnaires dans la fonction publique d'État. Enfin, il faut avoir le courage de dire à nos compatriotes, parce qu'ils le savent, que seules des réformes structurelles permettront de garantir des finances publiques saines sur le long terme, et que, parmi ces réformes structurelles, la réforme la plus importante, qui permet de garantir l'équilibre de nos comptes sociaux et de nos comptes publics en général, c'est la réforme des retraites.

Tous les Français comprennent que, si nous voulons continuer à financer un système de protection sociale qui est un des plus généreux et des plus efficaces au monde, si nous voulons mieux nous occuper de nos aînés, notamment sur les questions de dépendance, nous devons également augmenter le volume global de travail dans notre pays. Comprenez-moi bien : je ne porte aucune accusation contre qui que ce soit. La France est un peuple qui travaille, un peuple de professionnels, de gens qui aiment leur travail, qui sont compétents, efficaces, productifs : chaque personne qui travaille, travaille beaucoup et durement. Mais il n'y a pas suffisamment de personnes qui travaillent. D'abord, parce que les jeunes entrent plus tard sur le marché du travail ; ensuite, parce que nous avons un taux de chômage qui reste encore trop élevé ; enfin, parce que nous nous sommes résignés à une politique que je juge socialement irresponsable et économiquement contestable, qui consiste à faire partir les plus de 50 ans le plus vite possible de l'entreprise.

Pendant des décennies, on a expliqué que les personnes de plus de 50 ans étaient trop coûteuses, représentaient un poids pour une entreprise. Je considère au contraire qu'elles représentent de l'expérience, et que l'un des grands défis culturels auxquels nous faisons face est de redonner toute leur place aux plus de 50 ans dans la vie économique de notre pays.

Je vous surprendrai peut-être en disant cela, car la CGT en a fait un de ses grands combats. Je ne partage pas beaucoup de combats de la CGT, mais celui-ci, sur l'emploi des plus de 50 ans, je le partage, et je pense qu'il est vital pour notre nation. On ne peut pas dire qu'on veut inciter les Français à travailler plus longtemps et continuer dans le même temps à dire aux plus de 50 ans qu'ils sont des poids dans une entreprise.

La réforme des retraites est donc, pour moi, l'un des enjeux stratégiques des grands équilibres financiers et sociaux de notre nation dans les années à venir.

Protéger, et continuer de protéger, c'est aussi renforcer les dispositifs existants. Nous avons mis en place un couvre-feu, ce qui est indispensable du point de vue sanitaire, mais très pénalisant pour beaucoup de professions. Je salue la manière dont l'hôtellerie, la restauration, le monde du spectacle et de la culture se battent pour s'adapter à ces règles sanitaires, pour ouvrir plus tôt, pour commencer plus tôt, pour finir aussi plus tôt, et permettre malgré tout à leur clientèle de continuer à venir. Mais j'ai parfaitement conscience que, pour beaucoup de ces restaurateurs, pour beaucoup de ces gens du spectacle vivant ou de l'événementiel, les temps sont terriblement durs. Et nous ferons tout pour continuer à les soutenir, et adapter nos dispositifs.

J'ai rétabli l'accès au fonds de solidarité pour toutes les entreprises situées dans les zones où s'applique le couvre-feu. Toutes les entreprises de moins de 50 salariés y ont désormais accès, ce qui leur permet de toucher jusqu'à 1 500 euros par mois. Dans les secteurs les plus touchés - l'hôtellerie, les cafés et la restauration, l'événementiel, les salles de sport, les salles de cinéma, les salles de théâtre et de concert... - nous avons porté le fonds de solidarité à 10 000 euros par mois. Les entreprises peuvent en bénéficier dès 50 % de perte de chiffre d'affaires au lieu de 70 %, et j'ai supprimé le plafonnement à 60 % du chiffre d'affaires. J'ai également proposé des exonérations de charges sociales supplémentaires, aussi bien pour les cotisations patronales que pour les cotisations salariales, sous forme de crédit d'impôt. L'ensemble de ces mesures coûte un milliard d'euros. Elles ont été décidées la semaine dernière. Vous le voyez, nous adaptons à chaque fois le dispositif pour protéger mieux et davantage les entreprises concernées.

Les PGE ont été un immense succès, avec 120 milliards d'euros décaissés, dont 90 % pour des PME et des TPE. Vous le savez, dans vos territoires, beaucoup s'inquiètent en se demandant comment faire pour rembourser. Pour les plus fragiles, nous avons prévu, en accord avec la Fédération bancaire française (FBF), un report du début de remboursement de mars 2021 à 2022. Nous leur donnons donc un an supplémentaire pour commencer le remboursement de leurs prêts, ce qui représente un effort considérable. Ce report sera décidé au cas par cas : les 570 000 contrats ne seront pas renégociés d'un coup ! Une entreprise qui est vraiment en difficulté pourra aller voir son banquier, lui exposer sa situation, et lui demander six, huit ou douze mois supplémentaires pour commencer le remboursement. Celui-ci pourra s'étaler sur cinq années supplémentaires, soit six ans au total. Et le report pourra se faire à des taux particulièrement attractifs, que j'ai négociés avec la FBF, et qui seront compris entre 1 et 2,5 %, garantie de l'État comprise, cette garantie représentant 100 points de base. Ces taux sont extraordinairement attractifs, et je tiens à saluer l'esprit de responsabilité de la FBF qui, depuis le début de cette crise, a accompagné les entreprises et l'État dans la politique de soutien à l'économie.

Pour les entreprises qui souhaiteraient disposer de fonds propres afin d'investir pour sortir de la crise, malgré leur endettement, nous avons mis en place des prêts participatifs, dont je préciserai le taux d'ici quelques semaines, et qui seront des prêts de long terme, au-delà de sept ans. Ces prêts seront des quasi-fonds propres, et ne pèseront pas sur l'endettement des entreprises. Ils ne donneront pas droit à la modification du capital de l'entreprise, ce qui est une vraie inquiétude des entreprises de taille intermédiaire à laquelle nous avons fait droit.

J'avais indiqué au départ que nous mettrions 2 milliards d'euros de garantie de l'État sur ces prêts participatifs, pour lever de 10 à 15 milliards d'euros. Nous avons vu que c'était insuffisant pour beaucoup d'entreprises, ce qui nous a conduits à changer la donne en disant que nous fixions un objectif de 20 milliards d'euros de prêts participatifs, et que la garantie de l'État s'adapterait à ce volume global. S'il devait être dépassé, nous avons prévu dans le projet de loi de finances la possibilité de dépasser 2 milliards d'euros. L'important, en effet, n'est pas la garantie de l'État, mais les prêts participatifs pour les entreprises, et les fonds propres de celles-ci.

Le premier volet de mon action est donc de continuer à protéger, aussi longtemps que le virus sera là, et d'adapter sans cesse les dispositifs, dans le but de faire preuve de toute la souplesse nécessaire pour que personne ne soit laissé au bord du chemin. Mais dans le même temps, il faut que la relance commence maintenant. Curieusement, les mêmes qui me demandaient en juin pourquoi je n'engageais pas la relance tout de suite me disent à présent que c'est trop tôt et qu'il faut attendre la fin de la circulation du virus. Non, je n'attendrai pas la fin de la circulation du virus, pour la bonne et simple raison que je ne sais pas quand elle surviendra.

Ce que je sais, en revanche, c'est que c'est maintenant qu'il faut investir, maintenant qu'il faut relancer, maintenant que notre économie doit redémarrer. Nous devons concilier la lutte contre le virus et le redémarrage de l'économie, et conjuguer sécurité sanitaire et sécurité économique, car la sécurité économique est vitale pour des millions de Français : c'est leur emploi, leur rémunération, leurs fins de mois, leur activité qui sont en jeu, ainsi que leur psychologie, leur sécurité personnelle, et la vie de leur famille. Je me bats pour tout cela, et pour que chaque Français se dise que l'économie continue à tourner. Et ce n'est pas qu'un slogan, c'est une réalité quotidienne, que vous voyez bien sur vos territoires : les gens ont envie d'aller travailler. Quand je vois un restaurateur qui bénéficie du fonds de solidarité, il me dit toujours qu'il n'a pas envie d'être aidé, mais de travailler ! Si les raisons sanitaires rendent cela impossible dans ce cas d'espèce, je souhaite que, pour le plus grand nombre de Français, il soit possible de continuer à travailler malgré la circulation du virus.

Je constate d'ailleurs que toutes les mesures que nous avons commencé à mettre en place fonctionnent remarquablement bien, voire trop bien. Ainsi, du fonds pour la relocalisation industrielle, pour lequel nous avions prévu un milliard d'euros, dont la moitié devait être dépensée en 2020. Nous avions un millier de projets il y a de cela quelques semaines. On nous a dit que les appels à projets étaient trop compliqués : c'était une critique du Medef et de la CPME, qui était justifiée. Nous avons simplifié les dispositifs, et nous avons désormais 3 600 projets sur la table, déposés par des entreprises, des PME, dans nos territoires, qui demandent 500 000 euros ou un million d'euros pour financer une ligne de production en France plutôt qu'à l'étranger. Déjà, 100 millions d'euros sont décaissés, et nous aurons décaissé 500 millions d'euros avant la fin de l'année - il sera même probablement nécessaire de rapatrier une patrie des crédits de 2021 sur 2020, tant la demande de fonds pour la relocalisation industrielle est forte depuis que nous avons lancé ce projet, avec Mme Agnès Pannier-Runacher.

Deuxième exemple : pour la rénovation énergétique des bâtiments publics, nous avions prévu 7 milliards d'euros, et nous avons déjà pour 8 milliards d'euros de demandes, qu'il s'agisse d'universités, de casernes, de brigades de gendarmerie ou de commissariats. À vous qui représentez les territoires, je rappelle que notre volonté, avec le Premier ministre, est de placer ces fonds au plus près des territoires. Toutes les rénovations énergétiques de moins de 5 millions d'euros seront décidées au niveau local, par les préfets : rien ne remontera jusqu'à Paris. Seuls les projets de rénovation énergétiques de plus de 5 millions d'euros pour les territoires, et de plus de 8 millions d'euros pour l'Île-de-France, remonteront à mon niveau, et je rendrai les arbitrages le 20 novembre prochain. Comme 92 % des projets de rénovation énergétique des bâtiments publics représentent moins de 5 millions d'euros, l'immense majorité de ces décisions seront traitées au niveau local.

Sur toutes ces mesures, vous pouvez consulter le site internet unique que nous avons ouvert, planderelance.gouv.fr , qui permet à chacun de s'informer sur les différentes mesures du plan de relance.

L'enjeu, pour moi, est de concilier la protection de notre économie et la relance qui doit nous permettre, d'ici deux ans, de sortir plus forts de cette crise.

Mme Anne Chain-Larché , rapporteure pour avis sur la mission « Relance » . - L'axe principal du budget que vous nous présentez est, bien évidemment, la relance de notre économie, selon la terminologie qui a, depuis l'été, remplacé les mesures d'urgence et autres plans de soutien. Ce nouvel objectif de relance, que nous nous fixons collectivement, ne doit pas faire oublier que beaucoup de nos entreprises se trouvent aujourd'hui encore dans un état d'urgence économique. On anticipe une hausse de 80 % des faillites en France dans les prochains mois, et des suppressions d'emplois industriels sont déjà annoncées, en dépit des aides publiques. Le quasi-confinement imposé depuis ce week-end va, sans nul doute, replonger les restaurateurs et les débits de boisson dans le rouge écarlate. Comment votre plan de relance répondra-t-il à cette urgence économique, non pas dans six mois, dans un an, dans cinq ans, mais dès qu'il sera voté ?

Les nombreux dispositifs d'accompagnement non financiers vers la numérisation ou la décarbonation, les appels à manifestation d'intérêt, se transformeront-ils en énième guichet méconnu des chefs d'entreprises ? La superposition des dispositifs est source de complexité. Ne retardera-t-elle pas leur déploiement ? Je m'interroge non seulement sur les outils mais aussi sur les moyens que l'État se donne pour les mettre en oeuvre. Les services régionaux de Bercy, par exemple, voient leurs effectifs se réduire dans la mission « Économie ». Nous sommes tous conscients du rôle essentiel qu'ont joué les CCI ces derniers mois. Vous avez renoncé de justesse, à l'Assemblée nationale, à diminuer leur financement. Le Haut Conseil des finances publiques estimait il y a quelques jours au Sénat que vos hypothèses de décaissement, selon lesquelles la moitié des 100 milliards d'euros seront dépensés en 2021, se fondent sur une vision « volontariste » de l'effet des mesures du plan de relance sur la croissance. Monsieur le Ministre, êtes-vous trop optimiste ?

M. Serge Babary , rapporteur pour avis sur la mission « Économie » . - Mes questions porteront sur la mission « Économie » et les crédits consacrés au commerce et à l'artisanat. De façon un peu provocatrice, je souhaite vous demander où sont ces crédits ! Progressivement, les crédits de soutien au secteur disparaissent de la mission - je pense au Fonds d'intervention pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (Fisac), mais pas uniquement - et sont saupoudrés dans d'autres missions et programmes. Depuis l'an dernier, il n'y a plus d'action spécifique consacrée au commerce et à l'artisanat. Depuis cette année, le Fisac a disparu. Depuis cette année également, l'Établissement public national d'aménagement et de restructuration des espaces commerciaux et artisanaux (Epareca) ou l'Agence du numérique ont rejoint l'Agence nationale de cohésion des territoires, et ne relèvent plus de cette mission. Envisagez-vous d'améliorer l'information du Parlement en regroupant les crédits consacrés au commerce et à l'artisanat au sein d'un même document ?

Ma deuxième question porte sur la numérisation des PME, qui est un besoin essentiel. La mission « Économie » prévoit 2 millions d'euros pour l'initiative « France num », dont beaucoup d'acteurs déplorent le manque de notoriété, et donc l'inefficacité. Qu'envisagez-vous de faire pour rapprocher cette initiative des entrepreneurs qui en ont réellement besoin ? Envisagez-vous de simplifier et d'unifier les divers dispositifs d'aide à la numérisation qui, s'ils partent d'une bonne intention, perdent les commerçants plus qu'ils ne les aident ?

Ma troisième question concerne le réseau des CCI. Le Gouvernement a finalement annulé la baisse de financement qu'il envisageait pour 2021. C'est bien. Au regard des moyens et de l'énergie déployée par la CCI depuis le début de la crise, envisagez-vous de les soutenir davantage et non pas uniquement de retarder la baisse de leur financement ?

M. Franck Montaugé , rapporteur pour avis sur la mission « Économie » . - La crise nous rappelle l'importance de l'industrie dans l'économie nationale, en termes d'emplois et de fourniture de biens stratégiques - pharmaceutiques, par exemple, agroalimentaires ou manufacturiers. La relocalisation doit faire l'objet d'un plan structuré, discuté avec le Parlement. Le prévoyez-vous ? Chaque crise fait aussi revenir la tentation de la délocalisation. Dans nombre d'entreprises qui ont déjà annoncé des plans sociaux, on constate que ces plans découlent d'un transfert d'activités à l'étranger. C'est ainsi que Bridgestone a investi en Pologne, Thales en Inde, Renault en Turquie... Dans le difficile contexte actuel, nous devons trouver un équilibre socialement protecteur et économiquement efficace entre d'une part les aides publiques à nos industries et, de l'autre, les contreparties à ces aides. Dans le cadre du contrôle budgétaire exercé par le Sénat, j'ai demandé à vos services de nous donner la liste des engagements pris par les entreprises du secteur aéronautique et automobile en contrepartie des plans de soutien votés en loi de finances rectificative. Vos services ne m'ont pas répondu. Le délai fixé par la LOLF est pourtant dépassé. Pouvez-vous me répondre aujourd'hui sur ce point ?

Sur le premier volet, c'est-à-dire les aides, ou encore la réponse à l'urgence économique, il faut aller plus loin dans le soutien aux PME et aux ETI en matière de fonds propres. Vous avez annoncé la mobilisation de 20 milliards d'euros de financement participatif. Selon quels critères ces fonds seront-ils attribués aux entreprises ? Vous visez celles qui ont « un vrai potentiel de rebond ». Je crains que ne soit exclu tout un plan de PME industrielles déjà endettées avec la crise, mais qui pourraient se développer en investissant. Nous devons accompagner l'ensemble de notre tissu productif, tout particulièrement au niveau local.

M. Alain Chatillon , rapporteur pour avis sur la mission « Participations financières de l'État » . - Dans les rapports successifs que j'ai pu faire sur l'Agence des participations de l'État, notre souci était la diversification. Nous considérons que, depuis des années, l'Agence des participations de l'État a concentré ses moyens sur un certain nombre d'entreprises. En matière d'entreprises stratégiques, c'était le nucléaire, mais il n'y a pas que le nucléaire qui soit stratégique pour l'État ! Nous souhaitons donc une ouverture, pour éviter ce qu'on a vu avec la crise sanitaire, c'est-à-dire un effondrement de la valorisation de l'Agence des participations de l'État.

Il y a des diversifications intéressantes sur lesquelles on aurait pu avancer. Avec mon collègue sénateur Martial Bourquin, nous avions essayé de faire avancer le dossier Alstom-Siemens, mais l'Europe nous a bloqués. On ne peut que le regretter, parce que c'était un élément stratégique très fort, et nous pensions, avec le ferroviaire, développer l'hydrogène. On aurait pu aussi rapprocher les potentiels automobiles français et allemand : Renault, PSA, et Mercedes, BMW... Avec la source d'énergie qu'est l'hydrogène, nous pouvions être attractifs sur deux secteurs importants. Bref, nous souhaitons pour l'Agence des participations de l'État une meilleure diversification et un meilleur engagement.

Mme Dominique Estrosi Sassone , rapporteur pour avis sur la mission « Cohésion des territoires » . - Mes deux questions portent sur les aspects logements et construction, tant dans le projet de loi de finances pour 2021 que dans le plan de relance. Le bâtiment est un secteur essentiel pour notre économie et pour la reprise d'activité. La construction neuve est la grande oubliée du plan de relance. Alors que 6,7 milliards d'euros sont consacrés à la rénovation énergétique des bâtiments, il n'y a rien sur la construction neuve dans le plan de relance. La ministre du logement a pris acte de cette situation et elle a promis de proposer, par des amendements au projet de loi de finances, une prolongation des dispositifs Pinel et du prêt à taux zéro. Quelle est votre position sur ces prolongations éventuelles, et sur leur dimension fiscale ?

Quelques gestes ont été faits cette semaine pour le logement social. Je pense notamment au maintien de la réduction de loyer de solidarité (RLS) à 1,3 milliard d'euros, mais également à un dispositif qui, dans le PLF, crée un abattement exceptionnel des plus-values immobilières pour construire des logements dans le cadre des opérations de revitalisation de territoires ou des grandes opérations d'urbanisme qui ont été créés grâce à la loi portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique (Élan). D'autres évolutions pourraient aussi favoriser la construction de logements sociaux, en particulier via la baisse du taux de TVA, tant pour élargir à 500 mètres autour des quartiers prioritaires de la politique de la ville le taux réduit de TVA pour l'acquisition de logements neufs en zone ANRU que pour, d'une façon plus générale, aboutir à un taux réduit de TVA pour les logements sociaux. Ce n'est pas nécessairement décisif quand on construit un seul logement, mais cela devient extrêmement important lorsqu'on parle de centaines ou de milliers de logements qui restent à construire ou à rénover.

M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » . - Comme l'année dernière, dans le cadre du PLF, le Gouvernement propose un nouveau coup de rabot sur le crédit impôt recherche. Cela peut avoir des effets délétères sur la coopération entre recherche publique et entreprises. Je sais que vous aimez parler de sanctuarisation à propos de ce crédit, mais je crains que le sanctuaire soit une fois de plus profané. Ne serait-il pas préférable de reporter au-delà de 2022 cette mesure de rabot sur le crédit impôt recherche ?

Cette année, la ligne budgétaire finançant les aides à l'innovation de Bpifrance est supprimée et transférée dans le PIA 4. Le soutien aux aides à l'innovation par Bpifrance a fondu comme neige au soleil ces dernières années. J'avais défendu un amendement contre cette tendance lors du projet de loi de finances pour 2020. Il m'avait été répondu que Bpifrance avait un matelas suffisant pour financer seule ses aides. Je suis ravi de constater que le Gouvernement a changé d'avis, mais pouvez-vous nous confirmer que ce montant sera augmenté ?

Les maires et les présidents d'agglomérations craignent la fin de l'exonération de taxe foncière en quartiers prioritaires de la ville et les conséquences qui en découleraient. Les propriétaires de locaux commerciaux des quartiers prioritaires de la politique de la ville bénéficient depuis cinq ans d'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties. Celles-ci constituent une variable déterminante pour l'équilibre financier de leur entreprise, surtout dans la période que nous traversons. La fin de cette exonération entraînerait une charge financière insupportable, qui les conduirait à cesser leur activité. Le plan « France relance » ne semble pas prendre en compte cette situation, qui concerne de nombreuses communes. Envisagez-vous de prendre en compte, dans le cadre de la loi de finances pour 2021, un dispositif rectificatif ou compensatoire qui permettrait de proroger ces exonérations fiscales ?

M. Laurent Duplomb . - Notre dette s'élevait à 2 638 milliards d'euros à la fin du premier semestre 2020. Beaucoup d'experts parlent de 3 000 milliards à la fin de cette année. Beaucoup disent aussi que, les taux d'intérêt étant bas, il faut en profiter pour emprunter. Il n'en reste pas moins vrai qu'en bon agriculteur, nous savons très bien que, quand on emprunte, le bon sens veut qu'on rembourse sa dette.

Le remboursement de cette dette de près de 3 000 milliards à la fin de l'année, ou de 2 638 milliards fin juin, peut se faire de quatre manières. D'abord, par la croissance ; puis, par l'inflation, mais, malheureusement - ou heureusement - ce n'est pas le ministre de l'économie qui décide de l'inflation. Le remboursement peut se faire aussi par l'augmentation des impôts. D'où ma première question : arriverez-vous à tenir sur le principe de ne pas aller dans cette direction ? La quatrième solution est l'annulation de la dette, et beaucoup de nos concitoyens estiment, parce qu'ils ont entendu parler pendant des années, ou des décennies, d'une dette qu'on ne rembourserait jamais, que nous pourrions peut-être annuler cette dette. En réalité, cela susciterait une telle défiance des marchés que cela diminuerait notre crédibilité et mènerait à une augmentation des prix.

Si vous voulez augmenter la croissance - ce qui me semble, des quatre options, la seule plausible si l'on ne veut pas avoir du monde dans la rue et des difficultés de gouvernance - il faut que les entreprises françaises travaillent. Or, je vais vous donner un exemple. Avec mon fils, nous investissons 1,2 million d'euros dans une méthanisation. Sur cette somme, nous n'aurons donné que 200 000 euros à des entreprises françaises. Le million d'euros restant va à des Allemands, qui maîtrisent le processus, à des Roumains, qui ont construit les fosses - la même semaine où l'on interdisait à nos enfants de passer le brevet des collèges -, à des Tchèques, qui ont monté le système, à des Hongrois, à des Ukrainiens, à des Hollandais, qui ont fait le transport... Pas un Français ! Monsieur le Ministre, si l'on veut de la croissance, il faut faire travailler nos entreprises !

M. Daniel Gremillet . - L'hydrogène est un dossier stratégique pour notre indépendance et notre compétitivité. Pourtant, sur ce point, le plan de relance n'est pas à la hauteur si l'on se compare à d'autres pays de l'Union européenne, ou à d'autres pays qui sont bien plus ambitieux, notamment en Asie. Comment faire en sorte que le plan de relance, sur l'hydrogène, donne des chances à l'économie française ?

Sur la forêt, nous ne sommes pas au rendez-vous, monsieur le ministre : 200 millions d'euros pour le dossier forestier, ce n'est pas assez quand on voit la souffrance et l'enjeu pour l'économie et le climat. Comment allez-vous réagir face à cette absence de capacité financière sur le dossier ?

Sur la rénovation énergétique, je partage votre propos : il y a un vrai succès. Mais, comme l'a dit Mme Dominique Estrosi Sassone, au-delà la rénovation, il n'y a rien pour le neuf ! Dans un amendement repris par l'Assemblée, le Sénat a énoncé le fait que, dès lors qu'on est sur de l'argent public, il est dommage que les fonds accompagnant la rénovation bénéficient plutôt à des entreprises et à du matériel qui ne viennent pas de France ni d'Europe. Comment conjuguer la relocalisation avec ce plan de relance ?

Je partage votre avis : seule la croissance nous permettra de retrouver une capacité à rembourser la dette. Mais je crains un décalage par rapport au calendrier que vous avez imaginé. Même avec un an de report, les entreprises ne seront pas en mesure de rembourser aussi rapidement.

M. Bruno Le Maire, ministre . - Mme Anne Chain-Larché m'interroge sur l'urgence économique. Tous les dispositifs que nous avons mis en place - fonds de solidarité, adaptation du prêt garanti par l'État, exonération de charges - doivent nous permettre de remédier à l'urgence économique. L'augmentation de l'allocation de rentrée scolaire, les 150 euros de prime pour les bénéficiaires de l'allocation de solidarité spécifique ou du revenu de solidarité active, doivent aussi apporter du soutien à ceux de nos compatriotes qui ont les niveaux de revenus les plus faibles.

Sur la décarbonation et la numérisation, j'ai entendu les critiques, tout à fait fondées - et toutes les critiques fondées sont constructives et utiles. On m'a expliqué qu'il y avait trop de dispositifs, trop de guichets, et c'était vrai, et cela compliquait les démarches. Il y aura donc un guichet unique pour la décarbonation et la digitalisation des PME en France. Cela permettra à une PME qui veut se digitaliser, et qui achètera un logiciel pour cela, d'obtenir, sur simple présentation de la facture, à une réduction d'impôt de 40 %. C'est une aide directe à la digitalisation, via un guichet unique.

Pour répondre à Serge Babary, je prône le dialogue et l'écoute, plus que jamais nécessaires en période de crise. J'entends les craintes des CCI, qui ont dû réduire le montant de la taxe affectée moyennant une clause de revoyure en cas de dégradation de la situation économique. Nous avons corrigé les chiffres et trouvé un accord, qui prévoit la baisse du plafond d'affectation de la taxe à 50 millions d'euros en 2022 et une stabilisation en 2021 du produit par rapport à la loi de finances initiale pour 2020 : 349 millions d'euros au lieu des 249 prévus, soit 100 millions d'euros rendus. Cette solution a été acceptée par les CCI et votée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Voilà un cas d'école de dialogue menant à des solutions conformes à l'intérêt général.

Suis-je trop optimiste ? On ne l'est jamais trop en tant que ministre de l'économie et des finances, mais je pense avoir été prudent. Début septembre, nous avons assisté à un emballement : la croissance repartait, la Banque de France évaluait la récession en fin d'année à 8,7 %, l'OCDE à un peu moins de 9 %. Tout le monde m'a demandé de ramener l'estimation pour 2020 de - 11 % à - 9 % pour créer un choc de confiance. Mais j'ai estimé que les risques relatifs à la pandémie et au contexte international étaient importants, et j'ai décidé de maintenir l'estimation à  - 10 %. J'estime que la prudence est un facteur de confiance pour les Français. Nous allons passer par des hauts et des bas. Les difficultés actuelles, très importantes pour de nombreux Français, se poursuivront tant que le virus sera là. Certaines entreprises ne tiendront pas mais d'autres ouvriront, d'autres industries se créeront : je songe au site de production de batteries électriques à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, ou à l'hydrogène, qui nous permettront de surmonter cette épreuve. Nous sommes équipés pour faire face.

Le commerce et l'artisanat sont désormais gérés par l'Agence nationale de la cohésion des territoires, sous l'autorité de Jacqueline Gourault.

Je souhaite attirer votre attention sur un projet encore trop méconnu, celui des foncières créées par la Banque des territoires, sous l'autorité de la Caisse des dépôts et consignations. Ces foncières, au nombre de 6 000 et bientôt, je l'espère, 10 000, rachètent et rénovent des locaux commerciaux en centre-ville, les rendent plus compétitifs au point de vue énergétique, les réunissent le cas échéant puis les louent à un tarif préférentiel. Je souhaite que ce dispositif simple et efficace, qui représente plusieurs milliards d'euros d'investissements, soit connu de toutes les villes moyennes et petites qui pourraient en bénéficier.

Monsieur Montaugé, j'ai entendu les critiques adressées aux donneurs d'ordres des secteurs aéronautique ou automobile. Il y a quelques jours, j'ai rassemblé ceux du secteur aéronautique - Dassault, Thales, Safran et Airbus - pour les rappeler à leurs responsabilités. Puisque nous ne sommes pas parvenus à un accord sur les relations entre ceux-ci et leurs sous-traitants, nous avons nommé un observateur indépendant pour repérer les difficultés, territoire par territoire. Alain Chatillon m'a déjà alerté sur ce sujet ; nous assurons le suivi régulier de la charte du Gifas (groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales) et de l'engagement des donneurs d'ordres à respecter les délais de paiement et à traiter avec les sous-traitants de manière appropriée. Je suis parfaitement conscient du travail qui reste à faire sur le sujet.

Toutes les entreprises ne pourront bénéficier de fonds propres et de prêts participatifs. Je suis transparent sur le sujet. J'ai refusé une garantie de l'État à 100 %, estimant que les banques doivent porter 10 % du risque. Dans le cas contraire, elles seront incitées à soutenir les entreprises sans fixer de critères, et c'est le contribuable qui paiera.

Monsieur Chatillon, j'ai regretté la décision de la Commission européenne sur la fusion entre Alstom et Siemens ; en revanche, il y a matière à se réjouir du projet associant Alstom et Bombardier, qui montre que nous avons des industries puissantes susceptibles d'opérer des fusions sur la base des compétences et des savoir-faire.

Monsieur Gremillet, l'un des enjeux de la relance est de faire de la crise une opportunité pour ouvrir de nouveaux champs d'excellence française. Avec le luxe, les vins et spiritueux, l'agro-alimentaire, l'aéronautique, nous nous sommes endormis sur nos lauriers. Ces champions industriels sont une fierté nationale, à juste titre, mais les taxes à l'importation sur les vins français et l'effondrement de l'aéronautique ont touché de plein fouet deux moteurs de nos exportations. Il est bon de chercher d'autres moteurs : plutôt que de vivre sur nos acquis du XX e siècle, construisons les succès du XXI e siècle.

C'est pourquoi nous avons décidé d'investir massivement dans l'hydrogène. La solution de facilité aurait été de donner la priorité à la réduction immédiate des émissions de CO 2 en finançant des tarifs préférentiels d'achat d'hydrogène. Nous aurions ainsi développé la consommation en un an ou deux mais pas la production. Avec le Président de la République, nous avons fait le choix totalement différent de produire nous-mêmes de l'hydrogène, en investissant à toutes les étapes de la filière : les réservoirs, avec Faurecia pour champion, les piles à combustible et les électrolyseurs, avec les technologies de membrane très complexes mais prometteuses. Nous pouvons avoir d'ici quelques années une « Gigafactory » de production d'hydrogène en France. Pourquoi se priver de cette ambition ? Personne n'imaginait, lorsque la France s'est lancée dans le nucléaire, que notre pays deviendrait l'un des meilleurs spécialistes au monde dans la production d'énergie nucléaire civile ; lorsque Airbus a été créée, ils étaient peu nombreux à penser que l'Europe se doterait du constructeur d'avions le plus performant, rentable et technologiquement pointu de la planète.

Ma conviction est que nous y arriverons pour l'hydrogène. Cela suppose des investissements massifs - sept milliards d'euros - et une coopération franco-allemande. Nous en avons discuté avec le président de la République et la chancelière Merkel il y a quelques jours. Les projets avancent à très bon pas. Il reste un point de divergence - notable, je vous l'accorde : nous estimons que l'électricité alimentant les électrolyseurs est verte si elle est d'origine nucléaire, alors que les Allemands estiment qu'elle pose problème.

Madame Estrosi Sassone, une concertation est en cours avec le secteur du bâtiment, les promoteurs et les travaux publics pour améliorer l'efficacité des dispositifs Pinel et prêts à taux zéro (PTZ) tout en tenant compte des enjeux soulevés par la convention citoyenne pour le climat, notamment l'artificialisation des sols. Les dispositifs existants seront prolongés, et nous aurons avec le Parlement ce débat sur la lutte contre l'artificialisation, vitale pour nos territoires. En tant qu'élu de l'Eure, j'ai pu constater combien l'extension des zones pavillonnaires pouvait être problématique ; d'un autre côté, l'attente de nos compatriotes sur le logement individuel est forte. Il y a des choix économiques à faire, mais aussi une évolution culturelle à engager.

Concernant le crédit d'impôts recherche, je suis pour la stabilité fiscale : moins l'on touche aux impôts, mieux l'on se porte. L'ajustement que nous proposons est motivé par la mise en conformité avec l'Union européenne : ne pas le faire nous exposerait à un recours juridique aux conséquences pénalisantes. Globalement, les crédits à la recherche augmenteront, et je suis très attaché à ce dispositif qui a fait la preuve de son efficacité.

Monsieur Duplomb, tant que je serai ministre des finances, il n'y aura pas d'augmentation d'impôts dans notre pays. On peut toujours justifier une imposition des plus riches, des 1 %, des 2 %... Je rappellerai simplement que nous sommes le pays développé au taux de prélèvements obligatoires le plus élevé au monde. Ma responsabilité est donc de stabiliser, ou de faire baisser les impôts : avec 22 milliards d'euros de baisse sur les ménages et autant sur les entreprises depuis 2017, c'est ce que nous avons fait.

Sur la dette, j'en appelle à votre sens des responsabilités. Annoncer des annulations de dettes, c'est susciter la méfiance des investisseurs. Oui, la dette doit être remboursée ; oui, elle doit l'être par la croissance et oui, il faut faire travailler nos entreprises.

Monsieur Gremillet, n'étant plus ministre de l'agriculture, je ne suis pas en mesure de répondre à votre question sur le domaine forestier mais vous recevrez une réponse écrite. Avec la rénovation énergétique, vous touchez à un point important. Il faut aller vite, et il est essentiel que le nombre d'entreprises ayant la certification énergétique augmente pour que cette rénovation profite aux entreprises françaises.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je propose que vous répondiez par écrit aux sénateurs qui n'auront pas reçu de réponse ce soir.

Parmi les propositions de la Convention citoyenne pour le climat figurent des augmentations d'impôts : je ne sais pas comment vous aborderez ce sujet au sein du Gouvernement...

M. Jean-Marie Janssens . - La crise sanitaire et économique qui frappe notre pays a des conséquences graves sur l'emploi et la survie de plusieurs branches d'activité, notamment le secteur aéronautique touché à tous les échelons : compagnies aériennes, grands constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitants. Dans mon département du Loir-et-Cher, l'entreprise Daher annonce un plan de restructuration menaçant des centaines d'emplois dans les deux sites du Val de Cher, à Montrichard et Saint-Julien-de-Chédon, et Thales se prépare à supprimer des postes sur ses deux sites de Vendôme. Malgré les 15 milliards d'euros du plan de relance pour l'aéronautique annoncés cet été, les suppressions de postes sont là et les perspectives sont mauvaises. Relancer la filière commence par sécuriser les emplois industriels du secteur et l'emploi local. Il est impératif de donner de la visibilité et du soutien aux entreprises comme Daher, pour les aider à faire les bons choix stratégiques et à ne pas s'engager dans la voie de lourdes restructurations.

Au-delà des aides financières, pouvez-vous nous présenter les mesures que le Gouvernement entend prendre pour défendre l'emploi local dans ce secteur aéronautique ?

Mme Catherine Fournier . - Je ne suis pas persuadée que les TPE-PME bénéficieront pleinement de la relance sans un choc de simplification des procédures administratives. Peu d'entre elles ont les services internes en mesure de cibler les aides adaptées, d'identifier l'interlocuteur idoine et de réunir les pièces demandées, souvent hors de proportion avec l'aide demandée. Souvent, aucun délai n'engage l'administration. Dans les Hauts-de-France, l'aide sera distribuée par un guichet unique, avec un engagement de réponse dans un délai d'un mois. Un trop grand nombre de TPE-PME renoncent à demander des aides, parce que cela demande trop de temps et d'énergie.

Pourquoi avoir baissé la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui n'est pas l'impôt de production qui touche le plus les TPE-PME, plutôt que de maintenir les baisses et annulations de cotisations sociales et d'impôts ? C'était pourtant le moyen le plus simple et direct de leur venir en aide.

M. Fabien Gay . - Il est dommage que nous n'ayons pas le temps d'un vrai débat. J'aurais pu vous dire que je suis d'accord avec certaines mesures, notamment les PGE pour les petits commerçants et artisans ; il faudra à mon avis les convertir en fonds propres, quand ils se retrouveront face au mur de la dette en mars prochain. Pour le fonds de solidarité, le raisonnement est le même : dans le rapport que j'ai présenté avec Serge Babary et Anne Chain-Larché, nous demandions une prolongation jusqu'au 31 décembre, et potentiellement jusqu'au 30 juin.

Pendant la crise, vous avez appelé les entreprises, surtout les grandes, à modérer leurs dividendes. Je vous le dis franchement, c'est un échec. 100 % des entreprises du CAC 40 ont été aidées. Les deux tiers ont versé des dividendes, et huit d'entre elles les ont augmentés. Certes, les dividendes sont distribués sur le résultat de 2019. Je vous pose donc la question : allez-vous légiférer en 2021 et interdire le versement de dividendes pour l'exercice 2020 ?

Un schéma que vous avez partagé sur Twitter pour présenter le plan de relance mentionnait un « suivi rigoureux ». Qu'est-ce que cela veut dire ? Les salariés voient tomber les aides publiques « à gogo » pour les entreprises, alors qu'ils subissent les plans de licenciement. Vous refusez de conditionner les aides publiques à des critères en matière d'emploi, d'environnement et de recherche et développement, mais quel suivi allez-vous mettre en place ? Ceux qui ne respecteront pas leurs obligations seront-ils sanctionnés ?

Enfin, il faudra suivre de près les développements de l'affaire Suez-Veolia. Lors de l'examen de la loi Pacte, contre laquelle nous n'étions pas nombreux à voter, vous nous assuriez que la détention du golden share par l'État dans les grandes entreprises dont il est actionnaire nous mettrait à l'abri des problèmes. On a vu par la suite que c'était plus compliqué...

Mme Valérie Létard . - J'associe à mon propos Dominique Estrosi Sassone, Viviane Artigalas et Marie-Noëlle Lienemann, co-rapporteurs de la mission d'information de notre commission sur Action Logement et la PEEC (participation des employeurs à l'effort de construction). Le journal Le Monde et d'autres médias ont eu communication du rapport de l'Inspection générale des finances sur Action Logement, alors que nous parlementaires ne l'avons pas reçu. Quand nous transmettrez-vous ce rapport de l'inspection générale des finances ? Vous avez annoncé à l'Assemblée nationale votre intention de mener à bien la réforme d'Action Logement en même temps que celle des retraites. Olivier Dussopt a annoncé un amendement demandant une habilitation à prendre ces mesures par ordonnances. Le confirmez-vous, et quel est le calendrier ? Quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ?

Enfin, pouvez-vous répondre à la question de M. Moga sur la possible prolongation des exonérations de TFPB (taxe foncière sur les propriétés bâties) pour les locaux commerciaux en quartiers politique de la ville ?

M. Joël Labbé . - Parmi les immenses défis que vous avez à relever figure le verdissement du budget. La méthode « budget vert » donne enfin une vision claire et transparente des niches fiscales néfastes pour le climat et des subventions aux énergies fossiles. Le rapport du Gouvernement sur l'impact environnemental du PLF évalue les exonérations ou taux réduits sur les taxes intérieures de consommation (TIC) sur les produits liés aux carburants à 5,1 milliards d'euros ; mais le rapport sur le « green budgeting » du ministère de la transition écologique avance, pour l'année dernière, le chiffre de 12,2 milliards, tandis que la Commission européenne évoque 9,7 milliards d'euros. Ces différences s'expliquent par des choix de périmètre. Il convient que nous ayons une vue globale afin d'engager une trajectoire de suppression tout en accompagnant les secteurs concernés. Envisagez-vous de nous la donner dans un futur proche et de rectifier ces chiffres ?

M. Daniel Laurent . - La filière viticole a été durement touchée par la crise sanitaire, d'autant plus qu'elle affrontait concomitamment les sanctions américaines, le Brexit et la crise de Hong-Kong. L'OMC (Organisation mondiale du commerce) vient d'autoriser l'Union européenne à appliquer des sanctions tarifaires d'un montant de quatre milliards de dollars sur des produits et services américains au titre des aides américaines à Boeing. La prochaine liste des produits taxés par les États-Unis devrait être communiquée au plus tard en février prochain.

Les représentants des producteurs et distributeurs de vins et spiritueux demandent un retrait de leurs produits de cette liste et une intensification des efforts pour une solution négociée. La décision de l'OMC risque de crisper encore davantage les Américains, alors que la baisse de valeur des exportations aux États-Unis a dépassé les 500 millions d'euros en dix mois. Alors que 30 % de notre économie dépendent des échanges internationaux, la partie export du plan de relance, qui s'élève à 247 millions d'euros tous secteurs confondus, est-elle proportionnée ?

La France, déclariez-vous le 15 octobre, compte trois grandes filières d'excellence : l'aéronautique, le luxe et les vins et spiritueux. Vous venez de dire que nous avions besoin d'autres moteurs, mais conservons d'abord l'existant. Le Gouvernement a mis en place des plans sectoriels pour l'aéronautique et l'automobile, mais pas pour les vins et spiritueux, qui pourraient être la victime collatérale d'un contentieux auquel ils sont étrangers. Le plan de relance soutiendra-t-il cette filière ?

M. Bruno Le Maire, ministre . - Monsieur Janssens, les emplois les plus touchés par les conséquences de la crise sanitaire sont les emplois de service à faible qualification, les intérimaires, les contrats courts. Les secteurs économiques les plus frappés sont les secteurs dits S1 et S1 bis - hôtellerie, cafés, restauration, événementiel, culture, spectacle vivant, salles de sport - et le transport aérien. Ce dernier secteur a connu une chute sans précédent, avec des perspectives qui restent très incertaines. L'effet sur les sous-traitants comme Daher est considérable, c'est pourquoi nous avons mis en place un fonds de soutien et un fonds d'investissement pour, concrètement, occuper les ingénieurs aéronautiques ; car leur disparition représenterait un coût humain et technologique considérable pour l'ensemble de la société. Je suis informé de la situation à Vendôme, et j'ai reçu voici quelques jours le président de Thales pour rechercher des solutions.

Je félicite les salariés, les représentants syndicaux et la direction d'Airbus pour l'accord qu'ils ont trouvé après des semaines de négociations : les licenciements secs sont évités, ce qui était l'objectif de l'État. Des efforts considérables sont demandés aux salariés, mais nous n'avons pas le choix car les avions ne volent plus. L'État prend toute sa part, avec un plan de soutien à 18 milliards d'euros. Concrètement, il consiste à financer le surcoût des commandes aériennes qui seraient annulées si l'État ne portait pas la garantie financière associée. Un exemple : lorsque les Émirats arabes unis estiment qu'ils n'ont plus besoin d'A380 au vu de l'effondrement du transport aérien, nous payons pour le maintien de la garantie export pour un ou deux ans supplémentaires. Cela se chiffre en milliards d'euros. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver le maximum d'emplois et d'entreprises dans ce secteur d'excellence très fragilisé. Je ne vous cache pas que cela sera dur.

Madame Fournier, la complexité des dispositifs est en effet supportable en période ordinaire, mais pas en période de crise. Dans le cadre de la loi ASAP, nous avons mis en place un guichet unique pour la digitalisation des PME et porté de 40 000 à 100 000 euros le seuil de l'appel d'offres obligatoire pour les contrats publics, ce qui soulagera les petites communes. Nous avons également demandé un raccourcissement des délais administratifs, et nous allons poursuivre dans cette voie.

Les premiers bénéficiaires, en valeur relative, de la baisse des impôts de production seront les PME, qui représentent 25 % de la valeur ajoutée globale du pays mais 30 % du montant de la baisse. Nous sommes attentifs à ce que les PME bénéficient pleinement de nos choix économiques.

Monsieur Gay, j'ai fixé la règle que toute grande entreprise recevant une aide directe de l'État, sous forme de PGE ou d'exonérations de charges, ne distribue pas de dividendes. Une entreprise qui n'a pas assez d'argent pour sa trésorerie n'en a pas assez non plus pour ses actionnaires. J'ai refusé des PGE sur cette base. Puisque le dispositif sera prolongé du 31 décembre 2020 au 30 juin 2021, cette règle sera elle aussi reconduite.

Je rappelle également que les entreprises installées dans un paradis fiscal ne peuvent bénéficier d'aucune aide de l'État.

En réalité, la plupart des aides aux entreprises sont déjà conditionnelles. Pour toucher la prime à l'embauche d'un jeune apprenti, il faut l'embaucher ; pour bénéficier de MaPrimeRénov', il faut faire de la rénovation énergétique ; pour bénéficier de la prime à la conversion automobile, il faut acheter un véhicule électrique ou un véhicule Crit'Air 1. Sur les impôts de production, nous sommes en désaccord : j'estime qu'en les baissant, nous nous mettons au niveau des autres pays européens. Je ne vois pas pourquoi nous imposerions une conditionnalité, puisqu'il s'agit de fixer un cadre plus compétitif et attractif pour les entreprises françaises.

Concernant Suez et Veolia, je suis constant dans mes positions. Je n'ai pas changé d'avis sur ce dossier : la précipitation n'est jamais bonne conseillère. Le 21 septembre, on m'a expliqué que l'opération devait se faire toutes affaires cessantes. Elle a été menée dans la précipitation, sans garanties suffisantes sur l'emploi et la préservation de champions industriels. Or l'affaire est aujourd'hui bloquée. N'aurait-il pas fallu prendre le temps de la discussion pour trouver un accord amiable ? J'ai demandé aux trois représentants de l'État au conseil d'administration d'Engie de voter contre l'opération, pas sur le fond mais sur la manière dont elle a été conduite. Je maintiens ma position. L'État n'étant pas majoritaire, il a été battu, mais c'était son rôle que de rappeler certains principes.

De manière plus générale, chacun doit s'interroger sur son rôle dans l'économie. Les entreprises doivent comprendre qu'elles ont un rôle social à jouer, notamment en matière d'emploi et d'environnement. Nous n'arriverons pas à construire un modèle économique plus juste et efficace si chacun ne prend pas ses responsabilités. Je regrette la décision qui a été prise par le conseil d'administration d'Engie, je pense que nous aurions dû prendre le temps d'un accord amiable, et je considère que la préservation de l'emploi et de la concurrence dans le secteur de la gestion de l'eau et des déchets est importante pour notre pays.

Madame Létard, je vais demander la transmission du rapport de l'IGF sur Action Logement au Parlement. Des discussions sont en cours avec les partenaires sociaux, sous la direction de la ministre du logement, Emmanuelle Wargon. Tout le monde s'accorde sur le diagnostic : la gouvernance n'est pas satisfaisante, les frais de fonctionnement sont trop élevés. Il faut réformer ce système tout en préservant le financement des politiques publiques et en veillant à faire baisser la PEEC, qui est un impôt de production payé par les entreprises. Nous négocions avec les partenaires sociaux, sans brutalité ni précipitation, mais en l'absence d'accord, nous prendrons nos responsabilités.

Monsieur Labbé, plus d'un tiers du plan de relance est consacré aux questions environnementales. On nous reproche souvent de ne pas aller assez vite ; j'estime pour ma part qu'il convient, sans renier nos ambitions, de maintenir une visibilité sur le calendrier et de ne pas forcer la réalité, sous peine de le payer cher en matière d'emploi. Ce n'est pas la taxe carbone en soi qui a provoqué le mouvement des gilets jaunes, mais la concomitance de celle-ci et de la convergence des tarifs du diesel et de l'essence. C'était ambitieux en théorie, mais insupportable pour des millions de nos compatriotes. Je tiens à préciser, monsieur Duplomb, que Bercy avait alerté sur les risques d'une mise en oeuvre simultanée de ces deux mesures.

C'est le même raisonnement qui m'a conduit à étaler sur trois ans, au lieu de deux, la mise en oeuvre de l'abaissement de 138 à 123 grammes d'émission de CO 2 au kilomètre le seuil de déclenchement du malus. Il faut laisser le temps aux industriels de s'adapter, au lieu de forcer la machine.

Monsieur Laurent, vous connaissez mon attachement à la filière viticole et à ses produits, mais la bonne politique vis-à-vis de l'administration américaine n'est pas l'accommodement ni la faiblesse. L'OMC nous a autorisés à imposer des sanctions de 4 milliards d'euros sur les produits américains. Nous avons donc le droit de le faire, et nous devons en avoir le courage. M. Trump, et les États-Unis de manière générale, ne respecteront que la force. Nous avons proposé un accord à l'amiable raisonnable, mais le négociateur américain n'en veut pas. Il faut montrer notre détermination, car on ne gagne rien à faire preuve de faiblesse.

Mme Sophie Primas , présidente . - Je vous remercie, et vous demande de répondre par écrit aux questions des sénateurs qui n'ont pu intervenir au cours de cette réunion.

Comme vous l'avez dit, le diagnostic sur Action Logement est partagé, mais nous l'avions posé dès l'examen de la loi Elan, monsieur le ministre. Nous avions voté une modification de la gouvernance, mais les décrets d'application n'ont pas été pris. Au conseil d'administration, les commissaires du gouvernement nous ont indiqué qu'ils n'avaient aucune intention de le faire, malgré la volonté du Parlement et du Gouvernement lui-même. C'est une question de démocratie et de fonctionnement de nos institutions. Je vous remercie.

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