EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 18 novembre 2020, la commission a examiné le rapport pour avis de M. Jean-Pierre Moga sur la mission « Recherche et enseignement supérieur » du projet de loi de finances pour 2021.

M. Jean-Pierre Moga , rapporteur pour avis . - Le budget de la recherche que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans le droit fil de nos travaux sur la loi de programmation de la recherche. Si l'on annule les évolutions de périmètre qui rendent particulièrement délicate la lecture du budget cette année, on constate une hausse de 2 % des crédits - soit 266 millions d'euros pour atteindre 14,9 milliards d'euros. C'est une hausse proche de celle du budget de l'année dernière - dont j'avais estimé qu'il était sans ambition. Je pense qu'on pourrait également le dire cette année s'il n'était pas sauvé par le plan de relance !

Ce n'est pas le choc que nous demandions dans le cadre de la loi de programmation, mais c'est un premier pas, et le budget comporte certaines mesures que nous demandions depuis plusieurs années. Je vous proposerai donc d'émettre un avis favorable.

Quelques remarques de forme d'abord. Je ne m'étendrai pas sur les difficultés à reconstituer les différents crédits entre l'enveloppe de la mission budgétaire « Recherche », l'enveloppe budgétaire « Plan de relance » et l'enveloppe budgétaire du « Programme d'investissements d'avenir ». Mais je souligne que le Gouvernement en profite pour gonfler artificiellement le plan de relance. Il supprime par exemple 150 millions de crédits dans l'enveloppe « Recherche » pour la transférer dans la mission « Plan de relance ». C'est, si vous me permettez l'expression, du bricolage et, pour nous, parlementaires, de la désinformation !

Sur le fond, je me réjouis de certaines mesures, mais je regrette qu'il ait fallu attendre la plus importante crise de notre histoire économique récente pour que le Gouvernement applique nos recommandations ! Je pense notamment à deux mesures demandées par le Sénat depuis plusieurs années : la très importante hausse du budget d'intervention de l'Agence nationale de la recherche afin de revenir à un taux de succès décent, et la hausse des crédits affectés aux aides à l'innovation de BPIfrance. L'année dernière, quand j'avais plaidé pour que 20 millions d'euros supplémentaires soient affectés aux aides à l'innovation, on m'avait répondu que ce n'était pas nécessaire. Cette année, je constate que, selon les informations données par BPIfrance, c'est 67 millions d'euros de plus par rapport à 2020 qui seront octroyés à l'organisme ! C'est donc une mesure bienvenue.

Il me semble cependant que certains points de vigilance perdurent. D'abord, les organismes de recherche non rattachés au ministère de la recherche ne bénéficient pas de la dynamique lancée par la loi de programmation de la recherche, c'est notamment le cas de l'IFP-EN, dont la dotation stagnera en 2021. C'est dommage, car c'est un acteur essentiel de la transition énergétique, en particulier sur l'hydrogène. Ensuite, le glissement vieillesse technicité, qui ampute chaque année le budget des organismes de recherche de 28 millions d'euros, ne sera pas clairement compensé. Le Gouvernement compte sur les mesures salariales encore en cours de négociation pour obtenir un effet de soulagement, mais sans s'engager sur une compensation. Enfin, les documents budgétaires ne renseignent pas sur les moyens précis pour mettre en oeuvre les objectifs opérationnels de la loi de programmation. Quand on pose une question simple comme « où sont les financements pour s'assurer qu'aucun jeune scientifique ne perçoive une rémunération inférieure à deux Smic ? », on reçoit une réponse complexe rappelant que c'est l'objectif mais ne donnant pas précisément les moyens pour l'atteindre !

J'en viens maintenant à deux actions qu'il me paraît nécessaire de mettre rapidement en oeuvre. Premièrement, s'agissant de la trésorerie des opérateurs de recherche : comment expliquer que les organismes de recherche aient une trésorerie importante qu'ils ne peuvent dépenser ? Les chiffres s'élèvent à plusieurs dizaines de millions d'euros par opérateur, c'est colossal. Et pourquoi ? Car une norme comptable les oblige à garder une trésorerie très importante au cas, fort probable, vous en conviendrez, où tous les collaborateurs prendraient le même jour, presque à la même heure, leur compte épargne temps et leurs congés payés ! C'est autant de moyens que l'on ne dépense pas à chercher ! J'avais interpellé la ministre sur ce point dans le cadre de la loi de programmation de la recherche. J'interpellerai à nouveau le Gouvernement en séance.

Deuxièmement, le projet de loi de finances supprime une mesure essentielle pour renforcer les liens entre la recherche publique et les entreprises. Il s'agit d'une mesure intégrée au crédit d'impôt recherche, qui permet à une entreprise de retenir le double des dépenses engagées pour un projet de recherche en cas de sous-traitance auprès d'un laboratoire public. Le Gouvernement justifie la suppression de cette incitation fiscale de l'ordre de 150 millions d'euros par an par le fait qu'une plainte a été déposée auprès de Bruxelles pour non-conformité au régime des aides d'État, alléguant la concurrence déloyale que ce dispositif ferait peser sur les sociétés privées de recherche.

Fort heureusement, le dispositif n'entre pas en vigueur tout de suite. Le Gouvernement propose une entrée en vigueur en 2022. Je déposerai un amendement, en lien avec la commission des finances, pour n'appliquer le dispositif qu'en 2023. Cela laissera vraiment le temps aux organismes de recherche et aux entreprises de se retourner. Et nous pourrons mettre à profit ce délai pour réfléchir à un mécanisme permettant de réinventer ce dispositif, dans le respect du droit européen des aides d'État. Il est impératif de trouver une solution sur ce point. Certains acteurs proposent un mécanisme de dotation basé sur le chiffre d'affaires de recherche partenariale réalisée en année N-1 et qui permettrait aux laboratoires de financer la phase amont d'un projet. Cela me paraît être une piste à creuser. En attendant je proposerai, afin de cranter le sujet dès le projet de loi de finances pour 2021, un amendement rétablissant la prise en compte des dépenses de personnel de R&D des PME à 50 %, contre 43 % aujourd'hui, avec entrée en vigueur en 2023, dans une logique de compensation de la fin du doublement d'assiette. Je travaille également sur d'autres amendements concernant le CIR que je pourrais déposer à titre personnel en séance. Sans trop rentrer dans le détail, il s'agirait d'abord de mieux adapter le calcul de l'assiette du crédit d'impôt recherche en cas de versement d'une subvention publique remboursable, afin de l'adapter au profil de trésorerie des entreprises innovantes : pour résumer, l'avantage fiscal est aujourd'hui consenti en fin de parcours, quand c'est au début du parcours d'innovation qu'il faut alléger la trésorerie des entreprises. Il s'agirait, ensuite, de renforcer les droits des contribuables en matière de crédit d'impôt recherche.

Pour finir, quelques mots sur le fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) - qui complèteront l'intervention de notre collègue Martine Berthet. Je m'y intéresse nécessairement car c'est une poche budgétaire qui prolonge les actions de la mission « recherche » sur le financement de la R&D. On sait qu'il s'agit d'une débudgétisation contestable car privant les parlementaires de toute information précise. On sait aussi que la crise a démontré la fragilité d'un modèle de recettes fondé sur des revenus de capitaux mobiliers dépendant de la conjoncture économique : en 2020, ce n'est que la moitié des 250 millions d'euros annuels qui sera dégagée. Mais on sait moins qu'à peine 30 % des crédits dégagés ont été décaissés ! Et je terminerai par une anecdote révélatrice de la stratégie brouillonne de l'État en la matière : parmi les actions financées par ce fonds devait figurer, à hauteur de 70 millions d'euros par an, des « grands défis » pour favoriser l'émergence d'innovations de rupture, décidés sous la houlette du conseil de l'innovation présidé par le Premier ministre. Mais à ce jour, seuls deux grands défis ont été lancés et le troisième, qui portait sur le stockage de l'énergie a été arrêté... à cause de la démission du directeur du programme ! Voilà qui montre qu'en matière d'innovation de rupture, l'État cherche son chemin !

En somme, je rejoins Mme Berthet pour dire que le FII doit, pour le moins, encore faire ses preuves !

Comme je vous l'ai dit en introduction, malgré le manque de lisibilité de ce budget, malgré son manque d'ambition s'il n'y avait pas eu le plan de relance, je vous propose donc d'émettre un avis favorable sur les crédits. Je précise que je soutiendrai en séance l'initiative du rapporteur de la commission des finances, qui proposera un amendement de crédit pour corriger une « entourloupe » si vous me permettez l'expression concernant le CNRS !

M. Franck Montaugé . - Ce budget s'inscrit effectivement dans la continuité de nos discussions sur le projet de loi de programmation de la recherche, auquel nous nous sommes opposés. Nous partageons la quasi-totalité des remarques formulées, mais notre groupe s'abstiendra. Il faut remettre en cause cette gestion politique de la recherche en France.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits de la mission « Recherche et enseignement supérieur » ainsi qu'à l'adoption des articles rattachés.

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