III. LE FONDS POUR L'INNOVATION : L'INUTILITÉ DE CETTE MANIPULATION BUDGÉTAIRE ENCORE ACCENTUÉE PAR LA CRISE

A. UN FONDS QUI NE RENFORCE PAS LE FINANCEMENT DE L'INNOVATION DE RUPTURE MAIS QUI LE SOUSTRAIT AU CONTRÔLE DU PARLEMENT

Le Fonds pour l'innovation et l'industrie (FII) a été créé le 9 juillet 2018 au sein de l'EPIC Bpifrance afin de financer des innovations de rupture. L'ambition, à terme, du Gouvernement est de le doter de 10 milliards d'euros de produits de cessions de participations réalisées par l'État actionnaire et de placer ce montant en bons du Trésor. Il est à noter que ce faisant, le Fonds sera l'unique destinataire dans les années à venir des recettes issues des cessions, réduisant les marges de manoeuvre financières du compte. En effet, la combinaison de la dégradation de son solde cumulé avec le fléchage des recettes vers le Fonds rendra impossible pour l'APE le financement des projets d'investissement des entreprises de son portefeuille.

Le rendement annuel espéré de cet investissement est de 250 millions d'euros, utilisé pour soutenir les start-ups de la deep tech et financer des grands défis d'innovation et des filières stratégiques (comme les batteries électriques). Dans l'attente de ces cessions, le Fonds a été initialement doté d'1,6 milliard d'euros en numéraire et de 8,4 milliards d'euros en titre EDF et Thalès.

L'introduction en bourse de la FDJ a par ailleurs conduit le Gouvernement à doter le FII de 1,9 milliard d'euros supplémentaires, fin juillet 2020, portant la dotation totale en numéraire à 3,5 milliards d'euros. Investi à un taux de 2,5 %, le produit de la cession doit logiquement générer un rendement de 47,5 millions d'euros. Or en diminuant sa participation dans la FDJ de 72 à 20 %, l'État a renoncé au versement de dividendes à hauteur de... 63,4 millions d'euros ! L'État se prive donc volontairement de 15 millions d'euros par an (dans l'hypothèse d'un versement par la FDJ de dividendes de même montant dans les années à venir) pour abonder un Fonds dont la pertinence n'est toujours pas, deux ans après sa création, démontrée.

À la suite de ce versement d'1,9 milliard d'euros en numéraire, il a été procédé le 23 octobre 2020 à une reprise partielle des actions EDF dont était doté le FII, à hauteur de 61 millions d'actions, pour une valeur de bourse de 636,6 millions d'euros.

1. Un Fonds qui s'apparente à une débudgétisation, contournant le contrôle du Parlement...

Le fonctionnement du Fonds semble inutilement complexe, notamment par rapport à une simple dotation budgétaire, sans apporter de réelle plus-value en termes de financement de l'innovation.

Ainsi que le soulignait déjà le rapporteur pour avis l'an dernier 13 ( * ) , le Fonds représente une débudgétisation du financement de l'innovation et une réduction artificielle du montant de la dette publique à hauteur de 10 milliards d'euros. En résumé, les produits de cession ne viennent plus abonder le budget général mais sont investis en bons du Trésor via le FII ; le rendement de ces bons du Trésor représente en réalité une dépense du budget général (l'État rémunère les détenteurs de la dette qu'il émet). Les 10 milliards d'euros de produits de cession sont donc affectés en dehors du budget de l'État (les dépenses du Fonds ne sont pas retranscrites dans le budget de l'État), mais c'est pourtant toujours le budget général qui est sollicité, au final, pour le financement de l'innovation, à travers le rendement de l'Obligation assimilable du Trésor (OAT).

Une différence majeure entre un financement de l'innovation par dotation budgétaire et un financement par un tel Fonds est l'absence de contrôle du Parlement sur le fonctionnement et les dépenses de ce Fonds. En effet, le Conseil pour l'innovation, installé en juillet 2018 et chargé de définir les priorités stratégiques du FII, ne comporte aucun parlementaire. Il en résulte que la représentation nationale n'a plus aucun droit de regard ni sur l'emploi des 10 milliards d'euros de produits de cessions ni, plus largement, sur les choix stratégiques arrêtés par le Conseil.

2. ... alors que les sujets stratégiques à venir sont nombreux

Le rendement du FII doit être normalement utilisé selon les trois priorités suivantes :

• 70 millions d'euros d'aides aux start-ups deep tech ;

• 120 millions d'euros pour le financement de grands défis d'innovation de rupture (intelligence artificielle, mobilité, santé). Dix entreprises ont par exemple reçu des subventions en 2020 comprises entre 250 000 et 300 000 euros pour améliorer les diagnostics médicaux par l'intelligence artificielle ;

• 60 millions d'euros pour soutenir des filières jugées stratégiques. Le FII finance ainsi le plan Nano 2022 (composants électroniques) à hauteur de 25 millions d'euros par an de 2018 à 2024.

Ainsi que le rappelle la Cour des comptes dans sa note d'exécution budgétaire du compte pour 2019 14 ( * ) , le programme Nano était financé déjà de longue date par le budget général 15 ( * ) , de même que plusieurs autres actions qui préexistaient à la création du Fonds, réduisant encore la pertinence de ce Fonds au regard d'une simple inscription des dépenses au budget général.

Le contournement du Parlement par la mise en place du FII, usine à gaz budgétaire qui place le financement de l'innovation en dehors du budget de l'État, est d'autant plus préoccupant que les enjeux stratégiques des années à venir sont nombreux : avion « vert », développement de l'hydrogène, réacteur nucléaire modulaire de petite puissance, sont autant d'axes fondamentaux pour la souveraineté et le rayonnement français qui ne sauraient relever du seul Conseil pour l'innovation, en dehors de tout débat démocratique. En outre, ainsi que l'analyse plus en détails le rapporteur pour avis du volet « recherche » des crédits de la mission « Enseignement supérieur et recherche », la majeure partie des financements n'a toujours pas été décaissée.


* 13 Ibid.

* 14 Cour des comptes, compte d'affectation spéciale Participations financières de l'État, Note d'analyse de l'exécution budgétaire 2019.

* 15 En outre, le FII ne fait que cofinancer ce projet, aux côtés des PIA, nuisant à la lisibilité du schéma.

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